COUR D'APPEL
DE RIOM
PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE
Du 28 juin 2022
N° RG 21/00196 - N° Portalis DBVU-V-B7F-FQ5K
-LB- Arrêt n°
[M] [I] / S.E.L.A.R.L. MJ DE L'ALLIER Es qualité de liquidateur de la SCI RAYKEN
Jugement Au fond, origine Tribunal de proximité de VICHY, décision attaquée en date du 15 Décembre 2020, enregistrée sous le n° 19-000280
Arrêt rendu le MARDI VINGT HUIT JUIN DEUX MILLE VINGT DEUX
COMPOSITION DE LA COUR lors du délibéré :
M. Philippe VALLEIX, Président
M. Daniel ACQUARONE, Conseiller
Mme Laurence BEDOS, Conseiller
En présence de :
Mme Marlène BERTHET, greffier lors de l'appel des causes et du prononcé
ENTRE :
Mme [M] [I] (bénéficiaire d'une aide juridictionnelle Totale numéro 2021/001131 du 19/05/2021 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de CLERMONT-FD)
[Adresse 5]
[Localité 2]
Représentée par Me Emmanuelle PRESLE de la SELARL CAP AVOCATS, avocat au barreau de CUSSET/VICHY
APPELANTE
ET :
S.E.L.A.R.L. MJ DE L'ALLIER Es qualité de liquidateur de la SCI RAYKEN
[Adresse 4]
[Localité 1]
Représentée par Me Fabien PURSEIGLE de la SELARL ABSIDE AVOCATS, avocat au barreau de CUSSET/VICHY
Timbre fiscal acquitté
INTIMEE
DÉBATS :
L'affaire a été débattue à l'audience publique du 19 mai 2022, en application des dispositions de l'article 786 du code de procédure civile, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Mme BEDOS, rapporteur.
ARRÊT : CONTRADICTOIRE
Prononcé publiquement le 28 juin 2022 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
Signé par M. VALLEIX, président et par Mme BERTHET, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
EXPOSÉ DES FAITS, DE LA PROCÉDURE, ET DES PRÉTENTIONS DES PARTIES
Par jugement en date du 18 avril 2017, confirmé par arrêt de la cour d'appel de Riom du 4 octobre 2017, le tribunal de grande instance de Cusset a prononcé la conversion en liquidation judiciaire de la procédure de redressement judiciaire ouverte à l'égard de la SCI Rayken et désigné maître [H] [J] en qualité de liquidateur judiciaire.
Par acte d'huissier délivré le 6 juin 2019, la SELARL MJ de l'Allier, venant aux droits de son représentant légal, maître [H] [J], a, dans le cadre des opérations de réalisation des éléments d'actif de la société, fait assigner devant le tribunal d'instance de Vichy Mme [M] [I] pour qu'il soit jugé que celle-ci est occupante sans droit ni titre d'une maison située commune de [Adresse 5] sur un terrain cadastré section B n° [Cadastre 3], appartenant à la SCI Rayken.
Par jugement du 15 décembre 2020, le juge des contentieux de la protection du tribunal de proximité de Vichy a statué en ces termes :
-Déclare irrecevable la demande de sursis à statuer de Mme [M] [I] ;
-Déclare recevable l'action engagée par la SELARL MJ de l'Allier ès qualités de liquidateur judiciaire de la SCI Rayken ;
-Constate que Mme [M] [I] occupe sans droit ni titre le logement appartenant à la SCI Rayken sis à [Adresse 5] ;
-Ordonne à Mme [M] [I] de libérer le logement sis à [Adresse 5] dans le mois suivant la signification de la décision ;
-Ordonne faute de départ volontaire, l'expulsion de Mme [M] [I] ainsi que de tout occupant de son chef, du logement sis à [Adresse 5] (') ;
-Condamne Mme [M] [I] à payer à la SELARL MJ de l'Allier, ès qualités de liquidateur de la SCI Rayken une indemnité mensuelle d'occupation à compter du 6 juin 2019 et jusqu'à la date de la libération effective et définitive des lieux ;
-Fixe le montant de l'indemnité mensuelle d'occupation à la somme de 850 euros ;
-Déboute la SELARL MJ de l'Allier, ès qualités de liquidateur de la SCI Rayken, de sa demande de capitalisation des intérêts ;
-Condamne Mme [M] [I] à payer à la SELARL MJ de l'Allier, ès qualités , la somme de 1000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
-Condamne Mme [M] [I] aux entiers dépens qui seront recouvrés comme il est prescrit en matière d'aide juridictionnelle ;
-Ordonne l'exécution provisoire ;
-Déboute les parties de leurs demandes plus amples ou contraires.
Mme [M] Rayken a relevé appel de cette décision par déclaration électronique du 26 janvier 2021.
La clôture de l'instruction a été prononcée par ordonnance du 10 mars 2022.
Vu les conclusions en date du 26 avril 2021 aux termes desquelles Mme [M] [I] demande à la cour de :
-Réformer le jugement rendu par le tribunal de proximité de Vichy le 15 décembre 2020 en ce qu'il :
-a constaté qu'elle occupe sans droit ni titre le logement appartenant à la SCI Rayken sis à [Adresse 5] ;
-lui a ordonné de libérer le logement ;
-a prononcé son expulsion faute de départ volontaire ;
-l'a condamnée à payer à la SELARL MJ de l'Allier, ès qualités, une indemnité mensuelle d'occupation de 850 euros à compter du 6 juin 2019 et jusqu'à la date de libération effective et définitive des lieux, 1000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et les dépens ;
En conséquence,
-Constater l'existence d'un bail en bonne et due forme et dire que l'occupation de la maison est légale ;
-Constater l'existence de quittances de loyers et confirmer la réalité des règlements ;
-Débouter la SELARL MJ de l'Allier de toutes ses demandes contraires ;
-Condamner la SELARL MJ de l'Allier à lui payer une somme de 2000 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile ;
-Condamner la SELARL MJ de l'Allier dépens.
Vu les conclusions en date du 31 mai 2021 aux termes desquelles la SELARL MJ de l'Allier, ès qualités de liquidateur de la SCI Rayken demande à la cour de :
À titre principal,
-Confirmer le jugement sauf sur le montant de l'indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile de première instance ;
À titre subsidiaire,
-Condamner Mme [I] à lui payer, ès qualités de liquidateur de la SCI Rayken la somme de 31'850 euros au titre des loyers versés à tort à M. [N] [X], cette somme étant à parfaire ;
En tout état de cause,
-Condamner Mme [M] [I] à lui payer, ès qualités, la somme de 2000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile au titre de la première instance ;
-Condamner Mme [M] [I] à lui payer, ès qualités, la somme de 3000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile au titre de la procédure d'appel ;
-Condamner Mme [M] [I] aux entiers dépens, dont distraction au profit de la SELARL Abside Avocats, en application de l'article 699 du code de procédure civile.
En application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé aux conclusions susvisées pour l'exposé complet des prétentions respectives des parties et de leurs moyens.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Il sera rappelé, à titre liminaire, qu'en application des dispositions de l'article 954 du code de procédure civile « la cour ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif » et que les demandes de « constater que... » ou de « dire et juger que...», ne sont pas, hors les cas prévus par la loi, des prétentions, au sens des articles 4, 5, 31 et 954 du code de procédure civile, mais des moyens ou arguments au soutien des véritables prétentions.
-Sur la portée de l'appel :
Si Mme [I] a relevé appel des chefs du jugement ayant déclaré irrecevable sa demande de sursis à statuer et recevable l'action engagée par la SELARL MJ de l'Allier ès qualités de liquidateur judiciaire de la SCI Rayken, il n'est émis aucune observation devant la cour sur ces points, qui seront dès lors confirmés.
-Sur l'existence d'un bail et les demandes subséquentes :
Il ressort des éléments du dossier qu'au moment de l'établissement du procès-verbal descriptif réalisé par huissier dans le cadre de l'inventaire des éléments d'actifs de la société en liquidation, il est apparu que la maison appartenant à la SCI Rayken était occupée par Mme [I].
Celle-ci, sommée par interpellation délivrée par huissier le 1er mars 2019 de justifier de l'existence d'un bail, a transmis seulement au cours de la procédure de première instance un contrat de location signé à la date du 12 août 2013 et des quittances de loyer. M. [X], gérant de la SCI, a quant à lui été particulièrement fuyant vis-à-vis des demandes d'explications du liquidateur.
La SELARL MJ de l'Allier, soulignant que M. [X], gérant de la SCI, est le compagnon de Mme [I], soutient qu'il est manifeste que le contrat de bail, tardivement communiqué, est un contrat de complaisance destiné à entraver les opérations d'évaluation de l'actif de la SCI Rayken. Le premier juge a retenu cette argumentation en relevant que :
-les quittances de loyer produites étaient, de manière inhabituelle, établies au trimestre ;
- le tampon de la SCI Rayken mentionnait l'adresse du bien loué, pourtant différente de celle du siège social ;
- le montant du loyer paraissait sans rapport avec le niveau de prestations du bien loué ;
-il n'était justifié ni du versement effectif des loyers, ni de l'existence d'une assurance habitation ou d'abonnements énergétiques au nom de Mme [M] [I].
Toutefois, ces arguments contextuels, qui permettent seulement de bâtir une hypothèse, sont insuffisants pour contrer les éléments de preuve écrits que Mme [M] [I] verse aux débats, étant précisé encore que les suites données à la plainte déposée par le liquidateur le 19 décembre 2019 auprès du parquet pour faux et usage de faux et détournement d'éléments d'actifs sont inconnues. Il est en effet produit un contrat de bail concernant la maison en litige signé par les deux parties, prévoyant un loyer mensuel de 650 euros, charges comprises, dont l'électricité, ainsi que l'état des lieux d'entrée dûment complété et de nombreuses quittances de loyer.
Mme [I] communique en outre devant la cour une attestation de loyers destinée à la caisse d'allocations familiales (CAF) établie à son nom par la SCI Rayken le 25 février 2014 pour la location du bien concerné, attestation qui porte le tampon de la CAF en date du 3 mars 2014. Elle produit encore un courrier de la CAF en date du 2 décembre 2013, qui est bien adressé au [Adresse 5], lui notifiant la modification de ses droits en raison de son récent déménagement, ainsi que le justificatif de perception de l'allocation logement à partir du mois de février 2014.
Il apparaît ainsi que, contrairement à ce qu'a retenu le premier juge, les éléments produits permettent à Mme [I] de rapporter la preuve de l'existence du bail contesté et que ceux-ci ne sont suffisamment contredits ni par les affirmations du liquidateur relatives à l'existence d'une fraude, ni par ses observations quant à certaines incongruités de la relation contractuelle.
Le jugement sera en conséquence infirmé en ses dispositions relatives à l'occupation du logement par Mme [I] sans droit ni titre et aux conséquences de cette situation.
-Sur la demande subsidiaire en paiement des loyers :
Il sera rappelé qu'en application du principe de dessaisissement résultant des dispositions de l'article L. 641-9 du code de commerce, le débiteur placé en liquidation judiciaire, à compter du jugement d'ouverture et jusqu'à la clôture de la liquidation judiciaire, est dessaisi de l'administration et de la disposition de ses biens et représenté par le liquidateur.
La règle du dessaisissement, qui est d'ordre public, concerne tous les biens saisissables et tous les actes que pourrait accomplir le débiteur, notamment l'acte de recevoir un paiement. Les actes accomplis au mépris de cette règle étant inopposables au liquidateur, celui-ci peut recevoir un second règlement nonobstant le paiement fait au débiteur dessaisi, peu important la bonne foi du tiers contractant.
En l'espèce, Mme [I] soutient qu'en vertu du contrat de bail dont elle bénéficie, elle a toujours payé ses loyers entre les mains de M. [X], gérant de la SCI Rayken. Ainsi que le fait valoir la SELARL MJ de l'Allier, les paiements ainsi réalisés lui sont inopposables de sorte qu'elle est fondée à réclamer à Mme [I] le montant des loyers dus depuis le 18 avril 2017, soit la somme de 31'850 euros (650 euros x 49 mois).
La demande en paiement, sur laquelle l'appelante ne formule au demeurant aucune observation, sera en conséquence accueillie.
- Sur les dépens et les frais irrépétibles :
Les dispositions du jugement relatives aux dépens et à l'application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile seront confirmées.
Mme [I] sera également condamnée aux dépens d'appel ainsi qu'à payer à la SELARL MJ de l'Allier la somme de 3000 euros au titre des frais irrépétibles exposés en cause d'appel et qu'il serait inéquitable de laisser à sa charge.
PAR CES MOTIFS
LA COUR,
Statuant publiquement et contradictoirement, et dans les limites de l'appel,
Confirme le jugement en ce qu'il a :
-Déclaré irrecevable la demande de sursis à statuer de Mme [M] [I] ;
-Déclaré recevable l'action engagée par la SELARL MJ de l'Allier ès qualités de liquidateur judiciaire de la SCI Rayken ;
- Condamné Mme [I] aux dépens d'appel ainsi qu'à payer à la SELARL MJ de l'Allier la somme de 1000 euros au titre des frais irrépétibles exposés en première instance ;
Infirme le jugement pour le surplus et statuant à nouveau sur les points infirmés,
-Déboute la SELARL MJ de l'Allier de sa demande tendant à la reconnaissance d'une occupation sans droit ni titre par Mme [M] [I] du logement appartenant à la SCI Rayken et situé commune de [Adresse 5] sur un terrain cadastré section B n° [Cadastre 3] ;
-Déboute la SELARL MJ de l'Allier de sa demande tendant à l'expulsion de la locataire et de sa demande de fixation d'une indemnité d'occupation ;
Ajoutant au jugement,
-Condamne Mme [M] [I] à payer à la SELARL MJ de l'Allier la somme de 31'850 euros au titre des loyers dus en vertu du contrat de bail signé entre elle-même et la SCI Rayken le 12 août 2013 concernant le logement situé [Adresse 5] sur un terrain cadastré section B n° [Cadastre 3] ;
-Condamne Mme [M] [I] à payer à la SELARL MJ de l'Allier la somme de 3000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
-Condamne Mme [M] [I] aux dépens d'appel, cette condamnation étant assortie au profit de la SELARL Abside Avocats du droit de recouvrer directement contre la partie condamnée ceux des dépens dont elle a fait l'avance sans avoir reçu provision, en application de l'article 699 du code de procédure civile.
Le greffier Le président