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04/09/2024 | FRANCE | N°21/07442

France | France, Cour d'appel de Rennes, 9ème ch sécurité sociale, 04 septembre 2024, 21/07442


9ème Ch Sécurité Sociale





ARRÊT N°



N° RG 21/07442 - N° Portalis DBVL-V-B7F-SH6C













[W] [T]



C/



CPAM LOIRE ATLANTIQUE

Société [12]

Société [15]





















Copie exécutoire délivrée

le :



à :











Copie certifiée conforme délivrée

le:



à:

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUP

LE FRANÇAIS



COUR D'APPEL DE RENNES

ARRÊT DU 04 SEPTEMBRE 2024





COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :



Président : Madame Cécile MORILLON-DEMAY, Présidente de chambre

Assesseur : Madame Véronique PUJES, Conseillère

Assesseur : Madame Anne-Emmanuelle PRUAL, Conseillère



GREFFIER :



Madame Adel...

9ème Ch Sécurité Sociale

ARRÊT N°

N° RG 21/07442 - N° Portalis DBVL-V-B7F-SH6C

[W] [T]

C/

CPAM LOIRE ATLANTIQUE

Société [12]

Société [15]

Copie exécutoire délivrée

le :

à :

Copie certifiée conforme délivrée

le:

à:

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE RENNES

ARRÊT DU 04 SEPTEMBRE 2024

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :

Président : Madame Cécile MORILLON-DEMAY, Présidente de chambre

Assesseur : Madame Véronique PUJES, Conseillère

Assesseur : Madame Anne-Emmanuelle PRUAL, Conseillère

GREFFIER :

Madame Adeline TIREL lors des débats et Monsieur Philippe LE BOUDEC lors du prononcé

DÉBATS :

A l'audience publique du 17 Avril 2024

ARRÊT :

Contradictoire, prononcé publiquement le 04 Septembre 2024 par mise à disposition au greffe comme indiqué à l'issue des débats, après prorogation du délibéré initialement fixé au 26 Juin 2024

DÉCISION DÉFÉRÉE A LA COUR:

Date de la décision attaquée : 29 Octobre 2021

Décision attaquée : Jugement

Juridiction : Tribunal Judiciaire de NANTES - Pôle Social

Références : 19/08058

****

APPELANT :

Monsieur [W] [T]

[Adresse 6]

[Adresse 6]

[Localité 5]

représenté par Me Christine JULIENNE de la SELARL MENARD-JULIENNE, avocat au barreau de NANTES substituée par Me Maxime JULIENNE, avocat au barreau de NANTES

INTIMÉES :

LA CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DE LA LOIRE ATLANTIQUE

[Adresse 7]

[Localité 5]

représentée par Madame [E] [Y] en vertu d'un pouvoir spécial

La Société [12] venant aux droits de la société [8] venant elle-même aux droits de la société [10]

[Adresse 17]

[Localité 13] ( Allemagne)

représentée par Me Annaïc LAVOLE, avocat au barreau de RENNES

La Société [15]

[Adresse 4]

[Localité 5]

représentée par Me Stéphane JEGOU de la SELARL PARTHEMA AVOCATS, avocat au barreau de NANTES substitué par Me Bernard MORAND, avocat au barreau de NANTES

****

EXPOSÉ DU LITIGE

M. [W] [T], salarié de la société de travail temporaire [14], puis [9], aux droits de laquelle vient la société [11] (la société), a assuré plusieurs missions pour le compte de la société [15] (la société utilisatrice) en tant qu'étancheur, à compter du 5 mars 2013.

Le 5 février 2014, M. [T] a été victime d'un accident du travail dans les circonstances suivantes : 'en chutant d'une échelle, qui a glissé, tombant ainsi de quatre mètres de hauteur'. Il a été pris en charge par les sapeurs pompiers et hospitalisé au CHU de [Localité 5] du 5 au 12 février 2014.

Le 7 février 2014, la société a complété une déclaration d'accident du travail, mentionnant les circonstances suivantes :

Date : 5 février 2014 à 09h00 ;

Lieu de l'accident : [Adresse 16], lieu de travail habituel ;

Activité de la victime lors de l'accident : le salarié aurait posé son échelle sur le mur pour monter sur le toit terrasse au lieu d'accéder au skydôme par l'intérieur ;

Nature de l'accident : le sol étant en métal et le temps étant humide, l'échelle a glissé et le salarié est tombé ;

Siège des lésions : dos ;

Horaires de travail de la victime le jour de l'accident : 08h00 à 12h30 et 14h00 à 17h30 ;

Accident connu le 5 février 2014 par ses préposés.

Le certificat médical initial, établi le 5 février 2014 par le CHU de [Localité 5], fait état d'une fracture 'fracture T12 et L1', avec prescription d'un arrêt de travail jusqu'au 1er juin 2014.

L'accident a été pris en charge par la caisse primaire d'assurance maladie de la Loire-Atlantique (la caisse) au titre de la législation sur les risques professionnels.

Par décision du 16 avril 2015, la caisse a notifié la prise en charge d'une nouvelle lésion imputable à l'accident du travail du 5 février 2014.

Par décision du 31 décembre 2015, après avis de son médecin conseil, la caisse a notifié à M. [T] sa date de consolidation au 10 janvier 2016. Contestant cette décision par courrier du 11 janvier 2016, M. [T] a fait l'objet d'une expertise médicale, laquelle a confirmé la date de consolidation au 10 janvier 2016.

Par décision du 15 mars 2016, la caisse a notifié à M. [T] un taux d'incapacité permanente partielle (IPP) de 20 % à compter du 11 janvier 2016.

Contestant cette décision, M. [T] a saisi le tribunal du contentieux de l'incapacité de Nantes, lequel a, par jugement du 9 décembre 2016, confirmé la décision de la caisse et dit qu'à la date du 10 janvier 2016, les séquelles présentées ont été correctement évaluées au taux de 20 %.

Par courrier du 12 juillet 2017, M. [T] a formé une demande en reconnaissance de la faute inexcusable de son employeur auprès de la caisse qui a dressé un procès-verbal de non-conciliation le 10 décembre 2017.

M. [T] a alors porté le litige devant le tribunal des affaires de sécurité sociale de Nantes le 26 juillet 2018.

Par jugement du 29 octobre 2021, le pôle social du tribunal judiciaire de Nantes, désormais compétent, a :

- dit que l'accident du travail dont a été victime M. [T] le 5 février 2014 n'est pas dû à la faute inexcusable de son employeur ;

- débouté M. [T] de l'ensemble de ses demandes ;

- condamné M. [T] aux entiers dépens de l'instance ;

- débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires.

Par déclaration adressée le 23 novembre 2021 par courrier recommandé avec avis de réception, M. [T] a interjeté appel de ce jugement qui lui a été notifié le 12 novembre 2021.

Par ses écritures parvenues au greffe le 19 avril 2022, auxquelles s'est référé et qu'a développées son conseil à l'audience, M. [T] demande à la cour de :

- déclarer recevable et bien-fondé son appel ;

- infirmer le jugement entrepris ;

Statuant à nouveau,

- juger que l'accident du travail survenu le 5 janvier (sic) 2014 dont il a été victime est dû à la faute inexcusable de la société ;

- condamner la société à en assumer les conséquences financières ;

- lui allouer la majoration de la rente qui lui a été versée sur la base d'un taux de 20 % à effet rétroactif du 10 janvier 2016 ;

- déclarer que la majoration devra suivre l'évolution du taux d'IPP ;

- déclarer qu'il incombera à la caisse de lui faire l'avance de ce doublement, sous réserve de son action récursoire à l'encontre de l'employeur ;

- avant dire droit sur le chiffrage des préjudices subis, s'entendre commettre tel expert médical qu'il plaira à la cour de désigner sous le bénéfice d'une mission lui impartissant au-delà des postes listés à l'article L. 452-3 du code de la sécurité sociale de se prononcer sur le déficit fonctionnel temporaire total ou partiel, le préjudice d'agrément, le préjudice sexuel, ainsi que les besoins en tierce personne avant consolidation et l'aménagement du logement et du véhicule ;

- fixer à l'expert désigné les missions figurant à son dispositif ;

- lui allouer la somme de 10 000 euros à titre de provision à valoir sur la liquidation de ses préjudices personnels ;

- déclarer qu'il incombera à la caisse de faire l'avance de la provision, sous réserve de son recours à l'encontre de l'employeur ;

- ordonner l'exécution provisoire de la décision à intervenir ;

- condamner la société de travail temporaire et la société utilisatrice, prises en la personne de leurs représentants légaux ou, à défaut, l'une ou l'autre, à lui verser la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre les éventuels dépens.

Par ses écritures parvenues au greffe le 19 juillet 2022, auxquelles s'est référée et qu'a développées sa représentante à l'audience, la caisse demande à la cour, en cas de reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur, de condamner la société à lui rembourser l'intégralité des sommes qu'elle sera amenée à verser à M. [T].

Par ses écritures parvenues par le RPVA au greffe le 26 octobre 2022, auxquelles s'est référé et qu'a développées son conseil à l'audience, la société de travail temporaire demande à la cour de :

- confirmer le jugement entrepris ;

- constater que M. [T] ne bénéficie pas de la présomption de faute inexcusable à son égard ;

- constater que M. [T] ne démontre pas l'existence de la faute inexcusable qu'il invoque ;

- constater qu'elle n'a commis aucune faute inexcusable ;

En conséquence,

- débouter M. [T] de sa demande en reconnaissance de faute inexcusable à son encontre ;

- condamner M. [T] au paiement d'une somme de 1 500 euros au titre des frais irrépétibles et aux entiers dépens ;

A titre subsidiaire, dans l'hypothèse où la cour devait infirmer le jugement et reconnaître la faute inexcusable de l'employeur,

- débouter M. [T] de sa demande de provision ;

- débouter M. [T] de sa demande d'expertise, sauf à pouvoir justifier de son utilité et de sa compatibilité avec les termes de la loi ;

- rejeter la demande tendant à intégrer dans la mission de l'expert les postes suivants : la fixation de la date de consolidation et l'évaluation du déficit fonctionnel permanent, la tierce personne post consolidation et l'incidence professionnelle ;

- juger qu'il appartiendra à la caisse de faire l'avance des sommes découlant d'une reconnaissance de la faute inexcusable ;

- condamner la société utilisatrice à la garantir de toutes les conséquences pécuniaires de la faute inexcusable tant en principal, intérêts et frais qu'au titre de l'article 700 du code de procédure civile et des dépens ;

- débouter M. [T], la société utilisatrice et la caisse de toutes leurs demandes, fins et conclusions plus amples ou contraires ;

- condamner la société utilisatrice à lui payer la somme de 1 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamner la société utilisatrice aux dépens.

Par ses écritures parvenues par le RPVA au greffe le 29 juillet 2022, auxquelles s'est référé et qu'a développées son conseil à l'audience, la société utilisatrice demande à la cour de :

- dire et juger M. [T] mal fondé en son appel ;

- confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;

- débouter M. [T] de toutes ses demandes, fins et conclusions ;

Subsidiairement,

- limiter la mission de l'expert aux seuls chefs de préjudices énumérés par l'article L. 452-3 du code de la sécurité sociale et à ceux non pris en charge par le livre IV du même code ;

- condamner M. [T] au paiement d'une indemnité de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamner M. [T] en tous les dépens.

Pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, la cour, conformément à l'article 455 du code de procédure civile, renvoie aux conclusions susvisées.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Il convient de rappeler à titre liminaire que le caractère professionnel de l'accident dont a été victime M. [T] le 5 février 2014 n'est pas contesté par les deux sociétés.

Sur la faute inexcusable

En vertu des dispositions de l'article L. 452-1 du code de la sécurité sociale, lorsque l'accident du travail est dû à la faute inexcusable de l'employeur ou de ceux qu'il s'est substitué dans la direction, la victime ou ses ayants-droit peuvent prétendre à une indemnisation complémentaire.

Des articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail, il résulte que l'employeur est tenu de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs en veillant à éviter les risques, à évaluer les risques qui ne peuvent pas être évités et à adapter le travail de l'homme, en particulier en ce qui concerne la conception des postes de travail ainsi que le choix des équipements de travail et des méthodes de travail et de production.

Le manquement à l'obligation légale de sécurité et de protection de la santé à laquelle l'employeur est tenu envers le travailleur a le caractère d'une faute inexcusable lorsque l'employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était soumis le travailleur et qu'il n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver.

Selon l'article L. 412-6 du code de la sécurité sociale, pour l'application des articles L. 452-1 à L. 452-4 du même code, l'utilisateur, le chef de l'entreprise utilisatrice ou ceux qu'ils se sont substitués dans la direction, sont regardés comme substitués dans la direction, au sens desdits articles, à l'employeur. Ce dernier demeure tenu des obligations prévues audit article sans préjudice de l'action en remboursement qu'il peut exercer contre l'auteur de la faute inexcusable.

Il résulte encore de l'article L. 1251-21 du code du travail que pendant la durée de la mission, l'utilisateur est responsable des conditions d'exécution du travail telles qu'elles sont déterminées par les mesures législatives, réglementaires et conventionnelles applicables. Pour l'application de ces dispositions, les conditions d'exécution du travail comprennent notamment ce qui a trait à la sécurité au travail.

En vertu des dispositions combinées des articles L.231-3-1 et L.231-8, devenus L.4154-2 et L.4154-3 du code du travail, l'existence de la faute inexcusable de l'employeur est présumée établie pour les salariés mis à la disposition d'une entreprise utilisatrice par une entreprise de travail temporaire, victimes d'un accident du travail alors, qu'affectés à des postes de travail présentant des risques particuliers pour leur sécurité, ils n'ont pas bénéficié d'une formation renforcée à la sécurité ainsi que d'un accueil et d'une information adaptés dans l'entreprise dans laquelle ils sont employés.

Cette formation s'analyse comme une formation aux modes opératoires à mettre en oeuvre sur le poste, incluant les règles de sécurité.

La présomption de faute inexcusable instituée par l'article L.4154-3 du code du travail ne peut être renversée que par la preuve que l'entreprise utilisatrice a dispensé au salarié la formation renforcée à la sécurité prévue par l'article R. 4154-2 du même code. (2e civ, 11 octobre 2018, n°17.23694)

L'obligation de formation incombe à la société utilisatrice qui ne peut se retrancher derrière la formation fournie par la société d'intérim et l'ancienneté du salarié dans le métier.

Il convient enfin de rappeler que la faute de la victime n'a pas pour effet d'exonérer l'employeur de la responsabilité qu'il encourt en raison de sa faute inexcusable. Il ne peut être opposé au salarié que sa propre faute inexcusable au sens de l'article L. 453-1 du code de la sécurité sociale. Celle-ci qui s'entend comme une faute volontaire d'une exceptionnelle gravité exposant sans raison valable son auteur à un danger dont il aurait dû avoir conscience, n'a pas d'autre effet que de permettre de réduire la majoration de la rente à laquelle il peut prétendre (2e Civ., 17 janvier 2007, pourvoi n° 05-17.701).

M. [T] a été employé à plusieurs reprises dans le cadre de missions d'interim par la société [15], mis à disposition par la société [14], en qualité d'étancheur, et pour la dernière fois, par contrat du 3 février 2014 pour une mission devant se dérouler du 3 au 7 février 2014. Dans ce dernier contrat, il est spécifié comme caractéristique du poste 'travaux d'étanchéité' et comme risques professionnels la mention 'non communiqué'. Il ne peut donc être déduit de ce document que M.[T] n'était exposé à aucun risque particulier pour sa sécurité, la rubrique prévue à cet effet n'étant pas renseignée.

Les circonstances de l'accident ne sont pas réellement en discussion. En effet, les parties s'accordent sur le déroulement des faits : M. [T] a chuté d'une hauteur d'environ 4 mètres, alors qu'il était sur une échelle pour accéder à un toit-terrasse sur lequel il devait effectuer des travaux de reprise sur l'étanchéité. Les pieds de l'échelle ont glissé et ce mouvement a entraîné sa chute. Il était seul lors de cette manoeuvre.

Les parties s'accordent également sur le fait qu'initialement l'accès devait s'effectuer par l'intérieur du bâtiment mais que, seul sur les lieux du chantier, M. [T] a en définitive décidé d'accéder au toit par l'extérieur, en utilisant une échelle mobile.

A cet égard, l'entreprise utilisatrice produit une attestation de M. [N], conducteur de travaux, qui explique que :

'il s'est rendu avec le salarié sur le chantier, il lui a présenté l'accès du bâtiment pour qu'il puisse y effectuer des reprises de travaux, il lui a montré comment s'effectuait l'accès à la toiture en lui indiquant qu'il fallait obligatoirement passer par l'intérieur du bâtiment et emprunter le skydôme se situant à l'étage, le salarié n'a pas suivi ses recommandations et il a grimpé par l'escalier de secours extérieur, de son propre chef, avec son échelle sachant que la météo n'était pas clémente et il a glissé.'

Cette attestation n'est pas de nature à contredire les explications de M.[T] qui a indiqué que s'il a dû passer par l'extérieur, c'est parce que personne n'a répondu à ses appels pour lui permettre de pénétrer dans l'immeuble et d'accéder au skydôme comme il lui avait été indiqué. Il affirme d'ailleurs, sans être utilement contredit sur ce point, qu'il ne disposait pas de badge d'accès à cet immeuble. Au surplus, le non-respect de consignes données la veille par le supérieur hiérarchique, qui n'était pas présent sur les lieux au moment de l'accident et n'a donc pu évaluer les conditions d'exécution de la tâche confiée au salarié, n'est pas de nature à exonérer l'entreprise de sa faute inexcusable.

Au surplus, la société utilisatrice affirme sans en rapporter la preuve que le lieu d'exécution des travaux, le toit-terrasse, était sécurisé, alors qu'il n'a été effectué aucune évaluation des risques sur ce chantier.

Il est en revanche indéniable que les travaux d'étanchéité en toit terrasse présentent un risque élevé de chute de hauteur pour le salarié et que de ce fait le poste occupé par M. [T] était un poste à risque au sens du droit du travail. Au regard de ce risque particulier, clairement identifié au regard de la nature des travaux, devant conduire la société à prendre les mesures nécessaires pour le limiter, l'entreprise utilisatrice devait dispenser à M. [T] une formation renforcée à la sécurité, ainsi qu'un accueil et une information adaptés dans l'entreprise dans laquelle il était employé.

Pour justifier du respect des prescriptions légales, la société utilisatrice produit en pièce 1, un document intitulé 'accueil et formation à la sécurité des nouveau arrivants'. Cette fiche, signée par M. [T] le 15 mars 2013, n'est pas déterminante pour caractériser la réalisation d'une formation renforcée à la sécurité. La mention d'une rubrique 'transmission des consignes de sécurité et règles de prévention' et précisant que le collaborateur a été informé des consignes générales de sécurité en vigueur dont le port obligatoire des EPI, l'utilisation obligatoire des équipements de sécurité mis à sa disposition, la remise du livret d'accueil sécurité avec commentaires avec la case 'oui' cochée face aux sous rubriques ne permet pas de considérer que M. [T] a reçu une formation à la sécurité renforcée, alors même que le contenu de ces consignes et règles de prévention visées n'est pas précisé. Au surplus, cette prétendue formation dispensée un an auparavant, sans que l'on sache si la relation de travail a été continue sur toute la période, n'est pas de nature à établir que l'entreprise utilisatrice a respecté ses obligations de formation à la sécurité renforcée.

En conséquence, la présente cour ne peut que constater que la société ne justifie pas que M. [T] a bénéficié avant sa prise de poste, en début de mission et, en tout état de cause avant sa chute, d'une formation renforcée à la sécurité, ainsi que le prévoit le code du travail pour les postes de travail à risques. Par ce seul constat, la faute inexcusable de l'entreprise utilisatrice, substituée à l'employeur dans la direction du salarié, est acquise en application de l'article L. 4154-2 précité.

Le jugement déféré sera donc infirmé.

Sur l'action récursoire de la société [12] venant aux droits de la société [9] à l'encontre de la société [15]:

Il résulte de la combinaison des articles L. 412-6 et L. 452-3 du code de la sécurité sociale que si, en cas d'accident du travail survenu à un travailleur intérimaire et imputable à la faute inexcusable de l'entreprise utilisatrice, l'entreprise de travail temporaire employeur est seule tenue envers l'organisme social du remboursement des indemnités complémentaires prévues par la loi, elle dispose d'une action récursoire contre l'entreprise utilisatrice, auteur de la faute inexcusable. (2e Civ., 21 juin 2006, pourvoi n° 04-30.665, Bull. 2006, II, n° 164)

L'entreprise de travail temporaire dispose donc d'un recours contre l'entreprise utilisatrice pour obtenir simultanément ou successivement le remboursement des indemnités complémentaires versées à la victime et la répartition de la charge financière de l'accident du travail. ( 2e Civ., 12 mars 2009, pourvoi n° 08-10.629 ; 2e Civ., 12 mars 2009, pourvoi n° 08-11.735, Bull. 2009, II, n° 73).

La société de travail temporaire estime que c'est la société utilisatrice qui supporte la responsabilité pleine et entière de l'accident, dès lors que l'obligation de formation à la sécurité incombe exclusivement à cette dernière. La société utilisatrice, pour sa part, ne formule aucune observation sur ce point.

Ainsi qu'il a été rappelé, les salariés temporaires affectés à des postes de travail présentant des risques particuliers pour leur santé ou leur sécurité doivent bénéficier d'une formation renforcée à la sécurité. Cette obligation de formation pèse sur l'entreprise utilisatrice et il a été démontré que cette dernière a manqué à cette obligation.

Celle-ci, qui n'invoque aucun moyen pour s'opposer à la demande de garantie de la société de travail temporaire, sera en conséquence condamnée à garantir cette dernière de l'ensemble des conséquences financières de la faute inexcusable ainsi que des frais d'expertise, des dépens et de l'indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Sur les conséquences de la reconnaissance de la faute inexcusable

Selon l'article L. 452-1 du code de la sécurité sociale, lorsque l'accident est dû à la faute inexcusable de l'employeur ou de ceux qu'il s'est substitués dans la direction, la victime ou ses ayants droit ont droit à une indemnisation complémentaire dans les conditions définies aux articles suivants.

S'agissant de la réparation du préjudice de la victime directe, lorsqu'il subsiste une incapacité permanente partielle et qu'il lui a été alloué en conséquence, soit une indemnité en capital, soit une rente, ces indemnités sont majorées dans les conditions définies à l'article L 452-2 du même code.

En outre, indépendamment de la majoration de rente qu'elle reçoit en vertu de l'article précédent, la victime a le droit, selon l'article L. 452-3 du code précité de demander à l'employeur devant la juridiction de sécurité sociale la réparation du préjudice causé par les souffrances physiques et morales par elle endurées, de ses préjudices esthétiques et d'agrément ainsi que celle du préjudice résultant de la perte ou de la diminution de ses possibilités de promotion professionnelle.

Tel qu'interprété par le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 2010-8 QPC du 18 juin 2010, l'article L. 452-3 du code de la sécurité sociale permet à la victime d'un accident du travail de demander à l'employeur dont la faute inexcusable a été reconnue la réparation d'autres chefs de préjudice que ceux énumérés, à la condition que ses préjudices ne soient pas déjà couverts par le livre IV du code de la sécurité sociale.

Comme l'a jugé la Cour de cassation (Ass. plén., 20 janvier 2023, pourvoi n° 20-23.673 et pourvoi n° n° 21-23.947) eu égard à son mode de calcul appliquant au salaire de référence de la victime le taux d'incapacité permanente défini à l'article L. 434-2 du code de la sécurité sociale, la rente versée à la victime d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle ne répare pas le déficit fonctionnel permanent.

Ce poste de préjudice permet, pour la période postérieure à la consolidation, d'indemniser non seulement l'atteinte objective à l'intégrité physique et psychique, qui est en l'espèce représentée par un taux d'IPP de 20 %, hors taux socio-professionnel, mais également les douleurs physiques et psychologiques, ainsi que la perte de qualité de vie et les troubles ressentis dans les conditions d'existence personnelles, familiales et sociales.

Il s'en déduit que la victime d'une faute inexcusable de l'employeur peut obtenir une réparation complémentaire au titre de ces préjudices.

Il y a lieu en conséquence d'ordonner la majoration maximum de la rente allouée à M. [T] sur la base du taux d'incapacité de 20 % retenu par la caisse, qui n'a pas été contesté par la société.

Une expertise médicale sera en outre diligentée pour déterminer les préjudices de M. [T] selon les modalités indiquées dans le dispositif ci-après.

Il sera dès lors sursis à statuer sur la réparation des préjudices jusqu'au dépôt du rapport d'expertise.

M. [T] a souffert du fait de cet accident d'une fracture de vertèbre traitée initialement par corset thermoformé. Il a ensuite évolué vers des douleurs chroniques lombaires, qui sont décrites comme extrêmement intenses et insupportables, et vers des troubles vésico-sphinctériens sévères.

En conséquence, la cour trouve dans la cause les éléments suffisants pour allouer à M. [T] une provision d'un montant de 10 000 euros.

La caisse fera l'avance des sommes allouées à M. [T].

Sur l'action récursoire de la caisse

Il résulte du dernier alinéa l'article L. 452-3 du code de la sécurité sociale que la réparation des préjudices allouée à la victime d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle dus à la faute inexcusable de l'employeur, indépendamment de la majoration de rente, est versée directement au bénéficiaire par la caisse qui en récupère le montant auprès de l'employeur.

Le bénéfice de ce versement direct s'applique également aux indemnités réparant les préjudices non couverts par le livre IV du code de la sécurité sociale (2e Civ., 10 mars 2016, pourvoi n° 15-10.824).

Ayant pour objet exclusif la prise en charge ou le refus de prise en charge au titre de la législation professionnelle, de l'accident, de la maladie ou de la rechute, la décision prise par la caisse dans les conditions prévues par l'article R. 441-14 du code de la sécurité sociale, dans sa rédaction issue du décret n°2009-938 du 29 juillet 2009, est sans incidence sur l'action en reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur.

Ainsi, la caisse est fondée à faire valoir son action récursoire à l'encontre de la société de travail temporaire en ce qui concerne la majoration de rente et les indemnités allouées en réparation de la faute inexcusable de l'employeur. (2e Civ., 28 novembre 2019, pourvoi n° 18-24.161).

Il sera donc fait droit à l'action récursoire de la caisse.

Sur les frais irrépétibles et les dépens

Il convient de surseoir à statuer sur la demande d'indemnité présentée par M.[T] sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi que sur les dépens.

PAR CES MOTIFS :

La COUR, statuant publiquement par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe,

Infirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions,

Statuant à nouveau,

Dit que l'accident dont a été victime M. [T] est dû à la faute inexcusable de la société [15];

Condamne la société [15] à garantir la société [12] venant aux droits de la

société [9] de l'intégralité des conséquences financières de la faute inexcusable, ainsi que des frais d'expertise, des dépens et de l'indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Ordonne la majoration maximale de la rente versée à M. [T] sur la base d'un taux d'incapacité permanente de 20 % ;

Dit que l'avance en sera faite par la caisse primaire d'assurance maladie de la Loire-Atlantique ;

Avant dire droit sur la liquidation du préjudice :

Ordonne une expertise et commet pour y procéder le docteur [L] [O], [Adresse 3] (Tél : [XXXXXXXX02]; Fax : [XXXXXXXX01] ; Mèl : [Courriel 18]), lequel aura pour mission, au regard de la date de consolidation fixée par la caisse au 10 janvier 2016, et du taux d'incapacité de 20 %, de :

- convoquer l'ensemble des parties et leurs avocats, recueillir les dires et doléances de la victime, se procurer tous documents, médicaux ou autres, relatifs à la présente affaire et procéder en présence des médecins mandatés par les parties, avec l'assentiment de la victime, à un examen clinique détaillé en fonction des lésions initiales et des doléances exprimées par la victime ;

- à partir des déclarations de la victime, au besoin de ses proches et de tout sachant, et des documents médicaux fournis, décrire en détail les lésions initiales, les modalités de traitement, en précisant le cas échéant, les durées exactes d'hospitalisation et pour chaque période d'hospitalisation, la nature des soins ;

- décrire, en cas de difficultés particulières éprouvées par la victime, les conditions de reprise de l'autonomie et, lorsque la nécessité d'une aide temporaire est alléguée, la consigner et émettre un avis motivé sur sa nature (garde des enfants, soins ménagers, assistance temporaire d'une tierce personne, adaptation temporaire du véhicule ou du logement.....) ;

- donner son avis sur les points suivants :

- le déficit fonctionnel temporaire : indiquer les périodes pendant lesquelles la victime a été, du fait de son déficit fonctionnel temporaire, dans l'incapacité fonctionnelle totale ou partielle de poursuivre ses activités personnelles habituelles ; préciser la durée des périodes d'incapacité totale ou partielle et le taux de celles-ci ;

- les besoins en aide humaine : dire si avant consolidation il y a eu nécessité de recourir à l'assistance d'une tierce personne et dans l'affirmative s'il s'est agi d'une assistance constante ou occasionnelle (étrangère ou non à la famille), si elle a été nécessaire pour effectuer les démarches et plus généralement pour accomplir les actes de la vie quotidienne ; en indiquer la nature et la durée quotidienne;

- les souffrances endurées : décrire les souffrances physiques et psychiques découlant des blessures subies en distinguant le préjudice temporaire avant consolidation et le préjudice définitif après consolidation et les évaluer distinctement dans une échelle de 1 à 7 ;

- le préjudice esthétique : donner un avis sur l'existence, la nature et l'importance du préjudice esthétique, en distinguant le préjudice temporaire et le préjudice définitif ; évaluer distinctement les préjudices temporaire et définitif dans une échelle de 1 à 7 ;

- les troubles dans les conditions d'existence : Interroger la victime sur la modification de ses conditions d'existence à la suite de l'accident dont elle a été victime (habitudes relationnelles, liberté d'agir et de mener des projets, menus plaisirs de l'existence, vitalité, cadre de vie... ) ; Préciser si la modification alléguée est qualifiée de peu altérée, altérée, très altérée ; Donner un avis médical sur la gêne ou l'impossibilité invoquée, sans se prononcer sur sa réalité ;

- le préjudice d'agrément : si M. [T] allègue une gêne ou une impossibilité, du fait des séquelles de se livrer à des activités spécifiques de sport et de loisirs, temporaire ou définitive, donner un avis médical sur la gêne ou l'impossibilité invoquée, sans se prononcer sur sa réalité ;

- le préjudice sexuel : donner un avis sur l'existence, la nature et l'étendue d'un éventuel préjudice sexuel en précisant s'il recouvre l'un ou plusieurs des trois aspects pouvant être altérés séparément ou cumulativement, partiellement ou totalement : la libido, l'acte sexuel proprement dit (impuissance ou frigidité) et la fertilité (fonction de reproduction) ;

- le préjudice de perte ou de diminution des possibilités de promotion professionnelle : donner tous éléments médicaux permettant d'apprécier la réalité et l'étendue du préjudice résultant de la perte ou de la diminution de ses possibilités de promotion professionnelle ;

- les frais de véhicule adapté : dire si l'état séquellaire de la victime lui permet la conduite d'un véhicule automobile et dans cette hypothèse, si son véhicule doit comporter des aménagements, les décrire ;

- les frais d'adaptation du logement : indiquer si, compte tenu de l'état séquellaire, il y a nécessité d'envisager un aménagement du logement et, si c'est le cas, sans anticiper sur la mission qui pourrait être confiée à un homme de l'art, préciser quels types d'aménagements seront indispensables au regard de cet état ;

- faire toutes observations utiles ;

Dit que l'expert pourra s'adjoindre tout spécialiste de son choix, à charge pour lui d'en informer préalablement le magistrat chargé du contrôle des expertises et de solliciter le versement d'une provision complémentaire ;

Dit que l'expert devra :

- communiquer un pré-rapport aux parties en leur impartissant un délai pour la production de leurs dires auxquels il devra répondre dans son rapport définitif ;

- adresser son rapport définitif à chacune des parties ainsi qu'à la cour dans les six mois de sa saisine ;

Dit que le rapport devra être accompagné de son mémoire de frais avec justification de ce que ledit mémoire a été communiqué aux parties ;

Rappelle les dispositions de l'article 276 du code de procédure civile :

« L'expert doit prendre en considération les observations ou réclamations des parties, et, lorsqu'elles sont écrites, les joindre à son avis si les parties le demandent.

Toutefois, lorsque l'expert a fixé aux parties un délai pour formuler leurs observations ou réclamations, il n'est pas tenu de prendre en compte celles qui auraient été faites après l'expiration de ce délai, à moins qu'il n'existe une cause grave et dûment justifiée, auquel cas il en fait rapport au juge.

Lorsqu'elles sont écrites, les dernières observations ou réclamations des parties doivent rappeler sommairement le contenu de celles qu'elles ont présentées antérieurement. A défaut, elles sont réputées abandonnées par les parties.

L'expert doit faire mention, dans son avis, de la suite qu'il aura donnée aux observations ou réclamations présentées.»

Dit que l'expert devra faire connaître sans délai son acceptation au juge chargé du contrôle de l'expertise et le coût prévisible de l'expertise ;

Dit que les frais d'expertise seront avancés par la caisse primaire d'assurance maladie de la Loire-Atlantique qui devra consigner la somme de 1 500 euros auprès du régisseur de la cour dans les 30 jours de la notification du présent arrêt ;

Désigne le président de chambre ou tout autre magistrat de la chambre sociale chargé de l'instruction des affaires en qualité de juge chargé du contrôle de la mesure d'expertise ;

Dit qu'en cas d'empêchement ou de refus de l'expert, il sera procédé à son remplacement par ordonnance du magistrat susvisé ;

Alloue à M. [T] une provision de 10 000 euros à valoir sur l'indemnisation définitive de ses préjudices non couverts par le Livre IV du code de la sécurité sociale et renvoie devant la caisse primaire d'assurance maladie de la Loire-Atlantique pour la mise en paiement de cette somme ;

Fait droit à l'action récursoire de la caisse primaire d'assurance maladie de la Loire-Atlantique à l'encontre de la société [12] venant aux droits de la société [9] pour l'ensemble des sommes dont elle est tenue de faire l'avance (dans la limite, s'agissant du capital représentatif de la majoration de rente, du taux de 20% d'incapacité permanente partielle) ;

Sursoit à statuer sur la liquidation du préjudice, les autres demandes d'indemnité pour frais de procédure et les dépens jusqu'au dépôt du rapport d'expertise ;

Ordonne la radiation du dossier et son retrait du rôle des affaires en cours et dit que les débats seront repris à la demande de la partie la plus diligente, sous réserve du dépôt de ses conclusions et de la justification de leur notification préalable à la partie adverse.

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Rennes
Formation : 9ème ch sécurité sociale
Numéro d'arrêt : 21/07442
Date de la décision : 04/09/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 10/09/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-09-04;21.07442 ?
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