5ème Chambre
ARRÊT N° 277
N° RG 21/07178 - N° Portalis DBVL-V-B7F-SGZP
(Réf 1ère instance : 2021F00208)
S.A. AXA FRANCE IARD
C/
S.E.L.A.R.L. GRAND OUEST PROTECTION MANDATAIRE JUDICIAIRE GOPMJ
S.A.R.L. [Adresse 7]
Infirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours
Copie exécutoire délivrée
le :
à :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE RENNES
ARRÊT DU 04 SEPTEMBRE 2024
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :
Président : Madame Pascale LE CHAMPION, Présidente,
Assesseur : Madame Virginie PARENT, Présidente de chambre,
Assesseur : Madame Virginie HAUET, Conseiller,
GREFFIER :
Madame Catherine VILLENEUVE lors des débats et Madame Isabelle OMNES lors du prononcé
DÉBATS :
A l'audience publique du 29 Mai 2024
ARRÊT :
Contradictoire, prononcé publiquement le 04 Septembre 2024 par mise à disposition au greffe comme indiqué à l'issue des débats
****
APPELANTE :
S.A. AXA FRANCE IARD
[Adresse 1]
[Localité 6] / FRANCE
Représentée par Me Emilie BUTTIER de la SELARL RACINE, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de NANTES
INTIMÉES :
S.E.L.A.R.L. GRAND OUEST PROTECTION MANDATAIRE JUDICIAIRE GOPMJ - représentée par Maître [P] [J] ès qualités de liquidateur de la société [Adresse 7] suivant jugement du tribunal de commerce de Rennes en date du 24 mai 2023
INTERVENANTE VOLONTAIRE
[Adresse 3]
[Localité 2]
Représentée par Me Vincent DUTTO de la SELARL CRESSARD & LE GOFF, AVOCATS, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de RENNES
S.A.R.L. [Adresse 7] Société à responsabilité limitée immatriculée au RCS de RENNES sous le n° 789 722 196 en liquidation judiciaire simplifiée suivant jugement du tribunal de commerce de Rennes en date du 24 mai 2023
[Adresse 4]
[Localité 2]
Représentée par Me Vincent DUTTO de la SELARL CRESSARD & LE GOFF, AVOCATS, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de RENNES
************
La société [Adresse 7] exploite un restaurant.
Le 21 janvier 2013, elle a souscrit un contrat d'assurance multirisque professionnelle auprès de la société Axa France Iard comportant une clause de garantie 'Perte d'exploitation' liée aux conséquences financières d'un arrêt d'activité.
À la suite des diverses mesures gouvernementales prises pour lutter contre la propagation du virus Covid-19, le conseil de la société [Adresse 7] a mis en demeure la société Axa France Iard de l'indemniser de son préjudice.
Par courrier du 24 mars 2021, la société Axa France Iard a rejeté ces demandes en invoquant une clause d'exclusion de garantie.
Par ordonnance du 26 avril 2021, au visa de l'article 858 du code de procédure civile, le président du tribunal de commerce de Rennes a autorisé la société [Adresse 7] à assigner la société Axa France Iard à bref délai.
Par jugement en date du 12 novembre 2021, le tribunal de commerce de Rennes a :
- dit que la clause d'exclusion de garantie relative aux pertes d'exploitation, inscrite dans les conditions particulières du contrat, est réputée non écrite, et donc est nulle et de nul effet et en tout état de cause non opposable a la société [Adresse 7],
- constaté que les conditions relatives à la garantie 'Pertes d'exploitation' consécutives a la fermeture administrative du restaurant exploité par la société [Adresse 7] lui sont acquises,
- condamné la société Axa France Iard à garantir, dans la limite contractuelle, les pertes d'exploitation consécutives à la fermeture administrative du restaurant exploité par la société [Adresse 7], dans les conditions prévues au contrat,
- condamné la société Axa France Iard à payer à la société [Adresse 7], à titre de provision, la somme de 60 000 euros à valoir sur l'indemnité définitive, sous astreinte provisoire de 500 euros par jour passé le 15ème jour suivant la signification du jugement, et ce pour une période de 60 jours, après quoi il devra à nouveau y être fait droit,
- réservé le droit de liquider l'astreinte conformément aux dispositions de l'article 491 du code de procédure civile,
- fait droit à la demande d'expertise judiciaire formulée, aux frais avancés exclusivement par la société [Adresse 7],
- désigné la société XO Conseil, expert judiciaire, représentée par M. [V], demeurant [Adresse 5] à [Localité 8] avec pour mission de :
* se faire communiquer tous documents et pièces qu'il estimera utile à l'accomplissement de sa mission, (notamment I'estimation détaillée effectuée par la demanderesse et/ou son expert-comptable), accompagnée des comptes annuels détaillés des trois derniers exercices 2018, 2019 et 2020,
* entendre les parties ainsi que tout sachant et évoquer, à l'issue de la première réunion avec les parties le calendrier possible de la suite de ses opérations,
* examiner les pertes d'exploitation garanties contractuellement par le contrat d'assurance,
* donner son avis sur le montant des pertes d'exploitation consécutives à la baisse du chiffre d'affaires causée par I'interruption ou la réduction de l'activité, de la marge brute (chiffre d'affaires-charges variables) incluant les charges salariales et les économies réalisées,
* donner son avis sur les coefficients de tendance générale de l'évolution de l'activité et des facteurs externes et internes susceptibles d'être pris en compte pour le calcul de la réduction d'activité imputable à la mesure de fermeture,
* rédiger un pré-rapport et le soumettre aux parties,
* répondre aux dires des parties,
* rédiger un rapport définitif,
- dit qu'avant d'accepter sa mission, l'expert désigné pourra consulter au greffe du tribunal les documents qui lui sont nécessaires par application de l'article 268 du code de procédure civile,
- dit qu'en cas de refus de la mission, il sera procédé à la désignation d'un autre expert par le juge en chargé du suivi du dossier,
- dit qu'en cas de carence des parties à fournir tous moyens à l'expert d'accomplir sa mission, ce dernier informera le juge chargé du suivi du dossier conformément aux dispositions de l'article 275 du code de procédure civile,
- dit que l'expert pourra recueillir les déclarations de toutes personnes informées et pourra s'adjoindre tout technicien de son choix dans une spécialité distincte de la sienne par application de l'article 278 du code de procédure civile,
- fixé la provision sur honoraires de l'expert à la somme de 3 000 euros que la demanderesse devra consigner au greffe du tribunal, dans le délai d'un mois à compter de la date de l'ordonnance,
- dit que l'expert devra commencer ses opérations à compter du jour où il aura reçu notification par le greffe de la consignation de la provision fixée ci-dessus, et ce, conformément a l'article 267 alinéa 2 du code de procédure civile,
- dit qu'à défaut de consignation dans le délai imparti, le juge chargé du suivi du dossier constatera la caducité de la mesure sauf par l'une des parties à agir conformément a l'article 271 du code de procédure civile,
- dit que l'expert fera connaître à la société demanderesse le montant de ses frais et honoraires dans le mois suivant la première réunion,
- dit que l'expert devra déposer son rapport définitif en deux exemplaires au greffe du tribunal de commerce de Rennes dans un délai de 4 mois à compter du jour de la consignation de la provision au greffe du tribunal,
- dit que dans le cas où les parties viendraient à se concilier, elles en informeront l'expert, lequel devra constater que sa mission est devenue sans objet et en faire rapport au juge chargé du suivi du dossier après que les parties aient convenu du mode de règlement de ses honoraires et débours,
- dit que M. Jean-Paul Eyraud, président de chambre du tribunal, aura en charge le suivi du dossier,
- autorisé les greffiers à remettre leurs dossiers aux parties ou à leurs conseils,
- sursis à statuer sur la liquidation définitive de l'indemnisation pour pertes d'exploitation dans l'attente du rapport de l'expert,
- condamné la société Axa France Iard, qui succombe, à payer à la société demanderesse la somme de 3 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- débouté la société [Adresse 7] du surplus de ses demandes, fins et conclusions,
- débouté la société Axa France Iard du surplus de ses demandes, fins et conclusions,
- condamné la société Axa France Iard aux entiers dépens de l'instance,
- liquidé les frais de greffe à la somme de 89,65 euros tels que prévus aux articles 695 et 701 du code de procédure civile.
Le 17 novembre 2021, la société France Iard a interjeté appel de cette décision.
Par jugement du 24 mai 2023, le tribunal de commerce de Rennes a ouvert une procédure de liquidation judiciaire à l'encontre de la société [Adresse 7].
La SELARL GOPMJ, représentée par maître [J], a été désignée en qualité de mandataire liquidateur.
Aux termes de ses dernières écritures notifiées le 3 avril 2024, la société Axa France Iard demande à la cour de :
- déclarer recevable et bien fondé son appel et, y faisant droit :
À titre principal
- infirmer le jugement du 12 novembre 2021 du tribunal de commerce de Rennes en ce qu'il :
* a dit que la clause d'exclusion de garantie relative aux pertes d'exploitation, inscrite dans les conditions particulières du contrat, est réputée non écrite, et donc est nulle et de nul effet et en tout état de cause non opposable à la société [Adresse 7],
* a constaté que les conditions relatives à la garantie 'Pertes d'exploitation'
consécutives à la fermeture administrative du restaurant exploité par la société [Adresse 7] sont acquises,
* l'a condamnée à garantir, dans la limite contractuelle, les pertes d'exploitation consécutives à la fermeture administrative du restaurant exploité par la société [Adresse 7] dans les conditions prévues au contrat,
* a ordonné le versement à la société demanderesse, à titre de provision, de la somme de 60 000 euros à valoir sur l'indemnité définitive, sous astreinte provisoire de 500 euros par jour passé le 15e jour suivant la signification du jugement, et ce pour une période de 60 jours, après quoi il devra de nouveau y être fait droit,
* a fait droit à la demande d'expertise judiciaire formulée par la société demanderesse, aux frais avancés exclusivement par elle,
* a désigné la société XO Conseil, représentée par M. [L] [V], Expert Judiciaire, demeurant [Adresse 5] à [Localité 8], et lui a confié la mission telle que définie dans ledit jugement,
* l'a condamnée à payer à la société demanderesse la somme de 3 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
* l'a condamnée aux entiers dépens ;
- infirmer le jugement du 12 novembre 2021 du tribunal de commerce de Rennes en ce qu'il l'a déboutée de ses demandes tendant à juger de la validité de la clause d'exclusion,
- infirmer le jugement du 12 novembre 2021 du tribunal de commerce de Rennes en ce qu'il a jugé que l'extension de garantie relative aux pertes d'exploitation consécutives à une fermeture administrative pour cause d'épidémie est assortie d'une clause d'exclusion qui n'est pas conforme aux règles de formalisme prescrites par l'article L. 112-4 du code des assurances,
- infirmer le jugement du 12 novembre 2021 du tribunal de commerce de Rennes en ce qu'il a jugé qu'elle n'a pas respecté son devoir d'information précontractuelle ou de conseil,
Statuant à nouveau
- juger que l'extension de garantie relative aux pertes d'exploitation consécutives à une fermeture administrative pour cause d'épidémie est assortie d'une clause d'exclusion, qui est applicable en l'espèce,
- juger cette clause d'exclusion respecte le caractère formel exigé par l'article L. 113-1 du code des assurances,
- juger que cette clause d'exclusion respecte le formalisme exigé par l'article L.112-4 du code des assurances,
- juger que cette clause d'exclusion ne vide pas l'extension de garantie de sa substance et respecte le caractère limité de l'article L. 113-1 du code des assurances et qu'elle ne prive pas l'obligation essentielle de sa substance au sens de l'article 1170 du code civil,
- juger qu'elle n'a pas manqué à son devoir d'information précontractuelle ou de conseil,
En conséquence :
- juger applicable en l'espèce la clause d'exclusion dont est assortie l'extension de garantie relative aux pertes d'exploitation consécutives à une fermeture administrative pour cause d'épidémie,
- débouter l'assurée de l'intégralité de ses demandes formées à son encontre et la condamner à lui restituer les sommes perçues au titre de l'exécution du jugement du 12 novembre 2021,
- annuler la mesure d'expertise judiciaire ordonnée par le tribunal de commerce de Rennes,
.À titre subsidiaire
- ordonner la fixation de la mission de l'expert désigné par le tribunal de commerce de Rennes comme suit :
* se faire communiquer tous documents et pièces qu'il estimera utile à l'accomplissement de sa mission, notamment l'estimation effectuée par l'assurée et/ou son expert-comptable, accompagnée de ses bilans et comptes d'exploitation sur les trois dernières années,
* entendre les parties ainsi que tout sachant et évoquer, à l'issue de la première réunion avec les parties le calendrier possible de la suite de ses opérations,
* examiner les pertes d'exploitation garanties contractuellement par le contrat d'assurance, sur une période maximum de trois mois et en tenant compte de la franchise de 3 jours ouvrés applicable,
* donner son avis sur le montant des pertes d'exploitation consécutives à la baisse du chiffre d'affaires causée par l'interruption ou la réduction de l'activité, comprenant le calcul de la perte de marge brute et déterminer le montant des charges salariales et des économies réalisées,
* donner son avis sur le montant des aides/subventions d'État perçues par l'assurée,
* donner son avis sur les coefficients de tendance générale de l'évolution de l'activité et des facteurs externes et internes susceptibles d'être pris en compte pour le calcul de la réduction d'activité imputable à la mesure de fermeture en se fondant notamment sur les recettes encaissées dans les semaines ayant précédé le 15 mars et le 29 octobre 2020,
En tout état de cause
- débouter l'assurée de toutes demandes, fins ou conclusions contraires au présent dispositif,
- condamner l'assurée à lui payer la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens de première instance et d'appel.
Par jugement du 24 mai 2023, le tribunal de commerce de Rennes a ouvert une procédure de liquidation judiciaire à l'encontre de la société [Adresse 7].
Par dernières conclusions notifiées le 27 mars 2024, la société [Adresse 7] et maître [J] ès-qualités de mandataire liquidateur demandent à la cour de :
- recevoir maître [J], ès-qualités, en son intervention volontaire,
- confirmer le jugement rendu par le tribunal de commerce de Rennes le 12 novembre 2021 dans toutes ses dispositions,
Par conséquent,
- débouter la société Axa France Iard de toutes ses demandes,
Y ajoutant,
- condamner la société Axa France Iard à verser la somme de 10 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles d'appel,
- condamner la société Axa France Iard aux entiers dépens d'appel, parmi lesquels seront compris l'ensemble des frais d'exécution (y compris les émoluments de l'huissier en application de l'article A444-32 du code de commerce).
L'ordonnance de clôture a été rendue le 4 avril 2024.
MOTIFS DE LA DÉCISION
En préliminaire, il convient de recevoir l'intervention volontaire de maître [J] ès-qualités de liquidateur de la société [Adresse 7].
La société Axa France Iard indique que les conditions particulières du contrat mentionnent une extension de garantie des pertes d'exploitation en présence d'une fermeture administrative et entend se prévaloir de la clause d'exclusion.
Elle rappelle les arrêts du 1er décembre 2022 de la Cour de cassation qui ont reconnu que le terme 'épidémie' est indifférent à la clause d'exclusion litigieuse, que cette dernière est donc formelle et limitée.
Elle signale une uniformisation de la jurisprudence à compter de ces arrêts de 2022, qui a été réaffirmée dans des arrêts du 19 janvier, 25 mai, 15 juin et 12 octobre 2023.
Concernant l'arrêt de la Cour de cassation du 25 janvier 2024, elle considère que cette décision ne remet pas en cause le caractère formel de la clause d'exclusion litigieuse puisque l'arrêt concerne une clause radicalement différente.
Elle expose que :
- le caractère formel de la clause d'exclusion s'apprécie uniquement par rapport à la clarté des termes et des critères d'application qu'elle comprend et non par rapport aux clauses définissant l'objet de la garantie ou des conditions de garantie,
- le sens de l'exclusion est clair et n'a pas à faire l'objet d'une interprétation quant à sa volonté d'écarter la garantie lorsque la fermeture administrative affecte concomitamment, dans le même département, un autre établissement pour une cause identique et ce quelle que soit sa nature ou son activité,
- en sa qualité de professionnel de la restauration, l'assuré n'a pas pu ignorer l'objet de la garantie souscrite au moment de la conclusion du contrat, soit la garantie d'un risque généré par son activité de restaurateur,
- l'extension de garantie couvre le risque d'une fermeture administrative et non pas le risque d'une épidémie,
- l'absence de définition du terme 'épidémie' n'affecte pas la validité de la clause d'exclusion,
- les trois critères de la clause d'exclusion sont constitués par un critère de nombre, un critère territorial et un critère causal.
La société Axa France Iard avance que la proposition d'un avenant à la fin de l'année 2020 n'est pas un aveu de sa part sur l'absence de clarté de la clause litigieuse.
Elle soutient que :
- dès lors qu'une partie de la garantie subsiste, la clause d'exclusion est valable,
- une épidémie peut donner lieu à une mesure de fermeture individuelle,
- le risque de fermeture individuelle d'un établissement est une réalité juridique,
- une épidémie, dont le foyer se trouverait à l'extérieur de l'établissement assuré et fermé, a vocation à être garantie (exemple : un cluster).
L'assureur souligne que la commune intention des parties réside dans leur volonté de couvrir les conséquences d'une fermeture administrative d'un établissement isolé et non pas les conséquences d'une fermeture généralisée due à une épidémie de Covid-19.
Il précise qu'il n'a jamais entendu couvrir les conséquences d'un risque systémique, que les assureurs ne peuvent assumer la charge de garantir l'ensemble des conséquences des décisions des autorités publiques et que les conséquences d'une fermeture généralisée ordonnée par des mesures de police administrative ne peuvent relever de la garantie individuelle de droit privé.
La société Axa France Iard prétend que la clause d'exclusion est apparente dans le contrat puisqu'elle est en lettres majuscules, en grand format et détachée des paragraphes précédents.
Concernant son obligation d'information et de conseil, la société appelante remarque que le tribunal s'est prononcé sur ce point alors que l'assuré ne l'a pas évoqué et que le dispositif du jugement n'en fait pas mention. Elle conteste tout manquement et considère que l'assuré était suffisamment informé des éléments nécessaires à un consentement éclairé à la souscription du contrat.
En réponse, la société [Adresse 7] et le mandataire liquidateur font état du rapport d'expertise qui a été déposé le 31 octobre 2022 et qui conclut à une perte d'exploitation de 64 874 euros sur la période de mars 2020 à mai 2021.
Ils signalent que la société Axa France Iard a modifié la clause d'extension à la suite de la pandémie de Covid-19 en supprimant la mise en jeu de la garantie en cas de 'maladie contagieuse' et d''épidémie' et en intégrant une exclusion générale de garantie pour les pertes consécutives à 'une épidémie, à une pandémie ou à une épizootie' notamment. Pour les intimés, ces modifications contredisent les arguments de l'assureur qui prétend que la garantie serait inapplicable.
La société [Adresse 7], représentée par le mandataire liquidateur, soutient que les arrêts du 1er décembre 2022 ne répondent pas à l'ensemble des problématiques posées par la clause d'exclusion et qu'un arrêt du 25 janvier 2024 remet en cause les arrêts antérieurs.
Elle rappelle qu'elle a dû fermer son établissement à la suite des mesures gouvernementales et préfectorales, et que la notion de fermeture administrative n'est pas contestable.
Elle explique que les décisions de fermeture ont été prises en raison de la propagation du coronavirus, que le Covid-19 représente une maladie contagieuse ou une épidémie et qu'ainsi les deux conditions de la garantie sont réunies.
La société [Adresse 7], représentée par maître [J], argue du caractère non apparent de la clause d'exclusion parce qu'elle est intégrée au corps du texte de la garantie, sans aucune particularité pour la distinguer de façon évidente.
Elle indique que la clause d'exclusion n'est ni formelle ni limitée puisqu'elle doit être interprétée, que selon l'arrêt du 25 janvier 2024 la conjonction de subordination 'lorsque' contenue dans la clause nécessite une interprétation.
Elle écrit que :
- la notion d'établissement est imprécise, n'est pas définie dans le contrat et peut recouvrir des réalités différentes,
- la notion de cause identique est ambiguë,
- la notion d'épidémie doit être interprétée et le terme 'épidémie' est un des éléments constitutifs de la clause d'exclusion.
Elle estime que la clause d'exclusion vide l'extension de garantie de sa substance.
Elle donne diverses définitions du terme épidémie et soutient que la notion d'épidémie sous-entend la propagation d'une maladie de grande ampleur selon une acception commune.
La société [Adresse 7], représentée par maître [J], fait valoir que la substance de la garantie souscrite est de couvrir les pertes subies en cas de fermeture administrative consécutive à une épidémie et qu'ainsi la clause d'exclusion vide la garantie de sa substance.
Elle refuse la réalité scientifique invoquée par l'assureur sur une épidémie circonscrite à un seul établissement.
En préliminaire, la cour rappelle qu'il n'y a pas lieu de statuer sur les demandes de 'juger que'qui ne constituent pas des prétentions susceptibles d'entraîner des conséquences juridiques au sens de l'article 4 du code de procédure civile, mais uniquement la reprise de moyens développés dans le corps des conclusions qui ne doivent pas, à ce titre, figurer dans le dispositif des écritures des parties.
Les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites.
Le périmètre contractuel est constitué des conditions générales référencées n° 690200 K et des conditions particulières référencées n° 5690076504.
Les conditions particulières prévoient (en pages 9 et 10) une extension de garantie rédigée comme suit :
'PERTE D'EXPLOITATION
La garantie PERTES D'EXPLOITATION est étendue en cas d'interruption ou de réduction temporaire de votre activité professionnelle, résultant directement d'un dommage matériel garanti au titre de la garantie BRIS DE MACHINES.
PERTE D'EXPLOITATION SUITE A FERMETURE ADMINISTRATIVE
La garantie est étendue aux pertes d'exploitation consécutives à la fermeture provisoire totale ou partielle de l'établissement assuré, lorsque les deux conditions suivantes sont réunies :
1. La décision de fermeture a été prise par une autorité administrative compétente, et extérieure à vous-même
2. La décision de fermeture est la conséquence d'une maladie contagieuse, d'un meurtre, d'un suicide, d'une épidémie ou d'une intoxication (...)
SONT EXCLUES
LES PERTES D'EXPLOITATION, LORSQUE, A LA DATE DE LA DECISION DE FERMETURE, AU MOINS UN AUTRE ETABLISSEMENT, QUELLE QUE SOIT LA NATURE ET SON ACTIVITE, FAIT L'OBJET, SUR LE MEME TERRITOIRE DEPARTEMENTAL QUE CELUI DE L'ETABLISSEMENT ASSURE, D'UNE MESURE DE FERMETURE ADMINISTRATIVE, POUR UNE CAUSE INDENTIQUE'.
* Sur le formalisme de la clause.
Au visa de l'article L 112-4 du code des assurances, les clauses des polices édictant des nullités, des déchéances ou des exclusions ne sont valables que si elles sont mentionnées en caractères très apparents.
Aucune typographie n'est exigée par la loi. La clause d'exclusion doit, par sa grande lisibilité, ne pas échapper à l'assuré. Le caractère apparent doit s'apprécier par rapport aux autres clauses qui l'entourent.
Cette clause d'exclusion est située dans les conditions particulières et il importe peu de constater que la typographie des conditions générales (et des clauses d'exclusion y figurant) est différente.
Dans le cas présent, la clause d'exclusion apparaît en lettres majuscules et en grand format dans un paragraphe et une page essentiellement rédigés en lettres minuscules. Cette clause est précédée de la mention 'SONT EXCLUES' mettant la clause d'exclusion en évidence.
Une lecture même rapide permet de voir et lire la clause d'exclusion critiquée même s'il n'y a ni caractère gras ni encadré de couleur et de comprendre qu'il s'agit d'une clause d'exclusion.
En conséquence, la société [Adresse 7] est déboutée de cette demande.
* Sur la clause d'exclusion.
En application de l'article L. 113-1 du code des assurances, les pertes et dommages occasionnés par cas fortuits ou causés par la faute de l'assuré sont à la charge de l'assureur, sauf exception formelle et limitée contenue dans la police. Toutefois l'assureur ne répond pas des pertes et dommages provenant d'une faute intentionnelle ou dolosive de l'assuré.
C'est à l'assureur qui invoque une clause d'exclusion de garantie qu'il incombe de démontrer la réunion des conditions de fait de cette exclusion et c'est à l'assuré, qui prétend l'invalidité de la clause d'exclusion, de supporter la charge de la preuve.
Le caractère formel d'une clause d'exclusion doit s'apprécier par rapport à la clarté des termes et des critères d'application qu'elle comprend et non pas par rapport aux clauses définissant l'objet de la garantie ou les conditions de garantie.
La compréhension de la clause discutée doit s'apprécier à la date de souscription du contrat. Or en 2013, les parties n'ont pu envisager l'existence d'une pandémie au niveau national et international qui n'avait jamais existé. La commune intention des parties était de couvrir les aléas inhérents à l'exploitation normale d'un restaurant exposé à des risques biologiques notamment, risques pour lesquels les restaurateurs suivent une formation et subissent des contrôles de la part de l'administration.
La société Axa France Iard conclut à juste titre que les pertes d'exploitation résultant des mesures gouvernementales sont le résultat d'une fermeture collective et constituent un préjudice anormal et spécial qui ne relève pas de la garantie individuelle de droit privé.
Il convient de noter que la clause d'exclusion litigieuse ne contient aucun terme technique difficile à appréhender.
La cour observe que le terme 'épidémie' n'est pas mentionné dans clause d'exclusion. L'absence de définition de ce terme n'affecte pas la validité de la clause d'exclusion.
Ce qui est important, ce n'est pas la nature, l'origine et l'étendue de l'épidémie, mais sa conséquence. Le risque couvert est celui des pertes d'exploitation subséquentes à une fermeture administrative et non le risque de survenance d'une épidémie.
La circonstance particulière de réalisation du risque privant l'assuré du bénéfice de la garantie n'est pas l'épidémie mais la situation dans laquelle, à la date de la fermeture, un autre établissement a fait l'objet d'une mesure de fermeture pour une cause identique à celles énumérées par la clause d'extension de garantie (soit une maladie contagieuse, un meurtre, un suicide, une épidémie ou une intoxication), de sorte que l'ambiguïté alléguée par l'assuré du terme 'épidémie' est sans incidence sur la compréhension par l'assuré des cas dans lesquels l'exclusion s'appliquait.
(Cour de cassation, 2ème chambre civile 1er décembre 2022, 19 janvier 2023 et 25 mai 2023, 15 juin 2023, 12 octobre 2023).
L'arrêt du 25 janvier 2024, cité par l'assuré n'est pas transposable au présent litige, les conditions contractuelles étant complètement différentes.
Les autres termes de la clause d'exclusion doivent être entendus dans leur sens commun.
La notion d'établissement peut être traduite, par un non-juriste comme la société [Adresse 7], à toute catégorie de restaurant, ferme, cantine, commerce de bouche susceptible de faire l'objet d'une mesure administrative.
Les termes 'quelle que soit la nature et l'activité des établissements' sont certes généraux mais ils ne font pas obstacle au caractère précis et clair de la clause en ce qu'ils désignent un ensemble défini sans exception à savoir les autres établissements au sens de la totalité de ceux-ci, permettant à l'assuré de connaître l'étendue de sa garantie. La nature et l'activité de ces établissements importent peu.
Le périmètre départemental ne peut constituer une difficulté au demeurant non soulevée.
La 'cause identique' figurant dans la clause d'exclusion renvoie nécessairement aux mêmes événements que ceux figurant dans la clause de garantie à savoir 'une maladie contagieuse, un meurtre, un suicide, une épidémie ou une intoxication'. Ce terme 'cause identique' se suffit à lui-même et est donc parfaitement compréhensible sauf à vouloir, comme le fait l'intimée, à compliquer à l'extrême toute situation de manière très subjective.
Selon une jurisprudence constante, toute exclusion de garantie ne peut être formelle et limitée et ne saurait aboutir, sans retirer son objet au contrat d'assurance, à annuler pratiquement toutes les garanties prévues sauf pour une catégorie de dommage très réduite.
Il a été dit que la garantie couvre le risque de pertes d'exploitation consécutives non pas en raison d'une épidémie, mais d'une fermeture de l'établissement à la suite d'une maladie contagieuse, d'un meurtre, d'un suicide, d'une épidémie ou d'une intoxication.
Contrairement aux écritures de l'intimée, la clause d'extension et son exclusion ne peuvent être appréciées par rapport à la seule pandémie de Covid-19 mais doivent s'apprécier au regard des 5 événements susceptibles d'entraîner une fermeture que sont la maladie contagieuse, le meurtre, le suicide, l'intoxication ou l'épidémie.
La société Axa France Iard fait remarquer utilement que l'extension de garantie a vocation à être mobilisée également lorsque le foyer de l'épidémie se situe à l'intérieur et/ou à l'extérieur de l'établissement concerné, le critère d'application de l'exclusion est seulement la nature isolée de la fermeture administrative.
L'assureur démontre à l'appui d'une documentation circonstanciée, que la fermeture d'un seul établissement dans un même département fondée sur des cas de listériose, salmonellose, grippe aviaire, légionellose ou fièvre typhoïde, donnant lieu à des épidémies, est avérée. Il est d'ailleurs établi qu'un fonds de commerce de restauration supporte un risque non négligeable quant à la propagation de toxi-infections alimentaires collectives (au nombre desquelles figure la salmonellose), dont il peut être le foyer (en 2019, 41 % des TIAC sont survenues en restauration commerciale) alors que son activité est encadrée par diverses obligations en matière d'hygiène alimentaire et de sécurité sanitaires, susceptibles d'entraîner une fermeture administrative. L'assureur justifie qu'une épidémie peut toucher un nombre restreint de personnes dans un établissement tel qu'un Ehpad ou un hôpital, ou un pensionnat, le terme épidémie ne renvoyant pas nécessairement aux notions de contagion ou de propagation généralisée de la maladie.
Ainsi contrairement au postulat de l'intimée, le risque de fermeture individuelle, qui a pour origine une épidémie, est possible et reste un événement probable correspondant à un risque aléatoire assurable.
Ainsi, la clause d'exclusion ne vide pas la garantie de sa substance.
La proposition d'un avenant à l'assuré par la société Axa France Iard, qui exclut de la garantie les pertes d'exploitation consécutives à une épidémie ou une maladie contagieuse est indifférente quant à l'analyse du contrat litigieux, si ce n'est qu'elle atteste que ce dernier n'avait pas été envisagé par les parties au regard d'une épidémie telle que celle de Covid-19.
En conséquence, il convient de juger que la clause d'exclusion de garantie litigieuse est formelle et limitée et donc opposable à la société [Adresse 7].
La société Axa France Iard est fondée à refuser la garantie sur les pertes d'exploitation.
La société [Adresse 7], représentée par le mandataire liquidateur, doit être déboutée de l'ensemble de ses demandes.
* Sur les autres demandes.
Pour des raisons d'équité, il n'est pas fait application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile au bénéfice de la société Axa France Iard qui est, tout comme la société [Adresse 7] représentée par maître [J], déboutée de sa demande formée de ce chef.
Succombant en toutes ses demandes, la société [Adresse 7], représentée par le mandataire liquidateur, supportera les dépens de première instance et d'appel.
PAR CES MOTIFS
Statuant publiquement, par arrêt contradictoire rendu par mise à disposition au greffe :
Juge recevable l'intervention volontaire de maître [J] de la société GOPMJ en qualité de mandataire liquidateur de la société [Adresse 7] ;
Infirme le jugement en toutes ses dispositions ;
Statuant à nouveau,
Déboute la société [Adresse 7] représentée par maître [J] de la société ès-qualités de liquidateur de toutes ses demandes ;
Condamne la société [Adresse 7], représentée par maître [J] de la société GOPMJ ès-qualités de mandataire liquidateur, aux dépens de première instance ;
Y ajoutant,
Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile;
Condamne la société [Adresse 7] représentée par maître [J] de la société ès-qualités de liquidateur aux dépens d'appel.
Le greffier, La présidente,