COUR D'APPEL DE RENNES
N° 24/201
N° RG 24/00406 - N° Portalis DBVL-V-B7I-VEO4
JURIDICTION DU PREMIER PRÉSIDENT
O R D O N N A N C E
articles L 741-10 et suivants du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile
Nous, Caroline BRISSIAUD, conseiller à la cour d'appel de RENNES, déléguée par ordonnance du premier président pour statuer sur les recours fondés sur les articles L.741-10 et suivants du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, assistée de Eric LOISELEUR, greffier placé,
Statuant sur l'appel formé le 29 Août 2024 à 14H49 par la CIMADE pour :
M. [B] [S]
né le 25 Juin 1987 à [Localité 2] (GUINEE)
de nationalité Guinéenne
ayant pour avocat Me Marine LE BOURHIS, avocat au barreau de RENNES
d'une ordonnance rendue le 28 Août 2024 à 16H33 par le juge des libertés et de la détention du Tribunal judiaire de RENNES qui a ordonné la prolongation du maintien de M. [B] [S] dans les locaux ne relevant pas de l'administration pénitentiaire pour une durée maximale de trente jours à compter du 28 Août 2024, pas d'heure mentionnée sur l'ordonnance,
En l'absence de représentant du préfet de Loire Atlantique, dûment convoqué, ayant adressé un mémoire le 29 Août 2024, lequel a été mis à disposition des parties,
En l'absence du procureur général régulièrement avisé, Monsieur DELPERIE, avocat général, ayant fait connaître son avis par écrit déposé le 29 Août 2024, lequel a été mis à disposition des parties,
En présence de [B] [S], assisté de Me Marine LE BOURHIS, avocat,
Après avoir entendu en audience publique, par visioconférence, le 30 Août 2024 à 10 H 00 l'appelant assisté de son avocat en leurs observations,
Avons mis l'affaire en délibéré et le 30 Août 2024 à 14H00, avons statué comme suit :
Exposé du litige
M. [B] [S] a fait l'objet d'une mesure d'obligation de quitter le territoire français assortie d'une interdiction de retour pendant un an prise le 12 mai 2023 par le Préfet de Loire-Atlantique qui lui a été notifiée le jour même.
Par arrêté du 29 juillet 2024 notifié le jour même à l'intéressé, le préfet de Loire-Atlantique a placé M. [B] [S] en rétention et ce dernier a été admis au centre de rétention administrative de [Localité 3] à compter du 29 juillet 2024.
Par ordonnance du 02 août 2024, confirmée par la cour d'appel de Rennes le 06 août 2024, le juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire de Rennes a autorisé la prolongation de la rétention pour une durée de 26 jours à compter du 02 août 2024 à 24 heures.
Le 27 août 2024, le préfet de Loire-Atlantique a saisi le juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire de Rennes en vue d'une seconde prolongation de la rétention administrative de M. [B] [S].
Par ordonnance du 28 août 2024 notifiée à 16 h55, le juge des libertés et de la détention a ordonné la prolongation du maintien de M. [B] [S], dans des locaux non pénitentiaires pour un délai maximum de 30 jours à compter du 28 août 2024.
Le 29 août 2024 à 15h11, M. [B] [S] a interjeté appel de cette ordonnance en faisant valoir deux moyens, tenant à l'insuffisance des diligences de la préfecture et à l'absence de perspectives raisonnables d'éloignement.
Sur l'insuffisance des diligences entreprises par la Préfecture, il expose qu'il a toujours indiqué être de nationalité libérienne de sorte que la Préfecture de Loire-Atlantique qui avait connaissance de cette information puisqu'elle ressort de l'arrêté de placement en rétention administrative, aurait dû exercer des diligences envers les autorités libériennes en plus des autorités guinéennes, ce qu'elle n'a pas fait. La demande adressée aux seules autorités guinéennes ne constitue pas des diligences suffisantes justifiant son maintien en détention.
Sur l'absence de perspectives raisonnables d'éloignement, il fait valoir que selon une décision du juge des libertés et de la détention de Toulouse 'l'étude des dossiers est actuellement suspendue' par les autorités guinéennes.
À l'audience du 30 août 2024 à 10 heures, M. [B] [S] comparaissant en visioconférence, assisté de son avocat, sollicite :
-l'infirmation de l'ordonnance,
- le rejet de la demande de prolongation et la mainlevée de la mesure de rétention administrative,
-sa remise en liberté immédiate
- la condamnation de la Préfecture de Loire-Atlantique à verser la somme de 800 euros sur le fondement de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridictionnelle.
Il maintient ses moyens tirés de l'absence de diligences suffisantes de la Préfecture et de l'absence de perspectives raisonnables d'éloignement.
Le préfet de Loire-Atlantique ne comparaît pas mais a fait part des observations suivantes reçues le 29 août 2024 à18heures28 :
- M. [S] n'a pas déclaré à l'OFPRA disposer d'une nationalité autre que guinéenne et a déclaré être né en Guinée lors de sa demande de droit d'asile,
-M. [S] ne justifie pas de son lien avec le Libéria et n'explique pas pourquoi il souhaite être éloigné vers un pays qu'il a quitté lorsqu'il était enfant pour fuir la guerre plutôt que dans le pays où il a grandi et où il a demandé la protection internationale au titre de l'asile,
- le fait de contacter les autorités du pays d'origine, concernant une personne protégée au titre de l'asile, serait contraire au droit d'asile.
Le ministère public ne comparaît pas mais requiert la confirmation de l'ordonnance.
Discussion
Sur la recevabilité de l'appel
L'appel de M. [B] [S] a été fait dans des conditions de forme et de délais régulières. Il sera donc jugé recevable.
Sur l'insuffisance des diligences du préfet
Il résulte de l'article 15 §1 de la directive 2008/115/CE du parlement européen et du conseil du 16 décembre 2008 dite 'Directive retour' que 'à moins que d'autres mesures suffisantes mais moins coercitives puissent être appliquées efficacement dans un cas particulier, les Etats membres peuvent uniquement placer en rétention le ressortissant d'un pays tiers qui fait l'objet de procédures de retour afin de préparer le retour et/ou de procéder à l'éloignement'.
L'article 15 al.4 de cette même directive dispose que 'lorsqu'il apparaît qu'il n'existe plus de perspective raisonnable d'éloignement pour des considérations d'ordre juridique ou autres, ou que les conditions énoncées au paragraphe 1 ne sont plus réunies, la rétention ne se justifie plus et la personne concernée est immédiatement remise en liberté'.
Il ressort en outre de l'arrêt rendu par la CJUE le 30 novembre 2009 que l'article 15§4 précité doit être interprété en ce sens que seule une réelle perspective que l'éloignement puisse être mené à bien eu égard aux délais fixés aux paragraphes 5 et 6 correspond à une perspective raisonnable d'éloignement et que cette dernière n'existe pas lorsqu'il paraît peu probable que l'intéressé soit accueillir dans un pays tiers eu égard auxdits délais.
Enfin, l'article L. 741-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile pose en principe qu' 'un étranger ne peut être placé ou maintenu en rétention que pour le temps strictement nécessaire à son départ. L'administration exerce toute diligence à cet effet'.
Il appartient au juge des libertés et de la détention, en application de l'article L. 741-3 du CESEDA de rechercher concrètement les diligences accomplies par l'administration pour permettre que l'étranger ne soit maintenu en rétention que pour le temps strictement nécessaire à son départ.
Sur les diligences suffisantes de la Préfecture
M. [S] est placé en rétention administrative depuis le 29 juillet 2024, ladite mesure ayant été prolongée par l'ordonnance du juge des Libertés et de la détention du 2 août 2024, confirmée par la cour d'appel le 06 août 2024.
Il ressort de la procédure que la Préfecture de Loire-Atlantique a saisi dès le 30 juillet 2024 les autorités consulaires guinéennes aux fins de reconnaissance et d'obtention d'un laissez-passer consulaire.
L'Administration n'est pas responsable des délais de réponse des autorités consulaires saisies sur lesquelles elle ne dispose d'aucun pouvoir de contrainte.
Il est exact que la Préfecture était informée de ce que M. [S] [B] né le 25 juin 1987 à [Localité 2] en Guinée, de nationalité guinéenne était également connu sous l'alias: '[S] [B] né le 25 juin 1987 à [Localité 1] au Libéria, de nationalité libérienne', puisque cette information ressort de l'arrêté de placement en rétention administrative du 29 juillet 2024.
Cependant, les déclarations de M. [S]quant à sa nationalité sont pour le moins fluctuantes.
Ainsi qu'il ressort de l'arrêté portant obligation de quitter le territoire du 12 mai 2023 M. [S] s'est en premier lieu déclaré, sans en justifier, de nationalité Guinéenne, pays où réside sa famille. Il n'a pas mentioné être né au Libéria ni avoir fui en Guinée.
Lors de la première prolongation de la mesure de rétention, devant le juge des Libertés et de la Détention puis en appel, il s'est ensuite prévalu de la double nationalité guinéenne et libérienne.
Lors de l'audience du 28 août 2024, relative à la seconde prolongation de la mesure de rétention, le juge des libertés et de la détention relève que désormais, M. [S] prétend être seulement de nationalité libérienne. Tel est également le cas à l'audience de ce jour où M. [S] plaide les traumatismes causés par la guerre au Libéria pour expliquer sa confusion actuelle quant à sa nationalité et son statut vis à vis de la Guinée.
Or, comme l'a pertinemment relevé le premier juge, aucun élément du dossier ne vient corroborer la réalité de sa nationalité libérienne et au soutien de son recours, aucun justificatif n'est davantage produit.
En revanche, son casier judiciaire indique qu'il n'est pas né au Libéria comme il le prétend mais en Guinée.
Par ailleurs, s'il a mentionné le 26 juin 2024, dans la fiche qu'il a renseignée à la demande du préfet qu'il était de nationalité libérienne, il n'a pour autant renseigné ni le lieu ni la ville de naissance.
Par la suite, s'il a mentionné être né dans la ville de 'Kakatan', le juge des libertés et de la détention, relève sans être critiqué sur ce point qu'aucune ville ne correspond à ce nom au Libéria.
De plus, la préfecture indique son être contredite que lors de sa demande d'asile en France, M. [S] a indiqué être né en Guinée et être de nationalité Guinéenne.
Il convient de considérer que les informations fluctuantes et parcellaires transmises par M. [S] n'ont pas mis la préfecture en mesure d'effectuer les investigations utiles auprès des autorités consulaires de ce pays.
En outre, ce moyen avait déjà été soulevé lors de l'audience de première prolongation le 2 août 2024. Le juge des libertés et de la détention, dont la décision a été confirmée en appel, l'avait écarté en précisant que ' rien ne vient corroborer au dossier la réalité de la double nationalité (...) Il n'est donc pas fondé à se prévaloir d'un défaut de diligence de l'administration au motif que les autorités libériennes n'ont pas été saisies, celle-ci n'étant pas, par ailleurs tenue de saisir les dites autorités'.
Compte tenu des décisions précédemment rendues, il ne peut être reproché à la Préfecture un manque de diligence en ne saisissant pas les autorités libériennes.
La préfecture était d'autant moins tenue de le faire que contacter les autorités du pays d'origine, concernant une personne protégée au titre du droit d'asile, serait contraire au droit international de l'asile.
En conséquence, ce moyen manque en fait et sera rejeté.
Sur les perspectives raisonnables d'éloignement
Il est constant que ces perspectives raisonnables d'éloignement doivent être appréciées en fonction de la durée totale de la rétention, cette dernière pouvant être portée à quatre-vingt-dix jours sous réserve de l'appréciation du juge des libertés et de la détention lors de l'examen des conditions relatives aux différentes prolongations.
En l'espèce, l'affirmation selon laquelle les autorités guinéennes auraient suspendu l'étude des demandes de documents de voyages que leur adressent les autorités françaises, de sorte que l' éloignement de M. [S] serait voué à l'échec, n'est objectivée par aucun élément sérieux.
Il ne peut en effet être tiré aucun enseignement d'une décision de justice de première instance ( juge des libertés et de la détention de Toulouse du 18 juin 2024, RG 24/1431) dont le caractère définitif n'est pas avéré et qui n'explicite pas les raisons de cette 'suspension'.
Au regard de ces éléments, le moyen tiré de l'absence de perspectives raisonnables d'éloignement n'est pas établi.
Ce moyen manque en fait et sera rejeté.
Sur le fond
Aux termes de l'article L. 742-4, 'le juge des libertés et de la détention peut, dans les mêmes conditions qu'à l'article L. 742-1, être à nouveau saisi aux fins de prolongation du maintien en rétention au-delà de trente jours, dans les cas suivants:
1° En cas d'urgence absolue ou de menace d'une particulière gravité pour l'ordre public;
2° Lorsque l'impossibilité d'exécuter la décision d'éloignement résulte de la perte ou de la destruction des documents de voyage de l'intéressé, de la dissimulation par celui-ci de son identité ou de l'obstruction volontaire faite à son éloignement ;
3° Lorsque la décision d'éloignement n'a pu être exécutée en raison :
a) du défaut de délivrance des documents de voyage par le consulat dont relève l'intéressé ou lorsque la délivrance des documents de voyage est intervenue trop tardivement pour procéder à l'exécution de la décision d'éloignement ;
b) de l'absence de moyens de transport.
L'étranger peut être maintenu à disposition de la justice dans les conditions prévues à l'article L. 742-2.
Si le juge ordonne la prolongation de la rétention, celle-ci court à compter de l'expiration de la précédente période de rétention et pour une nouvelle période d'une durée maximale de trente jours. La durée maximale de la rétention n'excède alors pas soixante jours'.
En l'espèce, l'impossibilité d'exécuter la mesure d'éloignement résulte de l'absence de document de voyage de l'intéressé, de la dissimulation de son identité s'agissant de la nationalité et du défaut de délivrance des documents de voyages nécessaires par les autorités consulaires saisies en temps utile et qui devrait intervenir à bref délai.
Enfin, M. [S] étant dépourvu de passeport, sans profession et ne possédant aucune résidence effective et stable en France, aucune autre mesure moins coercitive que la rétention administrative ne peut être envisagée.
Il convient en conséquence de confirmer l'ordonnance du juge des libertés et de la détention en ce qu'elle a ordonné la prolongation du maintien en rétention administrative de M. [S] pour une durée de trente jours à compter du 28 août 2024.
Sur les dépens et la demande au titre des frais irrépétibles
Il conviendra de laisser les dépens à la charge du trésor public.
Il n'y a pas lieu de faire droit à la demande formée sur le fondement de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridictionnelle.
PAR CES MOTIFS
Nous, Caroline BRISSIAUD, conseillère déléguée par le premier président, assistée de Eric LOISELEUR, greffier, statuant publiquement et en dernier ressort,
Déclarons recevable l'appel interjeté par M. [B] [S],
Confirmons l'ordonnance entreprise en toutes ses dispositions,
Rejetons la demande formée sur le fondement de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridictionnelle,
Laissons les dépens à la charge de l'Etat.
Fait à Rennes le 30 août 2024 à 14 heures.
Les parties sont avisées qu'elles peuvent se pourvoir en cassation contre cette ordonnance dans un délai de 2 mois à compter de cette notification, le pourvoi devant être formé par déclaration au greffe de la Cour de cassation, signé par un avocat au Conseil d'Etat ou de la Cour de cassation.
Le président, Le greffier,
C. BRISSIAUD E. LOISELEUR
Notification de la présente ordonnance a été faite ce jour à [B] [S], à son avocat et au préfet
Le Greffier,
Cette ordonnance est susceptible d'un pourvoi en cassation dans les deux mois suivant la présente notification et dans les conditions fixées par les articles 973 et suivants du code de procédure civile.
Communication de la présente ordonnance a été faite ce même jour au procureur général.
Le Greffier