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21/02/2023 | FRANCE | N°20/01710

France | France, Cour d'appel de Riom, Chambre sociale, 21 février 2023, 20/01710


21 FEVRIER 2023



Arrêt n°

SN/NB/NS



Dossier N° RG 20/01710 - N° Portalis DBVU-V-B7E-FPYX



S.A. LEROY MERLIN FRANCE



/



[T] [E]





jugement au fond, origine conseil de prud'hommes - formation paritaire de clermont-ferrand, décision attaquée en date du 10 novembre 2020, enregistrée sous le n° 18/00504

Arrêt rendu ce VINGT ET UN FEVRIER DEUX MILLE VINGT TROIS par la QUATRIEME CHAMBRE CIVILE (SOCIALE) de la Cour d'Appel de RIOM, composée lors des débats et du délibéré de :
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M. Christophe RUIN, Président



Mme Frédérique DALLE, Conseiller



Mme Sophie NOIR, Conseiller



En présence de Mme Nadia BELAROUI greffier lors des d...

21 FEVRIER 2023

Arrêt n°

SN/NB/NS

Dossier N° RG 20/01710 - N° Portalis DBVU-V-B7E-FPYX

S.A. LEROY MERLIN FRANCE

/

[T] [E]

jugement au fond, origine conseil de prud'hommes - formation paritaire de clermont-ferrand, décision attaquée en date du 10 novembre 2020, enregistrée sous le n° 18/00504

Arrêt rendu ce VINGT ET UN FEVRIER DEUX MILLE VINGT TROIS par la QUATRIEME CHAMBRE CIVILE (SOCIALE) de la Cour d'Appel de RIOM, composée lors des débats et du délibéré de :

M. Christophe RUIN, Président

Mme Frédérique DALLE, Conseiller

Mme Sophie NOIR, Conseiller

En présence de Mme Nadia BELAROUI greffier lors des débats et du prononcé

ENTRE :

S.A. LEROY MERLIN FRANCE agissant poursuites et diligences de son représentant légal, domicilié en cette qualité audit siège.

[Adresse 3]

[Adresse 3]

Représentée par Me Sébastien RAHON, avocat au barreau de CLERMONT-FERRAND, avocat constitué, substitué par Me Christine CARON-DEBAILLEUL de la SELAS FIDAL & ASSOCIES, avocat au barreau de LILLE, avocat plaidant

APPELANTE

ET :

M. [T] [E]

[Adresse 1]

[Adresse 1]

Représenté par Me Frédérik DUPLESSIS, avocat au barreau de CLERMONT-FERRAND

INTIME

Après avoir entendu Mme NOIR, Conseiller en son rapport, les représentants des parties à l'audience publique du 05 Décembre 2022, la Cour a mis l'affaire en délibéré, Monsieur le Président ayant indiqué aux parties que l'arrêt serait prononcé, ce jour, par mise à disposition au greffe, conformément aux dispositions de l'article 450 du code de procédure civile.

FAITS ET PROCÉDURE

La Sa Leroy Merlin France est une enseigne de la grande distribution spécialisée dans la construction, le bricolage et le jardinage. Elle appartient groupe Adeo.

M. [T] [E] a été embauché le 1er avril 2011 par la Sa Leroy Merlin France par un contrat de travail à durée indéterminée à temps complet en qualité d'employé logistique, cariste au sein du magasin de [Localité 2].

La convention collective nationale applicable à la relation de travail est celle du bricolage.

Le 7 juillet 2015, l'employeur a déclaré un accident du travail survenu le 3 juillet 2015 ('en rangeant un wc en portant, ressenti une douleur bas du dos').

Cet accident a été pris en charge par la Caisse Primaire d'Assurance Maladie du Puy-de-Dôme au titre de la législation sur les risques professionnels le 20 juillet 2015.

Le salarié était placé en arrêt de travail du 3 au 10 juillet 2015.

Le 2 novembre 2015, l'employeur a établi une nouvelle déclaration d'accident du travail concernant M. [T] [E] pour un accident survenu le 29 octobre 2015 ('en aidant un client à charger du parquet dans sa voiture').

Le salarié a été déclaré consolidé le 25 avril 2016.

Aux termes d'une visite médicale de reprise du 8 mars 2016, le médecin du travail a déclaré M. [T] [E] inapte à son poste de travail en un seul examen pour danger immédiat dans les termes suivants : « inapte au poste. Le maintien à son poste constitue un danger pour la santé du salarié. La visite médicale à 15 jours ne se justifie pas. (Art.R4624-31 1 er alinéa).

Pas de reclassement professionnel dans l'entreprise, ni par adaptation, ni aménagement ou transformation du poste, ni par mutation à un autre poste dans l'entreprise ou dans les autres entreprises appartenant au groupe.

Tout maintien du salarié dans l'entreprise serait gravement préjudiciable à sa santé (Art. L1226-12). »

Le 11 avril 2016, les délégués du personnel, consultés sur les possibilités de reclassement de M. [E], ont émis un 'avis défavorable sur l'impossibilité de reclassement' aux motifs de plusieurs omissions dans l'avis d'inaptitude, de l'absence d'étude de poste et de l'absence de précision sur les aptitudes résiduelles du salarié.

Par courriel du 12 avril 2016, la société Leroy Merlin France a signalé au médecin du travail que l'avis d'inaptitude du 8 mars 2016 était irrégulier aux motifs que la visite qualifiée de pré-reprise du 1er février 2016 ne pouvait être considérée comme telle puisqu'elle avait eu lieu plus de 30 jours avant la visite de reprise et que l'avis ne mentionnait pas la notion de danger immédiat, condition nécessaire au prononcé de l'inaptitude en une seule visite.

La société Leroy Merlin France a ensuite demandé au médecin du travail de 'recevoir au plus vite en seconde visite M. [E], seconde visite à notre sens nécessaire à la constatation régulière de l'inaptitude au poste'.

Par courrier du 26 avril 2016, le médecin du travail a renvoyé à l'employeur l'avis d'inaptitude 'avec les références supprimées relevant d'une erreur de plume'.

Le 9 mai 2016, les délégués du personnel, à nouveau consultés, ont de nouveau émis un 'avis défavorable sur l'impossibilité de reclassement'.

Par courrier du 10 mai 2016, l'employeur a informé M. [T] [E] des motifs s'opposant à son reclassement et l'a convoqué le 12 mai 2016 à un entretien préalable à licenciement fixé au 27 mai suivant.

La société Leroy Merlin France a ensuite décidé de 'suspendre la procédure' de licenciement aux motifs que M. [T] [E] 'bénéficiait d'une prolongation d'arrêt de travail ne mentionnant pas une autorisation de reprise de la part de son médecin traitant' et que ce dernier l'avait également informée au cours de l'entretien préalable de ce que l'avis d'inaptitude du 8 mars 2016 ne mentionnait pas la possibilité de former un recours à son encontre.

Aux termes d'une nouvelle visite de reprise du 21 juin 2016, le médecin du travail a confirmé l'inaptitude du salarié à son poste de travail en des termes identiques à son précédent avis.

Le 4 août 2016, les délégués du personnel, consultés pour la troisième fois, ont 'prononcé un avis favorable et un avis défavorable à l'impossibilité de reclassement de M. [T] [E]'

Par courrier du même jour, la Sa Leroy Merlin France a de nouveau notifié au salarié les motifs s'opposant à son reclassement.

Par courrier du 8 août 2016, M. [T] [E] a été une nouvelle fois convoqué à un entretien préalable à un éventuel licenciement.

Il a finalement été licencié par courrier recommandé avec avis de réception du 31 août 2016 rédigé ainsi :

'Monsieur

Vous ne vous êtes pas présenté à l'entretien du 27 août 2016 auquel vous avez été convoqué par courrier recommandé en date du 8 août 2016.

Pour rappel, vous avez été déclaré inapte à votre poste de travail d'employé logistique par le médecin du travail le 8 mars 2016 dans les termes suivants:

'Inapte au poste.

Le maintien à son poste constitue un danger pour la santé du salarié. La visite médicale à 15 jours ne se justifie pas (Art R4624-31 1er alinéa).

Pas de reclassement professionnel dans l'entreprise, ni par adaptation, ni aménagement ou transformation du poste, ni par mutation à un autre poste dans l'entreprise ou dans les autres entreprises appartenant au groupe.

Tout maintien du salarié dans l'entreprise serait gravement préjudiciable à sa santé (Art L1226-12).'

Nous avons alors engagé les recherches relatives aux postes éventuellement disponibles au sein de notre groupe.

Nous vous avons également convié à un entretien professionnel afin d'examiner ensemble, en fonction de vos capacités et de nos possibilités, quels étaient éventuellement les postes que nous pouvions vous proposer.

Nous avons consulté les délégués du personnel sur les éventuelles possibilités de reclassement au sein de notre groupe.

Malheureusement, nous n'avons eu aucun poste à vous proposer qui soit en conformité avec les préconisations du médecin du travail et conformément aux indications qu'il a formulées sur votre inaptitude.

En effet, par courrier du 1er avril 2016, nous avons sollicité le médecin du travail sur la compatibilité de votre état de santé au regard de 2 postes identifiés comme solution possible de reclassement au sein de Leroy Merlin : conseiller de vente et hôte service client.

Par courrier du 4 avril 2016, le médecin du travail nous confirme une inaptitude à votre poste et l'impossibilité de tout reclassement au sein de l'entreprise ou dans les autres entreprises appartenant au groupe.

Nous avons été tenus de respecter cette préconisation, de sorte qu'il nous a été interdit de vous proposer un poste de reclassement, qui de fait, n'aurait pas été conforme à votre état de santé.

En conséquence, nous vous avons convoqué en entretien préalable à licenciement pour impossibilité de reclassement suite à la déclaration d'inaptitude, entretien qui s'est déroulé le 27 mai 2016.

Au cours de l'entretien, vous nous avez présenté l'exemplaire de l'avis médical qui vous a été remis par le médecin du travail le 8 mars 2016. Il s'est avéré que cet exemplaire, contrairement à celui en notre possession, ne mentionnait pas la possibilité pour le salarié de contester l'avis médical.

De plus, vous bénéficiez d'une prolongation d'arrêt de travail ne mentionnant pas une autorisation de reprise de la part de votre médecin traitant alors que la CPAM nous informait d'une consolidation de votre état de santé au 25 avril 2016.

Aussi, à titre de précaution, nous avons souhaité suspendre la procédure pour clarifier votre situation administrative, cette décision étant sans préjudice pour vous avec le maintien de votre rémunération à 100%.

Nous avons alors organisé une nouvelle visite de reprise auprès du médecin du travail le 21 juin 2016.

Le médecin du travail conclue :

« Inapte au poste.

Le maintien à son poste constitue un danger pour la santé du salarié. La visite à 15 jours ne se justifie pas (art R4624-21 1er alinéa).

Pas de reclassement professionnel dans l'entreprise, ni par adaptation, ni aménagement ou transformation du poste, ni par mutation à un autre poste dans l'entreprise ou dans les autres entreprises appartenant au groupe.

Tout maintien du salarié dans l'entreprise serait gravement préjudiciable à sa santé (Art. L1226-12).'

Nous avons à nouveau consulté les délégués du personnel le 3 août 2016 sur les éventuelles possibilités de reclassement au sein de notre groupe.

Malheureusement, aucun poste correspondant à ces critères n'a pu être trouvé.

En effet, par courrier du 29 juin 2016 et du 25 juillet 2016, le médecin du travail nous confirme une inaptitude à votre poste et l'impossibilité de tout reclassement au sein de l'entreprise ou dans les autres entreprises appartenant au groupe.

Nous sommes tenus de respecter cette préconisation, de sorte qu'il nous est interdit de vous proposer un poste de reclassement, qui de fait, ne serait pas conforme à votre état de santé.

Nous sommes par conséquent contraints de vous notifier par la présente votre licenciement en raison de votre inaptitude constatée par le médecin du travail et à la suite de laquelle votre reclassement dans le groupe s'est révélé impossible.

Votre contrat de travail prendra fin à la date d'envoi de la présente lettre.

De ce fait, vous n'effectuerez pas de préavis mais vous percevrez une indemnité compensatrice d'un montant égal à l'indemnité compensatrice de préavis de droit commun, ainsi que votre indemnité de licenciement (...)'.

M. [E] a saisi le conseil de prud'hommes de Clermont-Ferrand le 21 septembre 2018 d'une contestation du bien fondé de son licenciement.

Par jugement du 10 novembre 2020, le conseil de prud'hommes de Clermont-Ferrand a :

- dit et jugé en partie recevables et fondées les demandes de M. [E] ;

- dit et jugé que l'action de M. [E] en contestation de son licenciement n'est pas prescrite ;

- dit et jugé que la Sa Leroy Merlin France n'a pas manqué à son obligation de sécurité ;

- dit et jugé que la Sa Leroy Merlin France a manqué à son obligation de recherche de reclassement ;

- dit et jugé le licenciement pour inaptitude de M. [E] dépourvu de cause réelle et sérieuse.

En conséquence

- condamné la Sa Leroy Merlin France, prise en la personne de son représentant légal, à payer et porter à M. [E] les sommes suivantes :

- 10.668 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

- 1.250 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- débouté M. [E] du surplus de ses demandes ;

- débouté la Sa Leroy Merlin France, qui succombe, de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- dit que les sommes porteront intérêt au taux légal avec capitalisation à compter de la demande pour les sommes à caractère de salaire, à compter de la présente décision pour les sommes à caractère indemnitaire ;

- dit qu'il n'y a pas lieu d'ordonner l'exécution provisoire pour les condamnations qui ne le sont pas de droit ;

- condamné la Sa Leroy Merlin France aux entiers dépens.

La Sa Leroy Merlin France a interjeté appel de ce jugement le 25 novembre 2020.

Par ordonnance du 22 juillet 2021, le conseiller de la mise en état a déclaré irrecevable le mémoire déposé par M. [T] [E] le 15 juillet 2021 ainsi que toutes les conclusions, écritures ou pièces que l'intimé pourrait désormais déposer ou notifier.

Vu les conclusions de La société Leroy Merlin France notifiées le 24 février 2021;

Vu l'ordonnance de clôture rendue le 7 novembre 2022.

PRÉTENTIONS DES PARTIES

Dans ses dernières conclusions, la Sa Leroy Merlin France demande à la cour de:

A titre principal :

- infirmer le jugement rendu par le conseil de prud'hommes de CLERMONT FERRAND en date du 10 novembre 2020 excepté en ce qu'il a jugé qu'elle n'avait pas manqué à son obligation de sécurité.

Statuant à nouveau

- dire et juger prescrite l'action de M. [E] visant à contester la légitimité de son licenciement.

A titre infiniment subsidiaire :

- dire et juger que le licenciement de M. [E] repose sur une cause réelle et sérieuse.

En conséquence :

- débouter M. [E] de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions;

- condamner M. [E] aux entiers dépens en ceux compris la somme de 2.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- le condamner aux entiers dépens dont distraction au profit de Me RAHON.

Conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, la Cour se réfère, pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, à leurs conclusions écrites précitées.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Il est rappelé à titre liminaire que la d'appel qui n'est pas régulièrement saisie de conclusions par l'intimé déclaré irrecevable en ses conclusions et pièces doit, pour statuer sur l'appel, examiner les motifs du jugement ayant accueilli les prétentions de cette partie en première instance.

Sur la fin de non recevoir tirée de la prescription de l'action de M. [T] [E] :

Selon l'article L1471-1 du même code dans sa version issue de la loi n°2013-504 du 14 juin 2013 : 'Toute action portant sur l'exécution ou la rupture du contrat de travail se prescrit par deux ans à compter du jour où celui qui l'exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d'exercer son droit'.

Selon l'article L1471-1 du code du travail dans sa version issue de la loi n°2013-504 du 14 juin 2013 : 'Toute action portant sur l'exécution ou la rupture du contrat de travail se prescrit par deux ans à compter du jour où celui qui l'exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d'exercer son droit.

Le délai de deux ans a été modifié par ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017 pour être ramené à douze mois à compter de la notification de la rupture.

Conformément à l'article 40-II de l'ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017, le nouveau délai de prescription de douze mois s'applique aux prescriptions en cours à compter de la date de publication de ladite ordonnance, sans que la durée totale de la prescription puisse excéder la durée prévue par la loi antérieure. Lorsqu'une instance a été introduite avant la publication de ladite ordonnance, l'action est poursuivie et jugée conformément à la loi ancienne y compris en appel et en cassation.

Selon l'article 38 du décret no 91-1266 du 19 décembre 1991 dans sa version issue du Décret n° 2017-891 du 6 mai 2017 : 'Lorsqu'une action en justice ou un recours doit être intenté avant l'expiration d'un délai devant les juridictions de première instance ou d'appel, l'action ou le recours est réputé avoir été intenté dans le délai si la demande d'aide juridictionnelle s'y rapportant est adressée au bureau d'aide juridictionnelle avant l'expiration dudit délai et si la demande en justice ou le recours est introduit dans un nouveau délai de même durée à compter:

a) De la notification de la décision d'admission provisoire ;

b) De la notification de la décision constatant la caducité de la demande ;

c) De la date à laquelle le demandeur à l'aide juridictionnelle ne peut plus contester la décision d'admission ou de rejet de sa demande en application du premier alinéa de l'article 56 et de l'article 160 ou, en cas de recours de ce demandeur, de la date à laquelle la décision relative à ce recours lui a été notifiée;

d) Ou, en cas d'admission, de la date, si elle est plus tardive, à laquelle un auxiliaire de justice a été désigné.

Lorsque la demande d'aide juridictionnelle est déposée au cours des délais impartis pour conclure ou former appel incident, mentionnés aux articles 909 et 910 du code de procédure civile, ces délais courent dans les conditions prévues aux b, c et d.

Par dérogation aux premier et sixième alinéas du présent article, les délais mentionnés ci-dessus ne sont pas interrompus lorsque, à la suite du rejet de sa demande d'aide juridictionnelle, le demandeur présente une nouvelle demande ayant le même objet que la précédente.'

En l'espèce, la société Leroy Merlin France soutient :

- que l'action en contestation du licenciement est prescrite dans la mesure où M. [T] [E] avait jusqu'au 1er septembre 2018 pour contester le licenciement et qu'il a saisi le conseil des prud'hommes le 21 septembre 2018

- que la demande d'aide juridictionnelle n'a pas interrompu le délai d'action de M. [T] [E] dans la mesure où cette demande n'est pas suffisamment précise dans son objet puisqu'elle se borne à faire état d'une 'demande en matière prud'homale' et que M. [T] [E] n'a pas précisé à quelles fins il entendait saisir la juridiction prud'homale.

Pour rejeter la fin de non recevoir tirée de la prescription, le jugement a relevé que le salarié a déposé une demande d'aide juridictionnelle le 5 septembre 2017, qu'il a reçu la décision d'admission à l'aide juridictionnelle le 22 septembre 2017 et qu'à compter de cette date, il disposait d'un nouveau client de même durée que celui qui avait été interrompu de sorte que l'action n'était pas prescrite lorsqu'il a saisi le conseil des prud'hommes le 21 septembre 2018.

Le jugement déféré, comme la partie appelante, considèrent que le point de départ de l'action en contestation du licenciement se situe au 31 août 2016.

Par application des textes susvisés, le délai de prescription de l'action expirait donc le 31 août 2018.

M. [T] [E] a saisi le conseil des prud'hommes d'une contestation du bien fondé de son licenciement le 21 septembre 2018.

Il ressort de la décision d'aide juridictionnelle rendue par le tribunal de grande instance de Clermont Ferrand le 22 septembre 2017 que M. [E] avait auparavant déposé une demande d'aide juridictionnelle le 5 septembre 2017, soit dans le délai de deux ans de l'article L1471-1 du code du travail dans sa version alors applicable.

Si la décision du bureau d'aide juridictionnelle mentionne effectivement que la demande d'aide juridictionnelle 'a été déposée dans la procédure suivante : demande en matière prud'homale', cette demande n'est pas imprécise dès lors qu'il ressort de cette décision que la nature du contentieux, la juridiction devant laquelle la demande est formée et l'identité du défendeur sont mentionnés dans la demande.

De ce fait, la demande d'aide juridictionnelle formée par M. [T] [E] le 5 septembre 2017 a interrompu la prescription de l'action en contestation du licenciement.

Un nouveau délai de deux ans a donc commencé à courir à compter du 22 septembre 2017, lequel a été interrompu par la saisine du conseil des prud'hommes le 21 septembre 2018.

En conséquence la cour, confirmant le jugement de ce chef, dit que l'action en contestation du licenciement n'est pas prescrite.

Sur le licenciement :

Par application de l'article L. 1232-1 du code du travail, tout licenciement individuel doit reposer sur une cause réelle et sérieuse.

Selon l'article L.1235-1 du code du travail, en cas de litige relatif au licenciement, le juge, à qui il appartient d'apprécier la régularité de la procédure et le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l'employeur, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties, au besoin après toutes mesures d'instruction qu'il estime utiles ; si un doute subsiste, il profite au salarié.

Ainsi l'administration de la preuve en ce qui concerne le caractère réel et sérieux des motifs du licenciement n'incombe pas spécialement à l'une ou l'autre des parties, l'employeur devant toutefois fonder le licenciement sur des faits précis et matériellement vérifiables, qu'il doit reprendre dans la lettre de licenciement prévue par l'article L1232-6 du code du travail, cette lettre fixant ainsi les limites du litige.

Par ailleurs, l'article L1226-2 du code du travail dans sa rédaction antérieure à la Loi 2016-1088 du 8 août 2016 dispose que : "Lorsque, à l'issue des périodes de suspension du contrat de travail consécutives à une maladie ou un accident non professionnel, le salarié est déclaré inapte par le médecin du travail à reprendre l'emploi qu'il occupait précédemment, l'employeur lui propose un autre emploi approprié à ses capacités.

Cette proposition prend en compte les conclusions écrites du médecin du travail et les indications qu'il formule sur l'aptitude du salarié à exercer l'une des tâches existantes dans l'entreprise.

L'emploi proposé est aussi comparable que possible à l'emploi précédemment occupé, au besoin par la mise en oeuvre de mesures telles que mutations, transformations de postes de travail ou aménagement du temps de travail."

Cette recherche doit être effective, loyale et sérieuse et il incombe à l'employeur de rapporter la preuve de l'absence de poste disponible à l'époque du licenciement, dans l'entreprise ou, s'il y a lieu, dans le groupe auquel elle appartient.

Enfin, selon l'article R4624-31 du code du travail dans sa rédaction antérieure au décret n°2016-1908 du 27 décembre 2016 : 'Le médecin du travail ne peut constater l'inaptitude médicale du salarié à son poste de travail que s'il a réalisé :

1° Une étude de ce poste ;

2° Une étude des conditions de travail dans l'entreprise ;

3° Deux examens médicaux de l'intéressé espacés de deux semaines, accompagnés, le cas échéant, des examens complémentaires.

Lorsque le maintien du salarié à son poste de travail entraîne un danger immédiat pour sa santé ou sa sécurité ou celles des tiers ou lorsqu'un examen de pré reprise a eu lieu dans un délai de trente jours au plus, l'avis d'inaptitude médicale peut être délivré en un seul examen.'

En l'espèce, les premiers juges ont considéré que le licenciement ne reposait pas sur une cause réelle et sérieuse au motif que la société Leroy Merlin France avait manqué à son obligation de recherche de reclassement en ce qu'elle :

- n'établissait pas avoir mis en oeuvre tous les moyens pour remplir son obligation de recherche de reclassement

- ne rapportait pas la preuve de recherches loyales de reclassement

- ne renseignait pas deux postes cités dans ses courriers, ni leur nature, CDD ou CDI, ni le lieu de leur disponibilité

- ne faisait état d'aucune proposition précise, concrète et personnalisée de postes disponibles

- ne rapportait aucune réponse des entreprises figurant sur le listing internet de sorte qu'il n'est pas possible de procéder à des vérifications

- ne démontrait pas que toutes les entreprises du groupe ont été interrogées

- ne justifiait pas avoir mené des recherches sérieuses, complètes et loyales de reclassement tant au niveau de l'entreprise que du groupe auquel elle appartient.

En l'espèce, il ressort des pièces versées aux débats et notamment du courrier de l'employeur adressé aux salariés le 31 août 2016 que la société Leroy Merlin France s'est rendue compte lors de l'entretien préalable du 27 mai 2016 que l'exemplaire de l'avis d'inaptitude du 8 mars 2016 remis au salarié par le médecin du travail ne mentionnait pas la possibilité pour M. [E] de contester l'avis médical et que, en outre, ce dernier bénéficiait d'une prolongation d'arrêt de travail qui ne comportait aucune autorisation de reprise de la part de son médecin traitant.

Selon ce courrier du 31 août 2016, la société Leroy Merlin France a alors estimé préférable de ' suspendre' la procédure de licenciement et a organisé une nouvelle visite de reprise auprès du médecin du travail le 21 juin 2016.

À l'issue de la visite médicale 'de reprise' du 21 juin 2016, le médecin du travail a déclaré le salarié inapte à son poste dans les termes suivants :

' inapte en un seul examen danger immédiat. Inapte au poste. Le maintien à son poste constitue un danger pour la santé du salarié. La visite à 15 jours ne se justifie pas (Art R4624-31 1er alinéa). Pas de reclassement professionnel dans l'entreprise, ni par adaptation, ni aménagement ou transformation du poste, ni par mutation à un autre poste dans l'entreprise ou dans les autres entreprises appartenant au groupe. Tout le maintien du salarié dans l'entreprise serait gravement préjudiciable à sa santé (Art vL1226-12)'.

L'employeur ayant lui-même fait le constat du caractère irrégulier de l'avis d'inaptitude du 8 mars 2016, l'inaptitude du salarié à son poste de travail a été constatée en un seul examen le 21 juin 2016.

Le point de départ de l'obligation de reclassement est donc le 21 juin 2016 et il convient d'apprécier les recherches de reclassement menées par la société Leroy Merlin France à compter de cette date, sans tenir compte des démarches entreprises avant la déclaration d'inaptitude.

Or, la société Leroy Merlin France ne justifie d'aucune recherche de reclassement après le 21 juin 2016 et il ressort des pièces versées aux débats qu'elle s'est bornée à :

- écrire au médecin du travail le 29 juin 2016 pour lui demander de lui confirmer qu'aucun poste ne permettait le reclassement du salarié tant dans l'entreprise qu'au sein du groupe, qu'il n'existait aucune possibilité de mutation, transformation de poste, aménagement du poste ou du temps de travail et de lui indiquer si M. [T] [E] était apte à suivre une formation destinée à lui proposer un poste adapté

- consulter les délégués du personnel le 3 août 2016 sur les éventuelles possibilités de reclassement au sein du groupe.

Le médecin du travail par deux courriers du 1er juillet 2016 et du 25 juillet 2016 a répondu que l'état médical tant physique que psychologique de M. [T] [E] rendait impossible tout reclassement au sein de l'entreprise ou dans les autres entreprises appartenant au groupe.

Cependant, si les réponses apportées par le médecin du travail postérieurement au constat d'inaptitude, sur les possibilités éventuelles de reclassement du salarié déclaré inapte, concourent à la justification par l'employeur de l'impossibilité de remplir cette obligation, elles dispensent pas ce dernier de toute recherche de reclassement.

En effet, si l'appréciation de l'aptitude au poste relève de la compétence du médecin du travail, la recherche de reclassement incombe uniquement à l'employeur.

De ce fait et contrairement à ce que soutient la société Leroy Merlin France, elle devait rechercher elle-même une possibilité de reclassement du salarié alors même que le médecin du travail avait estimé tout reclassement dans l'entreprise ou dans les autres entreprises appartenant au groupe impossible.

C'est donc à juste titre que les premiers juges ont considéré que la société Leroy Merlin France n'établissait pas avoir mis en 'uvre tous les moyens pour remplir son obligation de recherche de reclassement, qu'elle ne rapportait pas la preuve d'une recherche complète, loyale et sérieuse de reclassement et qu'elle ne démontrait pas avoir interrogé toutes les entreprises appartenant au groupe Adeo.

En conséquence la cour, confirmant le jugement de ce chef, dit que le licenciement n'est pas fondé sur une cause réelle et sérieuse.

Sur les demandes indemnitaires :

Le montant des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse accordé par les premiers juges n'étant pas discuté, le jugement déféré sera confirmé de ce chef.

Sur le remboursement des sommes payées au salarié par Pôle Emploi:

Selon l'article L1235-4 du code du travail dans sa version applicable au litige: 'Dans les cas prévus aux articles L. 1132-4, L. 1134-4, L. 1144-3, L. 1152-3, L. 1153-4, L. 1235-3 et L. 1235-11, le juge ordonne le remboursement par l'employeur fautif aux organismes intéressés de tout ou partie des indemnités de chômage versées au salarié licencié, du jour de son licenciement au jour du jugement prononcé, dans la limite de six mois d'indemnités de chômage par salarié intéressé.

Ce remboursement est ordonné d'office lorsque les organismes intéressés ne sont pas intervenus à l'instance ou n'ont pas fait connaître le montant des indemnités versées'

S'agissant d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse, il y a lieu d'ordonner, d'office et par application de l'article L 1235-4 du code du travail, le remboursement par la société Leroy Merlin France à Pôle Emploi des indemnités de chômage payées à M. [T] [E] à la suite de son licenciement, dans la limite de six mois de prestations.

Le jugement, qui a omis de statuer, sera complété sur ce point.

Sur les demandes accessoires:

Le jugement sera également confirmé en ce qu'il a condamné la société Leroy Merlin France à payer à M. [T] [E] la somme de 1250 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.

La société Leroy Merlin France supportera la charge des dépens de la procédure d'appel.

PAR CES MOTIFS

La Cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire, après en avoir délibéré conformément à la loi,

Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;

Y ajoutant :

ORDONNE le remboursement par la société Leroy Merlin France à Pôle Emploi des indemnités de chômage payées à M. [T] [E] à la suite de son licenciement, dans la limite de six mois de prestations ;

REJETTE la demande présentée sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

CONDAMNE la société Leroy Merlin France aux dépens de la procédure d'appel.

DÉBOUTE les parties de leurs demandes plus amples ou contraires.

Ainsi fait et prononcé lesdits jour, mois et an.

Le greffier, Le Président,

N. BELAROUI C. RUIN


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Riom
Formation : Chambre sociale
Numéro d'arrêt : 20/01710
Date de la décision : 21/02/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-02-21;20.01710 ?
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