COUR D'APPEL
DE RIOM
PREMIERE CHAMBRE CIVILE
Du 01 février 2007
Arrêt no -BG/SP/MO -
Dossier n : 06/00143
Jean-Philippe X... / Sté CASINO DU GRAND CAFE
Arrêt rendu le PREMIER FEVRIER DEUX MILLE SEPT
COMPOSITION DE LA COUR lors des débats et du délibéré :
M. Gérard BAUDRON, Président
M. Claude BILLY, Conseiller
M. Bruno GAUTIER, Conseiller
En présence de :
Mme Sylviane PHILIPPE, Greffier lors de l'appel des causes et du prononcé
Jugement Au fond, origine Tribunal de Grande Instance de CUSSET, décision attaquée en date du 16 Janvier 2006, enregistrée sous le n 04/433
ENTRE :
M. Jean-Philippe X...
...
03270 MARIOL
représenté par Me Martine-Marie MOTTET, avoué à la Cour
assisté de Me Gilles Jean PORTEJOIE de la SCP PORTEJOIE BERNARD FRANCOIS avocat au barreau de CLERMONT-FERRAND,
(bénéficie d'une aide juridictionnelle totale numéro 2006/000493 du 24/03/2006 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de RIOM)
APPELANT
ET :
SA CASINO DU GRAND CAFE
...
03200 VICHY
représentée par la SCP GOUTET - ARNAUD, avoués à la Cour
assistée de Me Jan-Jack A..., avocat au barreau de PARIS
INTIMEE
Après avoir entendu à l'audience publique du 11 Janvier 2007 les représentants des parties, avisés préalablement de la composition de la Cour, celle-ci a mis l'affaire en délibéré pour la décision être rendue à l'audience publique de ce jour, indiquée par le Président, à laquelle a été lu le dispositif de l'arrêt dont la teneur suit, en application de l'article 452 du Nouveau Code de Procédure Civile :
Vu le jugement rendu le 16 janvier 2006 par le Tribunal de Grande Instance de Cusset qui a débouté M. X... de ses demandes émises contre la SA CASINO DU GRAND CAFÉ en dommages-intérêts à hauteur de 77.000 € en réparation de son préjudice moral et de 610.000 € en réparation de son préjudice matériel, estimant qu'aucune faute n'avait été commise par cette dernière dans l'exécution loyale du contrat de jeu ;
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Vu les conclusions d'appel signifiées par M. X..., le 17 mai 2006, concluant au manquement par la SA CASINO DU GRAND CAFÉ à ses obligations d'information, de conseil et de loyauté et sollicitant un euro en réparation de son préjudice moral et 6.368,34 € correspondant à ses chèques impayés ;
Vu les conclusions signifiées par la SA CASINO DU GRAND CAFÉ, le 13 octobre 2006, tendant à la confirmation intégrale de la décision déférée ;
LA COUR
Attendu que, par acte du 25 mars 2004, M. X... a assigné la SA CASINO DU GRAND CAFÉ pour la voir déclarer responsable, sur le fondement contractuel et, subsidiairement, sur le fondement délictuel, des dommages moraux et matériels par lui subis, lui reprochant des manquements aux obligations d'information, de conseil et de loyauté, exposant avoir fréquenté l'établissement depuis 1995 et avoir joué de plus en plus souvent, jusqu'à délaisser son activité professionnelle et à devenir un joueur pathologique, sacrifiant sa vie personnelle et familiale ; que, par la décision déférée, le premier juge a considéré qu'aucune faute n'avait été commise dans l'exécution loyale du contrat de jeu, soumis à un régime particulier et notamment à une délégation de service public, rappelant, par ailleurs, que l'établissement ne bénéficiait pas d'une liberté souveraine de refuser l'accès aux salles de jeu, indépendamment des interdictions légalement définies, alors que l'intéressé n'avait jamais sollicité la moindre mesure de protection, et notamment son interdiction, dispositif exorbitant du droit commun, parfaitement connu des grands joueurs et qui constituait la parade adéquate à un comportement compulsif ;
Attendu qu'en ses écritures d'appel, M. X... soutient que la SA CASINO DU GRAND CAFÉ a manqué à ses obligations d'information, de conseil et de loyauté envers lui ; qu'il soutient qu'il a commencé à jouer en 1995 et qu'au fil des mois, il a délaissé son activité professionnelle du garagiste pour se consacrer à sa passion, y mettant toutes ses ressources et contractant des emprunts auprès de ses amis, de sa famille et de divers établissements bancaires, dilapidant même son héritage familial ; qu'il rappelle qu'aucun contrôle ne lui a jamais été appliqué, alors même qu'il payait parfois par chèques, certains n'étant même pas encaissés mais conservés pour un paiement ultérieur, éventuellement pour le régler de ses gains ; qu'il soutient qu'en vertu de l'article L. 111-11 du Code de la Consommation, tout professionnel doit mettre le consommateur en mesure de connaître les caractéristiques essentielles du bien ou du service et doit, donc, lui prodiguer toutes les informations nécessaires ; qu'il ajoute que l'article 1147 du Code Civil édicte, tel qu'interprété par la jurisprudence, une obligation d'information et de conseil ; qu'il reproche à la SA CASINO DU GRAND CAFÉ une absence de mise en garde, dès l'entrée des salles, sur les risques d'un jeu excessif et d'une dépendance possible et tout spécialement, en ce qui le concerne, un défaut de mise en garde tout au long des 10 ans pendant lesquels il est devenu dépendant du jeu ; qu'il réclame, devant la Cour, un euro au titre de son préjudice moral et 6.368,34 € correspondant aux chèques impayés ;
Attendu que la SA CASINO DU GRAND CAFÉ réplique que M. X... était déjà un joueur assidu avant de fréquenter son établissement et se trouvait, donc, parfaitement informé des risques addictifs du jeu ; qu'elle soutient avoir strictement appliqué la législation propre aux casinos, législation particulièrement rigoureuse et tout spécialement contrôlée par des services de police spécifiques ; qu'elle conteste avoir une obligation particulière de renseignement et de conseil, sur un fondement civil, alors qu'elle a été juridiquement qualifiée par le Conseil d'État de délégataire de service public, le joueur ne pouvant, dès lors, être qualifié de consommateur au sens du Code de la Consommation ; qu'elle précise que l'acceptation de chèques s'est faite conformément aux dispositions réglementaires et aux usages en vigueur, le seul comportement de
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l'appelant étant la cause du préjudice qu'il invoque ; qu'elle rappelle que M. X... avait la possibilité de se faire interdire de jeu, mesure radicale qui n'a, pourtant, jamais été sollicitée par l'intéressé, ni réclamée par ses proches ; qu'elle conteste, encore, tout lien de causalité entre la faute prétendue et le préjudice invoqué, concluant à la confirmation de la décision déférée ;
Sur quoi, la Cour :
Attendu qu'il est acquis que l'activité de jeu s'inscrit dans le cadre d'une délégation de service public et se trouve strictement encadrée, eu égard aux risques notoires qu'elle fait connaître aux joueurs, à l'intérêt fiscal qu'y trouve l'Etat, en raison de la forte taxation qu'il applique aux sommes mises en jeu et au risque de blanchiment d'argent dit "sale", par une législation spécifique, elle-même mise en oeuvre, avec rigueur, par des services de police particuliers ; qu'il convient de relever, qu'en l'espèce, aucun manquement à la législation en vigueur n'est invoqué par l'appelant ; que le premier juge a justement relevé que le caractère licite de l'activité de la SA CASINO DU GRAND CAFÉ et sa conformité à la réglementation n'étaient aucunement remises en cause par M. X... ; qu'au regard de la législation en vigueur, le joueur n'est pas un consommateur ordinaire mais se trouve soumis à un droit positif spécifique, dont aucune violation n'est clairement invoquée ; que le défaut général d'information allégué ne saurait sérieusement être soutenu, tant est notoirement connu le risque de pertes financières que prend tout joueur et celui d'un comportement addictif, pour lequel le législateur a spécialement conçu le mécanisme de l'interdiction ;
Attendu que le contrat de jeu étant, par définition, un contrat aléatoire, M. X... n'est pas fondé à prétendre automatiquement à une indemnisation d'un préjudice matériel qui correspondrait à l'ensemble de ses mises en jeu, sans tenir compte des risques de pertes, risques notoires sur lesquels on ne saurait faire l'impasse ;
Attendu, sur le grief formulé, de l'avoir abusivement laissé continuer à jouer, en dépit de pertes excessives, qu'il convient de rappeler que les conditions d'accès à un casino sont réglementées et que l'établissement ne bénéficie pas d'une liberté de refuser l'accès aux salles de jeu, indépendamment des interdictions légalement définies, interdictions elles-mêmes édictées sous l'autorité du Ministère de l'Intérieur et contrôlées par la police des jeux ; qu'en l'espèce, preuve n'est pas rapportée d'épisodes où le comportement de M. X... aurait été particulièrement aberrant et aurait nécessité son exclusion ; qu'il est, au reste, interdit à un casino de faire preuve d'arbitraire dans le choix des joueurs et dans l'appréciation portée dans leur manière de jouer, dès lors qu'aucune faute caractérisée ne peut leur être reprochée ; que toute mise en garde trop poussée, voire toute interdiction de fait, non légalement fondée, serait susceptible d'être dénoncée avec la plus grande vigueur, y compris jusque devant les juridictions, comme cela a parfois été le cas, des joueurs dénonçant le préjudice qui leur avait été ainsi causé, estimant y trouver l'impossibilité de "se refaire" au jeu ; que le Tribunal a, encore, justement rappelé que M. X... n'avait jamais sollicité la mesure d'interdiction qui aurait, à coup sûr, mis fin à un comportement devenu, selon lui, compulsif ; qu'il a, encore, souligné, à bon droit, qu'un joueur accomplissait une démarche volontaire et qu'il convenait, en l'espèce, de mettre en cause une faiblesse de caractère spécifique, entraînant à des difficultés personnelles par une pratique inadaptée et excessive, plutôt qu'un dysfonctionnement structurel de l'établissement, qui accueillait régulièrement de nombreux joueurs, dans des conditions identiques à celles appliquées à M. X..., sans que soient, jusque là, tentées des mises en cause judiciaires qui n'ont commencé à se manifester qu'après la publicité donnée à la présente procédure ;
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Attendu qu'en l'espèce, s'il est acquis que M. X..., en tant que joueur régulier, bénéficiait de la considération du personnel et de la direction, qui lui accordait, sur sa demande expresse, de menus avantages, comme quelques consommations gratuites et éventuellement de la restauration, preuve n'est pas rapportée que ce comportement, au reste habituel chez tout commerçant envers une clientèle fidèle, ait eu pour objet de favoriser une addiction au jeu ; que, bien au contraire, M. X... avait fait l'objet, le 31 octobre 2003, d'un courrier particulier par lequel la Direction déplorait qu'il puisse se plaindre d'un manque de considération et d'écoute ; que, par le même courrier, il lui était rappelé qu'on lui avait proposé, à plusieurs reprises, devant ses pertes, un système de blocage et de limitation des chèques ou une limitation de caisse, ce qu'il avait pourtant hautement refusé, alléguant qu'il connaissait et ses capacités financières et son budget ; que, dans un courrier adressé à la direction du groupe en décembre 2003, M. X... reconnaissait d'ailleurs qu'on lui avait conseillé de limiter ses chèques mais, qu'effectivement, il avait refusé, en raison de sa dépendance au jeu ;
Attendu que, sur le préjudice moral invoqué, il convient de souligner que M. X... ne produit à son dossier qu'un seul certificat médical, daté du 18 mars 2004, d'un médecin généraliste, établissant que depuis 1995, il présente un état anxio-dépressif chronique, avec répercussions somatiques, en particulier digestives ; qu'ainsi, on ne peut imputer l'état anxio-dépressif actuel aux effets de l'addiction au jeu mais bien plutôt l'inverse, la fragilité de la personnalité conduisant à un comportement excessif, dont l'immense majorité des joueurs sait se prémunir ;
Attendu qu'au regard de ces éléments, il apparaît à la Cour que, mal fondée en général en ce qu'elle supposerait une inquiétante tutelle, fut-elle la mieux intentionnée, d'un tiers sur un individu doté de sa pleine capacité juridique, la présente demande l'est tout spécialement dans le cas présent, en considération des éléments de l'espèce, qui démontrent que M. X... a bien reçu les mises en garde nécessaires mais se trouvait plus spécialement exposé au risque, en raison d'une fragilité psychologique ; qu'il n'appartenait pas (encore, à tout le moins), au casino, de la prévoir et prévenir et moins encore d'en assumer financièrement les conséquences ; que, par la décision déférée et par des motifs pertinents qu'elle adopte, le premier juge a procédé à une juste appréciation des faits de la cause et en exactement déduit les conséquences juridiques qui s'imposaient ; qu'il y a donc lieu à confirmation ; que l'équité commande d'allouer à la SA CASINO DU GRAND CAFÉ, pour les frais non taxables inutilement exposés par ses soins, en cause d'appel, une somme de 2.000 € par application des dispositions de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile ;
PAR CES MOTIFS
Statuant publiquement et contradictoirement,
Confirme en tout point la décision déférée ;
Ajoutant,
Condamne M. X... à verser à la SA CASINO DU GRAND CAFÉ une somme de 2.000 € par application des dispositions de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile ;
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Condamne M. X... aux dépens d'appel et dit qu'il sera fait application des dispositions de l'article 699 du Nouveau Code de Procédure Civile.
Le présent arrêt a été signé par M. BAUDRON, président, et par Mme PHILIPPE, greffier présent lors du prononcé.
le greffier le président