24/06/2008
Arrêt no
JLT/DB/NV
Dossier no07/00964
SARL LES CHAUSSURES DE BIEVRE
/
Daniel X...
Arrêt rendu ce vingt quatre Juin deux mille huit par la QUATRIEME CHAMBRE CIVILE (SOCIALE) de la Cour d'Appel de RIOM, composée lors des débats et du délibéré de :
Mme Chantal SONOKPON, Conseiller Président suppléant, nommée par ordonnance de Madame la Première Présidente de la Cour d'appel de RIOM en date du 4 décembre 2007 en remplacement de Monsieur RANCOULE, président titulaire empêché
M. Jean Luc THOMAS, Conseiller
M. Vincent NICOLAS, Conseiller
En présence de Madame Dominique BRESLE greffier lors des débats et du prononcé
ENTRE :
SARL LES CHAUSSURES DE BIEVRE
prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité au siège social sis
217 rue Paul Dijon
38590 SILLANS
ayant un établissement situé
13 Rue Henri Barbusse
03000 MOULINS
Représentée et plaidant par Me Y... avocat au barreau de MOULINS (SCP F. Y... - W. HILLAIRAUD)
APPELANTE
ET :
M. Daniel X...
...
03400 YZEURE
Représenté et plaidant par Me Nicole Z... avocat au barreau de MOULINS
(bénéficie d'une aide juridictionnelle Totale numéro 2008/000011 du 25/01/2008 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de RIOM)
INTIME
Après avoir entendu les représentants des parties à l'audience publique du 03 Juin 2008, la Cour a mis l'affaire en délibéré pour la décision être rendue à l'audience publique de ce jour, indiquée par le président, à laquelle ce dernier a lu le dispositif de l'arrêt dont la teneur suit, en application de l'article 452 du code de procédure civile : FAITS ET PROCÉDURE
M. Daniel X... a été engagé le 18 novembre 1978, en qualité de vendeur, par la société BALLY devenue par la suite la SA CHAUSSURES DE MOULINS.
Le 30 avril 1999, M. X... a signé un contrat de travail avec la SARL LES CHAUSSURES DE BIEVRE.
En dernier lieu, il a occupé les fonctions de responsable de magasin.
Il a été licencié le 3 mars 2003 pour faute grave.
Saisi par le salarié le 13 mars 2003, le Conseil de Prud'hommes de MOULINS, par jugement du 10 avril 2007, a dit le licenciement sans cause réelle et sérieuse et condamné l'employeur à payer à M. X... les sommes de :
- 4.386,00 € au titre de l'indemnité de préavis,
- 438,60 € au titre des congés payés afférents,
- 13.706,00 € au titre de l'indemnité de licenciement,
- 100.000,00 € à titre de dommages et intérêts au titre du préjudice économique et moral.
La juridiction a, par ailleurs, constaté l'accord de l'employeur sur demandes de M. X... au titre du rappel de prime d'ancienneté et de congés payés et condamné, autant que de besoin, la société LES CHAUSSURES DE BIÈVRE à payer à M. X... les sommes de :
- 7.198,00 € au titre des primes d'ancienneté,
- 719,80 € au titre des congés payés,
- 795,00 € correspondant aux jours d'ancienneté.
La SARL LES CHAUSSURES DE BIEVRE a relevé appel de ce jugement le 17 avril 2007.
M. X... a formé appel incident le 4 mai 2007.
PRÉTENTIONS DES PARTIES
La SARL LES CHAUSSURES DE BIEVRE, concluant à la réformation, sollicite de débouter M. X... de ses demandes.
Elle souligne que les parties sont en relation contractuelle depuis le 30 avril 1999 suite à l'embauche de M. X..., le précédent contrat de travail de ce dernier avec la société LES CHAUSSURES DE MOULINS ayant été rompu d'un commun accord à la même date.
Elle explique que les conditions d'exercice de l'activité de M. X..., seul salarié à temps plein et responsable d'un point de vente éloigné du siège social de la société, impliquaient une relation de confiance et une grande autonomie.
Elle explique qu'à la suite de la plainte d'un client, il est apparu qu'une vente de chaussure n'avait pas été enregistrée dans le journal des ventes et que le montant de la vente n'a pas été retrouvé en caisse.
Elle précise que M. X... a reconnu avoir vendu la paire de chaussure litigieuse et elle conteste l'existence de tout stratagème de sa part.
Elle fait valoir que M. X... a toujours refusé de s'expliquer sur ces faits et souligne que l'attitude du salarié l'a contrainte à le licencier pour ce qui constitue une perte de confiance et, au minimum, un acte d'insubordination rendant impossible la poursuite du contrat de travail pendant la durée du préavis.
A titre subsidiaire, si le licenciement était requalifié en un licenciement pour cause réelle et sérieuse, elle demande de fixer l'indemnité compensatrice de préavis à 3.743,82 €, l'indemnité compensatrice de congés payés sur préavis à 386,86 € et l'indemnité de licenciement à 11.231,46 €.
Par ailleurs, elle sollicite de lui donner acte de ce qu'elle reconnaît devoir au salarié la somme de 3.305,89 € à titre de rappel de salaire sur prime d'ancienneté et celle de 341,01 € à titre de rappel de congés payés sur prime d'ancienneté.
M. X... sollicite le rejet des demandes de la SARL LES CHAUSSURES DE BIEVRE et la confirmation du jugement en ce qu'il a fait droit à ses demandes.
Il sollicite la réformation pour le surplus et sollicite la condamnation de l'employeur à lui payer les sommes de :
- 100.000,00 € à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et 150.000,00 € à titre de dommages-intérêts pour préjudice économique, le tout avec intérêts au taux légal à compter du 13 mars 2003,
- 4.386,00 € au titre de l'indemnité de préavis,
- 438,60 € au titre des congés payés afférents,
- 13.706,00 € au titre de l'indemnité de licenciement,
- 7.198,00 € au titre des primes d'ancienneté,
- 719,80 € au titre des congés payés,
- 795,00 € correspondant aux jours d'ancienneté.
- 3.000,00 € sur le fondement de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.
Il conteste les faits invoqués par l'employeur.
Il fait valoir qu'une ordonnance de non-lieu a été rendue sur la plainte déposée par l'employeur à l'encontre de laquelle aucun appel n'a été interjeté, ce qui démontre, selon lui, l'inanité des griefs qui lui sont reprochés.
Il soutient, en conséquence, que le licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse et qu'il lui a causé un préjudice important.
Il fait valoir que l'employeur est revenu sur son accord et qu'il n'a pas réglé les sommes sur le montant desquels il avait donné son accord.
Pour plus ample relation des faits, de la procédure et des prétentions et moyens antérieurs des parties, il y a lieu de se référer à la décision attaquée et aux conclusions déposées, oralement reprises.
DISCUSSION
Sur la recevabilité
La décision contestée ayant été notifiée le 13 avril 2007, l'appel, régularisé le 17 avril 2007, est recevable au regard du délai d'un mois prescrit par les articles 538 du Nouveau Code de Procédure Civile et R 517-7 du Code du Travail.
Sur le licenciement
En droit, la faute grave se définit comme étant celle qui résulte d'un fait ou d'un ensemble de faits imputables au salarié, constituant une violation des obligations qui résultent du contrat de travail ou des relations de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise pendant la durée du préavis.
Il incombe à l'employeur qui procède à un licenciement pour un tel motif d'apporter la preuve de la faute grave qu'il invoque. L'absence de preuve d'une faute prive le licenciement de cause réelle et sérieuse.
En l'espèce, la lettre de licenciement est ainsi motivée :
"Suite à l'entretien que nous avons eu le lundi 3 mars 2003, en application de l'article L 122-14 du code du travail, nous vous notifions par la présente votre licenciement sans préavis, ni indemnité, pour faute grave et ceci pour les motifs exposés lors de cet entretien, à savoir vos indélicatesses et votre manque de rigueur professionnelle.
En effet, le 14 février 2003, un client nous a fait part de son mécontentement suite à l'achat de deux paires de chaussures au sein du magasin de Moulins le 12 février 2003, date à laquelle vous vous trouviez seul dans le point de vente.
II s'agit de
- une paire de SPHÈRE BEIGE, taille 71/2 dont le prix de vente était de 89,94 euros,
- une paire de HARRY A... 71/2 dont le prix était de 121,96 euros.
Soit un total pour deux achats de 211,90 euros, réglés en espèces.
Or, la lecture du journal de vente fait apparaître que seul l'achat d'une seule paire de chaussures a été enregistré (89,94) et la différence n'a pas été retrouvée en caisse.
Au-delà des doutes que nous avons sur votre probité, il en ressort que vous avez commis un manquement grave concernant l'enregistrement des ventes et concernant les encaissements. Lors de la remise de la convocation "en mains propres" en vue de l'entretien préalable, vous avez dit je cite "ça ne représente pas de grosses sommes" alors même que vous ne connaissiez pas la nature des griefs. De même, lors de notre entretien du 03 mars, suite à l'exposé des faits en notre possession, votre seule réaction a été, je cite "que vous pensiez que c'étai autre chose", ce qui ne laisse pas de nous inquiéter. Enfin, malgré plusieurs invitations, vous avez refusé de vous exprimer et de nous fournir la moindre explication (...)".
Il résulte des éléments versés aux débats et, notamment, de la procédure pénale diligentée à la suite de la plainte de l'employeur, que le licenciement fait suite à la lettre adressée le 14 février 2003 par un client, M. B..., pour se plaindre de la défectuosité affectant l'une des deux paires de chaussures achetées au magasin de MOULINS le 12 février précédent pour le prix total de 211,90 €.
Il est constant que le livre des ventes du magasin fait apparaître la vente de l'une des deux paires de chaussures, de marque SPHERE, mais non celle de la seconde, de marque HARRY. L'enquête a également permis d'établir que M. X... était seul au magasin le 12 février 2003.
Cependant, la procédure pénale a été clôturée par une ordonnance de non-lieu le 15 décembre 2005 au motif qu'il n'existait pas de charges suffisantes contre M. X... d'avoir commis les faits qui lui étaient reprochés, à savoir d'avoir commis un abus de confiance au préjudice de son employeur pour avoir détourné la somme correspondant à la vente de cette paire de chaussures.
Il a été ainsi relevé l'existence de contradictions dans les déclarations de M. B... qui, dans un premier temps, a expliqué s'être trouvé à PARIS et, dans un second temps, à LYON pour justifier sa réclamation effectuée directement au siège de l'entreprise et son absence de démarche auprès du magasin lui-même.
Si M. B... a produit le ticket de caisse correspondant à l'achat litigieux et si ce ticket présente une ressemblance certaine avec les tickets émis par le magasin, il ne comporte aucun signe distinctif permettant d'en déterminer l'origine. En outre, le juge d'instruction a relevé que, selon M. X..., il était possible, avec la caisse enregistreuse, de modifier la date du ticket de caisse sans que la preuve contraire résulte des éléments versés aux débats.
Par ailleurs, il a été établi que le prix payé par M. B... ne correspond ni au prix de ce type de chaussures pratiqué dans le magasin ni au prix diminué de la ristourne dont il dit avoir bénéficié.
En outre, l'enquête n'a pu déterminer si les chaussures litigieuses étaient effectivement disponibles dans le magasin le jour de la vente ni si elles ont effectivement été vendues par M. X....
Dans la mesure où ne peuvent être déterminés avec certitude ni la date de la vente de la chaussure litigieuse ni même le magasin où elles ont été achetées, et même à s'en tenir au grief formulé dans la lettre de licenciement ("manquement grave concernant l'enregistrement des ventes et concernant les encaissements" ), il subsiste un doute sur les faits reprochés au salarié qui doit profiter à ce dernier.
L'employeur ne saurait invoquer que M. X... a refusé de s'expliquer sur les faits ou que ses déclarations laisseraient supposer qu'il avait d'autres choses à se reprocher pour soutenir que le licenciement serait justifié par une perte de confiance. La perte de confiance ne peut constituer, en elle-même, une cause réelle et sérieuse de licenciement. Une telle cause ne peut résulter que des éléments objectifs et vérifiables sur lesquelles elle repose. Les propos prêtés au salarié et leur interprétation par l'employeur ne permettent nullement, en eux-mêmes, d'apporter la preuve d'un comportement fautif susceptible de justifier le licenciement.
Dans la mesure où aucune faute n'est établie à l'encontre du salarié, le jugement doit être confirmé en ce qu'il a dit le licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Sur les dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse
L'employeur n'est pas fondé à soutenir que, pour apprécier le préjudice subi par le salarié, il conviendrait de ne retenir son ancienneté qu'à compter du 30 avril 1999, date du contrat de travail.
Il est, en effet, constant que l'employeur a accepté de faire bénéficier à M. X... d'une reprise de son ancienneté à compter du 18 novembre 1978.
La société LES CHAUSSURES DE BIEVRE ne peut soutenir qu'elle n'aurait consenti à cette reprise qu'à titre d'avantage salarial alors que les mentions figurant sur les bulletins de salaire et sur le certificat de travail remis lors du licenciement manifestent la volonté de l'employeur de se considérer lié à M. X... par un contrat de travail à compter du 18 novembre 1978.
Il y a donc lieu de retenir une ancienneté de 24 ans et 3 mois à la date du licenciement.
Compte tenu, en outre, du salaire que percevait M. X..., de son âge (52 ans au moment du licenciement) et des pièces justificatives produites, le salarié a subi un préjudice économique certain résultant du licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Il a subi également un incontestable préjudice moral en raison des circonstances dans lesquelles il a été procédé à son licenciement, des accusations d'abus de confiance portées contre lui et de la procédure pénale qui a été diligentée suite à la plainte de l'employeur.
Le jugement sera, en conséquence, confirmé en ce qu'il a condamné la société LES CHAUSSURES DE BIEVRE à lui payer la somme de 100.000,00 € à titre de dommages-intérêts en réparation de son préjudice économique et moral.
Sur la prime d'ancienneté
Il résulte des écritures établies devant le conseil de prud'hommes par l'employeur que celui-ci avait reconnu devoir, au titre des années 2001, 2002 et 2003, la somme de 7198,00 € à titre de rappel de prime d'ancienneté ainsi que celle de 719,80 € au titre de l'indemnité compensatrice de congés payés correspondante et celle de 795,00 € au titre des jours d'ancienneté.
Le jugement a donné acte à l'employeur de son accord pour payer ces sommes et il l'a condamné, en tant que de besoin, au paiement de ces mêmes sommes.
La société LES CHAUSSURES DE BIEVRE ayant ainsi acquiescé à la demande du salarié, est irrecevable à contester, en cause d'appel, le montant des sommes dues.
Sur l'indemnité compensatrice de préavis et l'indemnité de licenciement
Par application des dispositions de la convention collective des employés des entreprises à succursales du commerce de détail de la chaussure et compte tenu des éléments d'appréciation versés aux débats, l'indemnité compensatrice de préavis (calculée sur la base de deux mois de salaire, prime d'ancienneté incluse) s'établit à 4.386,00 €, l'indemnité compensatrice de congés payés correspondante à 438,60 € et l'indemnité de licenciement à 13.706,00 €.
Le jugement sera confirmé en ce qu'il a condamné l'employeur au paiement de ces sommes.
Sur l'article 700 du Code de Procédure Civile
Il n'est pas inéquitable de laisser aux parties la charge de leurs frais non compris dans les dépens d'appel.
PAR CES MOTIFS
LA COUR,
Statuant publiquement et contradictoirement :
En la forme,
Déclare l'appel recevable,
Au fond,
Confirme le jugement,
Y ajoutant,
Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du Code de Procédure Civile,
Dit que la SARL LES CHAUSSURES DE BIEVRE doit supporter les dépens de première instance et d'appel.
Ainsi fait et prononcé lesdits jour, mois et an.
LE GREFFIER, LE PRESIDENT,
D. BRESLE C. SONOKPON
Le présent arrêt est susceptible d'un pourvoi en cassation dans les conditions précisées dans l'acte de notification de cette décision aux parties.
Il est rappelé que le pourvoi en cassation est une voie de recours extraordinaire qui n'a pas pour but de faire rejuger l'affaire au fond, mais seulement de faire sanctionner la violation des règles de droit ou de procédure.