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11/07/2024 | FRANCE | N°21/04210

France | France, Cour d'appel de Rennes, 7ème ch prud'homale, 11 juillet 2024, 21/04210


7ème Ch Prud'homale





ARRÊT N°319/20254



N° RG 21/04210 - N° Portalis DBVL-V-B7F-R2CU













M[B] [I]



C/



S.A.S. MEDIACO BRETAGNE MANUTENTION

























Copie exécutoire délivrée

le :11/07/2024



à :Me DEGOUEY

Me VERRANDO





RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



COUR D'APPEL DE RENNES

ARRÊT DU 1

1 JUILLET2024





COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :



Président : Monsieur Hervé BALLEREAU, Président de chambre,

Assesseur : Madame Isabelle CHARPENTIER, Conseillère,

Assesseur : Monsieur Bruno GUINET, Conseiller,



GREFFIER :



Madame Françoise DELAUNAY, lors des débats et lors du pr...

7ème Ch Prud'homale

ARRÊT N°319/20254

N° RG 21/04210 - N° Portalis DBVL-V-B7F-R2CU

M[B] [I]

C/

S.A.S. MEDIACO BRETAGNE MANUTENTION

Copie exécutoire délivrée

le :11/07/2024

à :Me DEGOUEY

Me VERRANDO

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE RENNES

ARRÊT DU 11 JUILLET2024

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :

Président : Monsieur Hervé BALLEREAU, Président de chambre,

Assesseur : Madame Isabelle CHARPENTIER, Conseillère,

Assesseur : Monsieur Bruno GUINET, Conseiller,

GREFFIER :

Madame Françoise DELAUNAY, lors des débats et lors du prononcé

DÉBATS :

A l'audience publique du 11 Juin 2024 devant Monsieur Bruno GUINET, magistrat rapporteur, tenant seul l'audience, sans opposition des représentants des parties et qui a rendu compte au délibéré collégial

En présence de Madame [P], médiateur judiciaire,

ARRÊT :

Contradictoire, prononcé publiquement le 11 Juillet 2024 par mise à disposition au greffe

****

APPELANT :

Monsieur [B] [I]

né le 25 Mars 1980 à [Localité 7]

[Adresse 1]

[Adresse 1]

Comparant en personne, assisté de Me Audrey DEGOUEY, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de SAINT-BRIEUC

INTIMÉE :

S.A.S. MEDIACO BRETAGNE MANUTENTION prise en la personne de ses représentants légaux, domiciliés en cette qualité audit siège.

[Adresse 2]

[Adresse 2]

Représentée par Me Marie VERRANDO de la SELARL LX RENNES-ANGERS, Postulant, avocat au barreau de RENNES

Représentée par Me Emeric LEMOINE, Plaidantt, avocat au barreau de PARIS

EXPOSÉ DU LITIGE

Le 23 octobre 2006, M. [B] [I] a été embauché en qualité d'animateur qualité-sécurité selon un contrat à durée indéterminée par la société Financière Altead Levage manutention. La relation de travail était régie par la convention nationale des transports routiers et des activités auxiliaires du transport.

Le 27 septembre 2007, M. [I] a présenté sa démission pour raisons personnelles. L'intéressé n'ayant pas retrouvé un poste à la fin de son préavis, fixé au 11 janvier 2008, les parties ont convenu de reporter le terme du préavis au 11 juillet 2008. A cette date, les parties ont signé un avenant aux termes duquel M. [I] s'est vu confier le poste de chargé de missions QSE, statut agent de maîtrise au sein de la société Altead Gestion.

A compter du 1er juillet 2012, il a exercé les fonctions d'adjoint à la direction au sein de la société Altead-Le Gai Matelot, statut cadre, groupe 1, coefficient 100.

Puis, à partir du 1er novembre 2018, il est devenu directeur opérationnel, statut cadre dirigeant, toujours au sein de la société Altead-Le Gai Matelot.

En 2019, les sociétés du groupe Altead ont fait l'objet d'une procédure de redressement judiciaire. Le Groupe Mediaco a alors acquis douze des sociétés du groupe dont la société Altead le Gai Matelot.

Le contrat de M. [I] a été repris par la SAS Mediaco Bretagne Manutention [la société MBM] et il a été confirmé dans son poste de responsable de la région Bretagne.

Le 27 novembre 2019, M. [I] a sollicité la rupture conventionnelle de son contrat de travail.

Cependant, le 13 décembre 2019, M. [I] a adressé un courrier recommandé et un mail à l'attention des membres de la direction générale de Mediaco Bretagne dans lequel il déclarait renoncer à sa demande de rupture conventionnelle et exprimait le souhait de conserver son emploi en étant réinvesti de ses pouvoirs et responsabilités de directeur opérationnel.

Le 16 décembre 2019, Mme [W] ( DRH)s'est déplacée depuis le siège social de la société Médiaco à [Localité 8] à [Localité 5] pour y rencontrer M. [I] « dans le but de convenir des modalités de mise en 'uvre de la demande de rupture conventionnelle qu'il avait formulée. » La discussion entre Mme [W] et M. [I] n'a pas abouti et il était alors remis au salarié en main propre contre décharge une convocation à un entretien préalable à une mesure de licenciement, doublée d'une lettre recommandée avec avis de réception expédiée le même jour, fixé au 27 décembre suivant, avec mise à pied à titre conservatoire.

Par lettre recommandée avec accusé de réception en date du 21 janvier 2020, M. [I] s'est vu notifier son licenciement pour faute grave.

Par lettre recommandée avec accusé de réception, datée du 10 février 2020, M. [I] a demandé des précisions sur les motifs de son licenciement pour faute grave. Aucune réponse ne lui sera apportée. La société conteste ce point et prétend que M. [I] n'a jamais demandé la moindre précision quant au motif de son licenciement.

***

Contestant la rupture de son contrat de travail, M. [I] a saisi le conseil de prud'hommes de Quimper par requête en date du 15 mai 2020 afin de voir :

- Dire et juger que son licenciement pour faute grave est dénué de cause réelle et sérieuse;

- En conséquence, condamner la SAS Mediaco Bretagne manutention à lui verser:

- une indemnité compensatrice de préavis de 13 165,17 euros

- outre les congés payés soit 1 316,51 euros

- le montant de 4 966,54 euros au titre des salaires injustement déduits pendant une période de mise à pied conservatoire

- outre les congés payés soit 496,65 euros

- le prorata du 13ème mois sur le préavis dont il a été privé, d'un montant de 1 057,67 euros

- une indemnité de licenciement de 22 993,62 euros

- la somme de 52 000 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement pour sans cause réelle et sérieuse

- Ordonner l'exécution provisoire sur l'intégralité du dispositif en application de l'article 515 du code de procédure civile:

- Condamner la SAS Mediaco Bretagne manutention au versement de la somme de 3 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

La SAS Mediaco Bretagne manutention a demandé au conseil de prud'hommes de :

- Dire et juger le demandeur non fondé en ses prétentions;

- En conséquence, l'en débouter intégralement;

- Faire droit à la demande reconventionnelle formulée par la SAS Mediaco Bretagne manutention ;

- En conséquence, condamner à ce titre le demandeur à lui verser la somme de 3 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile;

- Le condamner aux éventuels dépens.

Par jugement en date du 17 juin 2021, le conseil de prud'hommes de Quimper a:

- Dit que M. [I] est non fondé en ses prétentions et l'en a débouté intégralement;

- Débouté la SAS Mediaco Bretagne manutention de sa demande reconventionnelle ;

- Laissé à la charge de chacune des parties ses dépens.

Pour statuer ainsi, le conseil de prud'hommes a retenu que :

« En matière de licenciement pour faute grave, la preuve du motif allégué pèse intégralement sur l'employeur (Cass. Soc. 5 mars 1981, n° 78-41806) [']

Le 06 décembre 2019, le service des Ressources Humaines du groupe MEDIACO accepte la demande. L'employeur indique qu'à partir de cette date, il n'y a plus aucune communication entre eux et Monsieur [B] [I] mais il n'apporte aucun élément. Cependant le salarié ne démontre pas le contraire. (') Le 21 janvier 2020, son licenciement pour faute grave lui est noti'é aux motifs qu'il ne répondait pas aux appels de son supérieur hiérarchique, Monsieur [T] [Y] et qu'il n 'avait nullement l'intention de se conformer aux instructions qui lui avaient été données et avec lesquelles il était en parfait désaccord, Monsieur [B] [I] n'a pas contesté la notification de son licenciement.

Les pièces communiquées par les parties permettent au Conseil de valider la décision de la société MEDIACO BRETAGNE MANUTENTION de licencier Monsieur [B] [I] pour faute grave. »

***

M. [I] a interjeté appel de la décision précitée par déclaration au greffe en date du 7 juillet 2021.

En l'état de ses dernières conclusions transmises par son conseil sur le RPVA le 1er avril 2022, M. [I] demande à la cour d'appel de:

- Infirmer le jugement rendu par le conseil de prud'hommes de Quimper, section encadrement, le 17 juin 2021 en ce qu'il a :

- Dit que M. [I] est non fondé en ses prétentions et l'en débouter intégralement;

- Laissé à la charge de chacune des parties ses dépens.

Et statuant à nouveau, il est demandé à la Cour de :

- Dire que le licenciement de Monsieur [I] ne repose pas sur une cause réelle et sérieuse.

En conséquence :

- Condamner la SAS Mediaco Bretagne manutention à verser à M. [I] :

- Une indemnité compensatrice de préavis à hauteur de 13 750 euros, outre les congés payés soit 1 375 euros

- Le montant de 5 280,79 euros au titre des salaires injustement déduits pendant une période de mise à pied à titre conservatoire, outre les congés payés soit 528,07 euros

- Le prorata de 13ème mois sur le préavis dont il a été privé, d'un montant de 1 145,83 euros

- Une indemnité légale de licenciement de 22 229,15 euros

- Une indemnité pour dommages et intérêts et plus précisément une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse à hauteur de 52 708,30 euros et une indemnité pour licenciement intervenu dans des circonstances brutales et à caractère vexatoire à hauteur de 10 000 euros

- Condamner la SAS Mediaco Bretagne manutention à régler à M. [I] la somme de 3 500,00 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile au titre de ses frais irrépétibles devant le conseil de prud'hommes de Quimper outre 3 500 euros au titre des frais irrépétibles exposés en cause d'appel.

- Condamner la SAS Mediaco Bretagne manutention entiers dépens d'instance et d'appel.

En l'état de ses dernières conclusions transmises par son conseil sur le RPVA le 3 janvier 2022, la SAS Mediaco Bretagne manutention demande à la cour d'appel de :

- Confirmer le jugement rendu entre les parties le 17 juin 2021 par le conseil de prud'hommes de Quimper en toutes ses dispositions ;

Ce faisant :

- Dire et juger M. [I] non fondé en l'intégralité de ses demandes ;

- En conséquence, l'en débouter ;

- Faire droit à la demande reconventionnelle de la SAS Mediaco Bretagne manutention ;

- En conséquence, condamner M. [I] à lui verser la somme de 3 500,00 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- Le condamner aux éventuels dépens avec distraction au profit de l'avocat soussigné aux offres de droit.

***

La clôture de l'instruction a été prononcée par ordonnance du conseiller de la mise en état le 28 mai 2024 avec fixation de la présente affaire à l'audience du 11 juin 2024.

Conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, la cour renvoie, pour un plus ample exposé des prétentions et moyens des parties, à leurs dernières conclusions régulièrement signifiées.

DISCUSSION

Sur le licenciement sans cause réelle et sérieuse :

La lettre de licenciement du 21 janvier 2020, qui circonscrit le litige, est ainsi motivée :

dans les termes suivants :

« Monsieur,

Comme suite à notre entretien du 27 décembre 2019 au cours duquel nous vous avons exposé les raisons pour lesquelles nous envisagions de rompre votre contrat de travail et avons recueilli vos observations, nous avons le regret de vous notifier votre licenciement pour faute grave.

Ainsi que nous vous l'avons exposé, vous avez délibérément choisi de refuser de remplir vos fonctions de Directeur Opérationnel dans le cadre de la politique définie par notre groupe depuis le rachat par celui-ci du groupe Altead qui vous employait précédemment.

Au vu des difficultés que vous rencontriez à vous intégrer dans notre organisation, vous avez sollicité auprès de Monsieur [J] [U] la mise en place d'une procédure de rupture conventionnelle par e-mail le 27 novembre 2019.

En effet, dans votre e-mail vous avez évoqué votre difficulté à cohabiter dans notre organisation au sein de notre agence Médiaco [Localité 4] étant très critique à l'égard de nos responsables.

Néanmoins, le 06 décembre 2019 le service des Ressources Humaines vous a confirmé la validation de votre demande de rupture conventionnelle.

Dès lors vous avez obstinément refusé de répondre aux appels de votre supérieur hiérarchique, Monsieur [T] [Y], Directeur Régional.

Nous avons été très surpris de votre lettre recommandée avec accusé de réception en date du 13 décembre 2019 par laquelle vous nous informez vouloir renoncer à la mise en place d'une procédure de rupture conventionnelle et vouloir continuer à exercer vos fonctions dans la société, d'autant plus que vous persistiez à ne pas répondre aux sollicitations de Monsieur [T] [Y].

Pour toute réponse à nos interrogations sur les raisons de votre silence et de votre comportement, vous avez déclaré lors de notre entretien du 27 décembre que vous n'aviez nullement l'intention de vous conformer aux instructions qui vous avaient été données et avec lesquelles vous étiez en parfait désaccord.

Pour ces raisons, vous comprendrez que nous sommes contraints de rompre le contrat de travail qui nous lie, et ce, pour faute grave. (').»

De manière à préciser le contexte et clarifier les débats, il y a lieu de préciser que la lettre de licenciement a été précédé d'un mail et d'un courrier de M. [I] :

$gt;le premier, en date du 27 novembre 2019 dans lequel ce dernier indique notamment à M. [U] [président de la société Médiaco] : «Je viens par le présent mail et avec un sentiment d'échec, vous demander une rupture conventionnelle de mon contrat de travail. (') Nous nous sommes rencontrés le 22 août et vous m'avez demandé de superviser l'agence Médiaco Bretagne. (') Cela fait trois mois que nous faisons partie du groupe Médiaco, et à ce jour, on nous fait bien comprendre que nous ne sommes pas dans les standards du groupe, mais sans jamais nous expliquer ce que sont les standards. Trois mois que nous sommes toujours dans l'attente de l'intervention d'un encadrant pour s'adresser au personnel et donner les grandes lignes de ce que nous allons devenir. En effet, trois mois que nous sommes Médiaco et malgré mes multiples avertissements, j'ai la sensation de ne pas être pris au sérieux, notamment sur le fait que notre secteur ([Localité 6]/[Localité 4]) est convoité par la concurrence qui n'est pas encore installée mais de plus en plus présente. Pas de plan d'actions, pas d'indications sur l'avenir de l'agence de [Localité 6] et [Localité 3]. Bien entendu, je comprends qu'il est difficile de se faire un avis après trois mois. Mais malheureusement, l'organisation mise en place ne me donne aucune certitude sur l'avenir ('). »

*le second par lettre recommandée avec accusé de réception, reçu le 13 décembre 2019 (doublé d'un courriel du 16 décembre 2019 à 11 h 02 auquel est annexé un courrier en pièce jointe), ainsi rédigé : « Je vous ai adressé en date du 27 novembre 2019 une demande motivée de rupture conventionnelle de mon contrat de travail. Je vous exposais être las d'être délaissé par le groupe Médiaco depuis la reprise de notre société en août 2019. Ce sont les mêmes raisons qui m'ont conduit à formuler cette demande de rupture qui me conduisent aujourd'hui à vous demander de ne tenir aucun compte de cette demande. En effet, je m'apprêtais à renoncer à mon emploi alors que je ne suis en aucun cas responsable de cette situation. Depuis votre arrivée, j'ai été totalement dépouillé des responsabilités et prérogatives qui caractérisent mon poste. Vous avez donc modifié profondément mon contrat de travail de force, sans discussion et sans même juger utile de vous déplacer ou d'échanger afin d'exposer un schéma d'organisation et/ou d'évolution. Or, malgré ce contexte, vous avez refusé de négocier un dépassement de l'indemnité minimale de rupture conventionnelle, ce que j'ai considéré comme une marque de mépris à mon égard. N'étant absolument pas à l'origine de cette situation, j'entends par conséquent conserver mon emploi et il est dès lors indispensable dans cette perspective que je sois réinvesti des pouvoirs et responsabilités qui m'ont été contractuellement confiées en qualité de directeur opérationnel ('). »

La lettre de licenciement, reproche donc en substance à M. [I] à ce dernier d'avoir « délibérément choisi de refuser de remplir [ses] fonctions de directeur opérationnel dans le cadre de la politique définie par [le] groupe », d'avoir refusé de répondre aux appels de son supérieur hiérarchique à la suite d'un début de procédure de rupture conventionnelle, d'avoir déclaré lors de l'entretien préalable au licenciement en date du 27 décembre 2019 n'avoir « nullement l'intention de [se] conformer aux instructions ».

Il résulte de l'article L1232-1 du code du travail que, pour que la rupture du contrat de travail à l'initiative de l'employeur soit justifiée ou fondée, en tout cas non abusive, la cause du licenciement doit être réelle (faits objectifs, c'est-à-dire précis et matériellement vérifiables, dont l'existence ou la matérialité est établie et qui constituent la véritable raison du licenciement), mais également sérieuse, c'est-à-dire que les faits invoqués par l'employeur, ou griefs articulés par celui-ci, doivent être suffisamment pertinents pour justifier le licenciement.

La faute grave, est celle qui rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise pendant la durée du préavis prévu à l'article L1234-1 du code du travail. La faute grave suppose une action délibérée ou une impéritie grave, la simple erreur d'appréciation ou l'insuffisance professionnelle ne pouvant ouvrir droit à une sanction disciplinaire. La gravité d'une faute n'est pas nécessairement fonction du préjudice qui en est résulté.

Si la charge de la preuve du caractère réel et sérieux du licenciement ne pèse pas plus particulièrement sur l'employeur (la preuve du caractère réel et sérieux du motif de licenciement n'incombe spécialement à aucune des parties), il incombe à l'employeur, en revanche, d'établir la faute grave ou lourde. Le juge forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties et au besoin après toutes mesures d'instruction qu'il estime utiles. Dans tous les cas, en matière de bien-fondé du licenciement disciplinaire, le doute doit profiter au salarié.

En cas de licenciement disciplinaire, le juge doit vérifier que le motif allégué constitue une faute. La sanction disciplinaire prononcée par l'employeur, y compris une mesure de licenciement, ne doit pas être disproportionnée au regard de la gravité de la faute commise par le salarié. Le juge exerce un contrôle de proportionnalité en matière de sanction disciplinaire et vérifie en conséquence que la sanction prononcée par l'employeur à l'encontre du salarié n'est pas trop sévère compte tenu des faits reprochés.

Pour soutenir que la faute grave est caractérisée, l'employeur verse aux débats :

-Sur le refus de M. [I] de remplir ses fonctions de directeur opérationnel dans le cadre de la politique définie par le groupe :

*une attestation de M. [Y], supérieur hiérarchique de M. [I], qui déclare qe ce dernier « n 'a développé aucun projet [dans le cadre de la supervision de plusieurs agences], alors qu'il était directeur opérationnel, au statut de cadre dirigeant » et a « refusé de remplir les fonctions et missions qui lui étaient confiées et ['] a volontairement par son attitude, poussé [l'employeur] à prendre l'initiative de la rupture du contrat » ;

Cependant, pour corroborer cette affirmation, reprise à l'identique de celle figurant dans la lettre de licenciement, l'employeur ne produit strictement aucune pièce, montrant qu'il aurait failli dans l'accomplissement de ses missions (lesquelles étaient notamment de déposer les candidatures, négocier et passer tous contrats, conventions, marchés, appels d'offres et concours relatifs aux prestations entreprises rentrant dans l'objet social et dans le cadre de l'activité des agences ; passer toutes commandes de fournitures, assurer le contrôle et la direction des chantiers'), en particulier des courriels ou des courriers contenant des directives, mentionnant des objectifs, faisant état de relances en relation avec des consignes non respectées.

Or, c'est précisément sur ce point, à savoir l'incertitude totale dans laquelle il était plongé, que M. [I] a alerté son employeur, indiquant être « dans l'attente d'un encadrant pour s'adresser au personnel et donner les grandes lignes », sans réponse claire de la direction autre que celle consistant à rappeler à M. [I], que c'était à lui, en sa qualité de directeur opérationnel, de communiquer avec le personnel'.

En définitive, l'employeur ne rapporte pas la preuve d'un tel refus et ne précisent pas à quelle politique définie par le groupe M. [I] ne se serait pas conformé ni de quelle manière. Le grief n'est pas caractérisé.

-sur le refus de répondre aux appels de son supérieur hiérarchique,

Concernant ce grief, l'employeur produit :

$gt;de nouveau l'attestation de M. [Y] (responsable Région Sud-Est) qui affirme avoir accédé à la demande de rupture conventionnelle de M. [I] le 6 décembre 2019, à la suite de quoi ce dernier a arrêté de répondre à ses appels ;

$gt;une attestation de Mme [W], responsable ressources humaines, qui s'est déplacée en Bretagne pour rencontrer M. [I] et a passé la journée du 16 décembre à lui « courir après », de [Localité 4] à [Localité 3], puis de [Localité 3] à [Localité 5] où elle a finalement pu s'entretenir avec lui très brièvement.

Mais il ne ressort d'aucun courriel ou courrier produit aux débats que M. [Y] aurait accepté la rupture conventionnelle demandée par M. [I] le 27 novembre 2019, ni que ce dernier et Mme [W] avaient convenu d'un rendez-vous à [Localité 4] le 16 décembre 2019. A tout le moins, cette rencontre dont l'objet était d'après Mme [W], de discuter des modalités de la rupture conventionnelle, a été organisée à contretemps dans la mesure où trois jours auparavant, l'employeur avait reçu un courrier recommandé de M. [I] (conclusions de la société Médiaco page 4), l'informant qu'il renonçait à une rupture conventionnelle.

Quoi qu'il en soit, l'attitude de M. [I] concernant la rupture conventionnelle demandée puis écartée faute d'accord sur les modalités de celle-ci, est étrangère à l'exécution de la prestation de travail au sujet de laquelle aucun reproche n'est étayé et ne peut pas davantage constituer un manquement à l'exécution loyale du contrat de travail.

-avoir indiqué, lors de l'entretien préalable, « n'avoir nullement l'intention de se conformer aux instructions qui lui avaient été données et avec lesquelles il était en parfait désaccord ».

La cour constate que, hormis la lettre de licenciement, aucune pièce, et notamment pas un compte-rendu écrit de l'entretien préalable établi par une personne extérieure ayant assisté l'employeur, ne fait état de telles déclarations que le salarié conteste. Par ailleurs aucun élément ne permet de déterminer en quoi consistent « les instructions qui avaient été données » au salarié et auxquelles il avait refusé de se conformer.

Il apparaît en définitive que la véritable cause du licenciement se trouve dans le revirement de M. [I] concernant sa demande de rupture conventionnelle, comme en témoignent à la fois :

$gt;la lettre de licenciement elle-même, en filigrane : « Nous avons été très surpris de votre lettre recommandée en date du 13 décembre 2019, par laquelle vous nous informez vouloir renoncer à la mise en place d'une procédure de rupture conventionnelle et vouloir continuer à exercer vos fonctions dans la société (') ; »

$gt;l'attestation précitée de M. [Y] qui indique: « Ce comportement, qui consiste à émettre expressément le souhait de quitter l'entreprise puis à ne plus donner aucun signe de vie et à l'antipode de l'idée que nous nous faisons du comportement que doit montrer un cadre dirigeant et du professionnalisme que nous sommes en droit d'attendre de nos collaborateurs. (') »

$gt;et par la concomitance entre le refus de M. [I] d'aller au terme du processus de rupture conventionnelle et la remise en main propre, par celle-là même qui disait venir en négocier les modalités, Mme [W], le 16 décembre 2019 d'une convocation à un entretien préalable au licenciement fixée au 27 décembre suivant, avec mise à pied conservatoire.

Or, en aucun cas le fait de renoncer à une rupture conventionnelle après l'avoir sollicitée, alors que, de toute évidence, les discussions ont achoppé sur le montant des indemnités versées, ne peut constituer une cause sérieuse de licenciement, étant rappelé au surplus et en tout état de cause que, même après signature de la convention (et au cas présent, aucun accord n'avait été matérialisé), le salarié dispose selon l'article L1237-1 du code du travail, d'un délai de rétractation de 15 jours

Par voie d'infirmation du jugement, il convient de juger que le licenciement pour faute grave de M. [I] est dépourvu de cause réelle et sérieuse.

Le salarié est fondé à obtenir paiement des sommes réclamées ' que l'employeur ne critique pas, même subsidiairement :

$gt; d'une indemnité compensatrice de préavis correspondant à 3 mois de salaire soit 4.583,33 euros x 3 = 13.750 euros outre 1.375 euros au titre des congés payés y afférents ;

$gt; d'un rappel de salaire pour la mise à pied conservatoire du 16 décembre 2019 au 21 janvier 2020 : 5.280,79 euros outre 528,07 euros au titre des congés payés afférents ;

$gt;d'un prorata de 13ème mois : 4.583,33 / 12 x 3 mois = 1.145,83 euros ;

$gt;d'une indemnité légale de licenciement : calculée sur la base d'une ancienneté de 12 ans et 7 mois au terme du préavis de 3 mois qu'il aurait dû exécuter, soit 5,5 ans comme agent de maîtrise et 7 ans comme cadre, soit 4,45 mois de salaire : 4.583,33 x 4,45 = 20.395,68 euros ;

Au vu de son ancienneté (12 ans et 7 mois), de son âge (38 ans) au moment de la rupture, de la privation d'un salaire mensuel brut moyen de 4.583 euros calculés sur les 12 derniers mois, de la réorientation (M. [I] est gérant d'une SARL DMS depuis le 26 octobre 2021 ' vente et pose de menuiseries, fermetures, clôtures, stores et verandas), le préjudice qui en est résulté pour lui doit être réparé par la condamnation de la société Médiaco à lui payer, en application de l'article L1235-3 du code du travail, la somme de 46.000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, par voie d'infirmation du jugement.

Il convient d'ordonner par application des dispositions de l'article L1235-4 du code du travail, le remboursement par la société Médiaco, des indemnités de chômage versées à M. [I] dans la limite de 5 mois.

Sur les circonstances brutales et vexatoires du licenciement :

M. [I] soutient que sa mise à pied conservatoire n'a eu d'autre but que de le pousser à accepter une rupture conventionnelle, qu'il lui a été interdit d'accéder à son poste de travail dès que lui a été remise sa convocation à l'entretien préalable, 9 jours seulement avant Noël, et alors qu'il avait une ancienneté conséquente dans l'entreprise, ce qui l'a profondément affecté.

Aux termes de l'article 1231-1 du code civil, le débiteur est condamné, s'il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts, soit à raison de l'inexécution de l'obligation, soit à raison du retard dans l'exécution, toutes les fois qu'il ne justifie pas que l'inexécution provient d'une cause étrangère qui ne peut lui être imputée, encore qu'il n'y ait aucune mauvaise foi de sa part.

Il résulte de ces dispositions que l'octroi de dommages-intérêts en réparation du préjudice résultant des circonstances brutales et vexatoires du licenciement nécessite, d'une part, la caractérisation d'une faute dans les circonstances de la rupture du contrat de travail qui doit être différente de celle tenant au seul caractère abusif du licenciement, ainsi que, d'autre part, la démonstration d'un préjudice distinct de celui d'ores et déjà réparé par l'indemnité allouée au titre du licenciement sans cause réelle et sérieuse.

En l'espèce, alors qu'il est de principe que le seul prononcé d'une mise à pied conservatoire, serait-elle infondée, est insuffisant à caractériser la faute de l'employeur, le salarié ne démontre pas d'autres manquements dans les circonstances de la rupture dès lors que l'employeur avait le choix de la date de l'entretien préalable Il ne démontre pas davantage avoir subi un préjudice moral distinct de celui d'ores et déjà compensé par l'octroi de dommages-intérêts pour rupture abusive.

Il est débouté de sa demande à ce titre.

Partie perdante, la société Médiaco est condamnée aux dépens. Par voie de conséquence, elle est déboutée de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Il est inéquitable de laisser à M. [I] la charge des frais qu'il a exposés pour sa défense. La société Médiaco est condamnée à lui verser une indemnité de 3.000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS :

La cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire, par mise à disposition au greffe,

-Infirme le jugement rendu par le conseil de prud'hommes de Quimper le 17 juin 2021 ;

Statuant à nouveau et y ajoutant,

-Dit que le licenciement de M. [I] est dépourvu de cause réelle et sérieuse ;

-Condamne en conséquence la SAS Médiaco Bretagne Manutention à payer à M. [I] les sommes suivantes :

$gt; 13.750 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis outre 1.375 euros au titre des congés payés y afférents ;

$gt; 5.280,79 euros de rappel de salaire au titre de la mise à pied conservatoire outre 528,07 euros au titre des congés payés afférents ;

$gt;1.145,83 euros au titre du prorata de 13ème mois ;

$gt;20.395,68 euros au titre de l'indemnité légale de licenciement ;

$gt;46.000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

$gt;3.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

-Déboute M. [I] de sa demande en dommages et intérêts au titre des circonstances vexatoires du licenciement ;

-Dit que les sommes allouées produiront intérêts au taux légal à compter de la convocation de l'employeur par le conseil de prud'hommes pour les sommes à caractère salarial et à compter du prononcé du présent arrêt pour les sommes de nature indemnitaire, avec capitalisation des intérêts ;

-Ordonne par application des dispositions de l'article L1235-4 du code du travail, le remboursement par la SAS Médiaco Bretagne Manutention, des indemnités de chômage versées à M. [I] dans la limite de 5 mois ;

-Déboute la société SAS Médiaco Bretagne Manutention de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

-Condamne la SAS Médiaco Bretagne Manutention aux dépens de première instance et d'appel.

Le Greffier Le Président


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Rennes
Formation : 7ème ch prud'homale
Numéro d'arrêt : 21/04210
Date de la décision : 11/07/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 19/07/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-07-11;21.04210 ?
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