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05/07/2022 | FRANCE | N°19/01522

France | France, Cour d'appel de Riom, 1ère chambre, 05 juillet 2022, 19/01522


COUR D'APPEL

DE RIOM

PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE







Du 05 juillet 2022

N° RG 19/01522 - N° Portalis DBVU-V-B7D-FII5

-PV- Arrêt n° 352



[P] [D], [R] [T] / [G] [J], [Y] [F]



Jugement au fond, origine Tribunal paritaire des baux ruraux du PUY-EN-VELAY, décision attaquée en date du 24 Juin 2019, enregistrée sous le n° 51-18-000007



Arrêt rendu le MARDI CINQ JUILLET DEUX MILLE VINGT DEUX



COMPOSITION DE LA COUR lors des débats et du délibéré :

M. Philippe VALLEIX, Prés

ident

M. Daniel ACQUARONE, Conseiller

Mme Laurence BEDOS, Conseiller



En présence de :

Mme Céline DHOME, greffier lors de l'appel des causes et du prononcé



...

COUR D'APPEL

DE RIOM

PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE

Du 05 juillet 2022

N° RG 19/01522 - N° Portalis DBVU-V-B7D-FII5

-PV- Arrêt n° 352

[P] [D], [R] [T] / [G] [J], [Y] [F]

Jugement au fond, origine Tribunal paritaire des baux ruraux du PUY-EN-VELAY, décision attaquée en date du 24 Juin 2019, enregistrée sous le n° 51-18-000007

Arrêt rendu le MARDI CINQ JUILLET DEUX MILLE VINGT DEUX

COMPOSITION DE LA COUR lors des débats et du délibéré :

M. Philippe VALLEIX, Président

M. Daniel ACQUARONE, Conseiller

Mme Laurence BEDOS, Conseiller

En présence de :

Mme Céline DHOME, greffier lors de l'appel des causes et du prononcé

ENTRE :

M. [P] [D]

USSEL

[Localité 5]

et

M. [R] [T]

[Adresse 7]

[Localité 6]

tous deux assistés de Maître Marc PETITJEAN, avocat au barreau d'AURILLAC

APPELANTS

ET :

Mme [G] [J]

[Adresse 9]

[Adresse 9]

[Localité 4]

et

Mme [Y] [F]

[Adresse 1]

Taulhac

[Localité 4]

toutes deux assistées de Maître Isabelle MABRUT de la SELARL KAEPPELIN- MABRUT, avocat au barreau de HAUTE-LOIRE

INTIMEES

DÉBATS : A l'audience publique du 23 mai 2022

ARRÊT : CONTRADICTOIRE

Prononcé publiquement le 05 juillet 2022 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile ;

Signé par M. VALLEIX, président et par Mme DHOME, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSÉ DU LITIGE :

Propriétaires de deux parcelles rurales cadastrées section A numéros [Cadastre 2] et [Cadastre 3], d'une superficie respective de 1 ha 00 a 25 ca à usage de bois et de 2 ha 77 a 90 ca à usage de terre et situées au [Localité 8] sur le territoire de la commune de Costaros (Haute-Loire), Mme [G] [J] (au titre de l'usufruit) et Mme [Y] [F] (au titre de la nue-propriété) ont saisi le 21 mars 2018 le tribunal paritaire des baux ruraux du Puy-en-Velay aux fins de résiliation d'un bail rural précédemment consenti (visiblement de manière verbale) sur au moins la parcelle A-[Cadastre 3] à M. [O] [T], aux droits desquels se trouve actuellement M. [P] [D] depuis au moins le 15 mai 2009, pour défaut d'exploitation et de paiement d'un certain nombre de fermages. Se prévalant d'un échange avec M. [P] [D] concernant la parcelle A-[Cadastre 3], M. [R] [T] a lui-même introduit le 11 juin 2018 une requête à l'encontre de Mme [G] [J] et Mme [Y] [F] afin de faire valider cet échange, ces deux procédures ayant fait l'objet d'une jonction.

C'est dans ces conditions que, suivant un jugement n° RG/51-18000007 rendu le 24 juin 2019, le tribunal paritaire des pots ruraux du Puy-en-Velay a :

- jugé que l'échange envisagé entre M. [P] [D] et M. [R] [T] au sujet des parcelles A-[Cadastre 2] et A-[Cadastre 3] était illicite, en application des dispositions de l'article L.411-39 du code rural et de la pêche maritime, et débouté en conséquence M. [P] [D] et M. [R] [T] de leur demande tendant à valider cet échange ;

- débouté M. [R] [T] de sa demande de dommages-intérêts formée en allégation de préjudice d'exploitation à hauteur de 3.000 € à l'encontre solidairement de Mme [G] [J] et Mme [Y] [F] ;

- prononcé la résiliation du bail rural liant Mme [G] [J] au titre de son usufruit et M. [P] [D] en qualité de fermier, portant sur les parcelles susmentionnées A-[Cadastre 2] et A-[Cadastre 3] ;

- ordonné en conséquence l'expulsion de M. [P] [D] des lieux précédemment loués à compter de la date de notification, ou à défaut de signification, de la décision ;

- condamné M. [P] [D] à payer au profit de Mme [G] [J] la somme de 830 € au titre des fermages échus les 25 mars 2016 et 25 mars 2017, avec intérêts légaux à compter du 8 décembre 2017 ;

- dit n'y avoir lieu à statuer sur les demandes en paiement des surplus de fermages et des indemnités d'occupation ;

- condamné M. [P] [D] et M. [R] [T] à payer chacun à Mme [G] [J] et Mme [Y] [F] une indemnité de 750 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- ordonné l'exécution provisoire de la décision ;

- mis les dépens de l'instance à part égale à la charge de M. [P] [D] et de M. [R] [T].

Par courrier daté du 10 juillet 2019, reçue au greffe le 22 juillet 2019, le conseil de M. [P] [D] et M. [R] [T] a interjeté appel de cette décision.

' Par dernières conclusions d'appelant notifiées par le RPVA le 13 mai 2020, M. [P] [D] et M. [R] [T] ont demandé de :

' réformer le jugement du 24 juin 2019 du tribunal paritaire des baux ruraux du Puy-en-Velay ;

' juger régulier l'échange réalisé par M. [P] [D] au profit de M. [R] [T] sur la parcelle A-[Cadastre 3] en application des dispositions de l'article L.411-39 du rural et de la pêche maritime ;

' ordonner à Mme [G] [J] et Mme [Y] [F] de laisser cette parcelle A-[Cadastre 3] libre d'exploitation pour M. [R] [T] dans les 48 heures de la décision à intervenir, sous astreinte de 500 € par jour de retard et par infraction ;

' condamner in solidum Mme [G] [J] et Mme [Y] [F] à payer au profit de M. [R] [T], ou à défaut de M. [P] [D], la somme de 7.800 € en réparation de ses pertes financières d'exploitation entre juin 2017 et la date de la décision à intervenir (en 2020) ;

' débouter Mme [G] [J] et Mme [Y] [F] de leurs demandes en paiement de fermages pour les années 2017, 2018, 2019 et 2020 ainsi que de leur demande d'interdiction d'exploiter à l'encontre de M. [R] [T] et M. [P] [D] ;

' rejeter la demande de résiliation de bail rural formée par Mme [G] [J] et Mme [Y] [F] en allégation de défaut de paiement comme en allégation de mauvaise exploitation ;

' au visa de l'article 6.1 de la Convention européenne des droits de l'homme, annuler le constat d'huissier de justice ayant été effectué le 8 janvier 2018 ;

' condamner in solidum Mme [G] [J] et Mme [Y] [F] à payer au profit de M. [R] [T] et M. [P] [D] :

* à chacun, la somme de 5.000 € à titre de dommages-intérêts en allégation de procédure abusive ;

* ensemble, une indemnité de 8.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

' condamner Mme [G] [J] et Mme [Y] [F] aux entiers dépens de l'instance.

' Par dernières conclusions d'intimé et d'appel incident notifiées par le RPVA le 6 avril 2021, Mme [G] [J] et Mme [Y] [F] ont demandé de :

' au visa des articles L.144-31, L.411-39 et L.411-53 du code rural et de la pêche maritime ;

' confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a prononcé la résiliation du bail liant M. [P] [D] à Mme [G] [J] et Mme [Y] [F] ;

' confirmer en conséquence l'expulsion de M. [P] [D] à la date de notification de l'arrêt à intervenir sous astreinte, à l'encontre de ce dernier ou de toute personne se substituant à lui, de 500 € par jour de retard à compter de l'arrêt à intervenir ;

' réformer le jugement entrepris en ce qui concerne le montant des fermages dus par M. [P] [D] et condamner ce dernier :

* au règlement de la somme de 1.245 € au titre des fermages échus jusqu'en mars 2018, outre le fermage pour la période du 25 mars 2018 jusqu'au prononcé de l'arrêt à intervenir, au prorata ;

* en cas de besoin, au paiement d'une indemnité d'occupation pour la période allant de la notification de l'arrêt à intervenir à la libération des lieux ;

' confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a jugé que l'échange évoqué par M. [P] [D] et M. [R] [T] était illicite ;

' confirmer en conséquence ce même jugement en ce qu'il a débouté M. [P] [D] et M. [R] [T] de leur demande visant à valider cet échange et à réclamer des dommages-intérêts ;

' condamner M. [P] [D] et M. [R] [T] à leur payer une indemnité de 5.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

' condamner M. [P] [D] et M. [R] [T] aux entiers dépens de première instance et d'appel devant comprendre le coût du constat d'huissier de justice susmentionné.

Mme [G] [J] est décédée en cours de procédure le 24 juin 2021, Mme [Y] [F] devenant dès lors pleinement propriétaire des deux parcelles litigieuses.

Par application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, les moyens développés par chacune des parties à l'appui de leurs prétentions respectives sont directement énoncés dans la partie MOTIFS DE LA DÉCISION.

Après évocation de cette affaire et clôture des débats lors de l'audience civile collégiale du 23 mai 2022 à 14h00, au cours de laquelle chacun des conseils des parties a réitéré ses précédentes écritures. La décision suivante a été mise en délibéré au 5 juillet 2022, par mise à disposition au greffe.

MOTIFS DE LA DÉCISION :

Il sera rappelé, à titre liminaire, qu'en application des dispositions de l'article 954 dernier alinéa du code de procédure civile « La cour ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif [des conclusions d'appel] (') », de sorte que les demandes tendant à « Constater que' », « dire et juger' » ou « Donner acte' » figurant dans tout dispositif de conclusions de procédure d'appel renvoient aux moyens et arguments développés dans le corps de ces mêmes conclusions.

Dans une demande qui aurait dû être préalable et se situer dans leurs conclusions en amont de toute discussion de fond, s'agissant d'une demande d'annulation de pièce, M. [D] et M. [T] ne précisent pas en quoi le constat d'huissier de justice du 8 janvier 2018 produit par Mme [F] serait contraire à l'article 6.1 de la Convention européenne des droits de l'homme pour n'avoir pas fait l'objet d'une autorisation judiciaire préalable par ordonnance. Leur demande d'annulation de cet acte extrajudiciaire produit à des fins probatoires sera en conséquence rejetée.

L'article L.411-39 du code rural et de la pêche maritime dispose que :

« Pendant la durée du bail, le preneur peut effectuer les échanges ou locations de parcelles qui ont pour conséquence d'assurer une meilleure exploitation.

Les échanges ne peuvent porter que sur la jouissance et peuvent s'exercer sur tout ou partie de la surface du fonds loué. La commission consultative départementale des baux ruraux fixe et l'autorité administrative du département publie par arrêté, pour chaque région agricole, la part de surface de fonds loué susceptible d'être échangée. Cette part peut varier en fonction de la structure des exploitations mises en valeur par le preneur. Pour les fonds mentionnés à l'article 17-1 du code rural, elle ne peut être inférieure à la moitié de la surface totale du fonds loué.

Les échanges mentionnés au présent article ne peuvent porter sur la totalité du bien loué que si sa surface n'excède pas le cinquième du seuil mentionné à l'article L. 312-1, compte tenu de la nature des cultures.

Le preneur les notifie au propriétaire par lettre recommandée avec demande d'avis de réception.

Le propriétaire qui entend s'y opposer doit saisir le tribunal paritaire dans un délai de deux mois à compter de la réception de l'avis du preneur. A défaut, il est réputé avoir accepté l'opération.

Le titulaire du bail conserve son droit de préemption sur les parcelles qui ont fait l'objet d'un échange en jouissance au titre du présent article. »

En application des dispositions législatives qui précèdent, M. [T] se prévaut d'un droit d'usage et d'exploitation sur la totalité de la parcelle A-[Cadastre 3] au titre d'un échange convenu avec M. [D], produisant à cet effet la copie d'une lettre présentée comme étant recommandée avec demande d'avis de réception, dépourvue de date et d'indication de destinataire (ces deux dernières mentions étant peut-être recouvertes par l'apposition de la carte d'identité de M [D] sur ce document photocopié). Ce courrier est rédigé par M. [D] dans les termes suivants : « Je soussigné Mr [D] [P] Agriculteur à [Localité 10]. Je vous informe que j'envisage de faire des échanges de terrains avec Mr [R] [T] agriculteur à costaros. C est parcelles étant plus près de nos exploitations. / Celui-ci exploiterais vos parcelles. Si cela vous pose un problème veuillez me le faire savoir. Veuillez accepter, Monsieur Madame mes sincères salutation / [signature : illisible] ». Aucun justificatif d'avis de réception n'accompagne cette copie de courrier, M. [T] et M. [D] faisant manuscritement état à ce sujet de la référence LR 1A135 128 20'998 et indiquant que cet avis de réception aurait été signé par Mme [J] le 30 mars 2017.

Il est certes établi que M. [D] n'a pas pleinement respecté le formalisme spécifiquement prévu à l'article L.411-39 du code rural en matière d'échange de parcelles dépendant d'un bail rural, celui-ci ne produisant aucun justificatif d'avis de réception de la lettre susmentionnée alors que la seule référence manuscrite LR 1A135 128 20'998 demeure insuffisante pour en tenir lieu. Par ailleurs, ni la mention du bail ni la durée de l'échange ni les références cadastrales des parcelles ou de la parcelle concernées par cette déclaration d'échange ne sont effectivement précisées dans ce courrier. Il est pour autant indéniable que Mme [J] et Mme [F] ne pouvaient raisonnablement ignorer de quel bail il s'agissait ou se méprendre sur la teneur de ce courrier, Mme [J] ayant refusé et retourné le chèque de paiement de fermage qui l'accompagnait par un courrier du 28 mars 2017, complété par un courrier du 30 mars 2017 de refus catégorique de tout échange. Cette notification écrite d'intention d'échange de parcelles a donc parfaitement atteint son objectif d'information vis-à-vis du bailleur.

Par ailleurs, il s'avère en cause d'appel que c'est en définitive de manière erronée que le premier juge a adopté comme motivation de rejet au sujet de cette demande de reconnaissance d'échange de parcelles le fait que ce courrier viserait de manière explicite, par l'emploi du pluriel, l'ensemble des deux parcelles A-[Cadastre 2] et A-[Cadastre 3] alors que l'article L.411-39 du code rural prévoit spécifiquement, lorsque la volonté d'échange porte sur la totalité du bien loué, que la surface échangée ne doit pas excéder le cinquième du seuil mentionné à l'article L. 312-1 du code rural, compte tenu de la nature des cultures. Le premier juge a ainsi constaté, après avoir rappelé que ce seuil dénommé Surface minimale d'installation (FMI) est de 18 hectares dans le département de la Haute-Loire, soit 3,6 hectares à concurrence du cinquième de ce seuil, que la totalité des deux parcelles litigieuses de 1 ha 00 a 25 ca et de 2 ha 77 a 90 ca est de 3 ha 78 a 15 ca, supérieure donc à 3,6 hectares. Ce motif dirimant d'illicéité pour dépassement de seuil réglementaire a entraîné sans plus de discussion le rejet de la demande de validation de cet échange de parcelles. Ainsi que le font observer les appelants, c'est en réalité au Schéma directeur régional des exploitations agricoles que renvoie l'article L.312-1 du code rural, dont il est prévu pour le département de la Haute-Loire un seuil de 50 hectares, soit un cinquième de 10 hectares que ne dépasse ni la parcelle A-[Cadastre 3] ni le cumul des deux parcelles A-[Cadastre 3] et A-[Cadastre 2].

Toujours est-il que M. [D] et M. [T] objectent à juste titre qu'il n'est en réalité fait mention dans ce courrier de notification d'échange que de deux parties distinctes de la parcelle A-[Cadastre 3] et non d'une parcelle autre que la parcelle A-[Cadastre 3]. En effet, la requête initiale du 8 juin 2018 de M. [T] aux fins de saisine du tribunal paritaire des baux ruraux du Puy-en-Velay (avant jonction) ne fait référence qu'à la parcelle A-[Cadastre 3] à usage de terre à pâture et est totalement taisante sur la parcelle A-[Cadastre 2] à usage de bois. Par ailleurs, à supposer que cette parcelle A-[Cadastre 3] à usage de terre fasse l'objet d'un bail rural commun avec la parcelle A-[Cadastre 2] à usage de bois vis-à-vis de M. [D], il n'en demeure pas moins que la subdivision cadastrale et fiscale dont fait l'objet la parcelle A-[Cadastre 3] à parts égales (1 ha 38 a 95 ca en J1 + 1 ha 38 a 95 ca en K2 = 2 ha 77 a 90 ca) ne procède pas d'un simple artifice administratif qui ne se traduirait par aucune dissociation particulière en deux sous-ensembles de parcelle sur le terrain. En effet, force est de constater que Mme [F] ratifie elle-même par une forme d'aveu judiciaire cette configuration de la parcelle A-[Cadastre 3] en deux sous-ensembles distincts pouvant sur le terrain être chacun considéré comme une parcelle distincte dès lors qu'elle écrit dans ses conclusions Qu'« Il s'agit effectivement, comme l'indiquent les appelants dans leurs écritures, de deux parcelles mais faisant l'objet toutes deux du numéro [Cadastre 3], divisé en J et K pour une surface totale de 2ha 77a 90ca en nature de terre. ».

Enfin, l'article L.411-39 du code rural n'impose pas à peine de nullité de faire figurer dans ce type de lettre de notification d'échange foncier destiné au propriétaire la reproduction de ce même texte de loi, la référence à l'arrêté préfectoral fixant les seuils de superficie pour les restructurations culturales de ce type dans le département ou la mention de la faculté pour le bailleur de s'y opposer dans les deux mois par la saisine du Tribunal paritaire des baux ruraux. Il n'apparaît donc ni anormal ni illicite que ce courrier de M. [D] ne contienne pas les mentions qui précèdent, sauf à imposer en la matière des sujétions que la loi ne prévoit pas.

Il y a lieu dès lors de considérer que dans son courrier précité de notification d'échange de parcelles, l'emploi du pluriel par M. [D] ne fait référence qu'aux deux sous-ensembles de cette même parcelle A-[Cadastre 3], eux-mêmes tenus sur le terrain pour des parcelles distinctes par Mme [F], et non aux deux parcelles A-[Cadastre 3] et A-[Cadastre 2]. Ceci amène donc à constater que la superficie en jeu de 2 ha 77 a 90 ca n'excède pas le seuil légal précité de 3,6 hectares et à infirmer le jugement de première en ce qu'il a débouté M. [D] et M. [T] de leur demande commune aux fins de validation de cet échange foncier.

Cet échange portant sur la parcelle A-[Cadastre 3] doit être considéré comme étant effectif à compter du 25 mars 2017, date d'exigibilité du fermage de l'année 2016.

Par voie de conséquence l'acte d'échange portant sur la parcelle A-[Cadastre 3] étant valable et Mme [J] ayant jusqu'à son décès survenu le 24 juin 2021, d'une part systématiquement refusé les fermages de M. [T] au titre de cette parcelle et d'autre part catégoriquement refusé à ce dernier l'accès à cette même parcelle, les allégations de défaut de paiement de fermages ainsi que de défaut d'exploitation de cette parcelle A-[Cadastre 3] seront purement et simplement rejetées. De son côté, M. [D] n'était lui-même pas tenu de payer les fermages de la parcelle A-[Cadastre 3] à compter de l'échange formalisé en mars 2017 et d'assurer l'exploitation et l'entretien de cette même parcelle dès lors que l'échange litigieux de parcelle s'avère en définitive régulier et qu'il avait reçu en contrepartie le soin d'entretenir et d'exploiter d'autres parcelles louées. Mme [F] ne conteste pas en tout cas les allégations de M. [D] et M. [T] suivant lesquelles sans attendre une décision judiciaire, la parcelle A-[Cadastre 3] a été récupérée de fait par la partie bailleresse à compter du 7 juin 2017. Dans ces conditions, le jugement de première instance sera infirmé en ce qu'il a prononcé la résiliation du bail portant sur la parcelle A-[Cadastre 3] et ordonné l'expulsion de M. [D] de cette parcelle.

Par ailleurs, pour des motifs apparaissant nouveaux en cause d'appel, il apparaît en définitive tout à fait douteux que le bail rural litigieux ait aussi porté sur la parcelle A-[Cadastre 2] à usage de bois. En effet, M. [D] conteste que cette parcelle ait fait partie de ce bail tandis que M. [T] conteste qu'elle ait fait partie de cet échange. De son côté, Mme [F] ne débat aucunement de cette parcelle A-[Cadastre 2] dans ses conclusions d'intimé, que ce soit en allégation de défaut de paiement d'un fermage de cette parcelle A-[Cadastre 2] au titre d'un différentiel après distraction de la parcelle A-[Cadastre 3] du fait de cette notification d'échange ou en allégation d'un défaut d'exploitation portant spécifiquement sur cette parcelle A-[Cadastre 2]. Le jugement de première instance sera en conséquence également infirmé en ce qu'il a prononcé la résiliation du bail portant sur la parcelle A-[Cadastre 2] et ordonné l'expulsion de M. [D] de cette parcelle.

Pour les mêmes motifs contenus dans les deux paragraphes qui précèdent, Mme [J] et Mme [F] seront déboutées de leur demande additionnelle aux fins d'injonction sous astreinte de 500 € par jour de retard à M. [D] ou à toute autre personne se substituant à lui de quitter les lieux susmentionnés à compter de la notification de l'arrêt à intervenir ainsi que de condamnation au paiement d'une indemnité d'occupation.

M. [T] ayant été privé, en dépit d'un échange régulier et normalement opposable au bailleur, de l'usage et de la jouissance de cette parcelle A-[Cadastre 3] depuis le 25 mars 2017, aucune régularisation ni paiement de loyer ne peuvent intervenir avant la date du 5 juillet 2022 de prononcé de la présente décision reconnaissant la validité de cet échange. Le jugement de première instance sera en conséquence infirmé en ce qu'il a condamné M. [D] à payer au profit de Mme [J] la somme de 830 € avec intérêts légaux à compter du 8 décembre 2017 au titre des fermages échus les 25 mars 2016 et 2017 tandis que Mme Mme [F] sera déboutée de ses demandes formées aux fins de condamnation de M. [D] à lui payer la somme de 1245 € au titre des fermages échus jusqu'en mars 2018 outre le fermage pour la période du 25 mars 2018 jusqu'au prononcé de l'arrêt à intervenir au prorata.

Chacune des parties s'inscrivant dans une démarche présumée de bonne foi quant à l'aplanissement de ce différend par la voie judiciaire, il n'y a pas lieu de considérer que Mme Mme [F] fera désormais obstacle à la prise de possession par M. [T] de la parcelle litigieuse A-[Cadastre 3] au titre de l'échange de parcelles dont la régularité était jusque-là judiciairement contestée. La demande de ce dernier aux fins de condamnation sous astreinte de 500 € par jour et par infraction de Mme [F] à lui laisser le libre accès à cette parcelle dans les 48 heures de la décision à intervenir sera en conséquence rejetée.

M. [T] réclame la condamnation de Mme [F] à lui payer les conséquences dommageables de ses pertes financières du fait de l'impossibilité d'exploiter la parcelle litigieuse pendant quatre ans, ce poste de préjudice étant calculé dans les conditions suivantes : sur la base d'une marge brute minimum de 700 €/ha pendant 4 ans, soit (700 €/ha x 2,7790 ha x 4 ans), soit la somme totale de 7.781,20 € arrondie à 7.800 €. Il fait également valoir un préjudice distinct de destruction d'herbage qui ne s'intègre pas dans le calcul qui précède. Ce second poste de préjudice sera donc purement et simplement rejeté.

Concernant les pertes financières alléguées à hauteur de la somme précitée de 7.800 €, M. [T] produit une attestation du 14 mai 2020 de son expert-comptable, M. [N] [A], attestant de chiffres de marge brute par hectare pour son exploitation agricole à hauteur respectivement de 746,33 €/ha pour l'exercice du 1er mai 2016 au 30 avril 2017, de 579,97 €/ha pour l'exercice du 1er mai 2017 au 30 avril 2018 et de 838,07 € pour l'exercice du 1er mai 2018 au 30 avril 2019, soit une moyenne de 721,45 €/ha supérieure à la perte de marge brute qu'il réclame sur la base de 700,00 €/ha.

Pour autant, M. [T] fait valoir ce poste de préjudice économique au titre des saisons culturales de 2017 à 2020 solidairement à l'encontre de Mme [J] et de Mme [F] alors que Mme [J] est décédée depuis le 24 juin 2021 et que les agissements personnels d'entrave à l'exploitation de cette parcelle échangée, par volonté d'interdiction d'accès, ne peuvent être imputés à Mme [F] qui n'en avait alors que la nue-propriété au cours de cette période. Ce poste de demande sera en conséquence déclaré irrecevable en ce qui concerne Mme [J] et sera rejeté en ce qui concerne en ce qui concerne Mme [F]. Eu égard à cette complète substitution de motifs au titre respectivement de la recevabilité concernant Mme [J] et de l'imputabilité concernant Mme [F], le jugement de première instance sera entièrement infirmé sur ce point.

Il convient de rappeler que la bonne foi procédurale des parties est toujours présumée et qu'il appartient en conséquence à la partie alléguant un abus de procédure ou une résistance abusive de la part de la partie adverse d'apporter la preuve de cette mauvaise foi. En effet, l'exercice d'une action en justice, de même que la défense à une telle action, constitue par principe un droit ne pouvant le cas échéant dégénérer en abus, et ne devant dans cette situation donner lieu à réparation par l'allocation de dommages-intérêts, que dans les cas de malice ou de mauvaise foi s'objectivant en premier lieu par une erreur grossière équipollente au dol.

En l'occurrence, en l'absence d'erreurs grossières de fait ou de droit, il y a lieu de considérer au terme des débats que les parties appelantes n'apportent pas la preuve, qui leur incombe, que la partie intimée se soit opposée à elles et ait préféré en définitive un arbitrage judiciaire à ce différend en étant animée d'une intention relevant de la mauvaise foi ou de la malice.

Le jugement de première instance sera en conséquence confirmé en ce qu'il a rejeté le poste de demande de dommages-intérêts formé distinctement à hauteur de 3.000 €, rehaussée à 5.000 € en cause d'appel, en allégation de préjudice moral.

Par voie de conséquence, le jugement de première instance sera infirmé en ce qu'il a condamné M. [D] et M. [T] au paiement d'une indemnité de 750 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile au profit respectivement de Mme [J] et de Mme [F] et en ce qu'il les a condamnés pour moitié chacun au paiement des dépens de première instance.

Il serait effectivement inéquitable, au sens des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, de laisser à la charge de M. [D] et M. [T] les frais irrépétibles qu'ils ont été contraints d'engager à l'occasion de cette instance et qu'il convient d'arbitrer à la somme de 3.500 €, en tenant compte des frais et dépens de première instance et d'appel, à la charge de Mme [F].

Enfin, succombant à l'instance, Mme [F] sera purement et simplement déboutée de sa demande de défraiement formée au visa de l'article 700 du code de procédure civile et en supportera les entiers dépens, tant en première instance qu'en cause d'appel. Par voie de conséquence, elle conservera donc également à sa charge les frais engagés à l'occasion du constat d'huissier de justice précité du 8 janvier 2018.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement et contradictoirement,

CONSTATE le décès de Mme [G] [J], survenu en cours de procédure le 24 juin 2021.

REJETTE la demande formée par M. [P] [D] et M. [R] [T] aux fins d'annulation du constat d'huissier de justice du 8 janvier 2018 produit par Mme [Y] [F].

INFIRME le jugement n° RG/51-18000007 rendu le 24 juin 2019 par le tribunal paritaire des pots ruraux du Puy-en-Velay, dans l'instance opposant Mme [G] [J] et Mme [Y] [F] à M. [P] [D] et M. [R] [T], en ce qu'il a :

- DÉCLARÉ illicite l'échange intervenu au visa de l'article L.411-39 du code rural et de la pêche maritime entre M. [P] [D] et M. [R] [T] sur les parcelles rurales cadastrées section A numéros [Cadastre 2] et [Cadastre 3], d'une superficie respective de 1 ha 00 a 25 ca à usage de bois et de 2 ha 77 a 90 ca à usage de terre et situées au [Localité 8] sur le territoire de la commune de [Localité 6] (Haute-Loire) ;

- DÉBOUTÉ M. [P] [D] et M. [R] [T] de leur demande tendant à valider cet échange ;

- REJETÉ la demande de dommages-intérêts formée par M. [R] [T] à l'encontre de Mme [G] [J] et Mme [Y] [F] en allégation de pertes d'exploitation.

- PRONONCÉ la résiliation du bail rural liant Mme [G] [J] et M. [P] [D], portant sur les parcelles susmentionnées cadastrées section A numéros [Cadastre 2] et [Cadastre 3], et ORDONNÉ en conséquence l'expulsion de M. [P] [D] des lieux susmentionnés ;

- CONDAMNÉ condamné M. [P] [D] à payer au profit de Mme [G] [J] la somme de 830 € avec intérêts légaux à compter du 8 décembre 2017 au titre des fermages échus les 25 mars 2016 et 2017 ;

- CONDAMNÉ M. [P] [D] et M. [R] [T] au paiement d'une indemnité de 750 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile au profit respectivement de Mme [G] [J] et de Mme [Y] [F].

- CONDAMNÉ M. [P] [D] et M. [R] [T] pour moitié chacun au paiement des dépens de première instance.

CONFIRME ce même jugement en ce qu'il a rejeté la demande de dommages-intérêts formée par M. [P] [D] et M. [R] [T] à l'encontre de Mme [G] [J] et Mme [Y] [F] en allégation de préjudice moral.

Statuant à nouveau.

DÉCLARE licite l'échange intervenu au visa de l'article L.411-39 du code rural et de la pêche maritime entre M. [P] [D] et M. [R] [T] sur la parcelle rurale cadastrée section A numéro [Cadastre 3], d'une superficie de 2 ha 77 a 90 ca à usage de terre et située au [Localité 8] sur le territoire de la commune de [Localité 6] (Haute-Loire) ;

JUGE en conséquence régulier l'échange susmentionné.

CONSTATE que ni cet échange de parcelles ni le bail rural susmentionné ne portent sur la parcelle rurale cadastrée section A numéros [Cadastre 2] d'une superficie de 1 ha 00 a 25 ca à usage de bois et située au [Localité 8] sur le territoire de la commune de [Localité 6] (Haute-Loire).

DÉBOUTE Mme [Y] [F] de ses demandes formées aux fins de condamnation de M. [P] [D] à lui payer la somme de 1245 € au titre des fermages échus jusqu'en mars 2018 outre le fermage pour la période du 25 mars 2018 jusqu'au prononcé de l'arrêt à intervenir au prorata.

DÉBOUTE Mme [Y] [F] de sa demande aux fins d'injonction sous astreinte à M. [P] [D] ou à toute autre personne se substituant à lui de quitter les lieux susmentionnés à compter de la notification de l'arrêt à intervenir ainsi que de condamnation au paiement d'une indemnité d'occupation.

DÉBOUTE M. [R] [T] de sa demande de condamnation sous astreinte de Mme [Y] [F] à lui laisser libre accès à la parcelle cadastrée section A numéro [Cadastre 3].

DÉCLARE IRRECEVABLE la demande de dommages-intérêts formée par M. [R] [T] à l'encontre de Mme [G] [J] en allégation de préjudice de pertes d'exploitation, eu égard au décès de cette dernière.

DÉBOUTE M. [R] [T] de sa demande de dommages-intérêts formée à l'encontre de Mme [Y] [F] en allégation de pertes d'exploitation, faute d'imputabilité.

CONDAMNE Mme [Y] [F] à payer au profit de M. [P] [D] et M. [R] [T] une indemnité de 3.500 € en dédommagement de leurs frais irrépétibles prévus à l'article 700 du code de procédure civile.

REJETTE le surplus des demandes des parties.

CONDAMNE Mme [Y] [F] aux entiers dépens de première instance et d'appel.

Le greffier Le président


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Riom
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 19/01522
Date de la décision : 05/07/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-07-05;19.01522 ?
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