COUR D'APPEL DE RENNES
N° 24/200
N° RG 24/00405 - N° Portalis DBVL-V-B7I-VEMG
JURIDICTION DU PREMIER PRÉSIDENT
O R D O N N A N C E
articles L 741-10 et suivants du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile
Nous, Caroline BRISSIAUD, conseiller à la cour d'appel de RENNES, déléguée par ordonnance du premier président pour statuer sur les recours fondés sur les articles L.741-10 et suivants du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, assisté de Eric LOISELEUR, greffier placé,
Statuant sur l'appel formé le 28 Août 2024 à 15H15 par la CIMADE pour :
M. [H] [M]
né le 05 Avril 1999 à [Localité 1] (ALGERIE) (00000)
de nationalité Algérienne
ayant pour avocat Me Olivier CHAUVEL, avocat au barreau de RENNES
d'une ordonnance rendue le 27 Août 2024 à 16H50 par le juge des libertés et de la détention du Tribunal judiaire de RENNES qui a ordonné la prolongation du maintien de M. [H] [M] dans les locaux ne relevant pas de l'administration pénitentiaire pour une durée maximale de trente jours à compter du 27 Août 2024 pas d'heure mentionnée;
En l'absence de représentant du préfet de Calvados, dûment convoqué, ayant adressé des observations le 28 Août 2024, lesquelles ont été mises à disposition des parties,
En l'absence du procureur général régulièrement avisé, Monsieur DELPERIE, avocat général, ayant fait connaître son avis par écrit déposé le 28 Août 2024, lequel a été mis à disposition des parties,
En présence de [H] [M], assisté de Me Olivier CHAUVEL, avocat,
Après avoir entendu en audience publique, par visioconférence, le 29 Août 2024 à 10 H 00 l'appelant assisté de son avocat en leurs observations,
Avons mis l'affaire en délibéré et le 29 Août 2024 à 14H00, avons statué comme suit :
Exposé du litige
M. [H] [M], né le 05 avril 1999 à [Localité 1] (Algérie), de nationalité Algérienne a fait l'objet d'une mesure d'obligation de quitter le territoire français assortie d'une interdiction de retour pendant trois ans prise le 14 février 2024 par le Préfet de Seine -Saint-Denis qui lui a été notifiée le 16 février 2024.
Par arrêté du 28 juillet 2024 notifié le jour même à l'intéressé, le préfet du Calvados a placé M. [H] [M] en rétention et ce dernier a été admis au centre de rétention administrative de [Localité 4] à compter du 28 juillet 2024 à 12heures.
Par ordonnance du 31 juillet 2024 confirmée par la cour d'appel de Rennes le 2 août 2024, le juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire de Rennes a autorisé la prolongation de la rétention pour une durée de 26 jours soit jusqu'au 27 août 2024.
Le 26 août 2024, le préfet du Calvados a saisi le juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire de Rennes en vue d'une seconde prolongation de la rétention administrative de M. [H] [M].
Par ordonnance du 27 août 2024 à 16 h50, le juge des libertés et de la détention a ordonné la prolongation du maintien de M. [H] [M], dans des locaux non pénitentiaires pour un délai maximum de 30 jours à compter du 27 août 2024.
Le 28 août 2024 à 15h15, M. [H] [M] a interjeté appel de cette ordonnance en faisant valoir deux moyens, tenant à l'insuffisance des diligences de la préfecture et à l'absence de perspectives raisonnables d'éloignement.
Sur l'insuffisance des diligences entreprises par la Préfecture, il expose qu'après avoir saisi en premier lieu le consulat d'Algérie de [Localité 2] alors que le consulat d'Algérie compétent n'était pas celui de [Localité 2] mais de [Localité 3] (comme le lui a rappelé le consulat de [Localité 2]), la Préfecture du Calvados n'a saisi le consulat d'Algérie de [Localité 3] compétent que le 23 août 2024, soit presque quatre semaines après son placement en rétention administrative.
Sur l'absence de perspectives raisonnables d'éloignement, il expose qu'au regard du contexte diplomatique actuel entre la France et l'Algérie, les probabilités que la Préfecture du Calvados obtienne une réponse positive des autorités consulaires algériennes sont quasiment nulles.
À l'audience du 29 août 2024 à 10 heures, M. [H] [M] comparaissant en visioconférence, assisté de son avocat, sollicite :
-l'infirmation de l'ordonnance,
- le rejet de la demande de prolongation et la mainlevée de la mesure de rétention administrative,
- la condamnation de la Préfecture du Calvados à verser à Me Chauvel la somme de 400 euros sur le fondement de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridictionnelle.
Rappelant que la mesure de rétention est attentatoire aux libertés individuelles et doit durer le temps strictement nécessaire pour mettre en oeuvre la mesure d'éloignement, il fait valoir que le Préfet du Calvados a manqué à son obligation de diligence compte tenu de l'erreur procédurale commise initialement en saisissant le consulat d'Algérie à [Localité 2] au lieu du consulat d'Algérie à [Localité 3], notoirement territorialement compétent d'une part et que d'autre part, les perspectives d'éloignement à bref délai sont compromises du fait des tensions diplomatiques existantes entre la France et l'Algérie.
Le préfet du Calvados ne comparaît pas mais adresse un mémoire dans lequel il sollicite la confirmation de l'ordonnance en indiquant s'en remettre au contenu de ladite ordonnance. Il ajoute que les tensions actuelles entre la France et l'Algérie n'ont pas affecté les relations avec les autorités consulaires algériennes quant aux reconnaissance de nationalité et que les services de l'Etat ont pu obtenir récemment plusieurs reconnaissances de nationalité algérienne.
Le ministère public ne comparaît pas mais requiert la confirmation de l'ordonnance.
Discussion
Sur la recevabilité de l'appel
L'appel de M. [H] [M] a été fait dans des conditions de forme et de délais régulières. Il sera donc jugé recevable.
Sur l'insuffisance des diligences du préfet
Il résulte de l'article 15 al.1 de la directive 2008/115/CE du parlement européen et du conseil du 16 décembre 2008 dite 'Directive retour' que 'à moins que d'autres mesures suffisantes mais moins coercitives puissent être appliquées efficacement dans un cas particulier, les Etats membres peuvent uniquement placer en rétention le ressortissant d'un pays tiers qui fait l'objet de procédures de retour afin de préparer le retour et/ou de procéder à l'éloignement'.
L'article 15 al.4 de cette même directive dispose que 'lorsqu'il apparaît qu'il n'existe plus de perspective raisonnable d'éloignement pour des considérations d'ordre juridique ou autres, ou que les conditions énoncées au paragraphe 1 ne sont plus réunies, la rétention ne se justifie plus et la personne concernée est immédiatement remise en liberté'.
L'article L. 741-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile pose en principe qu' 'un étranger ne peut être placé ou maintenu en rétention que pour le temps strictement nécessaire à son départ. L'administration exerce toute diligence à cet effet'.
Aux termes de l'article L. 742-4, 'le juge des libertés et de la détention peut, dans les mêmes conditions qu'à l'article L. 742-1, être à nouveau saisi aux fins de prolongation du maintien en rétention au-delà de trente jours, dans les cas suivants :
1° En cas d'urgence absolue ou de menace d'une particulière gravité pour l'ordre public;
2° Lorsque l'impossibilité d'exécuter la décision d'éloignement résulte de la perte ou de la destruction des documents de voyage de l'intéressé, de la dissimulation par celui-ci de son identité ou de l'obstruction volontaire faite à son éloignement ;
3° Lorsque la décision d'éloignement n'a pu être exécutée en raison :
a) du défaut de délivrance des documents de voyage par le consulat dont relève l'intéressé ou lorsque la délivrance des documents de voyage est intervenue trop tardivement pour procéder à l'exécution de la décision d'éloignement ;
b) de l'absence de moyens de transport.
L'étranger peut être maintenu à disposition de la justice dans les conditions prévues à l'article L. 742-2.
Si le juge ordonne la prolongation de la rétention, celle-ci court à compter de l'expiration de la précédente période de rétention et pour une nouvelle période d'une durée maximale de trente jours. La durée maximale de la rétention n'excède alors pas soixante jours'.
Sur les diligences suffisantes de la Préfecture
M. [M] est placé en rétention administrative depuis le 28 juillet 2024.
Il ressort de la procédure que la Préfecture du Calvados a saisi dès le 29 juillet 2024 les autorités consulaires algériennes auprès du consulat d'Algérie à [Localité 2] aux fins de reconnaissance et d'obtention d'un laissez-passer consulaire.
La préfecture a adressé une relance au consulat d'Algérie à [Localité 2] par courriel du 5 août 2024 et par courrier recommandé avec avis de réception adressé le 6 août 2024.
Il est exact que la Préfecture du Calvados a saisi par erreur le consulat d'Algérie à [Localité 2] alors que le consulat compétent pour instruire une demande de laissez-passer consulaire est celui dans le ressort duquel se trouve la préfecture en charge de la mise en oeuvre de la mesure d'éloignement, y compris lorsque celle-ci a été prise par une autre préfecture (paragraphe 1.3.1 de l'information du 9 janvier 2019).
En l'espèce, c'est le préfet du Calvados qui est en charge de la mise en oeuvre de la mesure d'éloignement, de sorte que c'est le consulat de [Localité 3] auquel devait s'adresser l'administration, ce qui a été fait le 23 août 2024, après avoir reçu, le 17 août 2024 seulement, la réponse du consulat de [Localité 2] déclinant sa compétence.
Une fois informée de l'incompétence territoriale du service saisi, la Préfecture du Calvados s'est donc montrée réactive.
Par ailleurs, l'erreur de saisine initiale ne saurait suffire à caractériser un défaut de diligence de la part de l'Administration qui en outre, n'est pas responsable des délais de réponse des autorités consulaires saisies sur lesquelles elle ne dispose d'aucun pouvoir de contrainte.
Dans l'arrêt invoqué (CA Rennes du 18 janvier 2024, RG n° 24/00042) ce n'est pas la saisine initiale erronée du consulat de [Localité 2] en lieu et place de celui de [Localité 3] qui a conduit le juge d'appel a retenir un défaut de diligences suffisantes de la part de l'Administration, mais le fait pour la Préfecture en cause, de s'être de nouveau tournée vers le consulat de [Localité 2], qui lui avait pourtant déjà signifié son incompétence au profit de [Localité 3], après avoir de manière peu compréhensible, annulé la demande aux fins de reconnaissance faite quelques jours plus tôt auprès du consulat de [Localité 3].
Tel n'est pas le cas en l'espèce.
En conséquence, la Préfecture du Calvados justifie avoir accompli les démarches nécessaires auprès des autorités consulaires en vue de l'éloignement de l'intéressé.
Sur les perspectives raisonnables d'éloignement compte tenu des tensions diplomatiques entre la France et l'Algérie
Il est constant que ces perspectives raisonnables d'éloignement doivent être appréciées en fonction de la durée totale de la rétention, cette dernière pouvant être portée à quatre-vingt-dix jours sous réserve de l'appréciation du juge des libertés et de la détention lors de l'examen des conditions relatives aux différentes prolongations.
En l'espèce, il ne ressort d'aucun élément du dossier que les relations diplomatiques entre la France et l'Algérie seraient de nature à empêcher l' éloignement de M. [M] durant le temps de sa rétention administrative.
Les autorités consulaires algériennes ont été saisies récemment et il n'est pas possible de présumer une tardiveté ou une potentielle absence de réponse de celles-ci dans les délais de rétention administrative à raison des difficiles relations diplomatiques entre la France et l'Algérie telles que relatées dans la presse.
Aucune communication officielle n'objective la rupture des relations diplomatiques se traduisant notamment par un refus systématique des autorités consulaires algériennes de délivrer les documents nécessaires à la mise en oeuvre des mesures d'éloignement prises par la France.
Il est également rappelé que ces tensions sont très récentes et que les relations diplomatiques demeurent fluctuantes et susceptibles d'évolutions rapides, de sorte qu'il apparaît prématuré, à ce stade de la procédure administrative de rétention, de conclure à l'absence de perspectives raisonnables d'éloignement.
Au regard de ces éléments, le moyen tiré de l'absence de perspectives raisonnables d'éloignement n'est pas établi.
L'ordonnance sera confirmée en ce qu'elle a rejeté ce moyen.
Sur le fond
M. [M] ne présente toujours pas de garanties de représentation suffisantes en ce qu'il ne dispose pas d'un passeport valide remis aux autorités compétentes ni d'aucun autre document d'identité valable, qu'il est sans profession et qu'il ne possède aucune résidence effective et stable en France.
Au cas particulier, aucune autre mesure moins coercitive que la rétention administrative ne peut être envisagée.
Sur les dépens et la demande au titre des frais irrépétibles
Il conviendra de laisser les dépens à la charge du trésor public.
Il n'y a pas lieu de faire droit à la demande formée sur le fondement de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridictionnelle.
PAR CES MOTIFS :
Nous, Caroline BRISSIAUD, conseillère déléguée par le premier président, assistée de Eric Loiseleur, greffier, statuant publiquement et en dernier ressort,
Déclarons recevable l'appel interjeté par M. [H] [M],
Confirmons l'ordonnance entreprise en toutes ses dispositions,
Rejetons la demande formée sur le fondement de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridictionnelle,
Laissons les dépens à la charge de l'Etat.
Fait à Rennes le 29 août 2024 à 14 heures.
Les parties sont avisées qu'elles peuvent se pourvoir en cassation contre cette ordonnance dans un délai de 2 mois à compter de cette notification, le pourvoi devant être formé par déclaration au greffe de la Cour de cassation, signé par un avocat au Conseil d'Etat ou de la Cour de cassation.
Le président, Le greffier,
C. BRISSIAUD E. LOISELEUR
Notification de la présente ordonnance a été faite ce jour à [H] [M], à son avocat et au préfet
Le Greffier,
Cette ordonnance est susceptible d'un pourvoi en cassation dans les deux mois suivant la présente notification et dans les conditions fixées par les articles 973 et suivants du code de procédure civile.
Communication de la présente ordonnance a été faite ce même jour au procureur général.
Le Greffier