8ème Ch Prud'homale
ARRÊT N°379
N° RG 24/02374 -
N° Portalis DBVL-V-B7I-UWXH
M. [D] [O]
C/
Association GROUPEMENT INTERPROFESSIONNEL DE SANTE AU TRAVAIL (GIST)
SUR LA COMPÉTENCE Infirmation partielle
(Appel du jugement CPH St-Nazaire - RG F 22/00194)
Copie exécutoire délivrée
le : 04-09-24
à :
-Me Jean-Paul RENAUDIN
-Me Benoît BOMMELAER
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE RENNES
ARRÊT DU 04 SEPTEMBRE 2024
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :
Madame Nadège BOSSARD, Présidente,
Madame Anne-Cécile MERIC, Conseillère,
Madame Anne-Laure DELACOUR, Conseillère,
GREFFIER :
Monsieur Philippe RENAULT, lors des débats et lors du prononcé
DÉBATS :
A l'audience publique du 28 Juin 2024
devant Madame Nadège BOSSARD, magistrat rapporteur, tenant seul l'audience, sans opposition des représentants des parties et qui a rendu compte au délibéré collégial
ARRÊT :
Contradictoire, prononcé publiquement le 04 Septembre 2024 par mise à disposition au greffe comme indiqué à l'issue des débats
****
APPELANT :
Monsieur [D] [O]
né le 08 Février 1955 à [Localité 4] (JORDANIE)
[Adresse 3]
[Localité 2]
Représenté par Me Jean-Paul RENAUDIN de la SCP GUILLOU-RENAUDIN, Avocat postulant du Barreau de RENNES et ayant Me Adrien BRIAND, Avocat au Barreau de SAINT-NAZAIRE, pour conseil
INTIMÉE :
L'Association GROUPEMENT INTERPROFESSIONNEL DE SANTE AU TRAVAIL (GIST) prise en la personne de son Président en exercice et ayant son siège :
[Adresse 1]
[Localité 2]
Ayant Me Benoît BOMMELAER de la SELARL CVS, Avocat au Barreau de RENNES, pour postulant et représentée par Me Anne-Gaëlle BERTHOME substituant à l'audience Me Laurence TARDIVEL, Avocats plaidants du Barreau de NANTES
M. [D] [O] a été engagé par le Groupement interprofessionnel de Santé au travail (GIST) selon contrat de travail à durée indéterminée à compter du 14 mai 2012 en qualité de médecin du travail à temps plein soumis à un forfait jour, statut cadre avec une rémunération de 8 554,32 euros bruts.
La convention collective applicable est la convention collective nationale des services de santé au travail Interentreprises.
M. [O] a été placé en arrêt de travail au 27 janvier 2021 pour 'éléments anxiodépressifs réactionnels'.
Par décision en date du 28 juillet 2021, la CPAM a pris en charge la maladie au titre des maladies professionnelles.
Le 14 décembre 2021, M. [O] a sollicité auprès de la médecine du travail et de son employeur l'organisation d'une visite de reprise à compter du 3 janvier 2022.
Le 3 janvier 2022, le médecin du travail a déclaré M. [O] inapte avec dispense de recherche de reclassement au motif que 'l'état de santé du salarié fait obstacle à tout reclassement dans un emploi'.
Par courrier en date du 4 janvier 2022, M. [O] a été convoqué à un entretien préalable fixé au 14 janvier 2022.
Le 24 janvier 2022, les membres de la commission de contrôle, d'une part, les membres du conseil d'administration, d'autre part, ont émis un avis favorable à la procédure de licenciement.
Par courrier recommandé du 24 janvier 2022, l'employeur a adressé à l'inspecteur du travail une demande d'autorisation de licencier M. [O], en sa qualité de médecin du travail.
Le 15 février 2022, l'inspecteur du travail a autorisé le licenciement du salarié.
Le groupement a notifié à M. [O] son licenciement par lettre recommandée avec avis de réception en date du 17 février 2022 pour inaptitude d'origine professionnelle.
Le 4 novembre 2022, M. [O] a saisi le conseil de prud'hommes de Saint-Nazaire aux fins de contestation de son licenciement.
Aux termes de ses dernières demandes devant le conseil de prud'hommes, il sollicitait de :
In limine litis,
' Dire et juger que l'association Groupement Interprofessionnel de Santé au Travail était prescrite en sa demande reconventionnelle de voir condamner M. [O] à lui verser la somme de :
- 25.602,96 € bruts perçue à titre d'indemnité compensatrice de préavis,
- 21.369,94 € nets au titre du remboursement du doublement de l'indemnité de licenciement,
' Se déclarer compétent sur les demandes de dommages et intérêts au titre du :
- harcèlement moral,
- non-respect de l'obligation de sécurité,
' Débouter l'association Groupement Interprofessionnel de Santé au Travail de ses demandes d'incompétence,
Au fond,
A titre principal,
' Dire et juger que :
- l'association Groupement Interprofessionnel de Santé au Travail avait procédé à du harcèlement moral,
- le licenciement nul ou subsidiairement sans cause réelle et sérieuse ayant son origine dans le harcèlement moral,
' Condamner l'association Groupement Interprofessionnel de Santé au Travail à verser à M. [O] la somme de :
- 102.600 € nets au titre de dommages et intérêts pour le préjudice subi du fait du licenciement nul, ou subsidiairement sans cause réelle et sérieuse,
- 60.000 € de dommages et intérêts pour le préjudice subi du fait du harcèlement moral,
A titre subsidiaire,
' Dire et juger que :
- l'association Groupement Interprofessionnel de Santé au Travail n'avait pas respecté son obligation de sécurité,
- le licenciement sans cause réelle et sérieuse,
' Condamner l'association Groupement Interprofessionnel de Santé au Travail à verser à M. [O] la somme de :
- 102.600 € nets au titre de dommages et intérêts pour le préjudice subi du fait du licenciement sans cause réelle et sérieuse,
- 60.000 € de dommages et intérêts pour le préjudice subi du fait du non-respect de l'obligation de sécurité,
En tout état de cause,
' Dire et juger que les conditions de rupture du contrat de travail de M. [O] ont été vexatoires,
' Condamner l'association Groupement Interprofessionnel de Santé au Travail à verser à M. [O] la somme de :
- 20.000 € nets de dommages et intérêts pour indemniser le préjudice du fait des conditions vexatoires de la rupture,
- 10.000 € nets de dommages et intérêts pour indemniser le préjudice du fait de la perte de droits à la retraite,
- 3.000 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,
' Débouter l'association Groupement Interprofessionnel de Santé au Travail de ses demandes reconventionnelles
- 25.602,96 € bruts perçue à titre d'indemnité compensatrice de préavis,
- 21.369,94 € nets au titre du remboursement du doublement de l'indemnité de licenciement,
' Ordonner le remboursement par le GIST des allocations de chômage au profit de France Travail,
' Fixer le salaire mensuel brut de M. [O] à la somme de 8.534,32 € bruts.
' Ordonner la fixation des sommes mentionnées ci-dessus avec intérêts légaux et anatocisme à compter de la saisine du conseil,
' Ordonner l'exécution provisoire du jugement à intervenir nonobstant appel et sans caution,
'Débouter l'association Groupement Interprofessionnel de Santé au Travail de l'ensemble de ses demandes.
Par jugement du 2 avril 2024, le conseil de prud'hommes de Saint-Nazaire a :
' déclaré le conseil de prud'hommes de céans incompétent au profit du pôle social du tribunal judiciaire de Nantes, et invité les parties à mieux se pourvoir,
' dit que chaque partie supporterait la charge de ses dépens.
M. [O] a interjeté appel le 18 avril 2024.
Par requête en date du 22 avril 2024, M. [O] a sollicité l'autorisation d'assigner à jour fixe le Groupement Interprofessionnel de Santé au Travail afin de voir statuer sur la compétence de la juridiction prud'homale.
Par ordonnance en date du 16 mai 2024 du président de chambre agissant sur délégation du premier président de la cour d'appel de Rennes, M. [O] a été autorisé à faire délivrer assignation à jour fixe au Groupement Interprofessionnel de Santé au Travail pour l'audience du 28 juin 2014.
L'assignation a été délivrée le 29 mai 2024.
Vu les écritures notifiées par voie électronique le 25 juin 2024 suivant lesquelles M. [O] demande à la cour de :
' Juger régulier et bien fondé l'appel interjeté par M. [O] contre le jugement du 2 avril 2024,
' Infirmer le jugement du conseil de prud'hommes se déclarant incompétent sur les demandes de M. [O], à savoir :
'In limine litis,
' Dire et juger que l'association GROUPEMENT INTERPROFESSIONNEL DE SANTE AU TRAVAIL était prescrite en sa demande reconventionnelle de voir condamner M. [O] à lui verser la somme de :
- 25.602,96 € bruts perçue à titre d'indemnité compensatrice de préavis,
- 21.369,94 € nets au titre du remboursement du doublement de l'indemnité de licenciement,
' Se déclarer compétent sur les demandes de dommages et intérêts au titre du :
- harcèlement moral,
- non-respect de l'obligation de sécurité,
' Débouter l'association GROUPEMENT INTERPROFESSIONNEL DE SANTE AU TRAVAIL de ses demandes d'incompétence,
Au fond,
A titre principal,
' Dire et juger que :
- l'association GROUPEMENT INTERPROFESSIONNEL DE SANTE AU TRAVAIL avait procédé à du harcèlement moral,
- le licenciement nul ou subsidiairement sans cause réelle et sérieuse ayant son origine dans le harcèlement moral,
' Condamner l'association GROUPEMENT INTERPROFESSIONNEL DE SANTE AU TRAVAIL à verser à M. [O] la somme de :
- 102.600 € nets au titre de dommages et intérêts pour le préjudice subi du fait du
licenciement nul, ou subsidiairement sans cause réelle et sérieuse,
- 60.000 € de dommages et intérêts pour le préjudice subi du fait du harcèlement moral,
A titre subsidiaire,
' Dire et juger que :
- l'association GROUPEMENT INTERPROFESSIONNEL DE SANTE AU TRAVAIL n'avait pas respecté son obligation de sécurité,
- le licenciement sans cause réelle et sérieuse,
' Condamner l'association GROUPEMENT INTERPROFESSIONNEL DE SANTE AU TRAVAIL à verser à M. [O] la somme de :
- 102.600 € nets au titre de dommages et intérêts pour le préjudice subi du fait du licenciement sans cause réelle et sérieuse,
- 60.000 € de dommages et intérêts pour le préjudice subi du fait du non-respect de l'obligation de sécurité,
En tout état de cause,
' Dire et juger que les conditions de rupture du contrat de travail de M. [O] ont été vexatoires,
' Condamner l'association GROUPEMENT INTERPROFESSIONNEL DE SANTE AU TRAVAIL à verser à M. [O] la somme de :
- 20.000 € nets de dommages et intérêts pour indemniser le préjudice du fait des conditions vexatoires de la rupture,
- 10.000 € nets de dommages et intérêts pour indemniser le préjudice du fait de la perte de droits à la retraite,
- 3.000 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,
' Débouter l'association GROUPEMENT INTERPROFESSIONNEL DE SANTE AU TRAVAIL de ses demandes reconventionnelles
- 25.602,96 € bruts perçue à titre d'indemnité compensatrice de préavis,
- 21.369,94 € nets au titre du remboursement du doublement de l'indemnité de licenciement,
Ordonner le remboursement par le GIST des allocations de chômage au profit de France Travail,
' Fixer le salaire mensuel brut de M. [O] à la somme de 8.534,32 € bruts.
' Ordonner la fixation des sommes mentionnées ci-dessus avec intérêts légaux et anatocisme à compter de la saisine du conseil,
' Ordonner l'exécution provisoire du jugement à intervenir nonobstant appel et sans caution,
' Débouter l'association GROUPEMENT INTERPROFESSIONNEL DE SANTE AU TRAVAIL de l'ensemble de ses demandes.'
' Juger que le conseil de prud'hommes ne pouvait relever d'office son incompétence,
' Annuler le jugement dont appel,
' Juger que le conseil de prud'hommes :
- ne pouvait se déclarer incompétent,
- était compétent sur les demandes formulées par M. [O],
En conséquence,
' Juger que le conseil de prud'hommes de Saint-Nazaire compétent au titre des demandes de M. [O] à savoir :
- à titre principal,
- dire et juger que :
- l'association Groupement Interprofessionnel de Santé au Travail avait procédé à du harcèlement moral,
- le licenciement nul ou subsidiairement sans cause réelle et sérieuse ayant son origine dans le harcèlement moral,
- condamner l'association Groupement Interprofessionnel de Santé au Travail à verser à M. [O] la somme de :
- 102.600 € nets au titre de dommages et intérêts pour le préjudice subi du fait du licenciement nul, ou subsidiairement sans cause réelle et sérieuse,
- 60.000 € de dommages et intérêts pour le préjudice subi du fait du harcèlement moral,
- à titre subsidiaire,
- dire et juger que :
- l'association Groupement Interprofessionnel de Santé au Travail n'avait pas respecté son obligation de sécurité,
- le licenciement est sans cause réelle et sérieuse,
- condamner l'association Groupement Interprofessionnel de Santé au Travail à verser à M. [O] la somme de :
- 102.600 € nets au titre de dommages et intérêts pour le préjudice subi du fait du licenciement sans cause réelle et sérieuse,
- 60.000 € de dommages et intérêts pour le préjudice subi du fait du non-respect de l'obligation de sécurité,
- en tout état de cause,
- dire et juger que les conditions de rupture du contrat de travail de M. [O] ont été vexatoires,
- condamner l'association Groupement Interprofessionnel de Santé au Travail à verser à M. [O] la somme de :
- 20.000 € nets de dommages et intérêts pour indemniser le préjudice du fait des conditions vexatoires de la rupture,
- 10.000 € nets de dommages et intérêts pour indemniser le préjudice du fait de la perte de droits à la retraite,
- 3.000 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,
- débouter l'association Groupement Interprofessionnel de Santé au Travail de ses demandes reconventionnelles
- 25.602,96 € bruts perçue à titre d'indemnité compensatrice de préavis,
- 21.369,94 € nets au titre du remboursement du doublement de l'indemnité de licenciement,
- ordonner le remboursement par le GIST des allocations de chômage au profit de France Travail,
- fixer le salaire mensuel brut de M. [O] à la somme de 8.534,32 € bruts.
- ordonner la fixation des sommes mentionnées ci-dessus avec intérêts légaux et anatocisme à compter de la saisine du conseil,
- ordonner l'exécution provisoire du jugement à intervenir nonobstant appel et sans caution,
- débouter l'association Groupement Interprofessionnel de Santé au Travail de l'ensemble de ses demandes,
' Statuer, au surplus, sur ce que de droit sur la compétence,
' Renvoyer le dossier par devant la juridiction prud'homale de Saint-Nazaire régulièrement saisi pour statuer sur le fond,
' Débouter l'association Groupement Interprofessionnel de Santé au Travail de ses demandes contraires aux présentes et notamment au titre de la condamnation à l'article 700 du Code de procédure civile,
' Condamner l'association Groupement Interprofessionnel de Santé au Travail à verser à M. [O] la somme de 3.000 au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.
Vu les écritures notifiées par voie électronique le 12 juin 2024, suivant lesquelles l'association Groupement Interprofessionnel de Santé au Travail demande à la cour de :
' Confirmer le jugement du conseil de prud'hommes en ce qu'il s'est déclaré incompétent au profit du pôle social du tribunal judiciaire de Nantes, pour connaître des demandes de M. [O]:
- de dommages et intérêts pour le préjudice subi du fait du harcèlement moral, ou à titre subsidiaire, pour non-respect de l'obligation de sécurité, à hauteur de 60.000 €,
- de dommages et intérêts pour préjudice lié à la perte des droits à la retraite, à hauteur de 10.000 € nets,
' Infirmer le jugement du conseil de prud'hommes en ce qu'il s'est déclaré incompétent pour connaître des demandes suivantes formulées par l'association Groupement Interprofessionnel de Santé au Travail :
- condamner M. [O] à la restitution des sommes suivantes :
- 25.602,96 € bruts perçue à titre d'indemnité compensatrice de préavis, soit 20.486,98 € nets,
- 21.369,94 € nets, correspondant à la différence entre somme perçue au titre de l'indemnité spéciale de licenciement pour inaptitude d'origine professionnelle et la somme qu'il aurait perçue au titre de l'indemnité de licenciement de droit commun,
- soit une somme totale de 41.856,92 € nets,
- avec intérêt au taux légal au jour de la décision à intervenir,
- dire qu'il y a lieu à l'application de l'article 1343-2 du Code Civil,
- condamner M. [O] au paiement d'une somme de 3.000 € sur le fondement de l'article 700 Code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens,
- ordonner l'exécution provisoire de la décision à intervenir,
' Renvoyer les parties devant le conseil de prud'hommes de Saint-Nazaire,
' Statuer, au surplus, ce que de droit sur la compétence,
En tout état de cause,
' Condamner M. [O] au paiement d'une somme de 3.000 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, au titre de frais engagés par le GIST en cause d'appel, ainsi qu'aux entiers dépens.
MOTIFS :
Sur la compétence du conseil de prud'hommes pour statuer sur le bien-fondé, l'absence de cause réelle et sérieuse ou la nullité du licenciement et les indemnités subséquentes :
Le salarié fait valoir que relèvent de la seule compétence du juge prud'homal les litiges relatifs à l'indemnisation d'un préjudice consécutif à la rupture du contrat de travail et ce peu important que le licenciement trouve son origine dans une maladie professionnelle.
Il fait observer que la juridiction prud'homale est seule compétente pour connaître d'un litige relatif à l'indemnisation d'un préjudice consécutif au licenciement.
Il sollicite à la fois l'infirmation et l'annulation du jugement de ce chef.
L'intimé demande à la cour de statuer ce que de droit sur la compétence.
Il résulte de la combinaison des dispositions des articles L142-8 du code de la sécurité sociale et L1411-1 du code du travail, que le juge judiciaire du pôle social a compétence exclusive pour trancher les litiges relatifs à la réparation des conséquences d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle, y compris lorsqu'ils portent sur l'indemnisation complémentaire pour faute inexcusable.
Si l'indemnisation des dommages résultant d'un accident du travail, qu'il soit ou non la conséquence d'un manquement de l'employeur à son obligation de sécurité, relève de la compétence exclusive du tribunal des affaires de sécurité sociale, la juridiction prud'homale est seule compétente pour statuer sur le bien-fondé de la rupture du contrat de travail et pour allouer, le cas échéant, une indemnisation au titre d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse (Soc, 3 mai 2018, n° 16-26.850)
C'est l'analyse des demandes formées par les parties qui permet de déterminer la juridiction compétente.
Lorsqu'il ressort des conclusions du salarié que la demande tend à réparer des conséquences, non d'un accident du travail, mais d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse, la juridiction prud'homale est compétente. Il en est ainsi lorsque l'inaptitude du salarié résulte d'un manquement préalable de l'employeur à son obligation de sécurité qui l'a provoquée.
Le conseil de prud'hommes est donc compétent pour statuer sur l'existence d'un manquement à une obligation de sécurité à l'origine d'une inaptitude et sur le bien-fondé du licenciement et pour allouer, le cas échéant, une indemnisation au titre d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse.
C'est donc à tort que le conseil de prud'hommes a soulevé d'office son incompétence matérielle.
En écartant d'office sa compétence pour statuer sur une demande qui relevait de sa compétence exclusive, le conseil de prud'hommes n'a pas commis d'excès de pouvoir mais une erreur d'appréciation laquelle n'est pas sanctionnée par la nullité du jugement.
En conséquence, le jugement sera infirmé et non annulé en ce qu'il a déclaré le conseil de prud'hommes incompétent pour statuer sur le bien-fondé de la rupture du contrat de travail et pour allouer, le cas échéant, une indemnisation au titre d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Sur la compétence du conseil de prud'hommes pour statuer sur les demandes reconventionnelles de l'employeur relatives à l'indemnité compensatrice et au remboursement du doublement de l'indemnité de licenciement :
L'intimé forme appel incident de ce chef faisant valoir que le conseil de prud'hommes est compétent pour connaître des litiges qui ont pour origine le contrat de travail et qui s'élèvent à l'occasion du travail mais également pour statuer sur l'origine professionnelle de l'inaptitude que l'employeur entend contester bien qu'ayant procédé au paiement de l'indemnité spéciale de licenciement et de l'indemnité compensatrice dont il sollicite en conséquence la restitution.
L'appréciation des conditions d'application des dispositions des articles L1226-10 et suivants relatives à l'inaptitude ayant pour origine un accident du travail ou une maladie professionnelle relève du conseil de prud'hommes.
Les règles protectrices applicables aux victimes d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle s'appliquent dès lors que l'inaptitude du salarié, quel que soit le moment où elle est constatée ou invoquée, a, au moins partiellement, pour origine cet accident ou cette maladie et que l'employeur avait connaissance de cette origine professionnelle au moment du licenciement. L'application de l'article L. 1226-10 du code du travail n'est pas subordonnée à la reconnaissance par la caisse primaire d'assurance maladie du lien de causalité entre l'accident du travail et l'inaptitude. (Soc, 9 juin 2010, n°09-41.040)
Les demandes reconventionnelles de l'employeur relatives à l'indemnité compensatrice et au remboursement du doublement de l'indemnité de licenciement étant en lien direct avec l'examen de l'origine professionnelle du licenciement, le conseil de prud'hommes, compétent pour statuer sur l'origine de l'inaptitude et ses conséquences indemnitaires, est compétent pour statuer le cas échéant sur ces demandes reconventionnelles.
Le jugement sera infirmé en ce qu'il s'est déclaré incompétent pour statuer sur ces chefs de demande.
Sur la compétence du conseil de prud'hommes pour statuer sur la demande de remboursement par le GIST des allocations de chômage au profit de France Travail :
Le conseil de prud'hommes compétent pour statuer sur le bien fondé de la rupture et ses conséquences indemnitaires est compétent pour statuer sur la demande de remboursement par le GIST des allocations de chômage au profit de France Travail.
Le jugement sera infirmé de ce chef.
Sur la compétence pour statuer sur la demande de dommages et intérêts pour le préjudice subi du fait du harcèlement moral :
L'appelant fait valoir que seul le conseil de prud'hommes est compétent pour qualifier une situation de harcèlement moral au sens de l'article L1152-1 et suivants du code du travail et pour connaître d'un litige relatif à l'indemnisation d'un préjudice consécutif à un harcèlement moral.
L'employeur, intimé, soutient que les règles de partage de compétence entre la juridiction prud'homale et la juridiction de la sécurité sociale s'appliquent au préjudice subi du fait du harcèlement moral et considère que M. [O] devrait faire la démonstration d'un préjudice subi antérieurement à la maladie constatée le 29 juillet 2017, distinct du «syndrome anxio-dépressif réactionnel» que l'employeur considère comme ayant déjà été indemnisé par la sécurité sociale.
La législation sur les accidents du travail et maladies professionnelles ne fait pas obstacle à l'attribution par le conseil de prud'hommes de dommages-intérêts au salarié en réparation du préjudice que lui a causé le harcèlement moral dont il a été victime antérieurement à la prise en charge de son accident du travail par la sécurité sociale (Soc 4 septembre 2019, n°18.17.329). Le préjudice réparé par le conseil de prud'hommes doit être distinct de celui réparé par le juge de la sécurité sociale.
S'agissant de la réparation subie du fait d'un harcèlement moral alors qu'une maladie professionnelle a été déclarée ou reconnue, le conseil de prud'hommes est compétent pour réparer le préjudice subi du fait du harcèlement moral sous réserve qu'il soit distinct des conséquences de la maladie professionnelle.
La juridiction prud'homale est donc compétente pour statuer sur la demande de réparation d'un préjudice que lui a causé le harcèlement moral dont le salarié a été victime antérieurement à la prise en charge par la sécurité sociale de la maladie professionnelle et distinct de celui réparé par la juridiction de la sécurité sociale au titre des conséquences de la maladie professionnelle.
Le jugement sera infirmé en ce qu'il s'est déclaré incompétent pour statuer sur le préjudice invoqué par le salarié causé par un harcèlement moral dans la limite du préjudice subi antérieurement à la prise en charge par la sécurité sociale de la maladie professionnelle et distinct de celui réparé par la juridiction de la sécurité sociale au titre des conséquences de la maladie professionnelle.
En revanche, il sera confirmé en ce qu'il s'est déclaré incompétent pour statuer sur le préjudice invoqué par le salarié causé par un harcèlement moral et subi postérieurement à la prise en charge par la sécurité sociale de la maladie professionnelle.
Sur la compétence pour statuer sur la demande subsidiaire de dommages-intérêts pour non respect de l'obligation de sécurité :
Il résulte de la combinaison des dispositions des articles L142-8 du code de la sécurité sociale et L1411-1 du code du travail, que le juge judiciaire du pôle social a compétence exclusive pour trancher les litiges relatifs à la réparation des conséquences d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle, y compris lorsqu'ils portent sur l'indemnisation complémentaire pour faute inexcusable.
Il en découle que le salarié ne peut former devant la juridiction prud'homale une action en dommages-intérêts pour manquement de l'employeur à l'obligation de sécurité pour obtenir l'indemnisation des dommages résultant d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle.
Ainsi, si la juridiction prud'homale est seule compétente pour statuer sur le bien-fondé de la rupture du contrat de travail, relève, en revanche, de la compétence exclusive du tribunal des affaires de sécurité sociale (devenu pôle social du tribunal judiciaire) l'indemnisation des dommages résultant d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle, qu'ils soient ou non la conséquence d'un manquement de l'employeur à l'obligation de sécurité. (Soc 29 mai 2013, n°11.20074)
Le conseil de prud'hommes n'est donc pas compétent pour allouer des dommages-intérêts en réparation du préjudice subi du fait d'un manquement à l'obligation de sécurité qui a été la cause d'une maladie professionnelle, lequel est indemnisé par la rente allouée au titre du Livre IV du code de la sécurité sociale.
Le jugement sera confirmé en ce que le conseil de prud'hommes s'est déclaré incompétent pour statuer sur la demande subsidiaire de dommages-intérêts pour manquement à l'obligation de sécurité.
Sur la compétence pour statuer sur la demande de dommages et intérêts pour préjudice lié à la perte des droits à la retraite :
L'appelant soutient que tout salarié licencié pour inaptitude et impossibilité de reclassement à la suite d'une maladie professionnelle comme d'un accident du travail dû à la faute inexcusable de l'employeur peut obtenir devant les juridictions du travail une indemnité pour perte de droits à la retraite.
L'intimé fait observer que la perte des droits à la retraite, même consécutive à un licenciement pour inaptitude, est déjà réparée par l'application des dispositions du livre IV du code de la sécurité sociale et souligne que M. [O] perçoit depuis 2022 une rente, conformément aux dispositions de ce livre du Code de la sécurité sociale, laquelle répare déjà la perte des droits à la retraite.
Il est jugé que si l'article L. 452-3 du code de la sécurité sociale, tel qu'interprété par le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 2010-8 QPC du 18 juin 2010, dispose qu'en cas de faute inexcusable, la victime d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle peut demander à l'employeur, devant la juridiction de sécurité sociale, la réparation des chefs de préjudice autres que ceux énumérés par le texte précité, c'est à la condition que ces préjudices ne soient pas déjà couverts par le livre IV du code de la sécurité sociale. La perte de droits à la retraite, même consécutive à un licenciement du salarié pour inaptitude, est couverte, de manière forfaitaire, par la rente majorée qui présente un caractère viager et répare notamment les pertes de gains professionnels et l'incidence professionnelle résultant de l'incapacité permanente partielle subsistant au jour de la consolidation. Dès lors, la perte des droits à la retraite subie par une victime, bénéficiant d'une rente majorée, se trouve déjà indemnisée par application des dispositions du livre IV, de sorte qu'elle ne peut donner lieu à une réparation distincte sur le fondement de l'article L. 452-3 du code de la sécurité sociale.(Mixte, 9 janvier 2015)
La rente servie au titre du livre IV du code de la sécurité sociale répare la perte des droits à la retraite. Il en résulte que même sur le fondement des dispositions de l'article L.1226-15 du code du travail, le juge prud'homal ne peut indemniser la perte des droits à la retraite consécutive à un accident du travail, laquelle est réparée par la rente prévue au titre du Livre IV.(Soc, 3 mai 2018, pourvoi n°14-20.214).
Le conseil de prud'hommes n'est donc pas compétent pour statuer sur l'indemnisation de la perte de droits à la retraite consécutive à un accident du travail ou une maladie professionnelle.
Le jugement sera confirmé de ce chef.
Sur la compétence pour statuer sur les conditions vexatoires de la rupture du contrat de travail
Le conseil de prud'hommes compétent pour statuer sur le bien fondé de la rupture et ses conséquences indemnitaires est compétent pour statuer sur la demande de dommages-intérêts au titre des conditions vexatoires de la rupture du contrat de travail.
Le jugement sera infirmé de ce chef.
Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile :
Il convient de laisser à chacune des parties la charge de ses propres dépens et de rejeter les demandes formées sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS :
LA COUR,
Statuant contradictoirement, par décision mise à disposition au greffe,
Infirme le jugement en ce qu'il s'est déclaré incompétent pour statuer sur le bien-fondé de la rupture du contrat de travail et pour allouer, le cas échéant, une indemnisation au titre d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse, les demandes reconventionnelles de l'employeur relatives à l'indemnité compensatrice de préavis et au remboursement du doublement de l'indemnité de licenciement, la demande de remboursement par le GIST des allocations de chômage au profit de France Travail, sur le préjudice invoqué par le salarié causé par un harcèlement moral dans la limite du préjudice subi antérieurement à la prise en charge par la sécurité sociale de la maladie professionnelle et la demande de dommages-intérêts au titre des conditions vexatoires de la rupture du contrat de travail,
Confirme le jugement en ce que le conseil de prud'hommes s'est déclaré matériellement incompétent pour statuer sur la demande subsidiaire de dommages-intérêts pour manquement à l'obligation de sécurité, sur le préjudice invoqué par le salarié causé par un harcèlement moral et subi postérieurement à la prise en charge par la sécurité sociale de la maladie professionnelle et l'indemnisation de la perte de droits à la retraite consécutive à un accident du travail ou une maladie professionnelle et a renvoyé les parties devant le pôle social du tribunal judiciaire de Nantes,
statuant à nouveau sur les chefs infirmés,
Déclare le conseil de prud'hommes de Saint-Nazaire compétent pour statuer sur le bien-fondé de la rupture du contrat de travail et pour allouer, le cas échéant, une indemnisation au titre d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse, les demandes reconventionnelles de l'employeur relatives à l'indemnité compensatrice et au remboursement du doublement de l'indemnité de licenciement, la demande de remboursement par le GIST des allocations de chômage au profit de France Travail, sur le préjudice invoqué par le salarié causé par un harcèlement moral dans la limite du préjudice subi antérieurement à la prise en charge par la sécurité sociale de la maladie professionnelle et distinct de celui réparé par la juridiction de la sécurité sociale au titre des conséquences de la maladie professionnelle et pour statuer sur la demande de dommages-intérêts au titre des conditions vexatoires de la rupture du contrat de travail,
Renvoie les parties devant le conseil de prud'hommes de Saint Nazaire afin de voir statuer sur les demandes relevant de sa compétence,
Rejette les demandes formées sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
Laisse à chacune des parties la charge de ses propres dépens.
LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT.