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27/09/2022 | FRANCE | N°20/00375

France | France, Cour d'appel de Riom, Chambre sociale, 27 septembre 2022, 20/00375


27 SEPTEMBRE 2022



Arrêt n°

CHR/NB/NS



Dossier N° RG 20/00375 - N° Portalis DBVU-V-B7E-FL6U



SCA

MANUFACTURE FRANCAISE DES PNEUMATIQUES MICHELIN

/



[D] [F] [T]

[E]

Arrêt rendu ce VINGT SEPT SEPTEMBRE DEUX MILLE VINGT DEUX par la QUATRIEME CHAMBRE CIVILE (SOCIALE) de la Cour d'Appel de RIOM, composée lors du délibéré de :



M. Christophe RUIN, Président



Mme Karine VALLEE, Conseiller



Mme Frédérique DALLE, Conseiller



En présence de Mme

Séverine BOUDRY greffier lors des débats et de Mme Nadia BELAROUI, greffier lors du prononcé



ENTRE :



SCA MANUFACTURE FRANCAISE DES PNEUMATIQUES MICHELIN, prise en la personne de s...

27 SEPTEMBRE 2022

Arrêt n°

CHR/NB/NS

Dossier N° RG 20/00375 - N° Portalis DBVU-V-B7E-FL6U

SCA

MANUFACTURE FRANCAISE DES PNEUMATIQUES MICHELIN

/

[D] [F] [T]

[E]

Arrêt rendu ce VINGT SEPT SEPTEMBRE DEUX MILLE VINGT DEUX par la QUATRIEME CHAMBRE CIVILE (SOCIALE) de la Cour d'Appel de RIOM, composée lors du délibéré de :

M. Christophe RUIN, Président

Mme Karine VALLEE, Conseiller

Mme Frédérique DALLE, Conseiller

En présence de Mme Séverine BOUDRY greffier lors des débats et de Mme Nadia BELAROUI, greffier lors du prononcé

ENTRE :

SCA MANUFACTURE FRANCAISE DES PNEUMATIQUES MICHELIN, prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège.

[Adresse 3]

[Localité 2]

Représentée par Me Gino CLAMA, avocat suppléant Me Andéol LEYNAUD de la SCP VIGNANCOUR ASSOCIES, avocat au barreau de CLERMONT-FERRAND

APPELANTE

ET :

M. [D] [F] [T] [E]

[Adresse 1]

[Localité 2]

Représenté par Me Frédérik DUPLESSIS, avocat au barreau de CLERMONT-FERRAND

INTIME

M. RUIN, Président et Mme DALLE, Conseiller, après avoir entendu M. RUIN Président en son rapport, à l'audience publique du 20 juin 2022, tenue par ces deux magistrats, sans qu'ils ne s'y soient opposés, les représentants des parties en leurs explications, en ont rendu compte à la Cour dans son délibéré, aprés avoir informé les parties que l'arrêt serait prononcé, ce jour, par mise à disposition au greffe, conformément aux dispositions de l'article 450 du code de procédure civile

FAITS ET PROCÉDURE

Monsieur [D] [F] [T] [E], né le 12 février 1961, a été embauché par la SCA MANUFACTURE FRANÇAISE DES PNEUMATIQUES MICHELIN, suivant contrat de travail à durée indéterminée, à temps plein, en qualité d'ouvrier spécialisé de production, à compter du 10 septembre 1979.

Monsieur [F] [T] [E] a successivement occupé des postes de travail différents. En 2001, il s'est présenté pour la première fois sur la liste des élections professionnelles délégués du personnel CGT. Il a été élu pour un mandat de délégué du personnel jusqu'en octobre 2016 et a été salarié protégé pendant les six mois suivant le terme de son mandat, soit jusqu'au 6 avril 2017.

Le 23 mars 2015, en raison de problèmes de santé, Monsieur [F] [T] [E] s'est vu reconnaître la qualité de travailleur handicapé à compter du 4 mars 2015. A compter du 14 mars 2016, il a été placé en arrêt de travail longue durée.

Le 29 mars 2017, Monsieur [F] [T] [E] s'est vu reconnaître un état d'invalidité 2ème catégorie réduisant des deux tiers sa capacité de travail justifiant son classement en invalidité par la caisse primaire d'assurance maladie à compter du 1er mai 2017. Le 15 avril 2017, Monsieur [F] [T] [E] a informé son employeur de cette situation et a sollicité une visite médicale de reprise du travail. Le 9 mai 2017 il a reçu une convocation à une visite médicale de reprise fixée au 6 juin 2017 en raison d'une prolongation d'arrêt de travail jusqu'au 31 mai 2017.

Le 6 juin 2017, Monsieur [F] [T] [E] a été reçu par le service de la médecine du travail de la société MICHELIN. Au terme de la visite médicale, le médecin du travail a déclaré Monsieur [F] [T] [E] : ' Inapte définitif au poste de travail du fait des contraintes posturales et manipulations suite à étude du poste et des conditions de travail. L'état de santé du salarié fait obstacle à tout reclassement dans l'emploi'.

Monsieur [F] [T] [E] a reçu, le 13 octobre 2017, une convocation à un entretien préalable à un éventuel licenciement fixé au 20 octobre 2017.

Par courrier daté du 25 octobre 2017, Monsieur [F] [T] [E] s'est vu notifier une lettre de licenciement pour inaptitude physique avec impossibilité de reclassement dans un emploi compte tenu de son état de santé. Le licenciement a été effectif le 30 octobre 2017.

Le courrier de notification du licenciement est ainsi libellé :

' Monsieur,

Par lettre RAR du 13/10/2017, nous vous avons convoqué à un entretien préalable dans la perspective d'un éventuel licenciement le 20/10/2017 à 9 heures.

Lors de cet entretien préalable pour lequel vous étiez assisté de Monsieur [U] [V], nous vous avons entendu conformément à la législation en vigueur.

Nous vous rappelons les faits qui ont conduit à cet entretien:

- Votre arrêt de travail du 14/03/2016 au 1/10/2017,

- Votre classement en invalidité n°2 à compter du 1/05/2017

Vous avez été vu en visite médicale le 6/06/2017 par le médecin du travail qui a rendu l'avis suivant :

' Inaptitude définitive au poste de travail du fait des contraintes posturales et manipulations suite à l'étude du poste et des conditions de travail. L'état de santé du salarié fait obstacle à tout reclassement dans l'emploi.'

En conséquence, nous sommes au regret de vous notifier votre licenciement pour inaptitude physique avec impossibilité de reclassement dans un emploi compte tenu de votre état de santé.

Ce licenciement sera effectif le 30/10/2017.

Nous vous ferons parvenir à votre domicile votre règlement comprenant l'indemnité de licenciement ainsi que votre solde de tout compte, votre certificat de travail et votre attestation Pôle Emploi.

Vous trouverez ci-joint au présent courrier une information relative à la portabilité de vos droits en matière de complémentaire santé et prévoyance.

Vos garanties Prévoyance-décès vous sont maintenues pendant la durée de versement par la Sécurité Sociale, votre pension d'invalidité/d'incapacité, tant que vous n'avez pas repris une activité totale ou liquidé votre pension de retraite.

Vous prendrez contact pour cela avec MALAKOFF MEDERIC, soit au moment de votre départ, soit à l'issue de la période de portabilité si vous remplissez les conditions pour en bénéficier.

Concernant la couverture santé (Mutuelle), à l'issue de cette portabilité (ou dès la fin de nos relations contractuelles à défaut d'éligibilité à la portabilité), il vous sera possible d'adhérer au régime des non actifs de la MNPEM avec participation entreprise. Nous vous conseillons de prendre contact avec la MNPEM pour des informations plus détaillées.

Votre ancienneté est supérieure à 10 ans, vous restez bénéficiaire des pneus d'essais de l'Entreprise, sauf cas de reprise d'activité totale, les frais de montage/équilibrage étant à votre charge.

Vous êtes client de AXA Espace Michelin pour vos assurances personnelles, nous vous conseillons également de prendre contact pour mise à jour de votre dossier.

Nous vous demandons de bien vouloir nous retourner les éléments en votre possession, type badge, clés...et sommes à votre disposition pour vous remettre les effets personnels qui seraient restés dans l'entreprise.

Nous vous prions d'agréer, Monsieur, l'expression de nos salutations distinguées.'

Le 25 juin 2018, Monsieur [F] [T] [E] a saisi le conseil de prud'hommes de CLERMONT-FERRAND aux fins notamment de voir juger son licenciement sans cause réelle et sérieuse outre obtenir diverses sommes à titre indemnitaire et de rappel de salaire.

L'audience devant le bureau de conciliation et d'orientation s'est tenue en date du 12 septembre 2018 (convocation notifiée au défendeur le 26 juin 2018) et, comme suite au constat de l'absence de conciliation, l'affaire a été renvoyée devant le bureau de jugement.

Par jugement contradictoire en date du 6 février 2020 (audience du 28 novembre 2019), le conseil de prud'hommes de CLERMONT-FERRAND a :

- dit et jugé les demandes de Monsieur [F] [T] [E] recevables ;

- dit et jugé que son licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse ;

- condamné en conséquence, la société MANUFACTURE FRANÇAISE DES PNEUMATIQUES MICHELIN prise en la personne de son représentant légal, à payer et porter à Monsieur [F] [T] [E] les sommes de :

* 6394,05 euros à titre d'indemnité de préavis, outre 632,40 euros au titre des congés payés afférents,

* 43 000,00 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

* 7715,48 euros en deniers ou quittance valable à titre de rappel de salaire, outre 771,54 euros au titre des congés payés afférents,

* 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- dit que ces sommes porteront intérêts au taux légal avec capitalisation à compter de la demande pour les sommes à caractère de salaire et à compter de la décision pour les sommes à caractère indemnitaire;

- dit qu'il n'y a pas lieu de prononcer l'exécution provisoire de la présente décision pour les condamnations qui ne le sont pas de plein droit ;

- ordonné à la société MANUFACTURE FRANÇAISE DES PNEUMATIQUES MICHELIN de rembourser à Pôle Emploi les indemnités de chômage versées à Monsieur [F] [T] [E] du jour de son licenciement au jour de prononcé de la présente décision dans la limite de six mois d'indemnités de chômage ;

- débouté Monsieur [F] [T] [E] du surplus de ses demandes ;

- débouté la société MANUFACTURE FRANÇAISE DES PNEUMATIQUES MICHELIN de toutes ses demandes et l'a condamnée aux entiers dépens.

Le 25 février 2020, la société MANUFACTURE FRANÇAISE DES PNEUMATIQUES MICHELIN a interjeté appel de ce jugement qui lui a été notifié à sa personne le 10 février 2020.

Le 24 avril 2020, Maître Frédérik DUPLESSIS, avocat au barreau de CLERMONT-FERRAND, s'est constitué dans les intérêts de Monsieur [F] [T] [E] dans le cadre de la présente procédure d'appel.

Monsieur [F] [T] [E] n'a pas conclu,

Vu les conclusions notifiées à la cour le 22 mai 2020 par la société MANUFACTURE FRANÇAISE DES PNEUMATIQUES MICHELIN,

Vu l'ordonnance de clôture rendue le 23 mai 2022.

PRÉTENTIONS DES PARTIES

Dans ses dernières écritures, la société MANUFACTURE FRANÇAISE DES PNEUMATIQUES MICHELIN conclut à l'infirmation du jugement en toutes ses dispositions et, statuant de nouveau, demande à la cour de :

- constater que le médecin du travail a prononcé l'inaptitude définitive et à tout poste dans l'entreprise de Monsieur [F] [T] [E] compte tenu de son état de santé ;

- dire et juger que l'employeur a été de ce fait dispensé de son obligation de reclassement;

- dire et juger en conséquence que le licenciement prononcé pour inaptitude non professionnelle est bien-fondé ;

- dire et juger que ne pouvant exercer un quelconque préavis, Monsieur [F] [T] [E] est mal-fondé à solliciter le doublement de celui-ci au titre de sa qualité de travailleur handicapé;

- constater qu'elle a procédé à la régularisation des salaires dû à Monsieur [F] [T] [E] pour la période du 7 juillet au 30 octobre 2017 ;

- dire et juger la demande de Monsieur [F] [T] [E] sans objet et l'en débouter ;

- à titre subsidiaire, condamner Monsieur [F] [T] [E] à lui restituer la somme trop-perçu de 8.748,95 euros;

- en conséquence, débouter Monsieur [F] [T] [E] de l'intégralité de ses prétentions indemnitaires ;

- condamner Monsieur [F] [T] [E] à lui verser la somme de 2.500 euros au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile ;

- condamner Monsieur [F] [T] [E] aux entiers dépens.

La société MANUFACTURE FRANÇAISE DES PNEUMATIQUES MICHELIN soutient qu'elle a été dispensée d'effectuer une recherche de reclassement au regard de l'avis médical rendu sur l'inaptitude de Monsieur [F] [T] [E], et qu'elle n'a eu d'autre choix que de mettre en oeuvre la procédure de licenciement.

Elle affirme que la procédure de licenciement est régulière et que le médecin du travail l'a incontestablement dispensée de son obligation de reclassement compte tenu de l'état de santé de Monsieur [F] [T] [E]. Elle fait valoir que le salarié ne peut plus remettre en cause la validité l'avis médical du 6 juin 2017 car il ne l'a pas contesté dans les délais légaux. L'avis du 6 juin 2017 est donc définitif. Elle ajoute que le salarié conteste cet avis sans aucun fondement. Elle affirme en outre que l'argumentaire du salarié, qui remet en cause la dispense de recherche de reclassement, est inopérant car la façon dont est rédigé cet avis ne constitue qu'une simple erreur. Ainsi, cet avis dispense bien l'employeur de toute recherche de reclassement. Elle précise qu'elle verse aux débats les précisions apportées par le médecin du travail, qui confirme que le reclassement n'était possible sur aucun emploi dans l'entreprise.

Dès lors, elle conclut qu'elle était bien dispensée de toute recherche de reclassement et que dès lors, le licenciement pour inaptitude non professionnelle avec impossibilité de reclassement est régulier.

Elle ajoute que le salarié a été rempli de ses droits à la date de la rupture du contrat de travail, et soutient qu'elle n'a pas à verser d'indemnité compensatrice de préavis, dès lors que le licenciement était fondé et régulier.

Elle fait valoir ensuite, à titre principal, sur la demande de rappel de salaires du salarié entre l'avis d'inaptitude et la date du licenciement, que le salarié a bien été rempli de ses droits. A titre subsidiaire, si la cour devait faire droit à la demande de Monsieur [F] [T] [E], elle sollicite le remboursement d'une somme de 8748,95 euros au titre du trop-perçu par le salarié.

L'employeur sollicite enfin la condamnation de Monsieur [F] [T] [E] à lui verser une somme de 2500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Pour plus ample relation des faits, de la procédure, des prétentions, moyens et arguments des parties, conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, il y a lieu de se référer à la décision attaquée et aux dernières conclusions régulièrement notifiées et visées.

MOTIFS

- Sur le licenciement -

Lorsque le salarié victime d'une maladie ou d'un accident non professionnel est déclaré inapte par le médecin du travail, en application de l'article L. 4624-4 du code du travail, à reprendre l'emploi qu'il occupait précédemment, l'article L 1226-2 du même code impose à l'employeur de lui proposer un autre emploi approprié à ses capacités, au sein de l'entreprise ou des entreprises du groupe auquel elle appartient le cas échéant, situées sur le territoire national et dont l'organisation, les activités ou le lieu d'exploitation assurent la permutation de tout ou partie du personnel.

Aux termes de l'article L. 1226-2-1 du code du travail, dans sa rédaction applicable au litige, '(...) l'employeur ne peut rompre le contrat de travail que s'il justifie soit de son impossibilité de proposer un emploi dans les conditions prévues à l'article L. 1226-2, soit du refus par le salarié de l'emploi proposé dans ces conditions, soit de la mention expresse dans l'avis du médecin du travail que tout maintien du salarié dans un emploi serait gravement préjudiciable à sa santé ou que l'état de santé du salarié fait obstacle à tout reclassement dans un emploi (...)'.

Il résulte de ces textes que l'inaptitude physique du salarié ne peut justifier son licenciement que si aucun emploi approprié à ses capacités ne peut lui être proposé. L'employeur doit prouver avoir tout mis en oeuvre pour remplir son obligation et démontrer que le reclassement est réellement impossible. L'article L. 1226-10 le dispense toutefois de recherche si l'avis du médecin du travail mentionne expressément que tout maintien du salarié dans un emploi serait gravement préjudiciable à sa santé ou que l'état de santé du salarié fait obstacle à tout reclassement dans un emploi.

En l'espèce, l'avis du médecin du travail, émis le 6 juin 2017, mentionne : ' Inaptitude définitive au poste de travail du fait des contraintes posturales et manipulations suite à l'étude du poste et des conditions de travail. L'état de santé du salarié fait obstacle à tout reclassement dans l'emploi.'.

Il est constant qu'au vu de cet avis, l'employeur n'a procédé à aucune recherche de reclassement.

Le premier juge a relevé que 'l'avis médical ne fait à aucun moment état que le salarié est inapte à tout poste dans l'entreprise' pour estimer que 'la société MICHELIN aurait dû rechercher des solutions de reclassement sur d'autres emplois existants dans l'entreprise'.

Il convient, en effet, de relever que cet avis ne mentionne l'impossibilité de reclassement que 'dans l'emploi' et non dans tout emploi. L'employeur soutient qu'il s'agirait d'une simple erreur de plume de la part du médecin du travail, mais une telle erreur n'est nullement démontrée par les pièces produites alors que la mention de 'l'emploi', qui tend à viser l'emploi occupé précédemment, ne peut être assimilée à celle d''un emploi' qui suggère la référence à une généralité d'emplois. Un salarié peut, en effet, être inapte à un type d'emploi sans l'être nécessairement à tout emploi sauf indication en ce sens du médecin du travail, inexistante en l'espèce. L'article L. 1226-2 du même code oblige d'ailleurs l'employeur, dans le cadre de sa recherche de reclassement, à proposer au salarié 'un autre emploi approprié à ses capacités', lequel doit être 'aussi comparable que possible à l'emploi précédemment occupé'. Même si, en l'espèce, l'avis du médecin du travail, non contesté dans les délais, est définitif, la formulation qui y figure n'était pas de nature à exonérer l'employeur de son obligation de recherche de reclassement.

L'employeur souligne que, par courriel du 6 juin 2017, le médecin du travail a informé la société MICHELIN de ce qu'il avait statué, en ce qui concerne Monsieur [F] [T] [E], 'par une inaptitude définitive à son poste de nettoyage avec impossibilité de reclassement dans l'emploi' en précisant : 'En conséquence cette décision vous relève de l'obligation de recherche de reclassement professionnel suite à inaptitude et, sauf élément contraire, M. [F] [T] devrait faire l'objet d'un licenciement'.

Toutefois, non seulement le médecin du travail confirme là l'impossibilité de reclassement 'dans l'emploi' et non dans tout emploi mais il apparaît qu'il ne fait référence qu'au poste de nettoyage occupé précédemment par le salarié. Le médecin du travail liant expressément l'impossibilité de reclassement à l'inaptitude du salarié à occuper son poste de nettoyage, il ne ressort nullement de ce courriel qu'aucun autre poste au sein de l'entreprise ne pourrait lui être proposé. S'il est admis que les précisions apportées postérieurement à l'avis d'inaptitude par le médecin du travail peuvent concourir à la justification de l'impossibilité de reclassement, ce courriel ne pouvait pas, en l'espèce, dispenser l'employeur de toute recherche de reclassement sans qu'il sollicite du médecin du travail toutes précisions utiles.

L'employeur ne peut valablement laisser entendre que le classement du salarié en invalidité 2ème catégorie corroborerait l'impossibilité de tout reclassement dans un emploi. Nonobstant ce classement, l'employeur ne pouvait être dispensé de recherche de reclassement qu'en présence d'un avis d'inaptitude du médecin du travail avec mention expresse que tout maintien du salarié dans un emploi serait gravement préjudiciable à sa santé ou que l'état de santé du salarié fait obstacle à tout reclassement dans un emploi.

L'employeur qui devait, en matière de reclassement, faire preuve de loyauté, ne pouvait se retrancher derrière un avis du médecin du travail n'excluant pas expresséement toute possibilité de reclassement pour se dispenser de toute recherche. Il ne peut prétendre avoir satisfait à son obligation puisqu'il ne conteste pas n'avoir procédé à aucune recherche ni aucune étude quant à d'éventuels aménagements de poste, adaptation ou mutation.

L'employeur ne saurait se référer utilement au courriel que lui a adressé le médecin du travail le 7 février 2018 par lequel il indique que 'l'état de santé de M. [F] était incompatible avec la moindre possibilité de reclassement dans un emploi de l'entreprise' en précisant : 'Si vous m'aviez proposé la moindre possibilité de reclassement pour lui, j'aurais conclu à l'inaptitude de celui-ci à tenir ce poste'. Ce courriel, postérieur au licenciement, n'est pas de nature à justifier l'absence de toute recherche de reclassement alors que l'employeur devait se référer, pour apprécier l'étendue de son obligation, à l'avis rendu le 6 juin 2017 et, éventuellement au courriel du même jour. Au vu de l'avis tel qu'il a été formulé, il lui appartenait d'identifier un poste pouvant être compatible avec celui-ci et de le soumettre à l'avis du médecin du travail, l'impossibilité de reclassement ne pouvant être constatée qu'après avis du médecin du travail sur la ou les propositions de reclassement formulées par l'employeur.

Dans ces conditions, en l'absence d'une telle recherche et compte tenu de la taille de l'entreprise, rien ne permet de vérifier qu'il n'aurait pas existé un poste disponible pouvant correspondre avec les aptitudes et les compétences de Monsieur [F] [T] [E]. L'impossibilité de reclassement du salarié au sein de l'entreprise n'étant pas démontrée, le licenciement se trouve dépourvu de cause réelle et sérieuse.

Le jugement sera confirmé sur ce point.

S'agissant d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse notifié postérieurement au 24 septembre 2017, l'article L. 1235-3 du code du travail prévoit que si l'une ou l'autre des parties refuse la réintégration, le juge octroie au salarié une indemnité à la charge de l'employeur, dont le montant est compris entre les montants minimaux et maximaux fixés dans un tableau différent selon que l'entreprise emploie habituellement plus de dix ou moins de onze salariés (barème Macron).

Le nouvel article L. 1235-3 du code du travail définit des montants minimaux et maximaux d'indemnité de licenciement calculés en mois de salaire, en fonction de l'ancienneté et du nombre de salariés dans l'entreprise. Ainsi, dans les entreprises d'au moins 11 salariés, l'article L. 1235-3 prévoit que l'indemnité de licenciement varie de 1 à 20 mois de salaire brut suivant l'ancienneté dans l'entreprise, en fixant des montants minimaux et maximaux.

Monsieur [F] [T] [E], né en 1961, a vu son contrat de travail rompu après 38 ans d'ancienneté au service d'une entreprise employant au moins 11 salariés, à l'âge de 56 ans. Il percevait un salaire de 2.251,83 euros brut.

En application de l'article L. 1235-3 du code du travail et au regard de son ancienneté, Monsieur [F] [T] [E] peut prétendre à une indemnité comprise entre 3 et 20 mois de salaire mensuel brut, soit entre 6.755,49 euros et 45.036,60 euros.

Compte tenu des éléments versés aux débats et, notamment, du montant du salaire mensuel brut de l'intéressé tel qu'il résulte des bulletins de salaire produits par l'employeur, de son ancienneté et de son âge au jour de la rupture, le jugement sera confirmé en ce qu'il a alloué à Monsieur [F] [T] [E] la somme de 43 000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice subi.

- Sur l'indemnité compensatrice de préavis -

Le premier juge a octroyé à Monsieur [F] [T] [E] une indemnité compensatrice de préavis sur le fondement de l'article L. 1234-1 du code du travail (égale à deux mois de salaire pour un salarié ayant au moins deux ans d'ancienneté) et de l'article L. 5213-9 du même code prévoyant le doublement de cette indemnité au profit des travailleurs handicapés.

L'employeur conclut à l'infirmation du jugement en se fondant sur les dispositions de l'article L. 1226-4 du code du travail disposant qu'aucun préavis n'est dû en cas d'inaptitude d'origine non professionnelle.

Cependant, si le salarié ne peut en principe prétendre au paiement d'une indemnité compensatrice de préavis qu'il est dans l'impossibilité physique d'exécuter en raison d'une inaptitude à son emploi, cette indemnité est due au salarié dont le licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse en raison du manquement de l'employeur à son obligation de reclassement consécutive à l'inaptitude.

La reconnaissance au profit de Monsieur [F] [T] [E] de la qualité de travailleur handicapé à compter du mois de mars 2015 n'étant par ailleurs pas contestée, le jugement sera confirmé en ce qu'il a condamné l'employeur au paiement de la somme de 6.394,05 euros à ce titre outre l'indemnité compensatrice de congés payés correspondante.

- Sur la demande au titre du rappel de salaire -

Aux termes de l'article L. 1226-4 du code du travail, 'lorsque, à l'issue d'un délai d'un mois à compter de la date de l'examen médical de reprise du travail, le salarié déclaré inapte n'est pas reclassé dans l'entreprise ou s'il n'est pas licencié, l'employeur lui verse, dès l'expiration de ce délai, le salaire correspondant à l'emploi que celui-ci occupait avant la suspension de son contrat de travail'.

En application de ce texte et compte tenu de ce que l'avis d'inaptitude est intervenu le 6 juin 2017, l'employeur devait reprendre le paiement du salaire à compter du 7 juillet 2017 jusqu'à la date du licenciement (30 octobre 2017).

Il est constant que cette reprise de paiement du salaire n'a pas eu lieu mais l'employeur justifie avoir payé à Monsieur [F] [T] [E], en se prévalant du bulletin de salaire de novembre 2018, la somme de 6.602,14 euros brut correspondant au salaire du 7 juillet 2017 au 1er octobre 2017. Par ailleurs, le solde de tout compte du 30 novembre 2017 fait mention du paiement du salaire relatif au mois d'octobre 2017.

Monsieur [F] [T] [E] ayant donc été rempli de ses droits au titre de la reprise du paiement du salaire, le jugement sera infirmé en ce qu'il a fait droit à sa demande à ce titre.

- Sur les allocations de chômage -

Compte tenu que le licenciement sans cause réelle et sérieuse est intervenu dans une entreprise comptant au moins 11 salariés et qu'il a été prononcé à l'encontre d'un salarié ayant plus de deux ans d'ancienneté, le jugement sera confirmé en ce qu'il a condamné l'employeur à rembourser au POLE EMPLOI AUVERGNE, par application des dispositions de l'article L 1235-4 du code du travail, les indemnités de chômage versées à M. [F] pendant six mois.

- Sur les dépens et frais irrépétibles -

Le jugement déféré sera confirmé en ses dispositions sur les dépens et frais irrépétibles de première instance.

La société MANUFACTURE FRANCAISE DES PNEUMATIQUES MICHELIN, qui succombe au principal en son recours, sera condamnée aux entiers dépens d'appel.

PAR CES MOTIFS

La Cour, statuant publiquement, contradictoirement, après en avoir délibéré conformément à la loi,

- Confirme le jugement sauf en ce que la société MANUFACTURE FRANCAISE DES PNEUMATIQUES MICHELIN a été condamnée à payer à Monsieur [D] [F] [T] [E] la somme de 7.715,48 euros à titre de rappel de salaire, outre 771,54 euros au titre des congés payés afférents, et, statuant à nouveau de ce chef, déboute Monsieur [D] [F] [T] [E] de sa demande au titre du rappel de salaire et de l'indemnité compensatrice de congés payés afférente ;

- Condamne la société MANUFACTURE FRANCAISE DES PNEUMATIQUES MICHELIN aux dépens d'appel ;

- Déboute la société MANUFACTURE FRANCAISE DES PNEUMATIQUES MICHELIN de ses demandes plus amples ou contraires.

Ainsi fait et prononcé lesdits jour, mois et an.

Le Greffier, Le Président,

N. BELAROUI C. RUIN


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Riom
Formation : Chambre sociale
Numéro d'arrêt : 20/00375
Date de la décision : 27/09/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-09-27;20.00375 ?
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