COUR D'APPEL
DE RIOM
PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE
Du 20 septembre 2022
N° RG 20/01801 - N° Portalis DBVU-V-B7E-FP7Z
-DA- Arrêt n° 424
[H] [L], S.E.L.A.R.L. SUDRE, S.C.I. DES ROSIERS / Société ELITE INSURANCE COMPANY LIMITED, S.A.R.L. BOUDON BAUBET
Jugement au fond, origine TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP de CLERMONT-FERRAND, décision attaquée en date du 23 Novembre 2020, enregistrée sous le n° 19/04532
Arrêt rendu le MARDI VINGT SEPTEMBRE DEUX MILLE VINGT DEUX
COMPOSITION DE LA COUR lors du délibéré :
M. Philippe VALLEIX, Président
M. Daniel ACQUARONE, Conseiller
Mme Laurence BEDOS, Conseiller
En présence de :
Mme Marlène BERTHET, greffier lors de l'appel des causes et du prononcé
ENTRE :
M. [H] [L]
[Adresse 9]
[Localité 6]
et
S.E.L.A.R.L. SUDRE es qualité de liquidateur de la société REC (Revêtements Electrolytique Clermontois)
[Adresse 1]
[Localité 5]
et
S.C.I. DES ROSIERS
[Adresse 3]
[Localité 7]
tous trois représentés par Maître Christine ROUSSEL-SIMONIN de la SELARL DIAJURIS, avocat au barreau de CLERMONT-FERRAND
Timbre fiscal acquitté
APPELANTS
ET :
Société ELITE INSURANCE COMPANY LIMITED
[Adresse 2]
GIBRALTAR
Représentée par Maître Raphaëlle DAUNAT, avocat au barreau de CLERMONT- FERRAND et par Maître Jean-Baptiste MEYRIER, avocat au barreau de PARIS
Timbre fiscal acquitté
S.A.R.L. BOUDON BAUBET
[Adresse 4]
[Localité 8]
Représentée par Maître Sébastien RAHON, avocat au barreau de CLERMONT- FERRAND et par Maître Jennifer KNAFOU de la SELASU Jean-François SALPHATI, avocat au barreau de PARIS
Timbre fiscal acquitté
INTIMEES
DÉBATS :
L'affaire a été débattue à l'audience publique du 20 juin 2022, en application des dispositions de l'article 786 du code de procédure civile, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant M. VALLEIX et M. ACQUARONE, rapporteurs.
ARRÊT : CONTRADICTOIRE
Prononcé publiquement le 20 septembre 2022 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
Signé par M. VALLEIX, président et par Mme BERTHET, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
FAITS ET PROCÉDURE :
La SARL Revêtements Électrolytiques Clermontois (REC) exploitait une activité industrielle de revêtement électrolytique dans des locaux situés à Aubière, appartenant à la SCI des Rosiers.
La société REC était assurée auprès de la compagnie anglaise Élite Insurance Company Limited suivant contrat du 13 janvier 2014 conclu par l'intermédiaire du courtier la SARL BOUDON BAUBET.
M. [H] [L] était caution solidaire de la SARL REC.
Le 30 janvier 2017 un incendie d'origine criminelle a détruit les locaux de la SARL REC.
Son assureur Elite insurance Company a refusé la prise en charge du sinistre.
Par jugement du 27 avril 2017 le tribunal de commerce de Clermont-Ferrand a placé la SARL REC en liquidation judiciaire, la SELARL SUDRE étant désignée en qualité de liquidateur.
Le 14 avril 2017 le juge des référés du tribunal de grande instance de Clermont-Ferrand a ordonné une expertise judiciaire dont il a confié la mission à M. [O] qui a remis son rapport définitif le 12 juillet 2019.
Par exploits du 21 novembre 2019, la SELARL SUDRE en sa qualité de liquidateur de la SARL REC, la SCI des Rosiers et M. [H] [L], ont assigné au fond devant le tribunal de grande instance de Clermont-Ferrand la compagnie Elite Insurance Company Limited, afin d'obtenir sa condamnation au paiement de la somme totale de 8 453 688,40 EUR, outre 10 000 EUR sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
À l'issue des débats, le tribunal judiciaire de Clermont-Ferrand a rendu la décision suivante le 23 novembre 2020 :
« Le tribunal, statuant par jugement contradictoire, rendu en premier ressort, par mise à disposition au greffe,
DIT n'y avoir lieu à jonction de la présente procédure avec la procédure enrôlée sous le RG 20/2980 ; laquelle a été radiée ;
DIT n'y avoir lieu à la nullité de l'assignation ;
DÉCLARE irrecevable l'action de Monsieur [H] [L] ;
DÉCLARE irrecevable l'action de la SCI les ROSIERS ;
DÉBOUTE LA SELARL SUDRE en qualité de liquidateur de la société REC de toutes ses demandes ;
DEBOUTE la société ELITE INSURANCE COMPANY LIMITED de sa demande reconventionnelle ;
DIT n'y avoir lieu à l'application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile ;
CONDAMNE in solidum la SELARL SUDRE en qualité de liquidateur de la société REC, la SCI des ROSIERS, et Monsieur [H] [L] aux entiers dépens.
DIT n'y avoir lieu à l'exécution provisoire de la présente décision. Le présent jugement a été signé par le Greffier et le Président. »
Dans les motifs de sa décision, après avoir rejeté la nullité de l'assignation, le tribunal judiciaire a d'abord jugé que M. [H] [L] n'avait aucun intérêt à agir et que son action était donc irrecevable. Il a considéré de même que la SCI des Rosiers, n'étant plus propriétaire du bien sinistré lors de l'incendie, n'avait pas non plus intérêt à agir, nonobstant l'existence d'une vente à réméré non suivie d'effet.
Concernant la SARL REC, sur la foi de l'expertise judiciaire, le premier juge a estimé que la garantie de l'assureur Elite insurance Company ne pouvait pas s'appliquer faute pour l'assurée d'avoir satisfait aux conditions imposées par le contrat. Il a écarté également la responsabilité du courtier la SARL BOUDON BAUBET.
***
La SELARL SUDRE, la SCI des Rosiers et M. [H] [L] ont fait appel de ce jugement le 8 décembre 2020 contre la compagnie Elite insurance Company et la SARL BOUDON BAUBET.
L'acte d'appel précise :
« Objet/Portée de l'appel : Appel limité aux chefs de jugement expressément critiqués : 1. Déclare irrecevable l'action de Mr [H] [L], Mr [L] fait grief au Premier Juge de ne pas lui avoir alloué la somme globale de 1 743 792,40 € se décomposant comme suit : - Cautionnement solidaire de la Société REC : 1 589 020,46 € - Perte de revenus : 150 722,00 € 2. Déclare irrecevable l'action de la SCI LES ROSIERS, La SCI LES ROSIERS fait grief au Premier Juge de ne pas lui avoir alloué la somme globale de 1 117 962 € se décomposant comme suit : - Bâtiment : 951 823,00 € - Perte de loyers : 316 128,00 € 3. Débouter la SELARL SUDRE en qualité de liquidateur de la Société REC de toutes ses demandes, La SELARL SUDRE, es qualité de liquidateur de la Société REC fait grief au Premier Juge de ne pas lui avoir alloué la somme globale de 5 591 934 € se décomposant comme suit : - Contenu bâtiment : 5 275 806 €- Perte d'exploitation et frais : 316 128 € Mr [L], la SCI LES ROSIERS et la SELARL SUDRE font également grief au jugement de ne pas leur avoir alloué à chacun la somme de 10 000 €sur le fondement de l'Article 700 du Code de Procédure Civile. 4.Condamner in solidum la SELARL SUDRE en qualité de liquidateur de la Société REC, la SCI DES ROSIERS, et Monsieur [H] [L] aux entiers dépens. »
Dans des conclusions nº 6 ensuite du 15 juin 2022 les appelants demandent à la cour de :
« Infirmer la décision rendue par le Tribunal judiciaire de CLERMONT-FERRAND en date du 23 novembre 2020
Vu l'article L 520-1 du code des assurances,
Vu l'article 1240 du code civil,
Déclarer recevables et bien fondées les demandes formées par la SELARL SUDRE, es qualité de liquidateur de la société REC, la SCI DES ROSIERS, et Monsieur [K] [L].
En conséquence,
À titre principal
Condamner les sociétés ELITE INSURANCE COMPANY et BOUDON BAUBET, in solidum, au paiement des sommes suivantes :
Pour la SELARL SUDRE, es qualité de liquidateur de la société REC : un montant global de 5.591.934 € se décomposant comme suit :
' Contenu bâtiment : 5.275.806,00 €
' Perte d'exploitation et frais : 316.128 €
Pour la SCI DES ROSIERS : un montant global de 1.117.962 € (arrêté au jour du dépôt du rapport d'expertise) se décomposant comme suit :
' Bâtiment : 951.823,00 €
' Perte de loyers : 316.128 € (arrêté au jour du dépôt du rapport d'expertise) = 3.461,23 € par mois.
Pour Monsieur [K] [L] : un montant global de 1.743.792,40 € décomposant comme suit :
' Cautionnements solidaires de la société REC : 1.589.020,46 €
' Perte de revenus : 154.722 € (limitée à 4 ans par l'expert).
Fixer la créance des demanderesses selon les quantums ci-dessus au passif de la procédure collective de la société ELITE INSURANCE COMPAGNY.
À titre subsidiaire
Condamner la SARL BOUDON BAUBET au paiement des sommes suivantes :
Pour la SELARL SUDRE, es qualité de liquidateur de la société REC : un montant global de 5.591.934 € se décomposant comme suit :
' Contenu bâtiment : 5.275.806,00 €
' Perte d'exploitation et frais : 316.128 €
Pour la SCI DES ROSIERS : un montant global de 1.117.962 € (arrêté au jour du dépôt du rapport d'expertise) se décomposant comme suit :
' Bâtiment : 951.823,00 €
' Perte de loyers : 316.128 € (arrêté au jour du dépôt du rapport d'expertise) = 3.461,23 € par mois.
Pour Monsieur [K] [L] : un montant global de 1.743.792,40 € décomposant comme suit :
' Cautionnements solidaires de la société REC : 1.589.020,46 €
' Perte de revenus : 154.722 € (limitée à 4 ans par l'expert).
À titre infiniment subsidiaire
Condamner la SARL BOUDON BAUBET à indemniser les demanderesses au titre de la perte de chance qui ne saurait être inférieure à 90 % des préjudices subis par elle.
En tout état de cause
Condamner les sociétés ELITE INSURANCE COMPANY et BOUDON BAUBET, in solidum, sur le fondement des disposions de l'article 700 du code de procédure civile, à payer et porter à chacun des demandeurs la somme de 15.000,00 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Condamner les mêmes aux entiers dépens qui comprendront les frais d'expertise. »
***
Dans des conclusions nº 3 du 10 mai 2022 la compagnie d'assurances Elite insurance Company Limited demande à la cour de :
« Vu les articles L. 112-1, L. 112-6 et L. 113-1 du Code des assurances, ensemble les articles 1382 du Code civil dans sa rédaction applicable à la cause et 1240 dans sa rédaction actuellement applicable et 31, 32 et 122 du Code de procédure civile,
Vu la jurisprudence citée,
Confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions, sauf en ce qu'il n'a pas fait droit à la demande en dommages-intérêts pour procédure abusive et aux frais irrépétibles d'Elite,
Partant, statuant à nouveau,
condamner les appelants in solidum à la somme de 10.000 euros pour procédure abusive ;
les condamner en outre in solidum à la somme de 75.000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile au titre de l'ensemble des prestations rendues nécessaires depuis l'examen initial du sinistre en janvier 2017 jusqu'à l'issue de la présente instance, ainsi qu'aux entiers dépens de première instance et d'appel, y compris ceux engagés dans le cadre de l'expertise et les frais de signification de l'arrêt à intervenir ;
rejeter toutes les demandes, fins et conclusions plus amples ou contraires des appelants, au besoin en leur opposant une fin de non-recevoir, y compris s'agissant de leur demande en inopposabilité des éléments contractuels, qui s'oppose au principe d'estoppel. »
***
Enfin, dans des écritures nº 7 du 16 juin 2022, la SARL BOUDON BAUBET demande pour sa part à la cour de :
« Vu les articles 1240 et suivants du Code civil (anciennement 1382 et suivants) ;
Vu les articles 1101 et suivants du Code civil ;
Vu les articles 1984 et suivants du Code Civil ;
Vu l'article 32 du CPC Vu le rapport d'expertise ;
Vu les pièces ;
IL EST DEMANDÉ À LA COUR DE :
Confirmer le jugement rendu par le Tribunal Judiciaire de CLERMONT-FERRAND en date du 23 novembre 2020,
Subsidiairement en cas d'infirmation,
- Déclarer la SCI Les Rosiers irrecevable à agir ;
- Déclarer Monsieur [L] irrecevable à agir ;
- Débouter l'ensemble des demandeurs de leurs demandes, fins et prétentions ;
- Condamner chacun des demandeurs à payer à la SARL BOUDON BAUBET la somme de 20.000 €au titre de l'article 700 du CPC ;
- Condamner les demandeurs aux entiers dépens, comprenant les frais et honoraires d'expertise, dont distraction au profit de Maître RAHON. »
***
La cour, pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des demandes et moyens des parties, fait ici expressément référence au jugement entrepris ainsi qu'aux dernières conclusions déposées, étant précisé que le litige se présente céans de la même manière qu'en première instance, sauf concernant la nullité de l'assignation qui n'est plus soutenue devant la cour.
Une ordonnance du 16 juin 2022 clôture la procédure.
MOTIFS :
La question de la nullité de l'assignation, qui était débattue devant le premier juge, n'est plus en discussion devant la cour. En effet, la SARL BOUDON BAUBET sollicite la confirmation du jugement qui a rejeté cette demande en nullité, tandis que la compagnie ÉLITE déclare qu'elle ne développe pas cet argument devant la cour « faute de présenter un avantage procédural décisif », et qu'elle préfère « que l'affaire soit tranchée au fond » (conclusions page 6).
Sur le fond, la SELARL SUDRE, la SCI des Rosiers et M. [L], chacun pour ce qui le concerne et en vertu d'arguments de fait et de droit qui lui sont propres, sollicitent soit la garantie de la compagnie ÉLITE soit sa condamnation à des dommages-intérêts.
Des réclamations indemnitaires sont également formées par les appelantes contre la SARL BOUDON BAUBET au titre de sa responsabilité personnelle.
Il convient donc d'envisager successivement tous ces points litigieux.
1. Sur les demandes initialement formées contre la compagnie ÉLITE par M. [H] [L] en sa qualité de caution
Il résulte de l'extrait Kbis de la SARL REC, versé au dossier par la SARL BOUDON BAUBET, que M. [L] était le gérant de la SARL REC.
Devant le premier juge, la question de l'intérêt à agir de M. [L] était en débat sous l'angle exclusivement de la qualité de caution de celui-ci au bénéfice de la SARL REC (cf. motifs du jugement page 6).
Cependant, outre qu'aucun acte de cautionnement de M. [L] au bénéfice de la SARL REC n'est produit au dossier, il résulte des écritures des appelants, que M. [L] entend solliciter devant la cour une réparation à titre personnel de la part de la compagnie ÉLITE non pas en sa qualité de caution mais au titre d'une responsabilité « délictuelle » en sa qualité de tiers au contrat d'assurance, au motif que la liquidation judiciaire de la SARL REC est en lien direct avec l'incendie « et la tardiveté de la prise de position d'ÉLITE quant à sa garantie » (conclusions page 8).
Devant la cour, la compagnie ÉLITE continue d'argumenter au regard de la qualité de caution de M. [L], faisant cependant observer que cela « reste encore à démontrer » (conclusions page 8), et répond par ailleurs qu'une demande sur le fondement délictuel ne saurait prospérer que si son refus de garantie était jugé fautif, « ce qui n'est absolument pas le cas puisqu'il est au contraire parfaitement justifié » (conclusions page 9).
D'après ses écritures, M. [L] établit donc un lien de causalité entre le défaut de garantie de la compagnie ÉLITE et son propre préjudice. Dans ces conditions, il n'y a plus lieu de s'intéresser à la qualité de caution de M. [L], au demeurant non démontrée, mais d'examiner si la compagnie ÉLITE était ou non fondée à refuser sa garantie à la SARL REC à la suite du sinistre dont celle-ci a été victime le 20 janvier 2017.
Cette question sera donc examinée ci-après (3) au regard des demandes spécifiques de la SARL REC qui sont exactement les mêmes, puisqu'elle soutient que la compagnie ÉLITE aurait dû lui accorder sa pleine et entière garantie au titre de l'incendie.
2. Sur les demandes formées contre la compagnie ÉLITE par la SCI des Rosiers en sa qualité de propriétaire du bâtiment sinistré
La situation de la SCI des Rosiers est assez particulière puisque le 11 décembre 2014 elle a vendu l'immeuble en question à la SAS SOLIDIMMO avec faculté de rachat (clause de réméré), moyennant le prix de 446'200 EUR.
Cet acte de vente est produit au dossier par la compagnie ÉLITE. La clause de « réserve de la faculté de rachat », page 5, précise que le vendeur (la SARL REC) se réserve expressément pendant un délai de 36 mois « à compter de ce jour, c'est-à-dire jusqu'au 6 décembre 2017 », sauf prorogation accordée par l'acquéreur (la SAS SOLIDIMMO), la faculté de rachat prévue aux articles 1659 et suivants du code civil, la durée totale de cette faculté ne pouvant excéder 60 mois. Il est précisé que si le délai est écoulé il n'est pas possible de le proroger, mais que tant qu'il court les parties peuvent décider sa prorogation d'un commun accord dans la limite de cinq années.
Il résulte de tout ceci que lors du sinistre le 20 janvier 2017 la SCI des Rosiers n'était plus propriétaire du bien qu'elle avait cédé à la SAS SOLIDIMMO le 11 décembre 2014.
Dans les pièces de son dossier, la SCI des Rosiers produit une lettre RAR datée du 17 octobre 2017 que son gérant M. [L] a adressée à la société SOLIDIMMO justifiant, selon ses écritures (page 9), de son intention d'exercer sa faculté de rachat.
Or l'examen de cette lettre, dont on ne sait d'ailleurs si elle a été délivrée puisqu'aucun accusé de réception ne l'accompagne, ne démontre nullement une volonté de rachat, ce d'autant moins que M. [L] propose à la société SOLIDIMMO de lui verser 40'000 EUR, alors que d'après l'acte de vente du 11 décembre 2014 la faculté de réméré doit être accompagnée du versement ou de la consignation de la somme nécessaire, et suivie de l'établissement d'un acte authentique constatant sa mise en oeuvre.
Rien de tout ceci ne figure dans le dossier. Cette simple lettre ne peut donc en aucun cas être considérée comme valant exercice de la faculté de réméré en application de l'acte de vente du 11 décembre 2014 et on ignore si l'acquéreur y a répondu favorablement. D'ailleurs, dans un dire à l'expert judiciaire le conseil des appelants expliquait encore le 12 décembre 2018, que la SCI des Rosiers « entend exercer sa faculté de rachat », et disait que des pourparlers étaient en cours à ce sujet avec la société SOLIDIMMO. D'évidence à ce moment-là, faute de démontrer de manière formelle une volonté commune de prolongation de la faculté de réméré, la possibilité de mettre en oeuvre le rachat était largement écoulée au regard des dispositions contractuelles fixant la date butoir au 6 décembre 2017, moyennant quoi la SCI des Rosiers doit être considérée comme n'étant plus propriétaire du bien à la date de l'incendie le 20 janvier 2017 et par conséquent dépourvue de tout intérêt à agir dans la présente procédure.
3. Sur les demandes formées contre la compagnie ÉLITE par la SARL REC en sa qualité d'assurée et par M. [H] [L] à titre personnel sur le fondement quasi délictuel
Il s'agit ici du premier aspect du fond du litige, le second étant constitué par les demandes dirigées contre la SARL BOUDON BAUBET.
La compagnie ÉLITE refuse sa garantie à son assurée la SARL REC, au motif essentiellement que celle-ci n'a pas respecté les conditions contractuelles lui imposant de mettre en oeuvre des mesures de prévention spécifiques étant donné le risque assuré s'agissant d'un établissement industriel utilisant des produits chimiques.
Dans la mesure où de son côté M. [L] reproche à la compagnie ÉLITE, sur le fondement quasi délictuel, d'avoir commis une faute en refusant sa garantie à la SARL REC, ce qui par ricochet lui cause des dommages personnels, l'examen des conditions d'application de la police d'assurance litigieuse intéresse à la fois les demandes de la SARL REC et de M. [L], chacun pour ce qui le concerne.
Ceci étant posé, il résulte du dossier les éléments suivants.
Au soutien de leur défense contre le refus de garantie qui leur est opposé par la compagnie ÉLITE, M. [L] et la société REC lui reprochent « le manquement de preuve de la remise des annexes du contrat d'assurance » (conclusions page 11).
L'article R. 112- du 3 code des assurances dispose que Le souscripteur atteste par écrit de la date de remise des documents mentionnés au deuxième alinéa de l'article L. 112-2 [un exemplaire du projet de contrat et de ses pièces annexes ou une notice d'information sur le contrat] et de leur bonne réception.
En premier lieu M. [L] avait approuvé et signé en sa qualité de gérant de la SARL REC un devis proposé par l'assureur le 15 novembre 2013, c'est-à-dire deux mois avant la signature du contrat définitif le 13 janvier 2014. Sous la foi de sa signature précédée de la mention « Lu et approuvé », M. [L] certifie avoir reçu un exemplaire des conditions générales et de ses annexes, notamment l'annexe « moyens de prévention et de protection ».
Le contrat qui a été souscrit ensuite le 13 janvier 2014 est constitué par un document intitulé « dispositions personnelles multirisque professionnelle » établi à en-tête de la société « Millennium Insurance », exposant précisément les conditions particulières de l'assurance. En caractères imprimés à la fin de ce document il est écrit que le souscripteur reconnaît avoir reçu un exemplaire des Dispositions Générales ; de l'annexe « Moyens de prévention et de protection » ; de l'annexe « Entreprise industrie » ; de l'annexe « Prévention incendie » ; de l'annexe 1 « les clauses applicables au contrat » ; et de la fiche d'information et de conseil en application du code des assurances. Ce contrat est signé « lu et approuvé » par M. [L] sur le cachet de la société REC. Ainsi le souscripteur reconnaît une nouvelle fois, après l'avoir déjà fait lors de la signature du devis, que toutes les pièces contractuelles ainsi que les annexes lui ont bien été remises par l'assureur.
La SARL REC et M. [L] soutiennent néanmoins que toutes les annexes auxquelles se réfère le contrat n'étaient pas jointes à celui-ci. Ils font état d'un courrier électronique adressé par la SARL BOUDON BAUBET à « BUREAU COMPTABLE » « Mme [J] » le 30 janvier 2014 (pièce 18 SARL BOUDON BAUBET).
Contrairement à ce que plaide la compagnie ÉLITE, il ne s'agit pas d'une demande nouvelle et irrecevable au titre du principe de l'estoppel, mais d'un fondement juridique différent soutenant les mêmes prétentions que celles soumises au premier juge, moyennant quoi cet argument est parfaitement recevable en application de l'article 565 du code de procédure civile.
Le courrier électronique du 30 janvier 2014 dont les appelants tirent argument, est adressé par M. [V] BOUDON à Mme [J], comptable de la SARL REC, « suite à notre entretien », pour communication de l'annexe précisant les moyens de protection et de prévention. Mais dans la mesure où le message se termine par ces mots : « Dans l'attente du nouveau descriptif alarme. Cordialement », il s'en déduit que la question de l'alarme avait été débattue entre la SARL BOUDON BAUBET et le bureau comptable de la SARL REC, moyennant quoi l'annexe contenant les dispositions nécessaires était de nouveau adressée à l'entreprise afin qu'elle prenne les dispositions nécessaires.
D'aucune manière en tout cas ce courrier électronique n'est de nature à permettre de contester la remise à l'assuré des pièces annexes listées à la fin des conditions particulières du contrat, dès le devis du 15 novembre 2013 et lors de sa conclusion définitive le 13 janvier 2014, alors que M. [L] déclarait au bas de ces documents, sous la foi de sa signature et du cachet de l'entreprise, les avoirs intégralement reçues. Aucune disposition par ailleurs n'impose que les annexes soient signées par l'assuré.
Le moyen tiré de ce chef par les appelants ne peut donc pas prospérer contre la compagnie ÉLITE, et il convient d'examiner les conditions d'application du contrat d'assurance.
S'agissant de l'assurance d'un bien industriel utilisant des produits dangereux, le devis et les dispositions particulières du contrat mentionnent que « le souscripteur déclare que les moyens de protection sont conformes aux niveaux I - II - III - VIII suivant annexe jointe » étant précisé de manière très lisible en capitales et caractères gras : « faute pour l'assuré de se conformer à la totalité des obligations et conditions contractuelles citées ci-dessus, il sera entièrement déchu de tous les droits à l'indemnité prévue par ce contrat ».
Contrairement à ce que plaident les appelants, ne s'agit pas ici d'une clause d'exclusion de garantie, mais bien d'une condition de la garantie qui entraîne la déchéance du droit aux indemnités si elle n'est pas remplie.
La compagnie ÉLITE verse à son dossier les annexes « Moyens de prévention et de protection » et « Prévention incendie ». Dans la première sont indiqués les niveaux I à VIII auxquels il est fait référence dans les dispositions particulières du contrat. Le niveau II prévoit que les locaux sont surveillés par un système d'alarme anti-intrusion composé d'un matériel certifié. Le niveau III exige que chaque porte soit équipée d'au moins deux points de condamnation, certaines devant être renforcées par une protection complémentaire rendant leur ouverture impossible de l'extérieur en dehors des heures d'exploitation. Le niveau VIII prévoit que tous les circuits électriques des lieux assurés sont contrôlés chaque année par un vérificateur qualifié et que tous les moyens de secours sont maintenu en bon état de fonctionnement permanent et contrôlés également chaque année par une société spécialisée. Ces trois niveaux sont obligatoires en vertu des dispositions particulières du contrat ci-dessus rappelées. En outre, le système d'alarme doit être activé lorsque le les locaux sont fermés à la clientèle. L'annexe « Prévention incendie » prévoit en particulier la vérification périodique des installations électriques par un vérificateur agréé.
Comme on l'a vu ci-dessus, tous ces éléments ont été portés à la connaissance de M. [L] en sa qualité de gérant de la SARL REC lors de la signature du devis le 15 novembre 2013, puis lors de la souscription du contrat le 13 janvier 2014.
L'expert judiciaire M. [T] [O] avait spécialement reçu mission de déterminer si la SARL REC s'était conformée aux stipulations contractuelles imposées par l'assurance qu'elle avait souscrite auprès de la compagnie ÉLITE.
Or M. [O], précisant que les lieux sinistrés ont été conservés en l'état, a relevé de nombreuses non-conformités sur les ouvrants et les installations électriques du bâtiment : une des portes donnant sur l'extérieur comporte une seule serrure et les tableaux électriques du bureau et de l'atelier ne sont pas conformes. Ces éléments non contestables suffisent à déchoir la SARL REC de toute garantie contractuelle au regard de l'assurance qu'elle avait souscrite auprès de la compagnie ÉLITE. En conséquence, M. [L] ne peut pas reprocher à l'assureur d'avoir commis à son égard une faute quasi délictuelle en refusant de prendre en charge le sinistre, moyennant quoi ses propres demandes contre la compagnie ÉLITE sont également vouées à l'échec.
4. Sur les demandes formées par les trois appelants ensemble contre la SARL BOUDON BAUBET
Il convient de rappeler que les demandes de la SCI des Rosiers ont été ci-dessus déclarées irrecevables faute d'intérêt à agir, n'étant plus propriétaire du bien en cause lors du sinistre.
Il n'est pas contesté et résulte des pièces du dossier que depuis l'année 2007 jusqu'au 1er janvier 2014 la SARL REC était assurée auprès de la compagnie GÉNÉRALI qui a résilié son contrat suivant courrier du 30 octobre 2013.
La SARL BOUDON BAUBET est le courtier par l'intermédiaire duquel la SARL REC a souscrit un contrat d'assurance auprès de la compagnie ÉLITE (cf. conclusions SARL BOUDON BAUBET page 3).
M. [L] et la SARL REC lui reprochent de ne pas les avoir suffisamment bien conseillés lorsque la compagnie GÉNÉRALI a résilié son contrat, et de leur avoir proposé un nouveau contrat avec la compagnie ÉLITE, inadapté à leurs besoins et inefficace, manquant ainsi à ses obligations de conseil et de bonne foi. Concernant le préjudice subi, ils lui reprochent finalement la liquidation judiciaire de la SARL REC, entraînée par le défaut de garantie de l'assureur, alors que cette situation aurait pu être évitée si la compagnie d'assurances avait été mieux choisie par le courtier et si celui-ci avait parfaitement rempli ses obligations en prodiguant des conseils plus avisés.
Sans conteste au vu des conclusions des appelants contre la SARL BOUDON BAUBET, il apparaît que le lien de causalité entre les fautes qui sont reprochées à celle-ci et la liquidation judiciaire de la SARL REC est pour le moins distendu. On constate en effet dans le dossier que la SARL REC avait été placée sous le régime du redressement judiciaire suivant jugement rendu par le tribunal de commerce de Clermont-Ferrand le 3 février 2012, soit presque cinq années avant le sinistre du 20 janvier 2017, ce qui témoigne d'une situation quelque peu difficile déjà à cette époque.
Quoi qu'il en soit, il a été jugé ci-dessus que la déchéance de garantie qui a été valablement opposée par la compagnie ÉLITE à la SARL REC découlait du non-respect par celle-ci des conditions de sécurité imposées par le contrat eu égard à la nature particulière du risque assuré s'agissant d'un établissement industriel utilisant des produits chimiques dangereux. Il n'est par ailleurs nullement démontré que concernant un tel risque une autre compagnie aurait proposé des conditions moins contraignantes ou plus avantageuses.
En conséquence, la seule faute qui pourrait le cas échéant être reprochée au courtier ne consisterait que dans un défaut d'information majeur ayant conduit l'assuré de bonne foi à ne pas respecter sans s'en rendre compte les conditions de sécurité imposées par le contrat sous peine de déchéance de garantie. Une telle situation est difficilement imaginable dans ce dossier où il a été démontré que M. [L] avait parfaitement reçu lors de la conclusion du contrat tous les éléments nécessaires à une bonne compréhension de celui-ci ; et quoi qu'il en soit pareille faute n'est manifestement pas établie à charge de la SARL BOUDON BAUBET. Au contraire, il convient de rappeler que répondant au cabinet comptable de la SARL REC, elle lui a adressé spécialement, quelques jours après la conclusion du contrat, une copie de l'annexe précisant les moyens de protection et de prévention, « dans l'attente du nouveau descriptif alarme », ce qui témoigne de l'attention que le courtier portait à cette question, et à tout le moins de sa diligence auprès de l'assurée.
Par ailleurs, on ne peut reprocher au courtier, qui nonobstant ses compétences multiples n'est pas un expert en matière de bâtiments industriels, un défaut de conseil au regard des lieux assurés qu'il ne lui appartenait pas d'examiner dans les moindres détails. En réalité, les griefs adressés par les appelants au courtier tracent en creux le principe d'une immixtion de celui-ci dans les affaires de l'entreprise, ce qui n'est guère concevable.
Quant au choix de la compagnie ÉLITE, rien ne démontre dans le dossier qu'il n'était pas pertinent.
Au total, le lien de causalité discutable et la carence dans la démonstration d'une faute de la SARL BOUDON BAUBET, sont autant d'éléments qui conduisent au rejet des demandes contre celle-ci.
5. Sur la demande en dommages et intérêts pour procédure abusive présentée par la compagnie ÉLITE
L'appel constitue l'exercice légitime d'une voie de droit qui dans le contexte de ce dossier ne peut pas être considéré comme abusif.
6. Sur l'article 700 du code de procédure civile
En application de ce texte, l'équité commande que les appelants in solidum paient à la ÉLITE d'une part et à la SARL BOUDON BAUBET d'autre part la somme de 3500 EUR à chacune.
7. Sur les dépens
Les dépens d'appel seront supportés in solidum par les appelants.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement et par arrêt contradictoire,
Confirme le jugement, par substitution partielle des motifs ;
Condamne in solidum les appelants à payer sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile la somme de 3500 EUR à la compagnie ÉLITE INSURANCE COMPANY LIMITED représentée par ses administrateurs, et la somme de 3500 EUR à la SARL BOUDON BAUBET ;
Déboute les parties de leurs autres demandes ;
Condamne in solidum les appelants aux dépens d'appel.
Le greffier Le président