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11/10/2022 | FRANCE | N°19/01449

France | France, Cour d'appel de Riom, Chambre sociale, 11 octobre 2022, 19/01449


11 OCTOBRE 2022



Arrêt n°

KV/NB/NS



Dossier N° RG 19/01449 - N° Portalis DBVU-V-B7D-FIBP



S.A.S. [6]



/



CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DU PUY-DE-DOME (CPAM), salarié : M. [D]

Arrêt rendu ce ONZE OCTOBRE DEUX MILLE VINGT DEUX par la QUATRIEME CHAMBRE CIVILE (SOCIALE) de la Cour d'Appel de RIOM, composée lors des débats et du délibéré de :



M. Christophe RUIN, Président



Mme Karine VALLEE, Conseiller



Mme Frédérique DALLE, Conseiller



E

n présence de Mme Séverine BOUDRY greffier lors des débats et de Mme Nadia BELAROUI, greffier lors du prononcé



ENTRE :



S.A.S. [6]

prise en la personne de son représentant lég...

11 OCTOBRE 2022

Arrêt n°

KV/NB/NS

Dossier N° RG 19/01449 - N° Portalis DBVU-V-B7D-FIBP

S.A.S. [6]

/

CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DU PUY-DE-DOME (CPAM), salarié : M. [D]

Arrêt rendu ce ONZE OCTOBRE DEUX MILLE VINGT DEUX par la QUATRIEME CHAMBRE CIVILE (SOCIALE) de la Cour d'Appel de RIOM, composée lors des débats et du délibéré de :

M. Christophe RUIN, Président

Mme Karine VALLEE, Conseiller

Mme Frédérique DALLE, Conseiller

En présence de Mme Séverine BOUDRY greffier lors des débats et de Mme Nadia BELAROUI, greffier lors du prononcé

ENTRE :

S.A.S. [6]

prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité au siège social sis

[Adresse 10]

[Adresse 10]

[Localité 3]

Représentée par Me Sarah BOUAMOUD, avocat suppléant Me Marie ALBERTINI de la SCP P D G B, avocat au barreau de PARIS

APPELANT

ET :

CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DU PUY-DE-DOME (CPAM)

[Adresse 1]

[Localité 2]

Représentée par Me Marie-caroline JOUCLARD, avocat au barreau de CLERMONT-FERRAND

(salarié : M. [D])

INTIMEE

Après avoir entendu Mme VALLEE, Conseiller en son rapport, les représentants des parties à l'audience publique du 04 Juillet 2022, la Cour a mis l'affaire en délibéré, Monsieur le Président ayant indiqué aux parties que l'arrêt serait prononcé, ce jour, par mise à disposition au greffe, conformément aux dispositions de l'article 450 du code de procédure civile.

FAITS ET PROCÉDURE

Le 11 août 215, M. [D], employé depuis le 5 mars 1984 par la société [9] devenue la société [5] puis la SAS [6], a sollicité la reconnaissance en maladie professionnelle d'un « carcinoïde typique opéré par culminectomie », constaté aux termes d'un certificat médical initial établi par le Docteur [U] le 14 juillet 2015.

Au vu des éléments recueillis lors de l'enquête administrative, la CPAM du PUY DE DOME a soumis sa déclaration de maladie professionnelle au comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles ( CRRMP) de [Localité 4], lequel a rendu, en date du 8 juillet 2016, un avis favorable à la prise en charge.

Par courrier du 28 juillet 2016, la CPAM du PUY-DE-DÔME a notifié à la société [6] la reconnaissance du caractère professionnel de la maladie déclarée par M. [D].

Par lettre recommandée avec avis de réception expédiée le 9 novembre 2016, la société [6] a saisi le tribunal des affaires de sécurité sociale du PUY DE DOME d'une contestation de la décision implicite de rejet de la commission de recours amiable de la CPAM du PUY-DE-DÔME, qu'elle avait saisie d'un recours le 2 septembre 2016.

Par jugement avant dire droit en date du 5 juillet 2018, le tribunal des affaires de sécurité sociale du PUY DE DOME a :

- désigné le CRRMP de LIMOGES afin qu'il donne son avis sur le point de savoir si la pathologie présentée par M. [D] a été directement causée par son travail habituel ;

- renvoyé les parties à une audience ultérieure pour trancher le fond de l'affaire.

Le 4 mars 2019, le CRRMP de LIMOGES a rendu un avis favorable à la prise en charge de la pathologie au titre du tableau 30 bis des maladies professionnelles relatif au 'cancer broncho-pulmonaire provoqué par l'inhalation de poussières d'amiante'.

Par jugement en date du 27 juin 2019, le pôle social du tribunal de grande instance de CLERMONT-FERRAND, auquel a été transféré sans formalités à compter du 1er janvier 2019 le contentieux relevant jusqu'à cette date de la compétence d'attribution du tribunal des affaires de sécurité sociale du PUY DE DOME, a :

- débouté la société [6] de son recours ;

- condamné la société [6] aux dépens.

Par déclaration reçue au greffe de la cour le 12 juillet 2019, la société [6] a interjeté appel de ce jugement notifié à sa personne morale le 2 juillet 2019.

PRÉTENTIONS DES PARTIES

Par ses conclusions récapitulatives visées le 4 juillet 2022 et oralement soutenues à l'audience, la société [6] demande à la cour de :

- la dire recevable et bien fondée en son appel ;

- infirmer le jugement du pôle social du tribunal de grande instance de CLERMONT-FERRAND en ce qu'il l'a déboutée de son recours ;

- statuant à nouveau, juger inopposables à son égard la décision de prise en charge de la maladie de M. [D] au titre de la législation AT/MP, ainsi que toute décision subséquente.

A l'appui de son appel, la société [6], rappelant notamment que le salarié n'a pas réalisé l'un des travaux limitativement énoncés par le tableau n°30 bis des maladies professionnelles, conteste le fait que le salarié ait pu être exposé à l'inhalation de poussières d'amiante au cours de son activité au sein de l'établissement d'ISSOIRE. Elle soutient en conséquence que la maladie de M. [D] n'est pas imputable à son activité professionnelle et que la décision de prise en charge au titre de la législation sur les risques professionnels lui est de ce fait inopposable.

Par ses écritures d'intimée visées le 4 juillet 2022 et oralement soutenues à l'audience, la CPAM du PUY-DE-DÔME conclut à la confirmation du jugement entrepris en toutes ses dispositions et demande à la cour de :

- débouter la société [6] de toutes demandes, fins et conclusions plus amples ou contraires ;

- condamner la société [6] aux dépens.

La CPAM du PUY-DE-DÔME rappelle que les deux CRRMP saisis du dossier se sont prononcés en faveur de l'existence d'un lien de causalité entre la maladie et le travail habituel de la victime et fait observer que l'employeur n'apporte aux débats aucun élément permettant de remettre en cause les avis ainsi rendus par les deux comités.

Elle ajoute qu'il ressort de l'enquête administrative que les salariés de la société [6] ont largement été exposés à l'amiante.

Conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé aux conclusions susvisées des parties, oralement soutenues à l'audience, pour un plus ample exposé de leurs moyens.

MOTIFS

- Sur le caractère professionnel de la maladie :

Il résulte de l'article L461-1 du code de la sécurité sociale qu'est présumée d'origine professionnelle toute maladie désignée dans un tableau des maladies professionnelles et contractée dans les conditions mentionnées à ce tableau. Chaque tableau indique les conditions à respecter pour prétendre à la reconnaissance de l'origine professionnelle des maladies qu'il désigne, ces conditions tenant au délai de prise en charge, à la durée d'exposition ou à la liste limitative des travaux.

Si une ou plusieurs de ces conditions ne sont pas remplies, la maladie telle qu'elle est désignée dans un tableau des maladies professionnelles peut être reconnue d'origine professionnelle lorsqu'il est établi qu'elle est directement causée par le travail habituel de la victime. Dans ce cas, la caisse primaire d'assurance maladie reconnaît l'origine professionnelle de la maladie après avis motivé d'un comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles.

En l'espèce, dans la mesure où la condition relative à la durée d'exposition n'était pas remplie, la caisse a soumis la déclaration de maladie professionnelle de M. [D] au CRRMP de CLERMONT-FERRAND, lequel a considéré que le lien de causalité direct entre les activités professionnelles exercées et la maladie contractée était établi.

Telle a également été l'analyse du CRRMP de LIMOGES saisi par le tribunal des affaires de sécurité du PUY DE DOME.

Pour motiver leur avis, les deux comités ont considéré qu'y compris à compter de 1984, année de son embauche par la société aux droits de laquelle vient la SAS [6], M. [D] avait travaillé dans des conditions de nature à l'exposer intensément aux poussières d'amiante.

Il ressort de l'enquête administrative que M [D] a été employé dans plusieurs entreprises de fonderie d'aluminium de 1984 à 2015.

Au cours de la période comprise entre 1979 et 1984, son emploi exercé à l'usine [7] a consisté notamment à manipuler quotidiennement avec ses mains de l'amiante en flocon avec de l'eau et de la terre argileuse pour fabriquer des bouchons de coulée et des joints pour le chemin de coulée.

De 1984 à 2015, période au cours de laquelle il est constant qu'il a travaillé pour les sociétés successives aux droits de laquelle vient la société [6], M. [D] a été affecté à l'atelier tôlerie, secteur laminage, en étant positionné sur un poste de manutentionnaire fours cloches en week-end. Dans le cadre de cette activité, il était chargé d'assister le conducteur des fours cloches et à manutentionner les bobines à l'aide d'un pont pour les installer ou les sortir à l'issue des traitements thermiques à l'aide d'un pont roulant. A compter de 1992, il a en outre réalisé la conduite des fours de recuit.

Les CRRMP de CLERMONT-FERRAND et [Localité 8] ont retenu que durant cette seconde période, M. [D] avait été exposé aux poussières d'amiante dans des conditions environnementales. Pour conclure à cette exposition, le CRRMP de CLERMONT-FERRAND a relevé que compte tenu des niveaux d'empoussièrement et de la persistance des fibres au niveau de l'appareil pulmonaire et pleural, la durée d'exposition était suffisante pour rendre compte de la survenue du cancer broncho-pulmonaire primitif. Le CRRMP de LIMOGES a quant à lui estimé que l'assuré a travaillé dans différents secteurs reconnus comme exposants aux poussières d'amiante selon la 'matrice emploi exposition Ev@lutil élaborée par Santé Publique France' et qu'en conséquence ' l'intensité et la fréquence d'exposition permettent de retenir un lien direct causé par le travail habituel de l'assuré sur la survenue de la pathologie dont il est demandé réparation même si la durée d'exposition est inférieure à celle retenue par le tableau 30 bis.'

La société [6] conteste le bien fondé des avis ainsi rendus en arguant notamment du non respect de la condition relative à la nature des travaux visés par le tableau n°30 bis des maladies professionnelles au titre duquel la pathologie de ce salarié a été prise en charge par la caisse.

Ce moyen est toutefois inopérant puisque la prise en charge de la maladie au titre de la législation sur les risques professionnels n'exige pas qu'une telle condition soit remplie. Lorsque les conditions fixées au tableau des maladies professionnelles considéré sont impossibles à caractériser de façon cumulative à l'issue de l'enquête administrative, la caisse peut pendre en charge la maladie s'il est établi, après avis du CRRMP, un lien de causalité direct avec le travail habituel de la victime. A défaut d'avoir pu constater que les conditions du tableau n°30 bis des maladies professionnelles étaient toutes réunies, la caisse a en l'espèce précisément mis valablement en oeuvre cette procédure.

Au vu de la contestation portée par la société [6], il importe donc de vérifier que la maladie déclarée a été directement causée par le travail habituel de la victime.

L'exposition au risque professionnel peut résulter de l'exécution par le salarié d'un travail dans des conditions permettant l'action de l'agent nocif, sans qu'il soit imposé que celui ci participe directement à l'emploi ou à la manipulation de ces agents.

L'intensité de l'agent nocif n'est pas un critère de reconnaissance de maladie professionnelle, pas que plus que ne l'est le niveau de l'exposition habituelle à défaut de conditions précisées sur ce point par le tableau des maladies professionnelles appliqué.

Au vu de ces principes, il appartient à la CPAM du PUY DE DOME d'établir, dans ses rapports avec l'employeur, que M. [D] a été exposé de façon habituelle à l'action de l'agent nocif, en l'occurrence les poussières d'amiante, dans le cadre des activités professionnelles exercées au sein de la société [6].

Le caractère habituel, s'il s'entend d'une certaine durée et d'une certaine régularité, n'implique pas pour autant que les travaux en cause constituent une part prépondérante de l'activité du salarié.

La caisse s'appuie notamment sur les attestations d'anciens collègues de M. [D] mais ainsi que le fait à bon escient observé la société [6], ces attestations portent sur la période antérieure à l'embauche par la société [6], et n'ont donc pas vocation à attester de l'exposition à l'amiante au cours de la période professionnelle qui concerne l'appelante.

Il est également exact que le document intitulé ' matrice emploi exposition Ev@lutil' élaboré par Santé Publique France, pris en compte par le CRRMP de LIMOGES au soutien de son avis, ne peut être valablement opposé à l'employeur. Il ne peut être tiré des éléments qui y sont exposés à titre général et indicatif aucune conséquence sur la caractérisation au cas d'espèce de l'exposition habituelle aux poussières d'amiante.

La caisse de sécurité sociale fait également reposer sa position sur un compte-rendu de la réunion de la commission de coordination du 30 avril 1999, duquel il ressort que le docteur [Z] a fait part de son souhait de surveiller tout le personnel âgé de plus de 40 ans qui a été exposé, en ce compris, selon ces observations, celui affecté à l'atelier tôlerie, au sein duquel travaillait M. [D].

Pour étayer ses allégations, l'intimée s'appuie encore sur les opérations de désamiantage organisées au sein de la société [6] en 1986 puis en 2005. Les pièces qu'elle verse aux débats établissent que le four F35 situé dans le hall n°2 de l'usine a été concerné par une opération de désamiantage. Or dès 1984 M. [D] a été affecté sur un poste de manutentionnaire fours cloches en week-end. Selon les plans de l'atelier produits aux débats, ce salarié fréquentait des locaux , à l'intérieur desquels il circulait, abritant des fours amiantés. A l'occasion de ses activités, il était donc nécessairement amené à inhaler des poussières d'amiante, lesquelles se répandaient dans l'air ambiant à chaque ouverture des fours en raison de la chaleur engendrée par leur fonctionnement.

Cette situation d'exposition environnementale dans les ateliers de la société devenue [6] a déjà été soulignée par la chambre sociale de la présente cour, notamment aux termes d'un arrêt du 3 novembre 2020 intéressant une salariée employée de 1967à 2000. Cette décision comporte une motivation selon laquelle ' les ateliers de l'entreprise, notamment ceux des secteurs tôlerie et tôles fortes, constituaient à l'époque considérée un environnement exposé aux poussières d'amiante, en raison de la présence de lignes à chaud et notamment de fours dont les joints étaient en amiante, ce qui n'est pas contesté par l'employeur'.

Cette précédente décision ne circonscrit pas sa conclusion tenant à l'existence d'un environnement exposé aux poussières d'amiante à la période antérieure à 1984. Certes, elle n'est pas revêtue de l'autorité de la chose jugée dans le cadre du présent litige, mais il n'en demeure pas moins que les considérations qui y sont exposées sont transposables au cas d'espèce dès lors que la société [6] n'apporte aux débats aucun élément permettant de les disqualifier.

Il résulte de l'ensemble des éléments qui précèdent que peu important le fait, soutenu par la société [6], que l'amiante n'entrait pas dans le processus de transformation de l'aluminium produit dans son usine, M. [D] a été habituellement exposé dans le cadre du travail réalisé à compter de 1984 dans ses ateliers à l'inhalation de poussières d'amiante.

C'est dès lors à bon droit, par un jugement qui mérite confirmation, que les premiers juges, s'appuyant sur les avis concordants rendus par les deux CRRMP successivement désignés, ont retenu l'existence d'un lien direct entre la pathologie déclarée et le travail habituel du salarié et conséquemment débouté la société [6] de son recours.

- Sur les dépens et les frais de l'article 700 du code de procédure civile :

La disposition du jugement déféré relative aux dépens sera confirmée.

La société [6] qui succombe en son recours au sens de l'article 696 du code de procédure civile sera condamnée aux dépens d'appel.

PAR CES MOTIFS

La Cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire, après en avoir délibéré conformément à la loi,

- Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions soumises à la cour ;

Y ajoutant,

- Condamne la société [6] aux dépens d'appel ;

- Déboute les parties de leurs demandes plus amples ou contraires.

Ainsi fait et prononcé lesdits jour, mois et an.

Le greffier, Le Président,

N. BELAROUI C. RUIN


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Riom
Formation : Chambre sociale
Numéro d'arrêt : 19/01449
Date de la décision : 11/10/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-10-11;19.01449 ?
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