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15/11/2022 | FRANCE | N°19/01395

France | France, Cour d'appel de Riom, Chambre sociale, 15 novembre 2022, 19/01395


15 NOVEMBRE 2022



Arrêt n°

SN/NB/NS



Dossier N° RG 19/01395 - N° Portalis DBVU-V-B7D-FH5L



jonction avec le dossier N° RG 20/443



[P] [Y]



/



S.A.R.L. GAGNE

Arrêt rendu ce QUINZE NOVEMBRE DEUX MILLE VINGT DEUX par la QUATRIEME CHAMBRE CIVILE (SOCIALE) de la Cour d'Appel de RIOM, composée lors des débats et du délibéré de :



M. Christophe RUIN, Président



Mme Frédérique DALLE, Conseiller



Mme Sophie NOIR, Conseiller



En prése

nce de Mme Nadia BELAROUI greffier lors des débats et du prononcé



ENTRE :



M. [P] [Y]

[Adresse 1]

[Localité 3]

Représenté par Me Karine PAYS, avocat au barreau de HAUTE-LOIRE, avocat con...

15 NOVEMBRE 2022

Arrêt n°

SN/NB/NS

Dossier N° RG 19/01395 - N° Portalis DBVU-V-B7D-FH5L

jonction avec le dossier N° RG 20/443

[P] [Y]

/

S.A.R.L. GAGNE

Arrêt rendu ce QUINZE NOVEMBRE DEUX MILLE VINGT DEUX par la QUATRIEME CHAMBRE CIVILE (SOCIALE) de la Cour d'Appel de RIOM, composée lors des débats et du délibéré de :

M. Christophe RUIN, Président

Mme Frédérique DALLE, Conseiller

Mme Sophie NOIR, Conseiller

En présence de Mme Nadia BELAROUI greffier lors des débats et du prononcé

ENTRE :

M. [P] [Y]

[Adresse 1]

[Localité 3]

Représenté par Me Karine PAYS, avocat au barreau de HAUTE-LOIRE, avocat constitué, substitué par Me Pierre ROBILLARD de la SELARL PARALEX, avocat au barreau de SAINT-ETIENNE, avocat plaidant

APPELANT

ET :

S.A.R.L. GAGNE prise en la personne de son représentant légal en exercice domicilié es qualité audit siège

[Adresse 5]

[Localité 2]

Représentée par Me Sophie LACQUIT, avocat au barreau de CLERMONT-FERRAND, avocat constitué, substitué par Me Philippe PATAUX de la SELAS BARTHELEMY AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, avocat plaidant

INTIMEE

Après avoir entendu Mme DALLE, Conseiller en son rapport, les représentants des parties à l'audience publique du 12 septembre 2022 , la Cour a mis l'affaire en délibéré, Monsieur le Président ayant indiqué aux parties que l'arrêt serait prononcé, ce jour, par mise à disposition au greffe, conformément aux dispositions de l'article 450 du code de procédure civile.

FAITS ET PROCÉDURE

La société Gagne exerce son activité de construction métallique.

Elle appartient au groupe Briand.

M. [P] [Y] a été embauché par la société Gagne à compter du 25 mars 2008 en qualité de chargé d'études, statut cadre, dans le cadre d'un contrat de travail à durée indéterminée à temps complet, au salaire de base de 2000 euros bruts.

Le salarié était soumis à une convention de forfait de 216 jours par an fondée sur un accord collectif d'entreprise du 11 février 2000.

Au dernier état de la relation de travail M. [P] [Y] était classé au coefficient 190, niveau B1.

La convention collective nationale du bâtiment est applicable à la relation de travail.

M. [P] [Y] a été placé en arrêt de travail pour maladie du 24 avril 2017 au 6 décembre 2017.

Il a été placé en congés payés du 7 décembre 2017 au 8 janvier 2018.

Au terme d'une visite médicale de reprise du 11 décembre 2017, le médecin du travail a

contre-indiqué le travail sur chantier pour une durée prévisible de 3 mois.

Le 20 décembre 2017, M. [P] [Y] a sollicité une rupture conventionnelle que la société Gagne a refusée.

M. [P] [Y] a de nouveau été placé en arrêt de travail pour maladie du 8 janvier au 15 janvier 2018 et du 17 janvier 2018 au 23 février 2018.

Le 16 janvier 2018, le médecin du travail l'a déclaré inapte à son poste de chargé d'études dans les termes suivants : 'Tout maintien du salarié dans l'emploi serait gravement préjudiciaible à sa santé'.

'Inapte. Tout maintien du salarié dans l'emploi serait gravement préjudiciable à sa santé. Article R4624-42 du CT : Etude du poste et des conditions de travail réalisée le 11/1/2018.

Echange avec l'employeur réalisé le 11/1/18.

Fiche d'entreprise réalisée le 20/12/2016".

L'employeur a saisi le conseil des prud'hommes du Puy en Velay le 25 janvier 2018 pour contester cet avis d'inaptitude lequel a, par ordonnance du 25 juin 2018, rejeté cette demande.

Le 13 février 2018, M. [P] [Y] a formé une demande de reconnaissance de maladie professionnelle au titre d'un 'état dépressif grave en relation avec le harcèlement professionnel' déclaré le 5 avril 2017.

Il a en parallèle saisi le conseil des prud'hommes du Puy en Velay d'une demande de résiliation judiciaire du contrat de travail le 22 février 2018 puis a pris acte de la rupture du contrat de travail par courrier du 23 mars 2018 rédigé ainsi : 'Compte tenu des différents événement survenus ces derniers temps (pression grandissante subie et reproches infondés) dans le cadre de mon contrat de travail ainsi que de l'inaptitude prononcée par le médecin du travail, je n'ai d'autre choix que de prendre acte de la rupture de mon contrat de travail, dont je vais demander la requalification en licenciement abusif au conseil des prud'hommes.

Comme vous le savez, je vous avais signifié une résiliation judiciaire aux torts de l'employeur mais votre acharnement à mon encontre m'oblige à me libérer de ce carcan et passer à la prise d'acte.

En effet, il est incontestable que mes arrêts de travail pour burn out et la détérioration de mon état de santé sont directement liés à mes conditions de travail, comme l'indique le Médecin psychiatre qui me suit depuis juin 2017.

De plus, l'avis d'inaptitude du médecin du travail du 16 janvier 2018, dont vous êtes à l'origine et avez connaissance, expose clairement que mon maintien dans tout emploi serait gravement préjudiciable à ma santé.Vous avez délibérément décidé de ne pas tirer les conséquences qui s'imposent pourtant, persistant à me faire souffrir.

En conséquence, mon départ de l'entreprise est de votre responsabilité et je vous prie de prendre acte que je ne ferai donc plus partie de l'entreprise à compter de la présentation du présent courrier.

(...)'.

Par jugement du 21 juin 2019 le conseil de prud'hommes du PUY-EN-VELAY a :

- dit qu`il n'y a pas lieu de faire droit à la demande de sursis à statuer présentée par la société Gagne;

- jugé que les éléments avancés par le demandeur ne permettent pas d'établir une situation de harcèlement moral ou d`exécution déloyale du contrat de travail par l`employeur ;

- dit que la prise d'acte de Monsieur [Y] s`analyse en démission et produit les effets d'une démission ;

En conséquence,

- condamné Monsieur [Y] à payer et porter à la société GAGNE la somme de  11  093,55 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis ;

- condamné Monsieur [Y] à payer et porter à la société GAGNE la somme de 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- débouté Monsieur [Y] de l'intégralité de ses demandes ;

- condamné Monsieur [Y] aux entiers dépens.

Monsieur [Y] a interjeté appel de ce jugement le 8 juillet 2019.

Par jugement du 10 décembre 2020 le Pôle social du tribunal judiciaire du Puy-en-Velay a saisi le Comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles de Limoges.

Par ordonnance du 7 janvier 2020 rendue sous le n°19/01395, le conseiller de la mise en état a rejeté la demande radiation de l'affaire du rôle présentée par la société Gagne constructions métalliques.

Le 5 mars 2020 la société Gagne a présenté une requête en rectification d'erreur matérielle,

Vu la requête en rectification d'erreur matérielle du 5 mars 2020 (RG n°20/00443),

Vu les conclusions notifiées le 26 août 2022 par Monsieur [Y] (RG n°19/01395),

Vu les conclusions notifiées le 4 septembre 2022 par la société Gagne (RG n°19/01395),

Vu l'accord des parties donné par RPVA (message de Maître [E] du 13 septembre 2022, message du 13 septembre 2022 de Maître [S]) pour que la cour ordonne la jonction des affaires n°20/00443 et RG n°19/01395 après qu'elles aient été entendues sur le fond de l'affaire à l'audience du 5 septembre 2022.

PRÉTENTIONS DES PARTIES

Par ses dernières conclusions M. [P] [Y] demande à la cour :

- d'infirmer le jugement du Conseil de prud'hommes et,

Sur la rupture du contrat de travail :

- de juger que les manquements commis dans l'exécution du contrat de travail par la société GAGNE sont suffisamment graves pour provoquer la rupture dudit contrat ;

- de juger que la prise d'acte de la rupture du contrat par Monsieur [Y] était par conséquent bien fondée ;

- de juger que cette prise d'acte entraîne les effets d'un licenciement nul (à titre principal) ou, à titre subsidiaire, sans cause réelle et sérieuse ;

Par conséquent :

A titre principal :

- de condamner la société GAGNE à lui verser la somme de 44 374,20 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement nul ;

A titre subsidiaire :

- de condamner l'employeur à lui verser la somme de 36 978,50 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse ;

En tout état de cause :

- de condamner la société GAGNE à lui verser à Monsieur [Y] la somme de 18 489,25 euros nets à titre d'indemnité spéciale de licenciement;

- si par extraordinaire l'indemnité spéciale n'était pas retenue, de condamner la société GAGNE à lui verser la somme de 9 652,23 euros nets à titre d'indemnité conventionnelle de licenciement ;

- de condamner la société GAGNE à lui verser la somme de 11 093.55 euros bruts à titre d'indemnité compensatrice de préavis, outre 1 109.35 euros bruts de congés payés afférents ;

Sur l'exécution du contrat :

- de juger que Monsieur [Y] a été victime d'harcèlement moral ou, à tout le moins d'une exécution déloyale du contrat de la part de son employeur la société GAGNE ;

Par conséquent :

- de condamner l'employeur à lui verser la somme de 10 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice moral ;

Sur les rappels de salaire :

- de juger que Monsieur [Y] exerçait bien les fonctions d'un chef de projet et aurait dû bénéficier, a minima, du coefficient 108 de la convention collective applicable ;

Par conséquent :

- de condamner l'employeur à lui verser la somme de 21 170,4 euros bruts à titre de rappel de salaire sur les années 2013 à 2016 outre 2 117, 04 euros bruts de congés payés afférents ;

- de condamner la société GAGNE à effectuer toutes les démarches auprès de la Caisse des congés payés dont elle dépend pour obtenir le règlement de cette somme ;

En tout état de cause :

- de condamner la société GAGNE à effectuer toutes les démarches nécessaires pour les congés payés soient réglés à Monsieur [Y] par les organismes compétents ;

- de condamner la société GAGNE à lui verser la somme de 2 700 euros au titre de

l'article 700 du Code de Procédure Civile ;

- de condamner la société GAGNE au paiement des intérêts légaux et aux entiers dépens de

l'instance.

Par ses dernières conclusions, la société Gagne demande pour sa part à la cour :

A titre principal

- de confirmer le jugement du 21 juin 2019 du Conseil de Prud'hommes du Puy-En-Velay

Subsidiairement : Sur la prise d'acte de la rupture :

- de confirmer le jugement et de considérer que la prise d'acte de la rupture de Monsieur [Y] s'analyse en démission et de condamner Monsieur [Y] à verser à la société SAS GAGNE l'indemnité compensatrice de préavis, soit la somme de 11.093,55 € ;

Subsidiairement : sur l'exécution déloyale du contrat de travail :

- de confirmer le jugement ;

- de débouter Monsieur [Y] de sa demande de dommages-intérêts au titre de harcèlement moral ou au titre d'une exécution déloyale du contrat de travail ;

Subsidiairement,

- de diminuer à de plus justes proportions les dommages-intérêts sollicités par Monsieur [Y] ;

Subsidiairement, sur le rappel de salaire lié aux fonctions de chef de projet et sur l'indemnité spéciale de licenciement

- de débouter Monsieur [Y] de sa demande de rappel de salaire lié à la fonction de chef de projet et de sa demande au titre de l'indemnité spéciale de licenciement ;

Infiniment subsidiairement

Si la Cour venait à infirmer le jugement et faire droit à la prise d'acte de la rupture,

- de diminuer les dommages-intérêts sollicités au titre du licenciement nul ou sans cause réelle et sérieuse ;

- de débouter Monsieur [Y] de sa demande de rappel de salaire ;

- de confirmer le jugement sur l'absence d'exécution déloyale du contrat de travail ;

Subsidiairement,

- de diminuer les dommages-intérêts sollicités ;

En tout état de cause

- de condamner Monsieur [Y] à verser 3.000 € à la société SAS GAGNE au titre

de l'article 700 du Code de Procédure Civile ;

- de condamner Monsieur [Y] aux entiers dépens.

Pour plus ample relation des faits, de la procédure, des prétentions, moyens et arguments des parties, conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, il y a lieu de se référer à la décision attaquée et aux dernières conclusions régulièrement notifiées et visées.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur la jonction des instances n°19/01395 et n°20/00443 :

Il existe entre les litiges un lien tel qu'il est de l'intérêt d'une bonne justice de les faire juger ensemble.

En conséquence, la cour ordonne la jonction des affaires n°19/01395 et n°20/00443 sous le numéro n°19/01395.

Sur la demande de rectification d'erreur matérielle :

En application de l'article 462 du code de procédure civile, les erreurs matérielles qui affectent un jugement, même passé en force de chose jugée, peuvent toujours être réparées par la juridiction qui l'a rendu ou par celle à laquelle il est déféré, selon ce que le dossier révèle ou, à défaut, ce que la raison commande.

En l'espèce, après avoir alloué à M. [P] [Y] une indemnité de 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile dans les motifs de l'ordonnance d'incident du 7 janvier 2020, le conseiller de la mise en état a condamné la société Gagne à payer M. [Y] la somme de 700 euros au même titre.

Il convient par conséquent de rectifier la dite décision affectée par cette erreur en mentionnant au dispositif la condamnation de la société Gagne à payer à M. [P] [Y] la somme de 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Sur le harcèlement moral :

Aux termes de l'article L. 1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

En vertu de l'article L. 1154-1 du code du travail, lorsque survient un litige relatif à l'application des articles L. 1152-1 à L. 1152-3 et L. 1153-1 à L. 1153-4, le candidat à un emploi, à un stage ou à une période de formation en entreprise ou le salarié établit des faits qui permettent de présumer l'existence d'un harcèlement ; au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Il résulte de ces dispositions que, pour se prononcer sur l'existence d'un harcèlement moral, il appartient au juge d'examiner l'ensemble des éléments invoqués par le salarié, en prenant en compte les documents médicaux éventuellement produits, et d'apprécier si les faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, permettent de présumer l'existence d'un harcèlement moral au sens de l'article L. 1152-1 du code du travail. Dans l'affirmative, il revient au juge d'apprécier si l'employeur prouve que les agissements invoqués ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

En l'espèce, M. [P] [Y] fait valoir qu'il a été victime d'agissements constitutifs de harcèlement moral de la part de son employeur et plus précisément :

- que l'employeur a diligenté un contrôle médical de son arrêt maladie le 23 juin 2017 qui a confirmé le bien fondé de cet arrêt de travail :

Le salarié rapporte la preuve au moyen de la copie de l'avis de passage du Docteur [H], médecin mandaté par la société Gagne d'une part que l'employeur a bien ordonné une contre-visite médicale suite à l'arrêt de travail du 5 avril 2017 au 31 juillet 2017, d'autre part que le docteur [H] a considéré que cet arrêt de travail était médicalement justifié après sa visite du 23 juin 2017.

La matérialité de ce fait est établie.

- qu'il a subi une pression continuelle et une surcharge de travail en raison d'une désorganisation interne de l'entreprise et d'un turn over important des salariés

- que les méthodes de gestions de l'employeur l'ont poussé à 'craquer' :

Les attestations d'anciens salariés de M. [P] [Y] évoquant leur vécu personnel dans l'entreprise ne suffisent pas à démontrer que M. [P] [Y] a lui-même été exposé à des méthodes de gestion délétères.

En revanche, il ressort du bilan social de l'année 2017, année du placement en arrêt de travail, du salarié, que le turn over des cadres de l'entreprise a augmenté de façon significative, passant de 10,58 % en 2016 à 19,81 % en 2017.

Contrairement à ce que soutient la société Gagne, le bureau d'études et les services techniques ont été particulièrement affectés par ce phénomène puisqu'ils représentent la majorité des départs (10 départs contre 6 pour le service pose et 2 pour le service fabrication).

M. [Y] produit également un courriel daté du 22 décembre 2017 de M. [F] [R], directeur général de la société Gagne, adressé à l'ensemble des salariés dans lequel ce dernier reconnaît que l'entreprise est 'confrontée à des difficultés sur des projets très techniques dont la concomitance nous met en défaut' et que 'cela génère un surcroît de travail et de la tension pour nombre d'entre nous'.

Ces éléments permettent d'établir que M. [P] [Y] a été soumis, au cours de l'année 2017, à une surcharge de travail.

- l'employeur lui a imposé de prendre 5 semaines de congés payés au lieu d'un arrêt de travail pour maladie suite à un accident sportif ayant entraîné un arrêt maladie du 6 décembre au 10 janvier 2018 :

Il ressort des pièces du dossier que M. [P] [Y] a été victime d'une fracture du quart distal du péroné gauche le 8 octobre 2017 pendant qu'il était déjà en arrêt de travail, lequel a pris fin le 6 décembre 2017, et des termes mêmes du courriel de l'employeur du 11 décembre 2017 que ce dernier lui a imposé 2 jours de RTT les 8 et 9 décembre 2017 ainsi que la prise de congés payés du 11 décembre 2017 au 15 janvier 2018 après avoir pris connaissance de l'avis du médecin du travail contre-indiquant le travail sur chantier pendant une durée prévisible de 3 mois.

En revanche, M. [P] [Y] ne rapporte pas la preuve de ce que ces RTT et congés ont été imposés en lieu et place d'un arrêt de travail.

- que le 20 décembre 2017, il a eu un échange houleux avec la direction lorsqu'il a tenté d'aborder la question de son avenir professionnel au cours duquel l'employeur lui a reproché de ne pas avoir la carrure d'un chef de projet, de n'avoir aucune motivation, lui a fait part de sa défiance à son égard sans avancer d'éléments concrets et lui a annoncé que le poste de responsable de développement nouvellement créé mais qu'il avait occupé dans les faits pendant des années en parallèle de ses fonctions de chargé de projet ne lui serait jamais attribué :

Le seul rapport du médecin inspecteur du travail du 31 mai 2018 mentionnant que M. [P] [Y] a été reçu en entretien par l'employeur le 20 décembre 2017 pour évoquer ses difficultés professionnelles (travail sous pression, montée en charge des exigences de production et d'autonomie, absence de soutien, nombreuses heures supplémentaires 'jusqu'à faire un malaise') n'est pas suffisant pour établir l'existence de l'échange 'houleux' invoqué par M. [P] [Y] dans la mesure où le médecin inspecteur du travail ne fait ici que retranscrire les déclarations du salarié, qui ne sont corroborées par aucun élément.

- que pour faire 'pourrir' la situation l'employeur a refusé la rupture conventionnelle qu'il lui a alors proposée, de façon violente, ce qui l'a bouleversé :

Il n'est pas contesté que la société Gagne a refusé la rupture conventionnelle proposée par M. [P] [Y] le 20 décembre 2017 mais aucun élément ne démontre que ce refus est lié à une volonté de laisser la situation s'envenimer et que la société Gagne a manifesté son refus de façon violente

- que le 2 janvier 2018, le docteur [W] a constaté que son état de santé le rendait inapte totalement et définitivement à tout poste dans l'entreprise, qu'il a de nouveau été placé en arrêt de travail pour maladie à compter du 9 janvier 2018 et jusqu'au 23 février 2018 pour des troubles anxio dépressifs et que le médecin du travail l'a déclaré inapte à son poste le 16 janvier 2018 après avoir réalisé une étude de poste et des conditions de travail en indiquant que 'tout maintien dans l'emploi serait préjudiciable pour sa santé'.

La matérialité de ces faits est établie par le certificat du docteur [W] du 2 janvier 2018, les avis d'arrêt de travail et l'avis d'inaptitude et le rapport de l'expertise diligentée par la société April daté du 5 mars 2018 confirme que l'arrêt de travail du 9 janvier au 23 février 2018 est en lien avec une pathologie dépressive de M. [P] [Y] déclarée depuis le 24 avril 2017.

- l'employeur a contesté l'avis d'inaptitude, lequel a été confirmé par le conseil des prud'hommes le 25 juin 2018 :

Ce fait est matériellement établi par les décisions de justice versées aux débats.

- l'employeur a modifié unilatéralement la nature et le périmètre de ses fonctions en lui confiant dans les faits les fonctions de 'chef de projet'(ou 'chargé de projet', sans accompagnement de sa hiérarchie, de façon alternative ou cumulative avec ses tâches de chargé d'étude

- ces nouvelles missions ont entraîné de lourdes responsabilité et une surcharge de travail le contraignant à réaliser de nombreuses heures supplémentaires :

Il ressort de la fiche de poste signée par M. [P] [Y] que le chargé d'études 'assiste et supplée le Directeur de projet dans la mise au point du chantier'

Selon la fiche de poste produite par M. [P] [Y], le (la) chargé(e) de projet 'assure la responsabilité technique, administrative et financière des projets qui lui sont confiés.

M. [P] [Y] produit plusieurs éléments qui établissent :

- que sur le rapport de revue de contrat du 30 septembre 2013 du chantier Aéroports de [Localité 6], il figure comme responsable de projet et comme chargé d'études

- que sur le rapport de revue de contrat du 10 juillet 2014 et sur le document intitulé 'balance agee Gagne' du 20 mars 2017 il figure comme responsable de projet ou encore directeur de projet du chantier Sadena et du chantier Aéroport de [Localité 6], en plus de ses fonctions de chargé d'études

- que sur le rapport de revue de contrat du 10 juillet 2014, il figure comme responsable projet et comme chargé d'études du chantier Michelin de [Localité 4]

- qu'il participait aux Comités projets des 25 octobre 2013, 11 décembre 2013 et 28 février 2014 consacrés aux résultats économiques 2013 et perspectives 2014, aux évolutions de la méthode de suivi budgétaire des projets, à l'évolution des demandes d'achat, aux évolutions du système de suivi financier, à un point financier de l'entreprise (facturation et entrée des commandes), au prévisionnel de facturation, au point qualité

- que le 28 octobre 2013, le contrôleur de gestion projet lui a demandé d'indiquer désormais le prévisionnel d'étalement de la facturation de ses projets

- qu'il était en charge du traitement des non conformités ainsi qu'il ressort de son courriel du 11 février 2015 relatif au chantier aéroports de [Localité 6] dans lequel il informe son interlocuteur l'impossibilité de lever toutes les réserves sur un ouvrage et évoque les solutions à envisager pour ce faire

- qu'il s'assurait de la rentabilité des projets comme il ressort de son courriel du 13 mai 2014 dans lequel il détaille les conséquences financières d'un décalage de planning sur le chantier aéroport de [Localité 6] en termes de temps de chef de projet, de conduite de travaux et de sous amortissement des frais généraux

- qu'il validait les mémoires définitifs de travaux du chantier aéroport de [Localité 6] ainsi qu'il ressort d'un courriel du 20 mars 2015 dans lequel il adresse ce document à transmettre au client

- qu'il était en charge du choix des solutions techniques optimales des projets en concertation avec les autres services concernés, ce qui ressort de son courriel du 8 avril 2014 par lequel il organise une réunion destinée à 'analyser les dérives sur les différents postes', 'trouver d'éventuelles actions correctives sur les postes restants pour améliorer le budget du projet' Aéroports de [Localité 6].

Ces éléments démontrent que, outre ses fonctions purement techniques de chargé d'études, M. [P] [Y] assurait également le suivi administratif et financier de projets ainsi que les tâches détaillées dans la fiche de poste de Chargé de projet et non pas de simple suppléances ponctuelles d'un directeur de projet ou d'un chargé de projet comme le soutient la société Gagne.

La cour relève en outre que dans son courrier du 12 juin 2018 envoyé à réception du rapport du médecin inspecteur du travail du 31 mai 2018 pour faire part de ses observations, la responsable RH de la société Gagne n'a pas contesté la partie du rapport mentionnant que : ' fonctionnant par projet depuis quelques années, de fait, les postes de chargé d'études comme celui de M. [Y] sont devenus des chargés de projet. Le poste est plus transversal, avec plus de liens avec le client'.

Or, ce changement de fonctions, qui constitue une modification du contrat de travail, n'a fait l'objet d'aucun avenant au contrat de travail et aucun élément ne démontre que M. [P] [Y] a bénéficié d'un accompagnement de sa hiérarchie lors de la prise en charge de ces nouvelles fonctions.

De plus, le cumul des fonctions de chargé d'études et de chef de projet a nécessairement entraîné une surcharge de travail pour le salarié et généré un stress supplémentaire lié à la fatigue et aux responsabilités supplémentaires.

La matérialité de ces faits est établie.

- l'employeur n'a pas organisé les entretiens destinés à vérifier l'adéquation entre sa charge de travail et son temps de travail :

Aucune des pièces versées aux débats ne démontre que la société Gagne a organisé l'entretien, annuel individuel imposé par l'article L3121-46 du code du travail pour les salariés ayant conclu une convention de forfait en jours sur l'année.

Ce fait est matériellement établi.

- il a été placé en arrêt de travail pour maladie à compter du 24 avril 2017, puis déclaré inapte le 16 janvier 2018, inaptitude confirmée par le médecin inspecteur du travail le 31 mai 2018 :

- la dégradation de son état de santé est liée à ses conditions de travail :

Plusieurs éléments concordants démontrent que l'arrêt de travail du 24 avril 2017 et la déclaration d'inaptitude du 16 janvier 2018 sont liées aux conditions de travail du salarié.

Ainsi, il ressort d'un certificat du 6 février 2018 du docteur [H], ayant prescrit l'arrêt de travail du 24 avril 2017, que ce médecin généraliste a constaté des symptômes dépressifs chez M. [P] [Y] à compter du 5 avril 2017.

Le docteur [W], médecin psychiatre en charge du suivi du salarié depuis le 6 juin 2017, certifie quant à lui dans une attestation datée du 7 février 2018, avoir constaté une dégradation de l'état de santé mentale avec des répercutions sur le plan végétatif et cognitif avec dépression thymique majeure et altération de la mémoire et de la vigilance, évoluant malgré le traitement thérapeutique avec 'apparition d'un risque d'issue fatale'.

Le rapport de l'expertise du docteur [I] diligentée le 5 mars 2018 à la demande de la société d'assurance April (complémentaire santé) suite à l'arrêt de travail du 24 avril 2017 constate la persistance d'un syndrome anxieux caractéristique, impute les arrêts de travail prescrits depuis le 24 avril 2017 à une pathologie dépressive et ne remet pas en cause l'existence d'un syndrome dépressif lié à des problèmes professionnels évoqué par le salarié.

Le rapport du médecin inspecteur du travail du 31 mai 2018 confirme que le poste de travail de M. [P] [Y] présente des risques professionnels liés aux contraintes d'organisation, de travail sous contrainte de temps, élément évoqué par M. [P] [Y] comme l'une des causes de son épuisement et ce médecin précise également que 'l'importance du retentissement sur la santé du salarié justifie une notification d'inaptitude afin de retirer M. [Y] de son milieu professionnel'.

Aucun de ces médecins ne remet en cause le lien entre les conditions de travail du salarié et la dégradation de l'état de santé psychologique de ce dernier à l'origine des arrêts de travail prescrits depuis le 24 avril 2017.

Le lien entre cette dégradation et la déclaration d'inaptitude est quant à lui établi par le rapport du médecin inspecteur du travail, par la chronologie des événements retracée ci-dessus et par l'absence d'évocation dans les différentes pièces médicales de tout autre cause susceptible d'avoir altéré la santé mentale du salarié.

Ces faits sont donc matériellement établis.

A l'issue de cette analyse M. [P] [Y] établit la matérialité des faits suivants :

- l'employeur a diligenté un contrôle médical de son arrêt maladie le 23 juin 2017 qui a confirmé son bien fondé

- il a été soumis à une surcharge de travail au cours de l'année 2017

- l'employeur lui a imposé 2 jours de RTT les 8 et 9 décembre 2017 et la prise de congés payés du 11 décembre 2017 au 15 janvier 2018

- la société Gagne a refusé la rupture conventionnelle qu'il a proposé le 20 décembre 2017

- le 2 janvier 2018, le docteur [W] a constaté que son état de santé le rendait inapte totalement et définitivement à tout poste dans l'entreprise, il a de nouveau été placé en arrêt de travail pour maladie à compter du 9 janvier 2018 et jusqu'au 23 février 2018 pour des troubles anxio dépressifs et le médecin du travail l'a déclaré inapte à son poste le 16 janvier 2018 après avoir réalisé une étude de poste et des conditions de travail en indiquant que 'tout maintien dans l'emploi serait préjudiciable pour sa santé'.

- l'employeur a contesté l'avis d'inaptitude, lequel a été confirmé par le conseil des prud'hommes le 25 juin 2018:

- l'employeur a modifié unilatéralement la nature et le périmètre de ses fonctions en lui confiant dans les faits les fonctions de 'chef de projet'(ou 'chargé de projet'), sans accompagnement de sa hiérarchie, de façon alternative ou cumulative avec ses tâches de chargé d'étude

- ces nouvelles missions ont entraîné de lourdes responsabilité et une surcharge de travail

- l'employeur n'a pas organisé les entretiens destinés à vérifier l'adéquation entre sa charge de travail et son temps de travail prescrit par l'article L3121-46 du code du travail

- il a été placé en arrêt de travail pour maladie à compter du 24 avril 2017, puis déclaré inapte le 16 janvier 2018, inaptitude confirmée par le médecin inspecteur du travail le 31 mai 2018 :

- la dégradation de son état de santé est liée à ses conditions de travail.

Contrairement à ce que soutient la société Gagne, ces faits sont précis et, pris dans leur ensemble, laissent présumer l'existence d'un harcèlement moral.

La société Gagne, qui conteste l'existence d'un tel harcèlement et remet vainement en cause la matérialité de plusieurs des faits invoqués par l'appelant, répond :

- que le contrôle de l'arrêt de travail du 23 juin 2017 a été diligenté après que M. [P] [Y] ait été vu sur le réseau social Facebook en train d'aider à la construction d'une maison le 7 mai 2017 pendant son arrêt maladie

- que l'absence de harcèlement moral est démontré par plusieurs courriels échangés entre les parties

- que M. [P] [Y] a même recommandé l'entreprise à un candidat à l'embauche le 12 avril 2017

- que le CHSCT et le comité d'entreprise n'ont jamais été saisi d'une quelconque accusation de harcèlement ou de manquement à l'obligation de résultat

- que M. [P] [Y] cherchait à quitter l'entreprise par tout moyen

- que ce dernier n'a jamais fait état de la modification unilatérale de ses fonctions avant la saisine du conseil des prud'hommes ni réclamé une reclassification, notamment dans son courrier de prise d'acte de rupture

- que les démissions de salariées intervenues en 2017 et 2018 sont sans lien avec les méthodes de gestion de l'entreprise.

Le salarié ne conteste pas le droit de l'employeur à diligenter le contrôle du bien fondé de son arrêt de travail et aucun élément ne permet de caractériser un abus dans l'exercice de son droit par la société Gagne.

Il en va de même en ce qui concerne le refus d'accepter la rupture conventionnelle proposée par M. [P] [Y] et la contestation de l'avis d'inaptitude.

En revanche, l'employeur ne rapporte pas la preuve que les autres agissements dénoncés par M. [P] [Y], dont la matérialité est établie, ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et qu'ils étaient justifiés par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Il est ainsi établi que M. [P] [Y] a bien été victime de harcèlement moral.

Au vu de la gravité des conséquences de ce harcèlement moral sur l'état de santé de M. [P] [Y] telles qu'elles ressortent des pièces médicales détaillées ci-dessus, la cour évalue à la somme de 7000 euros le montant des dommages et intérêts pour préjudice moral.

Cette condamnation sera assortie des intérêts légaux à compter du présent arrêt.

Le jugement sera donc infirmé de ces chefs.

Sur la demande de reclassification au coefficient 108 et la demande de rappel de salaire au titre des années 2013 à 2016 :

Il appartient au salarié qui se prévaut d'une classification conventionnelle différente de celle dont il bénéficie au titre de son contrat de travail, de démontrer qu'il assure de façon permanente, dans le cadre de ses fonctions, des tâches et responsabilités relevant de la classification qu'il revendique, ce qui ne peut résulter des simples mentions de la fiche du poste occupé.

Au soutien de ses demandes, M. [P] [Y] fait valoir :

- qu'il occupait en réalité les fonctions de chef de projet à partir du mois de septembre 2013, 'sous couvert d'un contrat de chargé d'études'

- que 'd'après la convention collective nationale de la branche du bâtiment, son échelon aurait dû correspondre à un B. 2-1 coefficient 108 a minima'.

La société Gagne répond :

- que M. [P] [Y] ne réalisait pas des tâches de chargé de mission même si, conformément à sa fiche de poste, il avait l'obligation d'assister ou de suppléer les directeurs de projet, et ainsi prendre en charge ponctuellement un projet particulier sous la conduite du responsable technique

- qu'en toute hypothèse, l'échelon B. 2-1 (coefficient 108) revendiqué par le salarié ne correspond pas au poste de chargé d'études et que les fonctions de chargé d'études ou de chargé de projet ne figurent pas dans les grilles de classification de la convention collective des Ingénieurs et Cadres du Bâtiment

- que M. [P] [Y] ne précise pas en quoi il peut prétendre à la classification au niveau B 2-1 coefficient 108

- que les rappels de salaires sollicités sur 2013, 2014 et janvier et février 2015 sont prescrits.

Selon la convention collective nationale des cadres du bâtiment, pour être classé en position B 2ème échelon, catégorie 1 l'ingénieur ou assimilé 2ème échelon, '(...) doit avoir au moins 6 ans de pratique de la profession (4) en qualité d'ingénieur ou assimilé et être en pleine possession de son métier.

Partant des directives données par son supérieur, il doit avoir couramment à prendre des initiatives et à assumer des responsabilités :

- pour diriger les travaux des techniciens, agents de maîtrise, dessinateurs, employés ou ingénieurs travaillant aux mêmes tâches que lui ;

- pour représenter avec compétence l'entreprise auprès de toute personne ou service extérieur où son activité habituelle peut l'appeler (...)'.

Même s'il résulte des motifs ci-dessus que M. [P] [Y] occupait dans les faits et depuis l'année 2013 les fonctions de chargé de projet, ce dernier ne démontre pas que cette fonction était automatiquement classée au niveau B 2-1 ni en quoi il assurait de façon permanente, dans le cadre de ses fonctions, des tâches et responsabilités relevant de cette classification.

La demande de reclassification, la demande de rappel de salaire, la demande de condamnation de la société Gagne à effectuer les démarches auprès de la Caisse des congés payés pour obtenir le paiement des congés payés afférents à ce rappel de salaire, présentées pour la première fois en cause d'appel, sont donc rejetées.

Sur la prise d'acte de rupture produisant les effets d'un licenciement nul :

La prise d'acte de rupture du contrat de travail entraîne la cessation immédiate de la relation contractuelle qui ne peut plus ensuite être rétractée.

Il appartient dans ce cadre au salarié d'établir les faits qu'il allègue à l'encontre de l'employeur.

Ces faits sont ceux dont le salarié a eu connaissance avant de prendre acte de la rupture de son contrat de travail, ils doivent donc être antérieurs ou contemporains à la démission.

L'écrit par lequel le salarié prend acte de la rupture du contrat de travail en raison de faits qu'il reproche à son employeur ne fixe pas les limites du litige ; le juge est tenu d'examiner tous les manquements de l'employeur invoqués devant lui par le salarié, même si celui-ci ne les a pas mentionnés dans cet écrit.

Il résulte de la combinaison des articles L.1231-1, L.1237-2 et L.1235-1 du code du travail que la prise d'acte ne permet au salarié de rompre le contrat de travail qu'en cas de manquement de l'employeur à ses obligations revêtant une gravité suffisante pour rendre impossible la poursuite du contrat de travail.

La rupture par prise d'acte produit, soit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse ou d'un licenciement nul, si les faits invoqués la justifiaient, soit, dans le cas contraire, les effets d'une démission.

Selon l'article L1152-3 du code du travail, toute rupture du contrat de travail intervenue en méconnaissance des dispositions de l'article L. 1152-1 prohibant le harcèlement moral, toute disposition ou tout acte contraire est nul.

En l'espèce, il résulte des termes de la lettre du 23 mars 2018 dont les termes sont retranscrits ci-dessus que M. [P] [Y] a pris acte de la rupture du contrat de travail en raison d'un harcèlement moral à l'origine de son inaptitude.

Dans ses conclusions, il invoque les 'manquements graves de son employeur'.

Contrairement à ce que soutient la société Gagne, il résulte des motifs développés plus haut que M. [P] [Y] a bien été victime d'un harcèlement moral lequel est à l'origine de son inaptitude prononcée le 16 janvier 2018 et ce harcèlement moral caractérise un manquement de l'employeur à ses obligations revêtant une gravité suffisante pour rendre impossible la poursuite du contrat de travail.

En conséquence la cour, infirmant le jugement de ce chef, juge que la prise d'acte de rupture produit les effets d'un licenciement nul.

Il résulte des articles L. 1152-3 du code du travail et L. 1235-3-1 du même code, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017 que le salarié victime d'un licenciement nul qui ne demande pas la poursuite de l'exécution de son contrat de travail ou dont la réintégration est impossible a droit, quelles que soient son ancienneté et la taille de l'entreprise, d'une part, aux indemnités de rupture, d'autre part, à une indemnité réparant l'intégralité du préjudice résultant du caractère illicite du licenciement et au moins égale à six mois de salaire.

L''indemnité spéciale de licenciement réclamée par M. [Y] n'est due que dans le cas du licenciement prononcé en raison de l'impossibilité de reclassement du salarié déclaré inapte par le médecin du travail, ce qui n'est pas le cas en l'espèce.

La prise d'acte de rupture produisant les effets d'un licenciement nul, la société Gagne doit être condamné au paiement des sommes suivantes dont le détail et le montant ne sont pas discutés :

- 11 093,55 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis et 1 109,35 euros de congés payés afférents, assortis d'intérêts légaux à compter du 22 février 2018, date de convocation de l'employeur devant le bureau de conciliation et bd'orientation

- 9 652,23 euros à titre d'indemnité conventionnelle de licenciement, assortis d'intérêts légaux à compter du 22 février 2018.

Le salarié peut également prétendre à des dommages et intérêts pour licenciement nul.

La réintégration de M. [P] [Y] est impossible compte tenu des termes de l'avis d'inaptitude mais ce dernier ne justifie pas de sa situation professionnelle et financière postérieurement à la prise d'acte requalifiée en licenciement nul.

Aussi et au vu des éléments de l'espèce, il lui sera alloué une indemnité calculée sur la base de la rémunération mensuelle brute perçue en moyenne pendant les 6 derniers mois de la relation de travail (3 430 euros), soit la somme de 21 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul, assortis d'intérêts légaux à compter du présent arrêt.

Le jugement déféré sera infirmé de ces chefs.

Sur la demande de paiement de l'indemnité compensatrice de préavis présentée par la société Gagne :

Dès lors qu'il est jugé que la prise d'acte produit les effets d'un licenciement nul, la demande de paiement d'une indemnité compensatrice de préavis présentée par la société Gagne n'est pas fondée.

Le jugement déféré sera donc infirmé de ce chef.

Sur la demande de condamnation de la société Gagne à réaliser toutes les démarches nécessaires pour que les congés payés soient réglés par les organismes compétents :

Compte tenu des termes du présent arrêt, la société Gagne sera condamnée à réaliser les démarches nécessaires auprès des organismes concernés pour que M. [P] [Y] soit indemnisé des condamnations aux congés payés prononcées par le présent arrêt.

Sur les demandes accessoires :

Partie perdante, la société Gagne supportera la charge des dépens de première instance et d'appel.

Par ailleurs, M. [P] [Y] a dû pour la présente instance exposer tant en première instance qu'en appel des frais de procédure et honoraires non compris dans les dépens qu'il serait inéquitable de laisser intégralement à sa charge.

Il y a donc lieu d'infirmer le jugement déféré en ce qu'il l'a condamné à payer à la société Gagne la somme de 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et de condamner l'employeur à lui payer sur le même fondement une indemnité de 3000 euros au titre des frais qu'il a dû exposer en première instance et en appel.

PAR CES MOTIFS

LA COUR

La Cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire, après en avoir délibéré conformément à la loi,

Ordonne la jonction des affaires n°19/01395 et n°20/00443 sous le numéro n°19/01395 ;

Ordonne la rectification pour erreur matérielle affectant l'ordonnance d'incident du 7 janvier 2020 rendu par le conseiller de la mise en état sous le N° RG 19/1395 ;

Dit que le dispositif de cette ordonnance doit être rectifié ainsi : à l'avant dernier alinéa du 'Par ces motifs' (page 4) la phrase 'Condamne la SAS Gagne Constructions Métalliques à verser à M. [P] [Y] la somme de 700 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile' est remplacée par la phrase : 'Condamne la SAS Gagne Constructions Métalliques à verser à M. [P] [Y] la somme de 500 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile' ;

Dit que la décision rectificative sera mentionnée sur la minute et sur les expéditions de l'ordonnance ;

Dit que les dépens de l'instance en rectification resteront à la charge de l'Etat ;

Infirme le jugement déféré en toutes ses dispositions et, statuant à nouveau et y ajoutant :

Rejette la demande de reclassification a minima au coefficient 108 et la demande de rappel de salaire au titre des années 2013 à 2013 ainsi que la demande de condamnation de la société Gagne à effectuer les démarches auprès de la Caisse des congés payés pour obtenir le paiement des congés payés afférents ;

Dit que M. [P] [Y] a été victime d'un harcèlement moral ;

Dit que la prise d'acte de rupture produit les effets d'un licenciement nul ;

Condamne la société Gagne à payer à M. [P] [Y] les sommes suivantes :

- 7 000 euros le montant des dommages et intérêts pour harcèlement moral, avec intérêts légaux à compter du présent arrêt ;

- 11 093,55 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis et 1 109,35 euros de congés payé afférents, assortis d'intérêts légaux à compter du 22 février 2018, date de convocation de l'employeur devant le bureau de conciliation et bd'orientation

- 9 652,23 euros à titre d'indemnité conventionnelle de licenciement, assortis d'intérêts légaux à compter du 22 février 2018.

- 21 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul, assortis d'intérêts légaux à compter du présent arrêt ;

Condamne la société Gagne à réaliser les démarches nécessaires auprès des organismes concernés pour que M. [P] [Y] soit indemnisé des condamnations aux congés payés prononcées par le présent arrêt ;

CONDAMNE la société Gagne à payer à M. [P] [Y] la somme de 3 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

CONDAMNE la société Gagne aux entiers dépens de première instance et d'appel.

Ainsi fait et prononcé lesdits jour, mois et an.

Le greffier, Le Président,

N. BELAROUI C. RUIN


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Riom
Formation : Chambre sociale
Numéro d'arrêt : 19/01395
Date de la décision : 15/11/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-11-15;19.01395 ?
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