COUR D'APPEL DE RENNES
N° 24/167
N° RG 24/00343 - N° Portalis DBVL-V-B7I-VBST
JURIDICTION DU PREMIER PRÉSIDENT
O R D O N N A N C E
articles L 741-10 et suivants du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile
Nous, Hervé BALLEREAU, conseiller à la cour d'appel de RENNES, délégué par ordonnance du premier président pour statuer sur les recours fondés sur les articles L.741-10 et suivants du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, assisté de Elwenn DARNET, greffière,
Statuant sur l'appel formé le 29 Juillet 2024 à 13 heures 48 par :
M. [T] [Y]
né le 03 Mars 2022 à [Localité 2]
de nationalité Tunisienne
ayant pour avocat Me Cécilia MAZOUIN, avocat au barreau de RENNES
d'une ordonnance rendue le 27 Juillet 2024 à 17 heures 15 par le juge des libertés et de la détention du Tribunal judiaire de RENNES qui a rejeté les exceptions de nullité soulevées, le recours formé à l'encontre de l'arrêté de placement en rétention administrative, et ordonné la prolongation du maintien de M. [T] [Y] dans les locaux ne relevant pas de l'administration pénitentiaire pour une durée maximale de vingt-six jours à compter du 29 juillet 2024 à 24 heures ;
En l'absence de représentant du préfet de de Loire Atlantique, dûment convoqué,
En l'absence du procureur général régulièrement avisé,
En présence de [T] [Y], assisté de Me Cécilia MAZOUIN, avocat,
Après avoir entendu en audience publique le 30 Juillet 2024 à 11 heures l'appelant et son avocat, après lecture de l'avis du procureur général, et du préfet de Loire-Atlantique,
Avons mis l'affaire en délibéré et le 30 Juillet 2024 à 16 heures 10, avons statué comme suit :
Par arrêté en date du 27 août 2022, notifié le même jour à l'intéressé, le Préfet de Loire-Atlantique a fait obligation à M. [T] [Y] de quitter le territoire français.
Le 18 février 2024, M. [Y] était incarcéré au Centre pénitentiaire de [1] et il était condamné par jugement rendu le 17 avril 2024 par le tribunal correctionnel de Saint-Nazaire à la peine de six mois d'emprisonnement pour des faits d'offre ou cession de stupéfiants, non-respect de l'obligation de présentation périodique aux services de police ou de gendarmerie par un étranger assigné à résidence, transport non autorisé de stupéfiants.
Par arrêté en date du 25 juillet 2024, notifié à l'intéressé le même jour à 10h08, le Préfet de Loire-Atlantique a placé M. [Y] en rétention dans des locaux ne relevant pas de l'administration pénitentiaire.
M. [Y] a formé une contestation contre cette décision.
Par requête datée du 26 juillet 2024, le Préfet de Loire-Atlantique a saisi le juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire de Rennes d'une demande de prolongation de la mesure de rétention administrative.
Par ordonnance rendue le 27 juillet 2024 à 17h15, le juge des libertés et de la détention a:
- Rejeté les exceptions de nullité soulevées
- Ordonné la prolongation du maintien de M. [Y] dans des locaux non pénitentiaires pour un délai maximum de vingt six jours à compter du 29 juillet 2024 à 24h00.
Pour statuer en ce sens, le juge des libertés et de la détention a notamment retenu qu'en application de l'article L731-3-1-1° dans sa version issue de la loi n°2024-42 du 26 janvier 2024, le préfet pouvait décider du placement en rétention sur la base d'une décision portant obligation de quitter le territoire français (OQTF) du 27 août 2022 de moins de trois ans, peu important qu'elle ait été prise avant l'entrée en vigueur de cette loi.
Suivant déclaration formée au greffe de la cour le 29 juillet 2024 à 13h48, M. [Y] a interjeté appel de cette ordonnance.
Il fait valoir en substance :
- qu'il a été placé en rétention administrative sur la base d'une OQTF édictée le 27 août 2022, alors que la possibilité de le placer en rétention sur la base de cette mesure était expirée depuis le 27 août 2023, soit antérieurement à l'entrée en vigueur de la loi du 26 janvier 2024 ayant modifié les dispositions de l'article L731-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; que son placement en rétention est donc dépourvu de base légale et est irrégulier ;
- que l'administration n'apporte pas la preuve que des diligences utiles et pertinentes aient été entreprises pendant sa détention, puisqu'elle n'a poas envoyé correstement les documents demandés par les autorités consulaires, des empreintes au mauvais format ayant été transmises en mars 2024 au consulat tunisien, ce qui caractérise un défaut de diligence rendant la mesure de rétention irrégulière.
A l'audience, M. [Y], assisté de son avocat, a fait soutenir oralement les termes de sa requête en appel.
Selon avis en date du 29 juillet 2024, le Procureur général a indiqué qu'il sollicitait la confirmation de l'ordonnance entreprise.
Selon mémoire notifié au greffe le 29 juillet 2024 à 16h49, le Préfet de Loire-Atlantique a sollicité la confirmation de l'ordonnance querellée.
MOTIFS DE LA DECISION
L'appel est recevable pour avoir été formé dans les formes et délais prescrits par la loi.
Sur le moyen tiré du défaut de base légale :
Aux termes de l'article L741-1 alinéa 1er du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa version issue de la loi n°2024-42 du 26 janvier 2024 entrée en vigueur le 28 janvier 2024, l'autorité administrative peut placer en rétention, pour une durée de quatre jours, l'étranger qui se trouve dans l'un des cas prévus à l'article L. 731-1 lorsqu'il ne présente pas de garanties de représentation effectives propres à prévenir un risque de soustraction à l'exécution de la décision d'éloignement et qu'aucune autre mesure n'apparaît suffisante à garantir efficacement l'exécution effective de cette décision.
En application de l'article L.731-1 du même code, également dans sa version entrée en vigueur le 28 janvier 2024, l'autorité administrative peut assigner à résidence l'étranger qui ne peut quitter immédiatement le territoire français mais dont l'éloignement demeure une perspective raisonnable, notamment dans le cas où il fait l'objet d'une décision portant obligation de quitter le territoire français, prise moins de trois ans auparavant, pour laquelle le délai de départ volontaire est expiré ou n'a pas été accordé.
En vertu de l'article 2 du code civil, la loi ne dispose que pour l'avenir ; elle n'a point d'effet rétroactif.
Si une loi nouvelle est d'application immédiate, elle ne peut, sans rétroactivité, atteindre les effets d'une situation juridique définitivement réalisée antérieurement.
En l'espèce, le fondement de la décision de placement en rétention administrative de M. [Y] est un arrêté en date du 27 août 2022, notifié le même jour à l'intéressé, par lequel le Préfet de Loire-Atlantique faisait obligation à l'intéressé de quitter le territoire français.
A la date de cette OQTF et jusqu'au 27 janvier 2024, l'article L731-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile disposait: 'L'autorité administrative peut assigner à résidence l'étranger qui ne peut quitter immédiatement le territoire français mais dont l'éloignement demeure une perspective raisonnable, dans les cas suivants :
1° L'étranger fait l'objet d'une décision portant obligation de quitter le territoire français, prise moins d'un an auparavant, pour laquelle le délai de départ volontaire est expiré ou n'a pas été accordé (...)'.
Le 27 août 2023, l'OQTF en vertu de laquelle la décision de placement en rétention du 25 juillet 2024 a été prise avait plus d'un an et ne pouvait donc plus fonder une telle mesure.
Ce délai d'un an avait pris effet à compter de la décision portant OQTF et postérieurement à la survenance du terme d'un an, cette obligation ne pouvait plus fonder une décision de placement en rétention.
L'entrée en vigueur des dispositions susvisées de la loi du 26 janvier 2024 n'a pu avoir pour effet de redonner vie à une situation juridique réalisée antérieurement, de telle sorte que le préfet qui n'a pas fait diligence dans le délai d'un an de l'OQTF, ne peut utilement se prévaloir du fait que cette dernière décision date de moins de 3 ans à la date de l'arrêté de placement en rétention de M. [Y].
L'arrêté de placement en rétention administrative est ainsi privé de base légale.
Il convient dès lors d'infirmer l'ordonnance entreprise sans qu'il soit justifié d'examiner les autres moyens soulevés par l'appelant et d'ordonner qu'il soit mis fin à la mesure de rétention administrative de M. [Y].
Le préfet de Loire-Atlantique sera condamné à payer à Maître Cécilia MAZOUIN, avocat au Barreau de Rennes, une indemnité d'un montant de 500 euros en application des dispositions des articles 37 et 75 de la loi du 10 juillet 1991 sur l'aide juridictionnelle.
PAR CES MOTIFS
Déclare l'appel recevable ;
Infirme l'ordonnance du juge des libertés et de la détention de Rennes en date du 27 juillet 2024 ;
Statuant à nouveau,
Dit que l'arrêté du 25 juillet 2024, notifié à l'intéressé le même jour à 10h08, par lequel le Préfet de Loire-Atlantique a placé M. [Y] en rétention dans des locaux ne relevant pas de l'administration pénitentiaire, est privé de base légale ;
Rejette la requête du Préfet de Loire-Atlantique ;
Ordonne qu'il soit mis fin à la mesure de rétention administrative de M. [Y] ;
Rappelle à M. [Y] qu'il a l'obligation de quitter le territoire français ;
Condamne le Préfet de Loire-Atlantique à payer à Maître Cécilia MAZOUIN, avocat au Barreau de Rennes, une indemnité d'un montant de 500 euros en application des dispositions des articles 37 et 75 de la loi du 10 juillet 1991 sur l'aide juridictionnelle ;
Laisse les dépens à la charge du Trésor Public.
Fait à Rennes, le 30 Juillet 2024 à 16 heures 10
LA GREFFIÈRE
LE PRESIDENT DE CHAMBRE DÉLÉGUÉ
Elwenn DARNET
Hervé BALLEREAU
Notification de la présente ordonnance a été faite ce jour à [T] [Y], à son avocat et au préfet
Le Greffier,
Cette ordonnance est susceptible d'un pourvoi en cassation dans les deux mois suivant la présente notification et dans les conditions fixées par les articles 973 et suivants du code de procédure civile.
Communication de la présente ordonnance a été faite ce même jour au procureur général.
Le Greffier