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07/06/2022 | FRANCE | N°19/02372

France | France, Cour d'appel de Riom, Chambre sociale, 07 juin 2022, 19/02372


07 JUIN 2022



Arrêt n°

ChR/NB/NS



Dossier N° RG 19/02372 - N° Portalis DBVU-V-B7D-FKZ3



[W] [O]



/



SAS DESAMAIS

Arrêt rendu ce SEPT JUIN DEUX MILLE VINGT DEUX par la QUATRIEME CHAMBRE CIVILE (SOCIALE) de la Cour d'Appel de RIOM, composée lors des débats et du délibéré de :



M. Christophe RUIN, Président



Mme Claude VICARD, Conseiller



Mme Karine VALLEE, Conseiller



En présence de Mme Nadia BELAROUI greffier lors des débats et du prononcé<

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ENTRE :



M. [W] [O]

[Adresse 3]

[Localité 2]

Représenté par Me Patrice TACHON de la SCP LARDANS TACHON MICALLEF, avocat au barreau de MOULINS



APPELANT



ET :



SAS DESA...

07 JUIN 2022

Arrêt n°

ChR/NB/NS

Dossier N° RG 19/02372 - N° Portalis DBVU-V-B7D-FKZ3

[W] [O]

/

SAS DESAMAIS

Arrêt rendu ce SEPT JUIN DEUX MILLE VINGT DEUX par la QUATRIEME CHAMBRE CIVILE (SOCIALE) de la Cour d'Appel de RIOM, composée lors des débats et du délibéré de :

M. Christophe RUIN, Président

Mme Claude VICARD, Conseiller

Mme Karine VALLEE, Conseiller

En présence de Mme Nadia BELAROUI greffier lors des débats et du prononcé

ENTRE :

M. [W] [O]

[Adresse 3]

[Localité 2]

Représenté par Me Patrice TACHON de la SCP LARDANS TACHON MICALLEF, avocat au barreau de MOULINS

APPELANT

ET :

SAS DESAMAIS prise en la personne de son représentant légal domicilié es qualité audit siège

[Adresse 4]

[Localité 1]

Représentée par Me Sébastien RAHON, avocat au barreau de CLERMONT-FERRAND, avocat constitué, substitué par Me Philippe LECOURT de la SELAS FIDAL, avocat au barreau d'AUBE, avocat plaidant

INTIMEE

Monsieur RUIN, Président et Mme VICARD, Conseiller après avoir entendu, Mme RUIN, Président en son rapport, à l'audience publique du 04 avril 2022, tenue par ces deux magistrats, sans qu'ils ne s'y soient opposés, les représentants des parties en leurs explications, en ont rendu compte à la Cour dans son délibéré après avoir informé les parties que l'arrêt serait prononcé, ce jour, par mise à disposition au greffe conformément aux dispositions de l'article 450 du code de procédure civile.

FAITS ET PROCÉDURE

Monsieur [W] [O], né le 6 janvier 1966, a été embauché le 21 avril 1987 la SAS DESAMAIS, en qualité de magasinier réceptionniste, selon contrat de travail à durée indéterminée, à temps complet.

Le 1er juillet 2018, Monsieur [W] [O] est passé en horaires de nuit.

Par courrier daté du 18 septembre 2018, Monsieur [W] [O] a été convoqué à un entretien préalable fixé au 5 octobre 2018, en vue d'une éventuelle sanction pouvant aller jusqu'au licenciement, auquel il ne s'est pas rendu.

Monsieur [O] a été licencié pour faute grave par lettre recommandée avec accusé de réception en date du 10 octobre 2018.

Le courrier de notification du licenciement est ainsi libellé :

' ... Nous souhaitions aborder avec vous les faits graves suivants :

Vous vous êtes présenté à votre poste de travail le 27 août 2018 en ayant un comportement qui nous a paru anormal. [W] [C], Directeur logistique, vous a alors reçu en présence de votre manager, [L] [V] et de [K] [E], représentant de la délégation unique du personnel de notre société.

Lors de cet entretien, nous vous avons demandé des explications. Vous avez reconnu avoir consommé de l'alcool mais avez refusé de souffler dans l'éthylotest que nous avons dans nos locaux. Ne pouvant vous maintenir à votre poste a la suite de cet aveu, nous avons contacté votre épouse afin qu'elle puisse venir vous chercher.

Nous vous rappelons que, comme cela est stipulé dans l'article II «Hygiène et sécurité'' de notre règlement intérieur, la consommation d'alcool est strictement interdite : 'Il est interdit de pénétrer ou de séjourner en état d'ivresse dans l'entreprise (..). En raison de l'obligation faite au chef d'entreprise d'assurer la sécurité dans son entreprise des salariés, la Direction ou le responsable hiérarchique pourra demander au salarié concerné de se soumettre à un test d'alcoolémie '.

L 'utilisation de chariots automoteurs et appareils de levage, intrinsèque à votre poste de travail de magasinier réceptionniste, est soumise à l'obtention d'un CACES. Conformément a la réglementation en vigueur, la conduite sous l'emprise d'alcool est strictement interdite.

Nous nous devons dans le cadre de nos obligations d'être d'une rigueur extrême quant à la sécurité de nos collaborateurs et ne pouvons tolérer d'écart sur le sujet. Du fait de votre fonction de magasinier réceptionniste vous pourriez causer des dommages à vous-même mais également aux personnes de l'entrepôt que vous croisez.

Par ailleurs, dans le passé votre attention a déjà été attirée par le Docteur [B] notre médecin du travail référent (...) (qui vous a) rappelé ces règles de sécurité lors de votre visite du 29/11/2017. Elle nous avait adressé une proposition de ' mesures individuelles d'aménagement, d'adaptation ou de transformation de votre poste de travail ', recommandation que nous avons pris en compte sur la période définie..

... Nous déplorons la faute du 17 août dernier aggravée de plus par le fait que l'entreprise avait tout mis en oeuvre pour qu'elle ne se produise pas pour donner suite à la demande de la médecine du travail.

Nous considérons donc que ces faits du 17 août sont constitutifs d'une faute grave. rendant impossible votre maintien dans l'entreprise même pendant la période du préavis.

En conséquence, nous nous voyons au regret de devoir vous notifier par la présente notre décision de vous licencier pour faute grave...'.

Le 13 décembre 2018, Monsieur [O] a saisi le conseil de prud'hommes de MOULINS aux fins notamment de voir juger son licenciement sans cause réelle et sérieuse outre obtenir diverses sommes à titre indemnitaire.

L'audience devant le bureau de conciliation et d'orientation s'est tenue en date du 23 janvier 2019 et, comme suite au constat de l'absence de conciliation (convocation notifiée au défendeur le 14 décembre 2018), l'affaire a été renvoyée devant le bureau de jugement.

Par jugement contradictoire en date du 4 décembre 2019 (audience du 19 septembre 2019), le conseil de prud'hommes de MOULINS a :

- dit et jugé que le licenciement est bien fondé en ce qu'il repose sur une faute grave ;

- débouté Monsieur [O] de l'intégralité de ses demandes;

- débouté la société DESAMAIS de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamné Monsieur [O] aux dépens ;

Le 20 décembre 2019, Monsieur [O] a interjeté appel de ce jugement qui lui a été notifié à sa personne le 11 décembre 2019.

Vu les conclusions notifiées à la cour le 17 mars 2020 (WINCI: 20 décembre 2019) par Monsieur [O],

Vu les conclusions notifiées à la cour le 28 mai 2020 par la société DESAMAIS,

Vu l'ordonnance de clôture rendue le 7 mars 2022.

PRÉTENTIONS DES PARTIES

Dans ses dernières écritures, Monsieur [O] conclut à l'infirmation du jugement déféré et demande à la cour de :

- dire régulier en la forme et recevable au fond son appel ;

- dire et juger que son licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse ;

- condamner la société DESAMAIS à lui porter et payer les sommes suivantes :

* 65 000,00 euros en application de l'article 24 de la Charte Sociale Européenne du 3 mai 1996 ;

* à titre subsidiaire, 40 200,00 euros à titre de dommages et intérêts sur le fondement de l'article L.1235-3 du Code du travail, sauf à parfaire ;

* 19 610,80 euros à titre d'indemnité légale de licenciement sur le fondement de l'article L.1234-2 du Code du travail, sauf à parfaire ;

* 4 020,00 euros à titre d'indemnité de préavis de 2 mois, sauf à parfaire, outre 402,00 euros à titre de congés payés sur préavis, sauf à parfaire ;

* 15 000,00 euros à titre de dommages et intérêts en raison du caractère vexatoire du licenciement prononcé ;

* 10 000,00 euros à titre de dommages et intérêts pour absence de visite médicale personnalisée préalable au passage à l'horaire de nuit en violation de l'obligation de sécurité de résultat ;

* 8 000,00 euros à titre de dommages et intérêts pour manquement de l'employeur à son obligation de formation et d'adaptation des salariés au poste de travail ;

* 10 904,43 euros à titre de rappel de garantie d'ancienneté dans la limite de la prescription, outre la somme de 1 090,44 euros à titre d'indemnité de congés payés y afférent ;

- condamner la société DESAMAIS à lui payer la somme de 3500 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.

Monsieur [O] soutient que le test d'éthylotest constitue une atteinte à sa vie privée qui ne saurait être imposée au salarié, lequel ne commet aucune faute en refusant de s'y soumettre. Dès lors, il en conclut que son licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse. Il indique que le motif réel de son licenciement résulte, non pas d'une alcoolémie qu'il conteste, mais des difficultés économiques de son employeur.

Monsieur [O] conteste avoir un problème d'alcool et affirme subir des poussées d'hypertension en vertu d'un syndrome d'anxiété. Pour justifier de son état physique dans la soirée du 27 août 2018, Monsieur [O] indique produire un certificat de son médecin traitant en date du 28 août 2018, qui indique une poussée d'hypertension. Il indique verser aussi au débat des notices de médicaments qu'il affirme prendre pour soigner l'hypertension dont il souffre, du fait d'un état d'anxiété résultant de ses conditions de travail. Il précise qu'un des effets secondaires de ces médicaments est un comportement du patient similaire à l'état d'ébriété.

Monsieur [O] sollicite les conséquences indemnitaires de son licenciement sans cause réelle et sérieuse. Relativement aux dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, il soutient avoir droit à la réparation intégrale de son préjudice, arguant que le plafond de l'article L.1235-3 du code du travail est inapplicable en raison de son inconventionnalité.

Monsieur [O] expose avoir subi un préjudice relatif à l'absence de visite médicale avant la prise d'un poste de nuit. Il affirme que, du fait de sa santé fragile, il supportait assez mal les horaires de nuit et que de ce fait il était particulièrement tendu.

Il sollicite le versement de dommages et intérêts pour manquement de l'employeur à son obligation d'adaptabilité du salarié à l'emploi. Il soutient n'avoir jamais reçu les formations lui permettant une adaptation à son poste de travail conformément aux dispositions de l'article L.6321-1 du Code du travail.

Il formule ensuite une demande de rappel de prime d'ancienneté, étant précisé que la garantie d'ancienneté ne lui a jamais été versée et ne figure pas ses sur ses bulletins de salaire.

Il sollicite enfin la condamnation de l'employeur au titre de l'article 700 du code de procédure civile

Dans ses dernières écritures, la société DESAMAIS conclut à la confirmation du jugement, sauf à condamner Monsieur [O] à lui verser la somme de 3500 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles de première instance, à condamner Monsieur [O] à lui verser la somme de 3500 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles d'appel, à condamner Monsieur [O] aux entiers dépens dont distraction au profit de Maître Sébastien RAHON, avocat.

La société DESAMAIS soutient que le salarié a commis une faute grave en refusant de se soumettre à un contrôle d'alcoolémie, justifiant pleinement son licenciement. Elle expose que c'est conformément à la réglementation en vigueur, et pour répondre à des questions de sécurité, que la présence sous emprise de l'alcool est interdite au sein de la société pour exercer la fonction de magasinier/ réceptionniste.

Elle indique qu'aucun licenciement collectif ou individuel pour motif économique n'était pas en projet.

Elle indique verser aux débats un procès-verbal relatant les faits et une attestation de Monsieur [C], supérieur hiérarchique de Monsieur [O], qui démontrent que le salarié est venu au travail le 27 août 2018 en étant sous l'effet de l'alcool. Elle fait aussi valoir que le salarié a reconnu avoir bu ce jour-là.

Elle expose que le salarié ne rapporte jamais la preuve que son médecin lui aurait prescrit des médicaments ayant des effets secondaires, non plus qu'il ne démontre en avoir absorbé le 27 août 2018.

Elle soutient que les problèmes d'alcool de Monsieur [O] se sont révélés avant le 27 août 2018 et qu'elle a tenté de résoudre ce problème en se rapprochant de la médecine du travail et en invitant le salarié à soigner son addiction.

Elle conclut, au regard des ces éléments, que le fait que Monsieur [O] ait été sous l'emprise de l'alcool le 27 août 2018 est avéré et que ce fait constitue une faute grave.

Elle fait valoir que le règlement intérieur donne la possibilité à l'employeur d'effectuer un contrôle d'alcoolémie. Dès lors, le refus du salarié de se soumettre au contrôle d'alcoolémie selon les dispositions du règlement intérieur et en présence de témoins, accrédite le fait que celui-ci se trouvait sous l'emprise de l'alcool.

Ainsi elle conclut n'avoir pas eu d'autre possibilité que de licencier Monsieur [O] et, compte tenu de la gravité des faits qui lui sont reprochés, de le licencier pour faute grave, le caractère vexatoire de la procédure suivie n'étant par ailleurs pas démontré.

La société DESAMAIS soutient, relativement aux demandes indemnitaires de Monsieur [O], que celles-ci ne sont pas fondées, étant donné que la faute grave de ce dernier est caractérisée.

Sur la demande de Monsieur [O] d'indemnisation du préjudice relatif à l'absence de visite médicale avant la prise d'un poste de nuit, la société DESAMAIS fait valoir qu'il n'était nul besoin de faire passer un nouvel examen médical au salarié puisque celui-ci avait suivi une visite médicale, à l'issue de laquelle il avait été reconnu pleinement aptes à des fonctions de nuit.

Sur la demande de dommages et intérêts pour manquement de l'employeur à son obligation d'adaptabilité du salarié à l'emploi, la société DESAMAIS soutient qu'elle a bien formé Monsieur [O] notamment aux techniques de la conduite de transpalettes. Elle ajoute que le salarié ne démontre pas que l'évolution de son emploi aurait justifié de son employeur un autre niveau de formation.

Sur la demande de rappel de prime d'ancienneté, la société DESAMAIS affirme produire un tableau, non contesté par Monsieur [O], qui démontre que sur les années 2016 à 2018, elle a bien respecté le fonctionnement de la garantie conventionnelle d'ancienneté et que par conséquent, le salarié a été rempli de ses droits.

La société DESAMAIS sollicite enfin la condamnation de Monsieur [O] au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Pour plus ample relation des faits, de la procédure, des prétentions, moyens et arguments des parties, conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, il y a lieu de se référer à la décision attaquée et aux dernières conclusions régulièrement notifiées et visées.

MOTIFS

- Sur le licenciement -

En droit, la faute grave se définit comme étant celle qui résulte d'un fait ou d'un ensemble de faits imputables au salarié, constituant une violation des obligations qui résultent du contrat de travail ou des relations de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise. Il incombe à l'employeur d'apporter la preuve de la faute grave qu'il invoque.

En l'espèce, il résulte de la lettre du 10 octobre 2018 que le licenciement est motivé par le fait que le salarié se serait trouvé en état d'ébriété sur le lieu de travail le 27 août 2018 et qu'il a refusé de se soumettre à un contrôle par éthylotest en contravention avec les dispositions du règlement intérieur et ce, alors que, de par son poste de travail, il utilisait des chariots automoteurs et des appareils de levage pour la conduite desquels la consommation d'alcool est interdite.

L'employeur se prévaut de l'attestation de M. [C], directeur logistique au sein de l'entreprise, disant que, le 27 août 2018, il a reçu un appel du chef d'équipe de nuit lui signalant que M. [O] était 'encore une fois' sous l'emprise de l'alcool. M. [C] explique qu'il avait, en effet, précédemment rencontré M. [O] et évoqué ses problèmes d'alcool. Le jour des faits, il indique avoir constaté, à son arrivée, qu'il avait 'les yeux injectés de sang, la figure bien rougie'. Il précise avoir senti 'son haleine alcoolisée'.

L'employeur produit également le procès-verbal que M. [C] a dressé le 27 août 2018 pour relater les faits constatés. Ce procès-verbal est également signé par M. [V], chef d'équipe, et M. [E], membre de la délégation unique du personnel (DUP). Selon ce procès-verbal, ces derniers ont confirmé que M. [O] s'est présenté sur son lieu de travail à 20h00 'clairement alcoolisé'. A la question posée à M. [O], en présence du chef d'équipe et du représentant de la DUP, de savoir s'il avait bu, celui-ci a répondu 'oui'. A la question de savoir s'il voulait souffler dans l'éthylotest, il a répondu 'non'.

Pour soutenir que son licenciement serait sans cause réelle et sérieuse, M. [O] fait valoir qu'il n'était pas sous l'empire d'un état alcoolique et qu'il ne peut lui être reproché d'avoir refusé de se soumettre à un test destiné à vérifier son alcoolémie, s'agissant d'une mesure attentatoire à sa vie privée.

Cependant, ne constitue pas une atteinte à une liberté fondamentale le recours à un contrôle d'alcoolémie permettant de constater l'état d'ébriété d'un salarié au travail dès lors qu'eu égard à la nature du travail confié à celui-ci, un tel état d'ébriété est de nature à exposer les personnes ou les biens à un danger. Un règlement intérieur peut valablement prévoir le recours à un contrôle d'alcoolémie permettant d'établir sur le lieu du travail l'état d'ébriété d'un salarié dès lors, d'une part, que les modalités de ce contrôle en permettent la contestation et, d'autre part, qu'eu égard à la nature du travail confié à ce salarié, un tel état d'ébriété est de nature à exposer les personnes ou les biens à un danger, de sorte qu'il peut constituer une faute grave.

En l'espèce, l'employeur verse aux débats le règlement intérieur de l'entreprise qui prévoit les dispositions suivantes :

' Il n'est toléré aucune consommation d'alcool ou de drogue sur le lieu d'exercice du travail (les locaux de l'entreprise, chez les clients, les fournisseurs) et/ou pendant le temps de travail. En ce qui concerne l'introduction de boissons alcoolisées, des autorisations particulières et exceptionnelles peuvent être délivrées sous réserve de l'accord préalable et expresse de la Direction.

Il est interdit de pénétrer ou de séjourner en état d'ivresse dans l'entreprise ou sous l'emprise de stupéfiants. En raison de l'obligation faite au chef d'entreprise d'assurer la sécurité dans son entreprise des salariés, la Direction ou le responsable hiérarchique pourra demander au salarié concerné de se soumettre à un test d'alcoolémie (...). Le salarié concerné par l'alcootest (...) pourra demander à un témoin de son choix de l'assister. De plus, le salarié pourra demander une contre expertise immédiate si le résultat ne le satisfait pas à la charge de l'entreprise (...) '.

Laissant entendre qu'un éventuel état d'ébriété n'aurait pas été de nature à constituer un danger, M. [O] fait valoir qu'il 'ne peut, en principe conduire un chariot élévateur', n'ayant pas le 'CACES' (Certificat d'Aptitude à la Conduite d'Engins en Sécurité). Toutefois, l'employeur justifie qu'il occupait le poste de magasinier réceptionniste et que, dans le cadre de son travail, il pouvait être amené à conduire un engin de chargement et de déchargement consistant en un 'transpalette à conducteur porté' pour la conduite duquel il avait reçu une formation 'CACES' délivrée le 26 janvier 2014. S'agissant d'un engin motorisé susceptible de transporter des charges (pouvant dépasser 100 kgs selon l'employeur), il n'est pas sérieusement contestable que la conduite d'un tel engin sous l'empire d'un état d'ébriété peut présenter un danger pour les personnes et les biens de sorte que l'employeur pouvait légitimement s'assurer de l'état d'alcoolémie du salarié dont le travail implique la conduite d'un tel engin.

Dans la mesure où le règlement intérieur prévoit expressément que le salarié concerné par l'alcootest peut demander à un témoin de son choix de l'assister et qu'il peut, en outre, demander une contre expertise, de sorte qu'il est ainsi mis en mesure de contester effectivement les résultats du test, M. [O] ne peut se prévaloir d'aucune atteinte à une liberté fondamentale pour s'être vu demander de procéder à un tel test. Il n'était dès lors pas en droit de refuser sans commettre une faute, même si le règlement intérieur ne prévoit pas explicitement qu'un refus constitue un acte d'insubordination.

Bien que M. [O] n'ait pas signé le procès-verbal dressé par M. [C], il n'en reste pas moins que celui-ci peut lui être opposé, s'agissant de la relation de faits auxquels les signataires disent avoir assisté, ce qui constitue un témoignage ayant d'autant plus valeur probante qu'il n'est pas seulement signé de personnes ayant une autorité hiérarchique sur l'intéressé mais aussi d'un représentant du personnel. Or, il en ressort que le salarié présentait des signes manifestes d'imprégnation alcoolique et qu'il a reconnu son état d'ébriété, ce qui légitimait la demande de contrôle d'alcoolémie.

M. [O] conteste avoir été en état d'ébriété et avoir un problème d'alcool, soutenant qu'il subirait de façon récurrente des poussées d'hypertension en vertu d'un syndrome d'anxiété, qu'il serait traité au moyen de médicaments pouvant laisser évoquer une sensation d'ivresse et que, précisément, le jour des faits, il connaissait une poussée d'hypertension.

Il verse aux débats des notices de médicaments utilisés pour le traitement de l'hypertension artérielle faisant état, parmi les effets indésirables, de 'sensations d'ivresse'. Son médecin traitant certifie que, le 28 août 2018, soit le lendemain des faits, il a vu M. [O] en consultation avec une tension artérielle à '190/50". Cependant, l'arrêt de travail prescrit à M. [O] le 28 août 2018 ne fait état que d'une 'dépression' et aucun des éléments versés aux débats ne permet de vérifier qu'au moment des faits litigieux, il aurait été traité pour une hypertension artérielle alors que les signes décrits par M. [C] ne souffrent d'aucune ambiguïté ('yeux injectés de sang', 'figure bien rougie', 'haleine alcoolisée') et que M. [O] n'a nullement invoqué un tel traitement ni lors du contrôle ni à aucun moment avant la présente procédure.

En outre, l'employeur justifie, par des échanges internes, que les problèmes d'alcool de M. [O] avaient déjà été évoqués en 2017. L'employeur explique que cette situation avait conduit le médecin du travail à préciser alors que l'avis d'aptitude à la conduite de chariots autoportés serait donné après réception d'examens complémentaires, aptitude qui n'a été constatée que le 22 juin 2018.

Quoi qu'il en soit, sans qu'il y ait lieu de rechercher si M. [O] souffrait d'une addiction qui aurait déjà donné lieu à incidents par le passé, ce qu'il conteste, mais ce que tend à suggérer les pièces produites par l'employeur, il y a lieu de relever que la présence du salarié le 27 août 2017 en état d'ébriété sur le lieu de son travail, état reconnu par lui, et le refus de se soumettre au contrôle d'alcoolémie suggéré par l'employeur constitue un comportement fautif qui présente, compte tenu de la nature du travail du salarié, un caractère de gravité tel qu'il justifie la rupture immédiate du contrat de travail.

M. [O] ne saurait valablement soutenir que son licenciement serait, en réalité, motivé par des difficultés économiques de l'entreprise. Non seulement l'employeur justifie qu'aucune mesure visant à la rupture de contrats de travail pour des raisons économiques n'était envisagée mais, quelle que soit la situation économique de l'entreprise, il est suffisamment établi par les pièces produites que le licenciement pour faute grave est justifié par le comportement du salarié.

Le jugement sera confirmé en ce que le licenciement a été jugé fondé sur une faute grave et en ce que Monsieur [W] [O] a été débouté de ses demandes au titre de la rupture du contrat de travail.

- Sur la demande de dommages et intérêts pour absence de visite médicale suite au passage à l'horaire de nuit -

M. [O] se plaint de ce qu'il a été affecté à un poste de nuit à compter du mois de mars 2018 sans avoir bénéficié d'une visite médicale personnalisée.

Il se fonde sur les dispositions de l'article L. 4624-1 du code du travail selon lequel tout travailleur doit bénéficier, au titre de la surveillance de l'état de santé des travailleurs, d'un suivi individuel de son état de santé assuré par le médecin du travail. Ce suivi comprend la visite d'information et de prévention effectuée après l'embauche. Les modalités et la périodicité de ce suivi doivent prendre en compte les conditions de travail, l'état de santé et l'âge du travailleur, ainsi que les risques professionnels auxquels il est exposé. Plus particulièrement, 'tout travailleur de nuit bénéficie d'un suivi individuel régulier de son état de santé. La périodicité de ce suivi est fixée par le médecin du travail en fonction des particularités du poste occupé et des caractéristiques du travailleur'.

M. [O] invoque également :

- les dispositions de l'article R. 3122-11 du code du travail aux termes duquel : 'le suivi de l'état de santé des travailleurs de nuit a notamment pour objet de permettre au médecin du travail d'apprécier les conséquences éventuelles du travail de nuit pour leur santé et leur sécurité, notamment du fait des modifications des rythmes chronobiologiques, et d'en appréhender les répercussions potentielles sur leur vie sociale' ;

- l'article R. 4624-18 du même code selon lequel tout travailleur de nuit doit bénéficier d'une visite d'information et de prévention réalisée par un professionnel de santé préalablement à son affectation sur le poste.

Il est constant que M. [O] n'a pas bénéficié, avant d'être affecté à un service de nuit, d'une visite médicale personnalisée et l'employeur ne justifie d'aucune circonstance qui l'aurait mis dans l'impossibilité de satisfaire à son obligation.

Toutefois, Mme [O] ne rapporte aucun élément permettant de vérifier l'existence du préjudice qu'il dit avoir subi en raison de ce manquement.

Il explique qu'il est de santé fragile, qu'il supportait mal les horaires de nuit et qu'il était particulièrement tendu. Il se réfère au certificat médical faisant état d'une tension à 190/50 constatée le 28 août 2018 et de l'arrêt de travail prescrit le même jour. Toutefois, rien ne permet de faire un lien dépourvu d'ambiguïté entre le travail de nuit et les constatations médicales du 28 août 2018 faites immédiatement après l'incident survenu la veille relatif à l'imprégnation alcoolique reprochée au salarié ni avec l'arrêt de travail prescrit pour 'dépression'.

Il convient de relever, ainsi que le souligne l'employeur, que, le 25 mai 2018, le salarié a signé une note, à l'occasion d'un entretien, dans laquelle il est indiqué que le travail de nuit avait été mis en place sur la base du 'volontariat', que ce travail de nuit ne posait 'pas de problèmes particuliers' à M. [O] et qu'il souhaitait 'continuer'. L'employeur ajoute que M. [O] a bénéficié d'une visite auprès du médecin du travail le 22 juin 2018 à la suite de laquelle il a été déclaré apte à ses fonctions.

Dans ces conditions, en l'absence de tout autre élément, il n'est pas rapporté la preuve d'un préjudice qui serait résulté du travail de nuit et le jugement sera confirmé en ce que Monsieur [W] [O] a été débouté de sa demande sur ce point.

- Sur la demande de dommages et intérêts pour manquement à l'obligation de formation et d'adaptation -

L'employeur qui est tenu d'exécuter de bonne foi le contrat de travail, a l'obligation d'assurer l'adaptation de ses salariés à leur poste de travail et de veiller au maintien de leur capacité à occuper un emploi.

M. [O], qui a occupé le poste de magasinier réceptionniste au sein de l'entreprise depuis son embauche en 1987 se plaint d'être resté à ce poste jusqu'à son licenciement en 2018 et de ne pas avoir reçu les formations lui permettant une adaptation à son poste de travail et une évolution de carrière au sein de l'entreprise.

Il se fonde sur les dispositions de l'article L. 6321-1 du code du travail aux termes duquel l'employeur doit assurer l'adaptation des salariés à leur poste de travail et 'veiller au maintien de leur capacité à occuper un emploi, au regard notamment de l'évolution des emplois, des technologies et des organisations'. Il peut proposer, dans ce cadre, 'des formations qui participent au développement des compétences'.

Cependant, bien que le salarié le conteste, l'employeur justifie que, le 26 janvier 2014, il a bénéficié d'une formation 'CACES'relative à la conduite de 'transpalettes à conducteur porté' et il justifie de la mise en place d'un processus de mise en stock et de déchargement des commandes fournisseur visant à inscrire ces opérations dans un processus qualité en précisant que M. [O] a été formé à ce processus.

Le salarié ne justifie pas que d'autres formations auraient pu lui être proposées ni que l'adaptation à son poste de travail n'aurait pas été assurée par les formations qu'il a suivies. Il ne ressort pas des éléments versés aux débats que le poste qu'il occupait aurait connu des évolutions nécessitant une adaptation particulière ni que M. [O] n'aurait pas été mis en mesure, compte de ses compétences et de ses aptitudes, de maintenir sa capacité à occuper un emploi avec la possibilité d'évoluer vers d'autres postes.

En l'absence de tout autre élément, il n'est pas démontré que l'employeur n'aurait pas satisfait à son obligation de formation et d'adaptation à l'emploi vis-à-vis du salarié.

Le jugement sera confirmé en ce que Monsieur [W] [O] a été débouté de sa demande sur ce point.

- Sur la demande de rappel de garantie d'ancienneté -

L'accord du 5 mai 1992, relatif à la classification et au salaire du personnel dans le commerce de gros, prévoit, au profit des salariés du secteur non alimentaire, une garantie d'ancienneté 'égale à la somme des 12 salaires mensuels conventionnels de l'année civile écoulée', majorée de 17 % après 16 ans d'ancienneté dans l'entreprise.

Aux termes de l'accord, les éléments de rémunération non pris en compte pour le calcul de la garantie d'ancienneté sont les heures supplémentaires, les majorations de salaires prévues par la convention collective, les primes liées aux contraintes de l'emploi exercé, les sommes versées n'ayant pas le caractère de salaire, les primes de type 13ème mois, c'est-à-dire toutes primes fixes annuelles calculées en référence au salaire de base.

Il résulte des termes de cet accord qu'il est ainsi prévu une rémunération globale minimum calculée en fonction de l'ancienneté du salarié, qu'il ne s'agit pas d'une prime d'ancienneté et que la garantie d'ancienneté consiste en une majoration du salaire individuel devant être calculée en pourcentage du salaire conventionnel de l'année civile écoulée.

M. [O] soutient ne pas avoir bénéficié de cette garantie d'ancienneté et il sollicite une somme correspondant à 17% de son salaire de base (1 781,77 euros brut mensuel) appliquée sur 36 mois. Pourtant, un tel calcul n'est pas conforme aux dispositions de l'accord du 5 mai 1992.

Ainsi qu'il ressort des bulletins de salaire versés aux débats (celui d'octobre 2018 par M. [O] et ceux de mars et juillet 2018 par l'employeur), le salaire de 1 781,77 euros retenu par le salarié correspond à son salaire de base et non au salaire conventionnel de l'année écoulée.

L'employeur fait valoir, à juste titre, que le salaire minimum conventionnel, pour un salarié ayant le statut, le niveau et l'échelon de M. [O] s'établissait, en 2017, à 18 361,08 euros pour l'année. En appliquant à ce salaire la majoration due au titre de la garantie d'ancienneté (17% pour un salarié ayant une ancienneté de 16 ans), M. [O] est en droit de prétendre, pour 2018, à un salaire annuel de 21 482,46 euros, soit, pour un mois, 1 790,20 euros.

Or, les bulletins de salaire font apparaître qu'il a perçu, pour les 3 mois dont il est justifié, un salaire de 1 781,77 euros auquel s'est ajoutée la somme de 38,25 euros au titre d'une 'prime d'ancienneté Desamais', soit une somme supérieure à celle à laquelle il pouvait prétendre.

Dans ces conditions, en l'absence d'autres éléments, l'employeur, qui reconnaît l'existence d'un solde en la faveur du salarié au titre de l'année 2018 (182,46 euros), payé en mai 2019, est bien fondé à soutenir que M. [O] a été rempli de ses droits au titre de la garantie d'ancienneté.

Le jugement sera confirmé en ce que Monsieur [W] [O] a été débouté de sa demande sur ce point.

- Sur les dépens et frais irrépétibles -

Le jugement sera confirmé en ses dispositions sur les dépens et frais irrépétibles de première instance.

Aux termes de l'article 699 du code de procédure civile :

'Les avocats peuvent, dans les matières où leur ministère est obligatoire, demander que la condamnation aux dépens soit assortie à leur profit du droit de recouvrer directement contre la partie condamnée ceux des dépens dont ils ont fait l'avance sans avoir reçu provision.

La partie contre laquelle le recouvrement est poursuivi peut toutefois déduire, par compensation légale, le montant de sa créance de dépens.'

Monsieur [W] [O], qui succombe en son recours, sera condamné aux entiers dépens d'appel dont distraction au profit de Maître Sébastien RAHON, avocat de la SAS DESAMAIS.

En équité et vu la situation économique de l'appelant, il n'y a pas lieu à condamnation de Monsieur [W] [O] sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La Cour, statuant publiquement, contradictoirement, après en avoir délibéré conformément à la loi,

- Confirme le jugement ;

- Condamne Monsieur [W] [O] aux dépens d'appel;

- Dit que Maître Sébastien RAHON, avocat de la SAS DESAMAIS, bénéficiera de cette condamnation pour ceux des dépens dont il a fait l'avance sans avoir reçu provision, dans les conditions de l'article 699 du code de procédure civile ;

- Déboute les parties de leurs demandes plus amples ou contraires.

Ainsi fait et prononcé lesdits jour, mois et an.

Le greffier, Le Président,

N. BELAROUI C. RUIN


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Riom
Formation : Chambre sociale
Numéro d'arrêt : 19/02372
Date de la décision : 07/06/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-06-07;19.02372 ?
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