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06/05/2008 | FRANCE | N°309

France | France, Cour d'appel de riom, Chambre civile 2, 06 mai 2008, 309


COUR D'APPEL
DE RIOM
Deuxième Chambre Civile
ARRET N
DU : 06 Mai 2008

AFFAIRE N : 07 / 00882
HR / AMB / VR

ARRÊT RENDU LE six Mai deux mille huit

ENTRE :

M. Klaus-Jürgen X...
...
...
ALLEMAGNE
Représenté par la SCP GOUTET-ARNAUD (avoués à la Cour)
Plaidant par la SCP LIENHARD-PETITOT (avocats au barreau de STRASBOURG)

APPELANT

ET :

Mme Annie Y...épouse Z...
...
63000 CLERMONT-FERRAND
Représentée par Me Sébastien RAHON (avoué à la Cour)
Plaidant par Me Jean-Louis AUPOIS (avoc

at au barreau de CLERMONT-FERRAND)

INTIMEE

Décision déférée à la Cour :
Jugement Au fond, origine Tribunal de Grande Instance de CLERMONT-F...

COUR D'APPEL
DE RIOM
Deuxième Chambre Civile
ARRET N
DU : 06 Mai 2008

AFFAIRE N : 07 / 00882
HR / AMB / VR

ARRÊT RENDU LE six Mai deux mille huit

ENTRE :

M. Klaus-Jürgen X...
...
...
ALLEMAGNE
Représenté par la SCP GOUTET-ARNAUD (avoués à la Cour)
Plaidant par la SCP LIENHARD-PETITOT (avocats au barreau de STRASBOURG)

APPELANT

ET :

Mme Annie Y...épouse Z...
...
63000 CLERMONT-FERRAND
Représentée par Me Sébastien RAHON (avoué à la Cour)
Plaidant par Me Jean-Louis AUPOIS (avocat au barreau de CLERMONT-FERRAND)

INTIMEE

Décision déférée à la Cour :
Jugement Au fond, origine Tribunal de Grande Instance de CLERMONT-FERRAND, décision attaquée en date du 15 Janvier 2007, enregistrée sous le no 03 / 03690

COMPOSITION DE LA COUR lors des débats et du délibéré :
M. Henry ROBERT, Président
Mme Françoise GOUJON, Conseiller
M. Michel ROYET, Conseiller

MINISTERE PUBLIC : représenté lors de l'audience des débats par M. PITERS Avocat Général

GREFFIER :
Melle Valérie ROBIN, Greffier lors de l'audience des débats et du prononcé
DEBATS : A l'audience tenue en chambre du conseil du 07 Avril 2008
Sur le rapport de Henry ROBERT, Président

ARRET : CONTRADICTOIRE

Prononcé publiquement le 06 Mai 2008, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du nouveau code de procédure civile ;

Signé par Henry ROBERT, Président, et par Valérie ROBIN, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

FAITS ET PROCEDURE

Klaus-Jürgen X...est né le 23 juin 1945 d'une mère de nationalité allemande, Katharine B...née X...à l'égard de laquelle sa filiation est établie par son acte de naissance.

Par jugement du tribunal de grande instance de Clermont-Ferrand du 19 janvier 1965, statuant sur le fondement du droit allemand alors applicable, il a été jugé, à la demande de l'Office municipal de prévoyance et de jeunesse de Frankhenthal, sous la tutelle duquel s'était trouvé Klaus-Jürgen X...jusqu'à sa majorité, que André Maurice Y..., qui avait cohabité avec sa mère pendant la période de conception, était tenu d'entretenir l'enfant.

Au moment de la naissance de Klaus-Jürgen X..., André Y...était marié depuis le 17 janvier 1935 avec Georgette C...dont il a divorcé en 1946.

Il est décédé le 5 avril 2000, en laissant pour lui succéder sa fille légitime Annie Z...née Y..., issue de son union avec Georgette C....

Par acte du 8 octobre 2003, Klaus-Jürgen X...a assigné Annie D...pour voir établir qu'il est le fils naturel de André Maurice Y....

Par jugement du 15 janvier 2007, le tribunal de grande instance de Clermont-Ferrand a rejeté cette action comme irrecevable pour cause de prescriptibilité.

Le tribunal a en effet considéré que si la loi allemande était applicable en vertu de l'article 311-14 ancien du Code civil, elle devait être écartée en ce que, ne prévoyant aucune limite de temps pour l'action en recherche de paternité, elle se heurterait à l'ordre public international français faisant de l'existence d'une prescription une conception actuelle fondamentale du droit de la filiation.

Klaus-Jürgen X...a relevé appel le 12 avril 2007.

PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES :

En l'état de ses dernières conclusions du 9 janvier 2008, Klaus-Jürgen X...demande à la cour de déclarer sa demande recevable et fondée en :
- lui donnant acte de ce qu'il est le fils né hors mariage de André Maurice Y...,
- ordonnant la transcription de la décision à intervenir en marge de l'acte de décès d'André Maurice Y...et sur les registres du service central d'état civil,
- ordonnant l'ouverture des opérations de liquidation et partage de la succession de André Maurice Y...en désignant un notaire pour y procéder.

À titre subsidiaire il demande à la cour de le déclarer apte à succéder en qualité d'héritier à André Maurice Y..., de constater la nullité des opérations de liquidation de sa succession et d'en ordonner la réouverture en désignant à cette fin un notaire.

Requérant la condamnation de Annie D...au paiement d'une indemnité de procédure de 10   000 €, Klaus-Jürgen X...précise d'abord qu'il a fait établir par un professeur spécialiste des questions de filiation en droit comparé un certificat de coutume.

Il indique en premier lieu que la loi allemande est rendue applicable en vertu de la règle de conflit de lois résultant de l'article 311-14 du code civil issu de la loi du 3 janvier 1972.

Il estime en second lieu que l'ordre public international français est inopposable ou tout du moins qu'il en est ainsi de l'ordre public interne français, l'ordre public n'ayant ici vocation qu'à assurer la défense des " principes de justice universelle considérée dans l'opinion française comme doué de valeur internationale absolue ". Selon lui à cet égard les motifs du jugement sont contraires à la volonté du législateur français et à l'état actuel de la jurisprudence française, l'ensemble marqué par une évolution en faveur de l'établissement de la filiation des enfants nés hors mariage.

Klaus-Jürgen X...en conclut que doivent prévaloir les délais généraux ou spéciaux d'exercice des actions en justice de la loi allemande.

Il se prévaut également des droits qu'il tient de la Convention européenne des droits de l'homme et spécialement de son article 8. 1 c'est-à-dire son droit de faire établir l'identité de son géniteur.

L'appelant soutient ensuite qu'il y a lieu d'interpréter le droit allemand en fonction des éléments fournis dans le certificat de coutume ; selon lui, il en ressort que l'action en constatation de paternité fondée sur l'article 1600 du BGB est imprescriptible, ce qui s'explique par le fait qu'à la différence du droit français, le droit allemand ne connaît pas le fondement correctif de la possession d'état pour établir une filiation ; il ajoute qu'en revanche le droit allemand prévoit bien des règles de prescription pour certaines actions en matière d'état des personnes comme celle tendant à la contestation d'une paternité, qui n'est pas celle présentement exercée.

Sur le fond, il fait valoir que la paternité de André Maurice Y...à son égard est bien établie par le jugement de 1965, qui a noté que la paternité naturelle engendrait une obligation alimentaire, même s'il n'a pu statuer directement sur la filiation puisque la loi allemande interdisait alors toute recherche de paternité à l'égard d'un père engagé dans les liens d'un premier mariage.

Il ajoute que comme le droit français, le droit allemand prévoit une présomption de paternité de l'homme qui a eu des relations avec la mère pendant la période de conception.

Il souligne que le jugement a reconnu la paternité alimentaire de André Maurice Y...et que ce dernier a reconnu lui-même sa paternité devant le notaire. Il se prévaut à titre subsidiaire de l'existence d'une possession d'état résultant de ce jugement et des propres déclarations de son père. Il fait état des dispositions de l'article 12 § 3 de la loi du 19 août 1969 selon lequel doit être reconnu père de l'enfant au sens de cette loi celui qui a été condamné à exécuter une obligation en application de l'article 1708 du BGB par une décision entrée en force de son chose jugée antérieurement à la loi ; or il se réfère aux motifs du jugement de 1965 ayant décidé que André Maurice Y...était tenu de l'entretenir en vertu des dispositions de cet article 1708, après avoir estimé qu'il était bien né des oeuvres du défendeur d'alors.

Klaus-Jürgen X...considère établir sa qualité d'héritier de André Maurice Y...et avoir vocation à venir à sa succession en concurrence avec Annie D..., ce pourquoi il sollicite qu'en soit ordonné le partage.

De son côté, par des écritures du 20 novembre 2007, Annie D...conclut à la confirmation du jugement et à la condamnation de Klaus-Jürgen X...au paiement d'une indemnité de procédure de 3000 €.

Elle soutient d'abord que son action en recherche de paternité est irrecevable tant au regard des dispositions du droit allemand que du droit français.
Selon elle en effet, si la demande judiciaire tendant à l'établissement d'une filiation paternelle naturelle, permise en Allemagne en vertu de la loi du 19 août 1969, applicable aux enfants nés avant son entrée en vigueur, n'est soumise à aucun délai particulier, elle n'est pas pour autant imprescriptible puisque le délai de prescription de droit commun de 30 ans a vocation à s'appliquer ; elle en déduit que même en admettant que l'action était suspendue pendant la minorité de l'appelant, la prescription est effective, compte-tenu de sa date de naissance.

Annie D...fait valoir que l'action de son adversaire est également prescrite au regard du droit français qui édicte des délais préfixes d'ordre public pour agir, prévus en l'espèce par l'ancien article 340-4 du Code civil ; elle considère que l'action se heurte donc à une forclusion de caractère général et absolu ; elle approuve sur ce point la motivation des premiers juges.

L'intimée estime aussi avec eux que selon la Cour de cassation, une loi étrangère édictant l'imprescriptibilité des actions relatives à la filiation serait contraire à l'ordre public international, ce qui doit conduire en l'espèce à écarter la législation allemande au profit de la loi française.

Elle ajoute enfin que l'imprescriptibilité d'une telle action est contraire aux prévisions de la Convention Européenne des Droits de l'Homme en ce que l'absence de délai laisserait un homme perpétuellement sous la menace d'une action judiciaire.

Une ordonnance du 2 avril 2008 clôture la procédure.

SUR CE, LA COUR :

Attendu que selon l'article 311-14 du code civil, la filiation est régie par la loi personnelle de la mère au jour de la naissance de l'enfant ; que la mère de Klaus-Jürgen X...ayant toujours eu le nationalité allemande, c'est la loi allemande qui est applicable au présent litige, tant quant aux conditions d'exercice de l'action en recherche de paternité qu'aux règles de fond ;

Attendu en premier lieu, sur la prescription invoquée par l'intimée sur le fondement de l'article 195 du Code civil allemand, que l'auteur du certificat de coutume du 9 août 2006, professeur de droit civil et de droit privé international explique que les dispositions de ce texte ne sont pas applicables à une demande tendant à l'établissement d'une filiation paternelle dès lors qu'elles régissent seulement les actions en justice ayant pour objet d'obtenir la mise en oeuvre d'une obligation de faire ou de ne pas faire ; qu'il y est indiqué que n'est pas assimilable à une telle action la réclamation d'état notamment en raison de son caractère opposable à tous ;

Que cette analyse du système allemand de prescription est confirmée par celles figurant d'une part dans un extrait d'un commentaire de l'article 1600 du Code civil allemand et d'autre part dans un article de doctrine (Le droit à la connaissance de ses origines en république fédérale d'Allemagne-F. Furkel-RIDC 1997) où il est fait référence au caractère imprescriptible de l'action en recherche de paternité pour souligner la volonté du législateur allemand de faire toute la lumière, même tardivement, sur l'origine génétique de l'enfant ; qu'en l'absence de toute argumentation en sens contraire articulée par Annie D...quant à l'application du texte qu'elle invoque, l'interprétation résultant du certificat de coutume sera retenue par la cour ;

Qu'il y a donc lieu de considérer qu'aucune fin de non recevoir tirée de l'expiration d'un délai d'action ne peut être opposée à Klaus-Jürgen X...en vertu de la loi allemande applicable ;

Attendu en second lieu, qu'en sollicitant la confirmation du jugement dont elle reprend la motivation, l'intimée entend voir évincer la loi allemande en ce qu'elle serait contraire à l'ordre public international français ;

Qu'à égard, en permettant d'agir en recherche de paternité sans limitation dans le temps, la loi allemande, ici la loi du 16 août 1969 entrée en vigueur le 1er juillet 1970- dont l'application aux enfants nés antérieurement n'est pas contestée-s'écarte largement de la conception française du droit de la filiation sur un point important, qui est la recherche d'une stabilisation de la filiation au terme des délais d'action, récemment unifiés par l'article 321 du code civil dans sa rédaction issue de la loi du 4 juillet 2005 ; qu'en effet, s'il a porté de 2 à 10 ans le délai de l'action en recherche de paternité, ce texte, ni plus généralement la loi du 4 juillet 2005, n'ont pas affaibli la considération que la filiation ne peut être indéfiniment remise en cause et que sa sécurisation constitue un impératif essentiel ;

Que même s'il converge aujourd'hui avec le droit français sur l'intérêt de faire prévaloir la vérité biologique, sans discrimination selon la situation matrimoniale des parents, le droit allemand reste ainsi toujours contraire à l'une des conceptions fondamentales constitutives de l'ordre public international français ; que celui-ci suppose en effet que par le jeu de la prescription de droit commun ou de l'institution de délais d'action spécifiques, quel qu'en soit la durée choisie par la législation nationale, un terme prévisible puisse être fixé à la contestation sur la filiation, y compris par le biais d'une action en recherche de celle-ci ;

Qu'à ce sujet, il est vrai que l'appréciation du contenu de l'ordre public international, qui doit être faite au jour où il est statué, ne peut ignorer l'incidence des règles communes aux pays d'Europe issues notamment de la Convention Européenne des Droits de l'homme ; que toutefois, la limitation dans le temps de l'exercice de l'action en recherche de paternité ne porte pas atteinte au droit de faire établir l'identité de son géniteur, déduit du droit au respect de la vie privée et familiale édicté par l'article 8. 1 de la Convention, si du moins le délai d'action reste suffisant pour ne pas faire perdre son effectivité à ce droit ; que l'on peut relever qu'en l'espèce, Klaus-Jürgen X...aurait pu agir de longue date pour faire reconnaître la paternité de André Y..., et particulièrement, après le jugement du 19 janvier 1965, depuis les réformes législatives de 1969 et 1972, c'est-à-dire avant l'âge de 30 ans et du vivant de son père présumé ; qu'en définitive, l'application de l'article 8. 1 susvisé est ici sans influence sur la notion d'ordre public international français et le caractère inconciliable avec celle-ci de toute législation étrangère ne prévoyant aucun terme pour la mise en oeuvre d'une action en recherche de paternité ;

Attendu que c'est donc à bon droit que les premiers juges ont estimé que la législation allemande devait être écartée en l'espèce ; qu'en conséquence, le litige se trouvant soumis à la loi du for c'est-à-dire à la loi française pour ce qui concerne le délai d'action, Klaus-Jürgen X...qui n'a agi dans aucun des délais de prescription envisageables même depuis les modifications législatives allemande et française ayant ouvert l'action en recherche de paternité dans son cas, se trouve irrecevable en sa demande, désormais prescrite ;

PAR CES MOTIFS :

Confirme le jugement du 15 janvier 2007 en ce qu'il a déclaré irrecevable l'action en recherche de paternité introduite par Klaus-Jürgen X..., l'a débouté du surplus de ses demandes et condamné aux dépens ;

Condamne Klaus-Jürgen X...à payer à Annie D...une indemnité de procédure de 1500 € en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

Dit que Klaus-Jürgen X...supportera les dépens d'appel et accorde contre lui à Me RAHON, avoué, le droit de recouvrement direct prévu à l'article 699 du code de procédure civile.

Le GreffierLe Président


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de riom
Formation : Chambre civile 2
Numéro d'arrêt : 309
Date de la décision : 06/05/2008
Type d'affaire : Civile

Références :

Décision attaquée : Tribunal de grande instance de Clermont-Ferrand, 15 janvier 2007


Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel.riom;arret;2008-05-06;309 ?
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