COUR D'APPEL
DE RIOM
PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE
Du 04 avril 2023
N° RG 21/00668 - N° Portalis DBVU-V-B7F-FSCG
-DA- Arrêt n° 181
S.A.R.L. CARTECH / [L] [Z], [N] [M], [H] [X], S.A.R.L. PIL ARCHITECTURE, S.A.S. ETELLIN
Jugement au fond, origine TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP de CLERMONT-FERRAND, décision attaquée en date du 08 Mars 2021, enregistrée sous le n° 18/02617
Arrêt rendu le MARDI QUATRE AVRIL DEUX MILLE VINGT TROIS
COMPOSITION DE LA COUR lors des débats et du délibéré :
M. Philippe VALLEIX, Président
M. Daniel ACQUARONE, Conseiller
Mme Laurence BEDOS, Conseiller
En présence de :
Mme Céline DHOME, greffier lors de l'appel des causes et du prononcé
ENTRE :
S.A.R.L. CARTECH
[Adresse 2]
[Localité 6]
Représentée par Maître Jérôme LANGLAIS de la SCP LANGLAIS BRUSTEL LEDOUX & ASSOCIES, avocat au barreau de CLERMONT-FERRAND
Timbre fiscal acquitté
APPELANTE
ET :
M. [L] [Z]
[Adresse 7]
[Localité 5]
Représenté par Maître Daniel ELBAZ de la SCP ELBAZ ET ASSOCIES, avocat au barreau de CLERMONT-FERRAND
Timbre fiscal acquitté
Mme [N] [M]
[Adresse 1]
[Localité 5]
et
M. [H] [X]
[Adresse 3]
[Localité 6]
et
S.A.R.L. PIL ARCHITECTURE
[Adresse 4]
[Localité 6]
Représentés par Maître Olivier TOURNAIRE de la SELARL TOURNAIRE - MEUNIER, avocat au barreau de CLERMONT-FERRAND
Timbre fiscal acquitté
S.A.S. ETELLIN
[Adresse 8]
[Localité 5]
Représentée par Maître Lionel DUVAL, avocat au barreau de CLERMONT- FERRAND et par Maître Jacques CHEVALIER de la SELAS CHEVALIER MARTY PRUVOST, avocat au barreau de PARIS
Timbre fiscal acquitté
INTIMES
DÉBATS : A l'audience publique du 13 février 2023
ARRÊT : CONTRADICTOIRE
Prononcé publiquement le 04 avril 2023 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile ;
Signé par M. VALLEIX, président et par Mme DHOME, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
I. Procédure
Désireux de rénover leur maison d'habitation les époux [Z] ont fait appel aux architectes Mme [N] [M], M. [H] [X] et la SARL PIL ARCHITECTURE.
Le lot carrelage a été confié à la SARL CARTECH qui s'est fournie auprès de la SAS ETELLIN.
Se plaignant de désordres constatés sur le carrelage, les époux [Z] ont sollicité en référé une expertise dont la mission a été confiée à M. [O] qui a remis son rapport le 12 avril 2018.
M. [L] [Z] a ensuite assigné les architectes, l'entreprise et son fournisseur, au fond devant le tribunal de grande instance de Clermont-Ferrand afin de demander réparation à titre principal en application de l'article 1792 du code civil, et subsidiairement sur d'autres fondements contractuels.
À l'issue des débats, par jugement du 8 mars 2021, le tribunal judiciaire de Clermont-Ferrand a rendu la décision suivante :
« Le tribunal, statuant publiquement, par jugement contradictoire et en premier ressort
REJETTE la fin de non-recevoir soulevée et déclare l'action de Monsieur [L] [Z] recevable ;
CONDAMNE in solidum La SARL CARTECH et la SAS ETELLIN, Madame [M], Monsieur [X] et la société PIL ARCHITECTURE à payer à Monsieur [L] [Z] :
- la somme de 21 466,98 euros au titre des travaux de reprise ;
- la somme de 12 065,41 euros au titre du préjudice de jouissance ;
- la somme de 2000 euros au titre du préjudice moral ;
DIT que dans leurs rapports entre eux :
- la SARL CARTECH sera condamnée à garantir à hauteur de 60 % Madame [M], Monsieur [X] et la société PIL ARCHITECTURE et la SA ETELLIN des condamnations susvisées ;
- la SA ETELLIN sera condamnée à garantir Madame [M], Monsieur [X] et la société PIL ARCHITECTURE et la SARL CARTECH à hauteur de 35 % des condamnations susvisées ;
- Madame [M], Monsieur [X] et la société PIL ARCHITECTURE seront condamnés à garantir la société CARTECH et la société ETELLIN à hauteur de 5 % des condamnations susvisées ;
DÉBOUTE Monsieur [L] [Z] de ses autres demandes indemnitaires;
CONDAMNE Monsieur [L] [Z] à payer à la SARL CARTECH la somme de 2501,42 euros ;
DIT n'y avoir lieu à compensation ;
CONDAMNE solidairement Madame [M], Monsieur [X] et la société PIL ARCHITECTURE, la SARL CARTECH et la SA ETELLIN à payer à Monsieur [L] [Z] une somme de 4000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile
CONDAMNE in solidum Madame [M], Monsieur [X] et la société PIL ARCHITECTURE, la SARL CARTECH et la SA ETELLIN aux entiers dépens, lesquels comprendront les frais d'expertise. »
Considérant dans les motifs de sa décision que l'architecte n'avait relevé « que quelques fissures du carrelage sur la zone du rez-de-chaussée », le tribunal judiciaire a considéré que l'article 1792 du code civil n'était pas applicable.
Retenant par contre la responsabilité contractuelle de tous les intervenants, le tribunal les a condamnés in solidum et a partagé entre eux la charge de la réparation.
***
La SARL CARTECH a fait appel de cette décision le 23 mars 2021, précisant :
« La présente déclaration d'appel a pour objet de voir prononcer l'annulation du jugement rendu par le Tribunal Judiciaire de CLERMONT-FERRAND et, en tout état de cause, la réformation, sinon la critique des chefs de jugement ci-après exposés.
L'appelante précise que son appel est formé à l'appui de l'intégralité des pièces produites en première instance ainsi que sur les pièces qui pourraient être produites en cause d'appel.
L'appelante défère donc à la Cour la connaissance des chefs de jugement suivants, qu'elle critique expressément et ainsi que ceux qui en dépendent :
CONDAMNE in solidum La SARL CARTECH et la SAS ETELLIN, Madame [M], Monsieur [X] et la société PIL ARCHITECTURE à payer à Monsieur [L] [Z] : la somme de 21 466,98 euros au titre des travaux de reprise ; la somme de 12 065,41 euros au titre du préjudice de jouissance ; la somme de 2000 euros au titre du préjudice moral ;
DIT que dans leurs rapports entre eux :
- la SARL CARTECH sera condamnée à garantir à hauteur de 60 % Madame [M], Monsieur [X] et la société PIL ARCHITECTURE et la SA ETELLIN des condamnations susvisées
- la SA ETELLIN sera condamnée à garantir Madame [M], Monsieur [X] et la société PIL ARCHITECTURE et la SARL CARTECH à hauteur de 35 % des condamnations susvisées ;
- Madame [M], Monsieur [X] et la société PIL ARCHITECTURE seront condamnés à garantir la société CARTECH et la société ETELLIN à hauteur de 5 % des condamnations susvisées ;
CONDAMNE solidairement Madame [M], Monsieur [X] et la société PIL ARCHITECTURE, la SARL CARTECH et la SA ETELLIN à payer à Monsieur [L] [Z] une somme de 4000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile
CONDAMNE in solidum Madame [M], Monsieur [X] et la société PIL ARCHITECTURE, la SARL CARTECH et la SA ETELLIN aux entiers dépens, lesquels comprendront les frais d'expertise. »
Dans ses conclusions nº 2 ensuite du 26 août 2021 la SARL CARTECH demande à la cour de :
« Vu les articles 1792 et 1231-1 du Code
Vu le rapport d'expertise de Monsieur [O] ;
DIRE ET JUGER l'appel formé par la société CARTECH recevable et bien fondé.
Y faisant droit.
À titre principal.
- CONFIRMER la décision entreprise en ce qu'elle a écarté la nature décennale des désordres et par voie de conséquence, la responsabilité décennale des constructeurs.
- INFIRMER la décision entreprise en ce qu'elle a retenu la responsabilité contractuelle de la société CARTECH au titre de la garantie des dommages intermédiaires.
- JUGER qu'il n'est établi aucune faute, aucun manquement à l'encontre de la société CARTECH.
- JUGER que Monsieur [Z] ne rapporte pas la preuve que son préjudice serait en lien de causalité avec la prétendue faute commise par la Société CARTECH ;
- METTRE par conséquent hors de cause la Société CARTECH ;
- DÉBOUTER Monsieur [Z], et l'ensemble des compris, de l'ensemble de leurs demandes, fins et conclusions, dirigées à l'encontre de la Société CARTECH ;
À titre subsidiaire.
Si par impossible la Cour confirmait le jugement de première instance, il y aura lieu également de
- CONFIRMER le montant des condamnations prononcées au bénéfice de Monsieur [Z] à hauteur de 21.466,98 euros TTC au titre des travaux réparatoires et à hauteur de 12.065,41 euros TTC au titre du préjudice de jouissance.
- INFIRMER le jugement entrepris en ce qu'il a condamné la société CARTECH à hauteur de 60 % du coût total des désordres subis par Monsieur [Z]
- CONDAMNER, pour les raisons sus-énoncées, solidum Monsieur [X], Madame [M] et la Société ETELLIN à relever et garantir la Société CARTECH indemne de toutes condamnations susceptibles d'être prononcée à son encontre et au bénéfice de Monsieur [Z] ;
En tout état de cause.
- CONFIRMER la décision entreprise en ce qu'elle a condamné Monsieur [Z] au paiement de la somme de 2.501,42 € au bénéfice de la société CARTEH au titre du solde lui restant dû.
- CONDAMNER, en conséquence, Monsieur [Z] à payer et porter à la Société CARTECH la somme de 2.501,42 euros ;
- CONFIRMER, en tant que de besoin, la compensation entre les créances respectives de la Société CARTECH et de Monsieur [Z] ;
- CONDAMNER tout succombant à payer et porter à la Société CARTECH la somme de 3.000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;
- CONDAMNER tout succombant aux entiers dépens dont distraction au profit de la SCP LANGLAIS BRUSTEL LEDOUX Pour ceux dont elle aura fait l'avance. »
***
Les architectes, Mme [N] [M], M. [H] [X] et la SARL PIL ARCHITECTURE ont conclu ensemble le 6 septembre 2021 afin de demander à la cour de :
« Vu les articles 1792, 1792.2, 1793, 2239, 1240 du Code Civil.
SUR L'APPEL PRINCIPAL de la société CARTECH.
CONFIRMER le jugement en ce qu'il a retenu sa responsabilité contractuelle.
DÉBOUTER la société CARTECH de sa demande de garantie formée contre Madame [M], Monsieur [X] et la société PIL ARCHITECTURE.
SUR L'APPEL INCIDENT de la société ETELLIN ;
DÉBOUTER la société ETELLIN de sa demande de garantie formée contre Madame [M], Monsieur [X] et la société PIL ARCHITECTURE.
SUR L'APPEL INCIDENT DE Madame [M], Monsieur [X] et la société PIL ARCHITECTURE
Le dire recevable et bien fondé.
INFIRMER la décision entreprise.
DÉCLARER irrecevable comme prescrite l'action intentée par Monsieur [Z].
LE DÉBOUTER de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions.
SUBSIDIAIREMENT
CONDAMNER, in solidum, la société CARTECH et la société ETELLIN à garantir les concluants de toutes condamnations qui pourraient être prononcées à leur encontre en ce compris les frais et dépens de référé et les frais d'expertise judiciaire.
À TITRE INFINIMENT SUBSIDIAIRE :
Confirmer la décision attaquée.
EN TOUT ÉTAT
Condamner la partie qui succombe à payer et porter aux concluants la somme de 4 000 € sur le fondement de l'article 700 du Code de Procédure Civile.
Condamner la partie qui succombe aux dépens, dont distraction au profit de la SELARL TOURNAIRE MEUNIER sur ses affirmations de droit. »
***
La SAS ETELLIN a conclu le 25 août 2021, elle demande à la cour de :
« Vu le jugement du 8 mars 2021 du Tribunal Judiciaire de CLERMONT FERRAND
Vu les pièces versées aux débats,
Vu les articles 9 du code de procédure civil et 1353 du code civil,
Vu l'article 1310 du code civil ;
Vu l'article 1240 du code civil
Vu l'article 1792-4 du code civil ;
À titre principal :
CONFIRMER le jugement entrepris en ce qu'il a considéré que la Société ETELLIN n'était pas soumise à la responsabilité décennale des constructeurs,
En tout état de cause, CONFIRMER le jugement entrepris en ce qu'il a écarté la nature décennale des désordres,
INFIRMER le jugement entrepris en ce qu'il a retenu la responsabilité délictuelle de la Société ETELLIN sur le fondement de l'article 1240 du code civil ;
Statuant de nouveau :
DÉBOUTER Monsieur [Z] de sa demande de condamnation de la Société ETELLIN sur le fondement de l'article 1240 du code civil, compte tenu de l'absence de preuve de faute délictuelle en lien avec les désordres sur le carrelage,
JUGER que seule la Société LEVANTINA, par ailleurs assignée saurait engagée [sic] sa responsabilité ;
METTRE hors de cause la Société ETELLIN
À titre subsidiaire
CONFIRMER le jugement en ce qu'il a retenu la somme de 21.466,98 € au titre des travaux réparatoires ;
INFIRMER le jugement entrepris en ce qu'il a alloué la somme de 12.065, 41 € au titre des préjudices de jouissance ;
JUGER que la somme allouée au titre du trouble de jouissance sera réduite de manière substantielle par rapport à ce qui a été alloué en première instance ;
CONFIRMER la somme allouée au litre du préjudice moral soit la somme de 2.000 € ;
JUGER la Société ETELLIN bien fondée à solliciter la garantie de la Société CARTIECH, de la SARL PIL ARCHITECTURE, Monsieur [X] et de Madame [M], sur le fondement de l'article 1240 du code civil dès lors que leur responsabilité est susceptible d'être retenue pour les désordres lié carrelage,
En tout état de cause :
CONDAMNER tout succombant à payer à la Société SAS ETELLIN la somme de 2.000 euros en application des dispositions de l'article 700 du CPC ;
CONDAMNER tout succombant aux entiers dépens, dont distraction au profit de Maître DUVAL, dans les conditions de l'article 699 du CPC. »
***
M. [L] [Z] a conclu le 14 septembre 2021 afin de demander à la cour de :
« Principalement :
- Réformer le Jugement dont appel en ce qu'il a jugé que les désordres ne relèvent pas de la garantie décennale.
- Vu les dispositions des articles 1792 et suivants du Code Civil.
- Condamner solidairement Monsieur [H] [X], Madame [N] [M], la SARL PIL ARCHITECTURE et la SARLU CARTECH à payer et porter à Monsieur [L] [Z] les sommes de :
- 47 108,01 € au titre de son préjudice matériel (réfection totale du carrelage)
- 13 925,40 € au titre de son trouble de jouissance
- 5 000 € au titre de son préjudice moral
Subsidiairement :
- Confirmer le Jugement du 08 Mars 2021 en toutes ses dispositions.
- En toute hypothèse, condamner solidairement Madame [N] [M], Monsieur [H] [X], la SARL PIL ARCHITECTURE, la SARLU CARTECH et la SAS ETELLIN à payer et porter à Monsieur [L] [Z] la somme de 3 000 € sur le fondement de l'article 700 du Code de Procédure Civile.
- Condamner in solidum Madame [N] [M], Monsieur [H] [X], la SARL PIL ARCHITECTURE, la SARLU CARTECH et la SAS ETELLIN aux entiers dépens de 1re instance et d'appel, lesquels comprendront les frais d'expertise de 1re instance. »
***
La cour, pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des demandes et moyens des parties, fait ici expressément référence au jugement entrepris ainsi qu'aux dernières conclusions déposées, étant précisé que le litige se présente céans de la même manière qu'en première instance.
Une ordonnance du 15 décembre 2022 clôture la procédure.
II. Motifs
Les architectes plaident que l'action du maître d'ouvrage est prescrite dans la mesure où le carrelage litigieux constitue un élément d'équipement dissociable qui entre dans la catégorie visée à l'article 1793 du code civil [conclusions page 7, il s'agit en réalité de l'article 1792-3].
Or, d'une part M. [Z] sollicite l'application de l'article 1792 du code civil, et à défaut la mise en 'uvre de la responsabilité contractuelle des intimés ; d'autre part et surtout d'aucune manière un carrelage collé au sol ne saurait être considéré comme un élément d'équipement dissociable, ce conformément à une jurisprudence tout à fait constante sur le sujet (3e Civ., 13 février 2013, nº 12-12.016, Bull. 2013, III, nº 20). Et quand bien même de par la nature de sa construction il pourrait être considéré comme un élément dissociable, un carrelage n'est pas un élément destiné à « fonctionner », de sorte qu'en toute hypothèse l'article 1792-3 ne s'applique pas (3e Civ., 11 septembre 2013, nº 12-19.483, Bull. 2013, III, nº 103 ; 18 février 2016, nº 15-10.750, Bull. 2016, III, nº 29).
La demande de M. [Z] est donc parfaitement recevable, du point de vue de la prescription, que ce soit en application de l'article 1792 du code civil ou bien sur le fondement de la responsabilité contractuelle de droit commun.
Ceci étant précisé, il est manifeste à la lecture de l'expertise faite par M. [O] le 12 avril 2018, que le carrelage litigieux ne relève pas de l'article 1792, en ce qu'il n'est pas démontré que sa solidité serait compromise, ou bien qu'il serait impropre à sa destination.
De l'ensemble des explications des parties, des pièces du dossier et du rapport de M. [O] l'on peut en effet retenir de manière certaine les faits suivants.
Le carrelage préconisé par les architectes, fourni par la SAS ETELLIN et posé par la SARL CARTECH sur une surface totale d'environ 100 m² au rez-de-chaussée de l'habitation, a été réceptionné le 25 avril 2014. Par lettre du 28 juillet 2014 les maîtres de l'ouvrage se sont plaints auprès de l'architecte M. [X] et de l'architecte d'intérieur Mme [M] d'une « difficulté réelle de nettoyage, et surtout de l'apparition de traces laissées par certaines chaussures. » Ils précisent qu'un ponçage réalisé le 17 juillet 2014 a atténué le côté rugueux des carreaux mais n'a pas empêché les traces de chaussures.
Répondant à l'architecte par lettre du 18 septembre 2014, la SARL CARTECH lui déclare qu'en accord avec le négociant ETELLIN elle étudie une solution d'application d'un produit filmogène sur les carreaux, et s'apprête à lancer une série de tests. Le 12 décembre 2014 l'architecte écrit à la SAS ETELLIN en lui demandant une réponse rapide à propos d'une solution de remplacement des carreaux qui aurait été convenue avec Mme [V], directrice pour la France des carrelages LEVANTINA, fabricant espagnol de ce produit.
Enfin, par lettre du 16 janvier 2015 adressée à la SARL CARTECH et à la SAS ETELLIN, l'architecte rappelle que la prestation de ponçage n'a donné aucune satisfaction au maître de l'ouvrage et que celui-ci rapporte avoir constaté le 14 janvier que trois carreaux se sont fendus.
À la lumière de ces éléments il est aisé de constater que dans un premier temps les époux [Z] se sont plaints uniquement de difficultés de nettoyage et d'entretien du carrelage. Apparemment, les fissures sur certains carreaux sont apparues plus tard ainsi que l'architecte l'expose dans sa lettre du 16 janvier 2015.
En conséquence, il est manifeste que ce carrelage, qui de fait est utilisé par les habitants de la maison depuis l'année 2014, demeure suffisamment solide nonobstant quelques rares fissures qui n'empêchent pas son usage, et n'est donc nullement impropre à sa destination. L'application de l'article 1792 du code civil est par conséquent exclue, comme pertinemment jugé par le tribunal de Clermont-Ferrand.
On ne peut nier cependant, et cela résulte très clairement des échanges ci-dessus rapportés, que ce carrelage demeure atteint depuis l'origine de désordres qu'un ponçage méticuleux n'a pas réussi à faire disparaître, s'agissant d'une part d'une difficulté d'entretien reconnue aussi bien par les architectes que par la SARL CARTECH et la SAS ETELLIN qui ont tenté ensemble d'y remédier sans succès ; d'autre part de l'apparition progressive de fissures évolutives sur une douzaine de carreaux, qui sont inacceptables même si elles n'empêchent pas l'usage du sol [cf. le rapport de M. [O] pages 29, 31 et 39 où il rappelle qu'un carrelage « se doit d'être simple à entretenir »].
Ces désordres limités relèvent donc des dommages intermédiaires, et engagent par conséquent la responsabilité civile de droit commun contractuelle à l'égard des architectes et délictuelle au regard de la SARL CARTECH et de la SAS ETELLIN, leurs fautes dans tous les cas devant être prouvées.
À la lecture de l'expertise réalisée par M. [O], il apparaît d'emblée difficile de comprendre de quoi est constitué le carrelage litigieux, mais l'on peut déterminer de manière certaine qu'il ne répond pas à l'exigence contractuelle des maîtres de l'ouvrage, étant précisé que selon l'expert, non démenti sur ce point, la maison des époux [Z] a été rénovée « selon un standard haut de gamme », avec l'intervention d'un architecte et d'une architecte d'intérieur. Le contrat conclu entre la SARL PIL ARCHITECTURE et les époux [Z] confirme l'importance des travaux de rénovation qui sont mentionnés pour 250 000 EUR hors-taxes, témoignant ainsi de la qualité et du soin légitimement attendus par les maîtres de l'ouvrage au regard des prestations fournies.
Concernant la nature du produit, dans son rapport M. [O] expose que ce carrelage de marque LEVANTINA et de fabrication espagnole ne répond à aucune norme ou DTU connus, ce en raison de la grande taille des carreaux dont le format excède les limites fixées par le DTU. D'après les propos recueillis auprès de Mme [V], représentante en France de la marque LEVANTINA, les seules normes applicables à ce produit seraient « des normes européennes ». L'expert confirme : « Il n'existe dans les documents Levantina aucune référence aux normes habituellement usitées dans notre pays », en conséquence de quoi ces produits « ne peuvent être considérés comme relevant d'une technique courante » (cf. rapport pages 35 et 36). En outre, un doute sérieux subsiste sur la nature même des carreaux ayant été utilisés. Malgré tous ses efforts en effet, l'expert n'est pas parvenu à déterminer avec précision de quoi il s'agit.
M. [O] s'est d'abord heurté à une difficulté de taille puisqu'il n'a trouvé aucune notice technique explicative écrite en français. Les seuls documents dont il a pu disposer en consultant le site internet du fabricant LEVANTINA étaient rédigées en anglais et en espagnol. D'après Mme [V], représentante de la marque interrogée par l'expert, ce type de carrelage se décline en deux catégories : un carrelage de 3 mm d'épaisseur sans entoilage, qui n'est pas adapté à une pose sur sol mais peut être utilisé en revêtement sur les murs ; un carrelage référencé « 3 + » qui a une épaisseur également de 3 mm mais dont la sous face est garnie d'un entoilage en fibre de verre permettant de l'utiliser en revêtement de sol (rapport page 27). Cependant, sur les documents techniques rédigés en anglais, trouvés par M. [O] sur le site du fabricant espagnol, notamment un tableau reproduit par l'expert dans son rapport page 32, il est exposé que les catégories « 3 » et « 3 + » ne conviennent pas pour l'usage Interior Floors c'est-à-dire les sols intérieurs'
Quoi qu'il en soit, les carreaux livrés à la SAS ETELLIN sont référencés « 3 + » et peuvent donc être posés sur le sol d'après la représentante en France de la marque espagnole LEVANTINA, mais il existe ici une ambiguïté supplémentaire car lors de son expertise M. [O] s'est fait remettre par les époux [Z] un carreau qui n'avait pas été utilisé et il a mesuré avec un pied à coulisse une épaisseur de seulement 3 mm (rapport pages 27, 32 et 33).
Eu égard par conséquent à la documentation technique du produit, telle que trouvée sur internet, et aux propres constatations de l'expert, l'usage possible de ces carreaux en revêtement de sol demeure pour le moins douteux.
Par ailleurs M. [O] déplore le manque d'informations techniques concernant la mise en 'uvre des carreaux, dans la mesure où en raison de leur grande taille ces produits ne répondent ni à un DTU ni à un Avis Technique et « ne peuvent donc être considérés comme relevant d'une technique courante », outre que les documents tardivement fournis par le fabricant LEVANTINA « sont sources d'erreurs à tous les niveaux : tant à la conception qu'à la mise en 'uvre » (rapport page 36). Cette carence est d'autant plus gênante que « le produit est peu vendu en France » (page 37).
C'est donc dans ces conditions particulièrement hasardeuses que le carrelage litigieux a été proposé par l'architecte, fourni par la SAS ETELLIN et posé par la SARL CARTECH sur environ 100 m² au rez-de-chaussée de la maison des époux [Z]. Et c'est à la lumière de ces éléments que la responsabilité des uns et des autres doit être maintenant examinée.
L'architecte en premier lieu a conseillé aux époux [Z] un carrelage, considérant seulement l'aspect esthétique de celui-ci, sans s'inquiéter plus avant de sa provenance et de ses qualités mécaniques, ni s'interroger sur la très faible diffusion en France de ce produit fabriqué en Espagne. Sans être démenti, l'expert note dans son rapport, au titre des dires des parties, que le choix des carrelages avait été effectué par Mme [M], architecte d'intérieur, qui a transmis ensuite des échantillons aux époux [Z] pour qu'ils expriment leur préférence (expertise page 24). Dès lors cet architecte ne pouvait méconnaître la très faible épaisseur des carreaux, ce qui n'est pas anodin s'agissant de pièces de dimensions importantes puisque chacune mesure 50 × 100 cm. L'architecte ne s'est pas mieux préoccupé de la mise en 'uvre de ce matériau dans le cadre d'une rénovation très coûteuse qui exigeait par conséquent un minimum d'attention quant aux produits utilisés. Il lui appartenait au moins d'examiner les préconisations du fabricant pour savoir si le carrelage allait convenir à l'usage auquel il était destiné, ce qui lui aurait permis de se rendre compte que le produit ne répondait à aucun DTU ni Avis Technique connu en France. La responsabilité de l'architecte est donc pleinement engagée au regard de son devoir de conseil auquel il a totalement manqué, et la relation de cause à effet entre la faute de l'architecte et le dommage est suffisamment établie au vu des éléments ci-dessus développés.
La SAS ETELLIN pour sa part a commercialisé un carrelage peu courant ne disposant en France d'aucun DTU ni Avis Technique, et dont la seule notice exploitable, à condition d'aller la chercher sur le site internet du fabricant, était rédigée en anglais et en espagnol. Elle non plus ne pouvait méconnaître le caractère hors normes de tels carreaux, ni se départir complètement d'un minimum d'investigations sur la qualité du produit qu'elle vendait et surtout ses conditions de mise en 'uvre, afin de conseiller au mieux ses clients. Au final, sa responsabilité civile est engagée pour avoir proposé à l'achat sans aucune vérification un carrelage qui de par ses dimensions inhabituelles et l'absence de normes françaises applicables nécessitait à tout le moins des conseils particuliers qu'elle a été manifestement incapable de prodiguer, n'ayant elle-même aucune connaissance approfondie du produit. Et de même que pour l'architecte, cette faute professionnelle est en lien directement avec les dommages subis par les époux [Z].
Quant à la SARL CARTECH, elle a posé un carrelage très peu courant sans s'inquiéter de ne posséder aucune notice technique ni méthode de mise en 'uvre, et d'évidence sans connaître les caractéristiques propres du produit. Il est pour le moins surprenant qu'elle ait accepté de travailler dans de telles conditions. Elle ne saurait se retrancher derrière sa qualité de simple exécutant, dans la mesure où étant un professionnel rompu à ce type d'ouvrage il lui appartenait à tout le moins d'interroger l'architecte et les époux [Z] sur la pertinence de leur choix, et éventuellement de refuser le marché qu'elle était fondée dans le cas présent à considérer comme trop risqué dans la mesure où il consistait à employer un produit peu utilisé en France et dont les qualités techniques demeuraient inconnues au regard des normes habituellement pratiquées. Sans qu'il soit utile ici de s'interroger sur la date d'apparition des fissures, ni sur la responsabilité du fabricant LEVANTINA qui n'est pas dans la présente cause, il convient en tout cas de retenir que la SARL CARTECH en acceptant de travailler dans des conditions aussi peu sûres a sérieusement manqué de prudence. Elle n'a pas non plus satisfait à un élémentaire devoir de conseil qui incombe à tout professionnel dans l'exercice de sa spécialité. Ici encore, le lien de causalité entre la faute de la SARL CARTECH et le préjudice des maîtres de l'ouvrage est parfaitement démontré.
La condamnation in solidum de la SARL CARTECH, des architectes et de la SAS ETELLIN, à réparer le préjudice de M. [Z] doit donc être approuvée.
Il n'en va pas de même concernant la répartition de la charge de la dette entre eux. La cour considère en effet que l'architecte, le carreleur et le distributeur du produit ont commis des fautes d'égale gravité concourant ensemble au dommage, moyennant quoi chacun prendra à sa charge un tiers de la réparation.
Concernant le coût de la réparation du carrelage le tribunal a retenu le devis de la SARL CARTECH, écartant la proposition de l'expert au motif que la mission de maîtrise d''uvre n'était pas justifiée. Or aucune raison ne permet de refuser les frais nécessaires à la maîtrise d''uvre pour la réfection du carrelage défectueux, d'autant plus s'agissant ici d'une réalisation techniquement beaucoup plus complexe que s'il s'agissait de poser un carrelage neuf sur un sol vierge. C'est donc la somme demandée de 47 108,01 EUR qui sera allouée de ce chef à M. [Z].
Le préjudice de jouissance et le préjudice moral ont par contre été correctement appréciés par le tribunal judiciaire.
Il y a lieu à confirmation également de la somme de 2501,42 EUR qui reste due à la SARL CARTECH par M. [Z], ce que celui-ci ne conteste pas.
3000 EUR sont justes pour l'article 700 du code de procédure civile, à charge in solidum de la SARL CARTECH, des architectes ensemble et de la SAS ETELLIN, chacun prenant à sa charge ensuite un tiers de ce montant.
La SARL CARTECH, les architectes ensemble et la SAS ETELLIN supporteront in solidum les dépens d'appel, chacun en prenant ensuite un tiers à sa charge.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement et par arrêt contradictoire,
Confirme le jugement sauf concernant le montant des travaux de reprise, et la répartition de la charge de la dette entre la SARL CARTECH, les architectes ensemble et la SAS ETELLIN ;
Statuant à nouveau :
' Fixe le montant des travaux de reprise à la somme de 47 108,01 EUR ;
' Dit que dans leurs rapports entre eux la SARL CARTECH, Mme [M] M. [X] et la SARL PIL ARCHITECTURE ensemble, et la SAS ETELLIN supporteront chacun un tiers de la charge des réparations allouées à M. [Z] ;
Condamne in solidum la SARL CARTECH, Mme [M] M. [X] et la SARL PIL ARCHITECTURE ensemble, et la SAS ETELLIN à payer à M. [Z] la somme de 3000 EUR en application de l'article 700 du code de procédure civile devant la cour, chacun conservant ensuite un tiers de cette somme à sa charge ;
Condamne in solidum la SARL CARTECH, Mme [M] M. [X] et la SARL PIL ARCHITECTURE ensemble, et la SAS ETELLIN aux dépens d'appel, chacun en prenant ensuite un tiers à sa charge ;
Déboute les parties de leurs autres demandes.
Le greffier Le président