9ème Ch Sécurité Sociale
ARRÊT N°
N° RG 21/04347 - N° Portalis DBVL-V-B7F-R2TG
S.A.S. [13]
C/
Mme [X] [O] épouse [G]
Mme [M] [G] épouse [Z]
M. [F] [G]
[20]
FIVA
Copie exécutoire délivrée
le :
à :
Copie certifiée conforme délivrée
le:
à:
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE RENNES
ARRÊT DU 04 SEPTEMBRE 2024
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :
Président : Madame Cécile MORILLON-DEMAY, Présidente de chambre
Assesseur : Madame Véronique PUJES, Conseillère
Assesseur : Madame Anne-Emmanuelle PRUAL, Conseillère
GREFFIER :
Mme Adeline TIREL lors des débats et lors du prononcé
DÉBATS :
A l'audience publique du 15 Mai 2024
ARRÊT :
Contradictoire, prononcé publiquement le 04 Septembre 2024 par mise à disposition au greffe comme indiqué à l'issue des débats, après prorogation du délibéré initialement fixé au 3 Juillet 2024
DÉCISION DÉFÉRÉE A LA COUR:
Date de la décision attaquée : 08 Avril 2021
Décision attaquée : Jugement
Juridiction : Pole social du TJ de [Localité 29]
Références : 18/01141
****
APPELANTE :
SOCIETE [17] AUX DROITS DE LAQUELLE VIENT LA SOCIETE [13]
[Adresse 15]
[Adresse 8]
[Localité 11]
représentée par Me Sonia HERPIN - ZGAOULA, avocat au barreau de PARIS
INTIMÉS :
Madame [X] [O] épouse [G]
[Adresse 7]
[Localité 6]
représentée par Me Frédéric QUINQUIS, avocat au barreau de PARIS substitué par Me Romain FINOT, avocat au barreau de PARIS
Madame [M] [G] épouse [Z]
[Adresse 26]
[Localité 5]
représentée par Me Frédéric QUINQUIS, avocat au barreau de PARIS substitué par Me Romain FINOT, avocat au barreau de PARIS
Monsieur [F] [G]
[Adresse 4]
[Localité 9]
représenté par Me Frédéric QUINQUIS, avocat au barreau de PARIS substitué par Me Romain FINOT, avocat au barreau de PARIS
[14]
Service Juridique
[Adresse 2]
[Localité 3]
représenté par Mme [C] [T], en vertu d'un pouvoir spécial
FIVA
[Adresse 30]
[Adresse 1])
[Adresse 22]
[Localité 10]
représentée par Me Vincent RAFFIN de la SELARL BRG, avocat au barreau de NANTES substituée par Me Nathalie BERTHOU, avocat au barreau de NANTES
EXPOSÉ DU LITIGE
[E] [G] a été salarié en tant que technicien au sein de la société Chaffoteaux et [W], aux droits de laquelle vient la société [13] (la société), du 16 mai 1966 au 16 novembre 1967 puis du 3 mars 1969 au 30 septembre 2002.
Le 4 novembre 2016, [E] [G] a complété une déclaration de maladie professionnelle, à laquelle était joint un certificat médical initial établi le même jour par le docteur [B] faisant état d'un 'adénocarcinome pulmonaire avec métastases osseuses en relation avec une exposition à l'amiante, cancer bronchique primitif tableau 30 bis du régime général', avec prescription de soins.
[E] [G] est décédé des suites de cette maladie le 24 novembre 2016.
Par courriers du 28 mars 2017, la caisse a informé la société de la clôture de l'instruction concernant la reconnaissance de la maladie professionnelle et la reconnaissance du caractère professionnel du décès. La société a pris connaissance du dossier le 10 avril 2017 auprès de la caisse.
Par décision du 18 avril 2017, la [14] (la caisse) a pris en charge la maladie 'cancer broncho-pulmonaire' au titre du tableau n°30 bis des maladies professionnelles. Le même jour, la caisse a imputé le décès d'[E] [G] à la pathologie prise en charge.
Par décision du 20 juin 2017, une rente a été attribuée à Mme [X] [G] à compter du 25 novembre 2016.
Par courrier du 17 juin 2017, contestant les deux décisions du 18 avril 2017, la société a saisi la commission de recours amiable, laquelle n'a pas rendu de décision.
Par courrier du 20 septembre 2018, Mme [X] [O] veuve [G], Mme [M] [G] épouse [Z] et M. [F] [G] (les consorts [G]) ont formé une demande en reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur auprès de la caisse.
En l'absence de réponse, les consorts [G] ont porté le litige devant le tribunal des affaires de sécurité sociale de Saint-Brieuc le 26 septembre 2018.
Le [24] (le [23]), ayant indemnisé les consorts [G], est intervenu à l'instance.
Par jugement du 8 avril 2021, le pôle social du tribunal judiciaire de Saint-Brieuc, désormais compétent, a :
- confirmé le caractère professionnel de la pathologie d'[E] [G] déclarée selon certificat médical initial du 4 novembre 2016 ;
- dit que la société a commis une faute inexcusable dans la survenance de la
maladie professionnelle dont [E] [G] est décédé ;
- fixé au maximum prévu par la loi la majoration de la rente versée par l'organisme social aux ayants droit d'[E] [G] ;
- alloué à la succession d'[E] [G] l'indemnité forfaitaire prévue par l'article L. 452-3 du code de la sécurité sociale, [E] [G] ayant présenté avant son décès un taux d'IPP de 100 % ;
- condamné la caisse à payer, avec intérêts au taux légal à compter du jugement, l'indemnité forfaitaire de l'article L. 452-3 du code de la sécurité sociale à la succession d'[E] [G], avec subrogation au profit du [23] à concurrence de la somme de 3 410,72 euros, correspondant au préjudice de ce chef indemnisé par le [23] aux ayants droits d'[E] [G] selon offre du 16 octobre 2018 ;
- fixé à la requête du [23], subrogé dans les droits des demandeurs, la répartition des préjudices personnels subis par [E] [G] aux sommes suivantes :
* 15 000 euros au titre du préjudice résultant des douleurs physiques ;
* 30 000 euros au titre du préjudices résultant des douleurs morales ;
* 5 000 euros au titre du préjudice d'agrément ;
* 3 500 euros au titre du préjudice esthétique ;
- fixé à la requête du [23], subrogé dans les droits des demandeurs, la répartition des préjudices moraux subis par les consorts [G] :
* 34 000 euros pour Mme [X] [G] en qualité de conjointe ;
* 10 000 euros pour chacun des enfants ;
* 4 000 euros pour chacun des petits-enfants ;
- condamné la caisse à payer au [23] la somme de 127 500 euros avec intérêts au taux légal à compter du jugement ;
- condamné la société, employeur de la victime, à rembourser à la caisse l'intégralité des conséquences financières imputables à la reconnaissance de la faute inexcusable et dont elle devra faire l'avance ;
- dit que ces sommes seront productives d'intérêts au taux légal à compter de la date de réception de la première demande de remboursement et jusqu'à paiement effectif ;
- débouté la société de sa demande tendant à l'inscription au compte spécial des conséquences financières de sa faute inexcusable ;
- condamné la société à verser au [23] la somme de 1 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamné la société à verser aux consorts [G] la somme de 2 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
- ordonné l'exécution provisoire ;
- débouté les parties du surplus de leurs demandes plus amples ou contraires ;
- condamné la société aux dépens.
Par déclaration adressée le 18 mai 2021 par courrier recommandé avec avis de réception, la société a interjeté appel de ce jugement qui lui a été notifié le 26 avril 2021.
Par ses écritures parvenues au greffe le 13 mars 2023, auxquelles s'est référé et qu'a développées son conseil à l'audience, la société demande à la cour :
- d'infirmer le jugement entrepris sur les chefs critiqués ;
Statuant à nouveau,
A titre principal,
- de dire et juger que le cancer dont souffrait [E] [G] n'était pas un cancer primitif ;
- le cas échéant, d'ordonner une expertise judiciaire sur pièces pour déterminer si le cancer broncho pulmonaire dont souffrait [E] [G] était primitif ;
- de dire et juger que l'affection d'[E] [G] n'était pas établie faute de remplir les conditions du tableau 30 bis ;
En conséquence,
- de dire qu'aucune faute inexcusable ne peut lui être imputée ;
- de débouter les consorts [G] et le [23] de l'intégralité de leurs demandes ;
A titre subsidiaire,
- de dire et juger que la maladie dont était atteint [E] [G] n'est pas due à sa faute inexcusable ;
En conséquence,
- de débouter [E] [G] (sic) de sa demande de reconnaissance de faute inexcusable et de majoration de rente ;
- de débouter le [23] de l'intégralité de ses demandes indemnitaires ;
A titre infiniment subsidiaire,
- à tout le moins, si sa faute inexcusable est reconnue, de constater que les préjudices résultant des douleurs physiques et morales, le préjudice d'agrément et le préjudice esthétique ne peuvent faire l'objet d'une indemnisation complémentaire et en conséquence débouter le [23] de ses
demandes indemnitaires ;
- à titre subsidiaire, de ramener à de plus justes proportions le quantum des préjudices invoqués par le [23] et retenus en première instance ;
- de renvoyer à une expertise pour fixer le taux d'incapacité dont était atteint [E] [G] avant son décès ;
- de retenir une allocation forfaitaire de 17 599,44 euros et non 18 309,46 euros donc un reste à charge pour la société de 14 188,72 euros ;
- de débouter les consorts [G] et le [23] de la demande de majoration de rente, non cumulable avec l'allocation forfaitaire ;
- en tout état de cause, d'ordonner à la caisse de produire les documents ayant servi au calcul de la majoration de la rente et notamment du salaire de référence ;
En tout état de cause,
- de condamner [E] [G] (sic) et le [23] au paiement de la somme de 1 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;
- de débouter [E] [G] (sic), le [23] et la caisse de leur demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- de condamner [E] [G] (sic) et le [23] aux entiers dépens.
Par des écritures parvenues au greffe le 23 juin 2022, auxquelles s'est référé et qu'a développées leur conseil à l'audience, les consorts [G] demandent à la cour :
A titre principal,
- de confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;
A titre subsidiaire,
- d'ordonner avant dire droit la saisine d'un comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles avec mission de dire si la maladie dont est décédé [E] [G] a été directement causée par son travail habituel nonobstant le non-respect des conditions de durée d'exposition de dix ans et de la liste limitative des travaux visés au tableau 30 bis des maladies professionnelles ;
En tout état de cause,
- de dire et juger que l'ensemble des sommes dues portera intérêts au taux légal à compter de la date de l'arrêt à intervenir ;
- de condamner en cause d'appel la société à leur verser une somme de 4000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
- de condamner en cause d'appel la société au paiement des dépens.
Par ses écritures déposées à l'audience le 15 mai 2024, auxquelles s'est référée et qu'a développées sa représentante à l'audience, la caisse demande à la cour de :
- lui décerner acte de ce qu'elle s'en rapporte à justice pour statuer sur la reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur ;
En l'absence de reconnaissance de la faute inexcusable,
- condamner les ayants droit d'[E] [G] au remboursement de l'allocation forfaitaire à hauteur de 14 898,74 euros et des arrérages échus de la majoration de la rente ;
- condamner le [23] au remboursement de la somme de 3 410,72 euros au titre de l'allocation forfaitaire ;
En présence d'une confirmation de la faute inexcusable de l'employeur,
- condamner la société à lui rembourser les sommes dues au titre de la reconnaissance de la faute inexcusable dont elle devra faire l'avance des frais, notamment le montant de la majoration de la rente et de l'allocation forfaitaire soit un montant de 261 034,32 euros ;
- dire que ces sommes seront augmentées des intérêts au taux légal à compter de la date de réception par l'employeur de la première demande de remboursement et ce, jusqu'à paiement effectif, soit à compter du 13 octobre 2021.
Par ses écritures parvenues au greffe le 17 mars 2023, auxquelles s'est référé et qu'a développées son conseil à l'audience, le [23] demande à la cour de :
- déclarer l'appel recevable, mais mal fondé ;
- confirmer le jugement entrepris, sauf en ce qu'il a :
* condamné la caisse à payer, avec intérêts au taux légal à compter du jugement, l'indemnité forfaitaire à la succession d'[E] [G], avec subrogation au profit du [23] à concurrence de la somme de 3 410,72 euros correspondant au préjudice de ce chef indemnisé par le [23] aux ayants droits d'[E] [G] selon offre du 16 octobre 2018 ;
* fixé à la requête du [23] subrogé dans les droits des demandeurs la réparation des préjudices personnels subis par [E] [G] aux sommes définies au dispositif ;
* fixé à la requête du [23], subrogé dans les droits des demandeurs, la réparation des préjudices moraux subis par les consorts [G] aux sommes définies au dispositif ;
* condamné la caisse à payer au [23] la somme de 127 500 euros avec intérêts au taux légal à compter du jugement;
Statuant à nouveau,
- dire que cette indemnité forfaitaire sera versée par la caisse à la succession
d'[E] [G] ;
- fixer l'indemnisation des préjudices personnels d'[E] [G] comme suit pour un total de 105 500 euros :
* souffrances morales : 59 800 euros ;
* souffrances physiques : 21 100 euros ;
* préjudice d'agrément : 21 100 euros ;
* préjudice esthétique : 3 500 euros ;
- fixer l'indemnisation des préjudices moraux de ses ayants droit comme suit pour un total de 97 000 euros :
* Mme [X] [G] (veuve) : 34 0000 euros ;
* Mme [M] [Z] (enfant) : 14 000 euros ;
* M. [F] [G] (enfant) : 14 000 euros ;
* 7 000 euros pour chacun des cinq petits-enfants ;
- juger que la caisse devra lui verser ces sommes en tant que créancier subrogé, soit un total de 202 500 euros ;
Y ajoutant,
- condamner la société [13], venant aux droits de la société [16], à lui payer une somme de 2 000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile ;
- condamner la partie succombante aux dépens.
Pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, la cour, conformément à l'article 455 du code de procédure civile, renvoie aux conclusions susvisées.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur la faute inexcusable :
Des articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail, il résulte que l'employeur est tenu de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs en veillant à éviter les risques, à évaluer les risques qui ne peuvent pas être évités et à adapter le travail de l'homme, en particulier en ce qui concerne la conception des postes de travail ainsi que le choix des équipements de travail et des méthodes de travail et de production.
Le manquement à l'obligation légale de sécurité et de protection de la santé à laquelle l'employeur est tenu envers le travailleur a le caractère d'une faute inexcusable lorsque l'employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était soumis le travailleur et qu'il n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver (2e Civ., 8 octobre 2020, pourvoi n°18-25.021).
Il est indifférent que la faute inexcusable commise par l'employeur ait été la cause déterminante de la maladie survenue au salarié. Il suffit qu'elle en soit une cause nécessaire, même non exclusive ou indirecte, pour que sa responsabilité soit engagée.
La faute inexcusable ne se présume pas et il appartient à la victime ou ses ayants droit, invoquant la faute inexcusable de l'employeur de rapporter la preuve que celui-ci n'a pas pris les mesures nécessaires pour préserver le salarié du danger auquel il était exposé.
Le juge n'a pas à s'interroger sur la gravité de la négligence de l'employeur et doit seulement contrôler, au regard de la sécurité, la pertinence et l'efficacité de la mesure que l'employeur aurait dû prendre.
Cela implique que la juridiction saisie d'une telle demande recherche, après débat contradictoire, si le salarié a été exposé au risque dans des conditions constitutives d'une faute inexcusable et que soit reconnu le caractère professionnel de la maladie.
Sur le caractère professionnel de la maladie :
La société conteste le caractère primitif du cancer pulmonaire développé par [E] [G] et soutient qu'il n'a jamais effectué une tâche l'obligeant à manipuler des matériaux contenant de l'amiante durant sa carrière au sein de l'entreprise et n'a à aucun moment accompli un des travaux visés dans le tableau 30 bis des maladies professionnelles. Elle ajoute que la seule exposition environnementale au risque d'inhalation de poussières d'amiante ne permet pas d'établir le caractère professionnel d'un cancer broncho-pulmonaire au regard de la présomption d'imputabilité et qu'il est nécessaire que le salarié ait exécuté personnellement les travaux qui figurent dans la liste limitative du tableau 30 bis. Elle en déduit que, dans cette hypothèse, la caisse ne peut décider de prendre en charge la maladie du salarié sans saisir au préalable un [21]. Elle fait également valoir qu'elle rapporte la preuve que l'activité professionnelle du salarié n'a joué aucun rôle dans le développement de la pathologie.
Les consorts [G] font valoir que [E] [G] était bien atteint d'une pathologie visée au tableau, que le délai de prise en charge de 40 ans est respecté et que le salarié a bien été exposé au risque durant une période de 10 ans, du 16 mai 1966 au 16 novembre 1967 et du 3 mars 1969 à 1996, date de la fin d'utilisation de l'amiante visée par l'arrêté du 25 novembre 2004. Ils ajoutent que la présence d'amiante ne se limitait pas au secteur montage des chauffes bains étanches ou à l'atelier brasage et que les trois listes de salariés invoquées par la société ne rassemblaient pas tous les employés exposés au risque amiante au sein de l'entreprise. Ils indiquent que [E] [G] a utilisé des plaques d'amiante et des gants en amiante de 1966 à 1975 puis qu'il a été affecté à un atelier où il utilisait des cordons d'amiante au moins jusqu'à 1980, ce qui a conduit la société à indemniser son préjudice d'anxiété. Ils considèrent donc que [E] [G] a bien été exposé de manière habituelle de 1966 à 1996 au risque, peu important qu'il n'ait pas manipulé directement des matériaux à base d'amiante durant cette période. Ils sollicitent donc, à titre subsidiaire, au visa de l'article L.461-1 alinéa 6 du code de la sécurité sociale, la saisine d'un [21] avec pour mission de dire si la maladie a été directement causée par le travail habituel de la victime, nonobstant le non-respect des conditions de durée d'exposition et de la liste limitative des travaux visés au tableau n° 30 bis des maladies professionnelles.
En tout état de cause, ils soutiennent que [E] [G] a bien manipulé de l'amiante au sein de l'entreprise.
La caisse souligne que la décision de prise en charge de la maladie professionnelle a été notifiée à la société le 21 avril 2017 et que celle-ci n'en a pas contesté les termes dans le délai de deux mois, si bien que cette décision est opposable à l'employeur dans ses rapports avec la caisse.
La reconnaissance de la faute inexcusable suppose établie l'existence d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle. (2e Civ., 4 novembre 2010, pourvoi n° 09-16.203; 2e Civ., 10 mai 2012, pourvoi n° 11-15.406)
L'article L. 461-1 du code de la sécurité sociale pose une présomption d'origine professionnelle au bénéfice de toute maladie désignée dans un tableau de maladies professionnelles et contractée dans les conditions mentionnées à ce tableau.
Fixés par décret, les tableaux précisent la nature des travaux susceptibles de provoquer la maladie, énumèrent les affections provoquées et le délai dans lequel la maladie doit être constatée après la cessation de l'exposition du salarié au risque identifié pour être prise en charge.
L'appréciation de l'exposition au risque dans les conditions des tableaux, et notamment la condition des travaux, relève du pouvoir souverain des juges du fond (2e Civ., 1er décembre 2011, pourvoi n° 10-25.207 ; 30 mai 2013, pourvoi n° 12-19.383 ; 11 juillet 2013, pourvoi n° 12-20.609 ; 19 juin 2014, pourvoi n° 13-17.419 ; 9 octobre 2014, pourvoi n° 1323345 et pourvoi n° 1320878 ).
La maladie déclarée doit correspondre précisément à celle décrite au tableau, avec tous ses éléments constitutifs et doit être constatée conformément aux éléments de diagnostic éventuellement prévus (pourvoi 03-11.968).
Il est de jurisprudence constante que la désignation des maladies figurant dans les tableaux présente un caractère limitatif, en sorte que ne peuvent relever de ce cadre de reconnaissance de maladie professionnelle les affections n'y figurant pas (pourvoi 96-15.326).
Le caractère habituel des travaux visés dans un tableau n'implique pas qu'ils constituent une part prépondérante de l'activité (pourvoi 08-17.005) et le bénéfice de la présomption légale n'exige pas une exposition continue et permanente du salarié au risque pendant son activité professionnelle (09-12.060).
Lorsque la demande de la victime réunit ces conditions, la maladie est présumée d'origine professionnelle, sans qu'elle ait à prouver le lien de causalité entre son affection et son travail.
En l'espèce, la maladie décrite au tableau 30 bis et les conditions de reconnaissance de son caractère professionnel sont les suivantes :
DÉSIGNATION DE LA MALADIE
DÉLAI de
prise en
charge
LISTE LIMITATIVE DES TRAVAUX SUSCEPTIBLES de provoquer cette maladie
Cancer broncho-pulmonaire primitif.
40 ans (sous réserve d'une durée d'exposition de 10 ans)
Travaux directement associés à la production des matériaux contenant de l'amiante.
Travaux nécessitant l'utilisation d'amiante en vrac.
Travaux d'isolation utilisant des matériaux contenant de l'amiante.
Travaux de retrait d'amiante.
Travaux de pose et de dépose de matériaux isolants à base d'amiante.
Travaux de construction et de réparation navale.
Travaux d'usinage, de découpe et de ponçage de matériaux contenant de l'amiante.
Fabrication de matériels de friction contenant de l'amiante.
Travaux d'entretien ou de maintenance effectués sur des équipements contenant des matériaux à base d'amiante.
La reconnaissance peut également s'opérer, après avis motivé d'un comité régional si une ou plusieurs conditions tenant au délai de prise en charge, à la durée d'exposition ou à la liste limitative des travaux ne sont pas remplies. La maladie telle qu'elle est désignée dans un tableau de maladies professionnelles peut être reconnue d'origine professionnelle lorsqu'il est établi qu'elle est directement causée par le travail habituel de la victime (article L. 461-1 alinéa 3 et 5 du code de la sécurité sociale, devenus alinéas 6 et 8, depuis la loi n° 2017-1836 du 30 décembre 2017 - art. 44 (V)).
A l'appui de sa demande de reconnaissance du caractère professionnel de la maladie déclarée le 22 février 2017, [E] [G] a produit un certificat médical initial du docteur [B], pneumologue qui indique un 'adénome carcinome pulmonaire avec métastases osseuses (...) en relation avec exposition amiante - cancer bronchique primitif tableau 30 bis du régime général'. Le colloque médico-administratif du 24 mars 2017 produit aux débats mentionne un accord du médecin conseil sur le diagnostic avec une date de première constatation médicale au 7 mars 2016, en visant spécifiquement le [18]. Il précise comme libellé de la maladie 'cancer broncho-pulmonaire provoqué par l'inhalation de poussières d'amiante' et il considère que l'exposition au risque est prouvée, notamment par le 'respect de la liste limitative des travaux'. Il préconisait donc un accord de prise en charge, sans nécessité de consulter un [21].
Pour contester le caractère primitif du cancer, la société se perd en conjectures sur le fait que l'origine du cancer de [E] [G] ne serait pas connue. Or, l'ensemble des documents médicaux produits sont convergents pour considérer que le cancer du poumon est primitif et qu'il a ensuite provoqué des métastases dans d'autres parties du corps, notamment au niveau osseux, ce qui est malheureusement une évolution classique de ce type de cancer s'il est diagnostiqué tardivement. En particulier, un nodule pulmonaire postéro-basal a été mis en évidence sur des imageries réalisées en juillet 2016 à l'occasion de lombalgies intenses et le compte-rendu du docteur [N] en date du 10 octobre 2016 décrit notamment 'le caractère hypermétabolique de la lésion pulmonaire lobaire inférieure droite mais également un ganglion hilaire pulmonaire homolatéral et enfin une atteinte osseuse diffuse', et conclut à la confirmation du diagnostic d'adénocarcinome moyennement différencié bronchique lobaire inférieur droit, de stade [25] osseux. Par conséquent, l'origine primitive du cancer a été clairement identifiée au niveau du poumon, le stade 4 caractérisant la diffusion de métastases dans d'autres parties du corps et notamment au niveau osseux. Les interventions chirurgicales que [E] [G] a subies entre septembre et octobre 2016 au niveau dorsal, laminectomie avec ostéosynthèse et arthrodèse cervicale, ne sont que la conséquence de la généralisation de son cancer pulmonaire. Le terme de 'néoplasie pulmonaire multi métastasique' employé dans le compte-rendu opératoire du 3 octobre 2016, confirme le diagnostic de cancer pulmonaire primitif. Il n'est par ailleurs pas indifférent de souligner que la société n'a pas estimé utile de produire un avis médical de son propre médecin consultant, qui aurait pu venir confirmer de manière scientifique et irréfutable son analyse des termes médicaux employés par les différents médecins ayant eu à connaître de la situation de [E] [G].
La cour dispose d'éléments médicaux suffisants pour retenir le caractère primitif du cancer pulmonaire de [E] [G], sans qu'il soit nécessaire d'ordonner une expertise médicale sur ce point, à défaut pour la société d'apporter quelqu'élément probant contraire.
La société affirme que [E] [G] n'a jamais occupé un poste l'exposant habituellement aux poussières d'amiante, n'a jamais été affecté au montage des chauffes bains étanches et n'a jamais travaillé au sein de l'atelier brasage au sein de l'usine de [Localité 28]. Elle en veut pour preuve qu'il n'a jamais été inscrit sur les listes de salariés identifiés comme ayant manipulé de l'amiante ou ayant travaillé au four ou dans le voisinage du four au chauffe bain. Elle en déduit qu'il ne remplit pas les conditions du tableau car il n'a jamais effectué, pendant 10 ans minimum, les travaux visés sur la liste limitative du tableau 30 bis.
Il est établi et non contesté que [E] [G] a été salarié de la société du 16 mai 1966 au 16 novembre 1967 et du 3 mars 1969 au 30 septembre 2022. Dans le cadre de l'enquête diligentée par la caisse, il a précisé :
- avoir travaillé dans un premier temps à l'atelier accumulateur et sur les postes de soudure pour lesquels il utilisait des gants en amiante pour la soudure des accumulateurs et en protection du corps des plaques de tôles recouvertes d'amiante ;
- avoir manipulé des composants amiante tout au long de sa carrière, en tant que responsable de chaîne ou montage et des pièces de rechange (tresses, joints, plaque amiantée, corps de chauffe, ...).
Les témoignages produits attestent que :
- [E] [G] a commencé sa carrière à l'usine du [Localité 27] dans l'atelier des accumulateurs au poste de soudure et de brasage ;
- Dans cet atelier, il était utilisé des plaques d'amiante et des gants en amiante pour se protéger des brûlures dues aux soudures et pour le brasage des cuves cuivre ;
- A l'atelier montage, il manipulait aussi des cordons d'amiante ;
- ses cordons arrivaient en rouleaux et il fallait les dérouler puis les couper à dimension des ciseaux ou au cutter ;
- les ouvriers n'avaient aucune protection et utilisaient des soufflettes pour nettoyer les postes de travail.
La société indique pour sa part que [E] [G] a débuté son activité à l'usine du [Localité 27] en mai 1966 au sein de l'atelier accumulateur, qu'il a effectué son service militaire du 16 novembre 1967 au 2 mars 1969, qu'à son retour, le 3 mars 1969, il a été réaffecté à l'atelier accumulateur. A compter d'août 1969, il a travaillé sur le site de [Localité 28] où il a poursuivi ses fonctions à l'atelier accumulateur en qualité de soudeur puis de conducteur de chaîne jusqu'en 1974. A partir du 8 octobre 1975, il a été affecté au montage. A compter du 2 janvier 1980, il a été affecté au service de la logistique au sein duquel il a occupé différents postes (responsabilité des expéditions d'appareil CKD, technicien...). La société affirme que [E] [G] était équipé de protections individuelles type lunettes de protection, gants en cuir, tablier en cuir. Les corps de chauffe étaient exclusivement en cuivre étamé avant 1980, puis l'échangeur est resté en cuivre et la chambre de combustion est devenue en tôle munie de plaques en céramique réfractaire et non en amiante. L'activité logistique était très éloignée des fours (100 mètres). Au sein de la logistique, [E] [G] n'a pas posé de cordons en amiante. [E] [G] n'a jamais été identifié comme salarié ayant travaillé au four, dans le voisinage du four ou chauffe-bain étanche (avec tresse en amiante).
Il sera noté que l'établissement de [Localité 28] figure sur l'arrêté du 25 novembre 2004 permettant à ses salariés de bénéficier de l'allocation de cessation d'activité des travailleurs de l'amiante ([12]), lequel précise que l'activité de calorifugeage à l'aide d'amiante s'est déroulée sur ce site de 1969 à 1996.
La société fournit plusieurs listes élaborées entre 2002 et 2005 de salariés ayant participé à l'assemblage des conduits de fumées sur corps de chauffe sur la ligne des chauffe bains étanches, ayant travaillé sur les fours de fabrication de corps de chauffe-bains-rideau de tresse amiante, ayant travaillé dans l'atelier de fabrication d'échangeur et une liste 'voisinage fours', listes sur lesquelles [E] [G] ne figure pas.
La cour constate que dans les pièces constitutives du dossier d'instruction de la maladie professionnelle de [E] [G] mises à la disposition de la société par la caisse, ne figure qu'une lettre émanant du salarié datée du 28 février 2015 décrivant ses conditions de travail. En revanche, il ne semble pas que la caisse ait fait diligenter une enquête, ainsi qu'il est d'usage, pour vérifier la nature des travaux réalisés par le salarié et n'a notamment pas recueilli les explications de la société.
Les seules attestations d'autres salariés de l'entreprise, collègues de travail de [E] [G], sont insuffisantes à établir avec certitude que ce salarié a bien été conduit à effectuer l'un des types de travaux visés au tableau 30 bis durant une période de 10 ans.
La cour constate que les consorts [G] invoquent à titre subsidiaire la reconnaissance de la maladie professionnelle sur le fondement de l'article L.461-1, 3e alinéa du code de la sécurité sociale et sollicitent la désignation d'un [21].
Saisie d'une telle demande, la cour est donc tenue de consulter un [21] dont la mission sera de dire si la maladie et le décès ont bien été causés par le travail habituel de la victime, ainsi qu'elle sera énoncée dans le dispositif de la présente décision.
PAR CES MOTIFS :
La COUR, statuant publiquement par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe,
Désigne le [19] pour donner un avis motivé sur le point de savoir si la maladie déclarée par les consorts [G] concernant [E] [G], décédé, a été ou non directement causée par le travail habituel de ce dernier ;
Dit que ce comité prendra connaissance du dossier de la [14], laquelle devra joindre au dossier transmis audit comité copie du présent arrêt ;
Dit que le comité devra transmettre son avis dans les quatre mois de sa saisine ;
Sursoit à statuer sur l'ensemble des demandes et des dépens jusqu'à ce que le [21] ait rendu son avis ;
Ordonne la radiation de l'affaire des affaires en cours ;
Dit que celle-ci sera réenrôlée à la requête de la partie la plus diligente à réception de l'avis du comité.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT