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05/07/2024 | FRANCE | N°24/00289

France | France, Cour d'appel de Rennes, Chambre etrangers/hsc, 05 juillet 2024, 24/00289


COUR D'APPEL DE RENNES



N° 24/135

N° RG 24/00289 - N° Portalis DBVL-V-B7I-U6PW



JURIDICTION DU PREMIER PRÉSIDENT





O R D O N N A N C E



articles L 741-10 et suivants du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile



Nous, Benoit LHUISSET, conseiller à la cour d'appel de RENNES, délégué par ordonnance du premier président pour statuer sur les recours fondés sur les articles L.741-10 et suivants du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, assisté de Elo

die CLOATRE, greffière,



Statuant sur l'appel formé le 04 Juillet 2024 à 09 heures 50 par le Procureur de la République près le Tribun...

COUR D'APPEL DE RENNES

N° 24/135

N° RG 24/00289 - N° Portalis DBVL-V-B7I-U6PW

JURIDICTION DU PREMIER PRÉSIDENT

O R D O N N A N C E

articles L 741-10 et suivants du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile

Nous, Benoit LHUISSET, conseiller à la cour d'appel de RENNES, délégué par ordonnance du premier président pour statuer sur les recours fondés sur les articles L.741-10 et suivants du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, assisté de Elodie CLOATRE, greffière,

Statuant sur l'appel formé le 04 Juillet 2024 à 09 heures 50 par le Procureur de la République près le Tribunal judiciaire de Rennes et transmis à la Cour d'appel de Rennes le 04 Juillet 2024 à 10 heures 15 concernant :

M. [D] [U]

né le 01 Janvier 2000 à [Localité 2] (COTE D'IVOIRE)

de nationalité Ivoirienne

ayant pour avocat Me Florian DOUARD de la SELARL PENEAU & DOUARD AVOCATS ASSOCIÉS, avocats au barreau de RENNES

d'une ordonnance rendue le 03 Juillet 2024 à 17 heures 06 par le juge des libertés et de la détention du Tribunal judiciaire de RENNES qui a constaté le désistement de la requête aux fins d'annulation de l'arrêté préfectoral portant placement en rétention administrative, constaté l'irrecevabilité de la requête, dit n'y avoir lieu à prolongation de la rétention administrative de l'intéressé, et condamné M. Le Préfet de la Sarthe, es-qualité de représentant de l'Etat, à payer à Me Florian DOUARD, conseil de l'intéressé qui renonce au bénéfice de l'aide jurdictionnelle, la somme de 400 euros sur le fondement des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

En l'absence de représentant du préfet de la Sarthe, dûment convoqué, ayant transmis ses observations par écrit déposé le 05 juillet 2024, lesquelles ont été mises à disposition des parties,

En présence de Monsieur DELPERIE, avocat général, ayant fait connaître son avis par écrit déposé le 04 juillet 2024, lequel a été mis à disposition des parties,

En l'absence de [D] [U], représenté par Me Florian DOUARD de la SELARL PENEAU & DOUARD AVOCATS ASSOCIÉS, avocat, ayant transmis ses conclusions par écrit déposé le 04 juillet 2024, lesquelles ont été mises à disposition des parties,

Après avoir entendu en audience publique le 05 Juillet 2024 à 10 H 30 l'avocat de l'appelant et le Ministère public en leurs observations,

Avons mis l'affaire en délibéré et le 05 Juillet 2024 à 15 heures 00, avons statué comme suit :

Monsieur [D] [U] a fait l'objet d'un arrêté portant obligation de quitter le territoire français sans délai, pris par le préfet de la Sarthe en date du 30 juin 2024, notifié le 1er juillet 2024.

Le préfet de la Sarthe a placé en rétention administrative le 1er juillet 2024, notifié le même jour, au centre de rétention administrative (CRA) de [Localité 1] pour une durée de 48 heures, Monsieur [D] [U] du fait qu'il ne dispose d'aucune pièce d'identité ou de voyage régulière, et qu'il s'est maintenu en situation irrégulière.

Monsieur [D] [U] a introduit une requête afin de contester la légalité de l'arrêté de placement en rétention administrative.

Par requête motivée en date du 2 juillet 2024, reçue le 2 juillet 2024 à 17h36, le représentant du préfet de la Sarthe a saisi le juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire de Rennes d'une demande de prolongation pour une durée de 28 jours de la rétention administrative de Monsieur [D] [U].

Par ordonnance rendue le 3 juillet 2024, le juge des libertés et de la détention, a dit n'y avoir lieu à prolongation de la rétention administrative de l'intéressé.

Par déclaration reçue au greffe de la cour le 4 juillet 2024 à 10h15, le Ministère Public a formé appel de cette ordonnance.

Le Procureur général fait valoir, au soutien de sa demande d'infirmation de la décision entreprise, les moyens suivants :

- recevabilité de la requête pris du respect des dispositions de l'article 65 du code de procédure pénale

- respect des dispositions du code de procédure pénale relatives aux articles 63-3 et 63-1 du code de procédure pénale

- perspectives réelles d'éloignement

- diligences préfectorales suffisantes

Monsieur [D] [U] est absent à l'audience.

Son conseil soutient la confirmation de la décision entreprise au regard des moyens développés dans son mémoire, et il a formalisé une demande au titre des dispositions de L'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 sur l'aide juridictionnelle.

La Préfecture de la Sarthe, par un mémoire en date du 5 juillet 2024, soutient l'infirmation de l'ordonnance critiquée et sollicite, en conséquence, la prolongation de la mesure de rétention administrative de Monsieur [D] [U].

SUR QUOI :

L'appel est recevable pour avoir été formé dans les formes et délais prescrits.

Sur le moyen tiré de l'irrecevabilité de la requête :

Le conseil de Monsieur [D] [U] soutient l'irrecevabilité de la requête au motif que l'intéressé a fait l'objet d'un placement en garde à vue supplétif sans que la procédure ne comprenne les éléments afférents à cette mesure complémentaire, empêchant ainsi le contrôle de l'accès effectif à l'avocat.

L'article R743-2 du CESEDA dispose qu'à peine d'irrecevabilité, la requête est motivée, datée et signée, selon le cas, par l'étranger ou son représentant ou par l'autorité administrative qui a ordonné le placement en rétention.

Lorsque la requête est formée par l'autorité administrative, elle est accompagnée de toutes pièces justificatives utiles, notamment une copie du registre prévu à l'article L. 744-2.
Lorsque la requête est formée par l'étranger ou son représentant, la décision attaquée est produite par l'administration. Il en est de même, sur la demande du juge des libertés et de la détention, de la copie du registre.

Qu'en l'espèce, les éléments de la procédure démontrent que Monsieur [D] [U] a fait l'objet d'un placement initial en garde à vue le 29 juin 2024, à compter de 23h3, puis d'une notification de mise en garde à vue supplétive le 30 juin 2024, à compter de 11h30, sans que ce cadre procédural ne soit remis en cause, l'ensemble des éléments en justifiant la régularité étant produit aux débats.

Pour autant, la régularité d'une nouvelle extension de l'audition de l'intéressé pour des faits distincts, en date du 1er juillet 2024, à compter de 14h30, est questionnée, faute d'être matérialisée de manière complète par les actes d'audition et les diligences destinées à s'assurer de la présence d'un avocat, au regard des dispositions de l'article 65 du code de procédure pénale. A ce sujet, s'il convient de rappeler que si la cour de Cassation (Cass. crim 02.03.2021 n°20-85.491) censure effectivement tout manquement éventuel à ces obligations, cela ne s'entend que des auditions et des actes subséquents liés à la procédure dans laquelle elles s'intègrent, de telle sorte que les éventuelles irrégularités qui pourraient résulter de cette situation, dans une enquête distincte, restent indifférentes à la mesure initiale et antérieure de garde à vue comme n'en constituant pas un support nécessaire.

Par suite, ces pièces de procédure n'apparaissent pas strictement utiles à l'examen de la situation de Monsieur [D] [U] au regard de son placement en rétention administrative dès lors qu'elles ne conditionnent pas la régularité de la mise à disposition de l'appelant à l'autorité administrative et la mesure de contrainte qui s'en est suivie.

Le moyen sera donc rejeté comme étant inopérant.

Sur le moyen tiré de la tardiveté de l'examen médical durant la garde à vue (article 63-3 CPP):

Le conseil de Monsieur [D] [U] dénonce la régularité de la mesure de garde à vue en ce que le médecin requis n'aurait vu l'intéressé que le lendemain de son placement en garde à vue, au-delà des 3 heures prescrites.

L'article 63-3 du code de procédure pénale dispose que toute personne placée en garde à vue peut, à sa demande, être examinée par un médecin désigné par le procureur de la République ou l'officier de police judiciaire. En cas de prolongation, elle peut demander à être examinée une seconde fois, le médecin se prononce sur l'aptitude au maintien en garde à vue et procède à toutes constatations utiles. Sauf en cas de circonstance insurmontable, les diligences incombant aux enquêteurs ou, sous leur contrôle, aux assistants d'enquête en application du présent alinéa doivent intervenir au plus tard dans un délai de trois heures à compter du moment où la personne a formulé la demande.

Dans le cas d'espèce, il est observé que Monsieur [D] [U] a été placé en garde à vue le 29 juin 2024 à 23h3 et qu'une réquisition du même jour a été formalisé par un officier de police judicaire. Il n'est pas donc pas contestable que les enquêteurs ont répondu, sur ce point, aux exigences légales en la matière et que la carence nocturne du médecin saisi n'en altère pas le caractère probant.

Si la tardiveté de l'examen lui-même est questionnée, puisqu'il a été nécessaire de produire une seconde réquisition en date du 30 juin 2024 pour que le docteur [Z] procède, à 18h, le même jour, à l'examen somatique du gardé à vue, il est rappelé que selon une jurisprudence acquise (Civ 1ère 10.10.2012 n°pourvoi 11-30.131), le délai de réalisation de cet examen échappe aux exigences temporelles de l'article précité, le retenu devant justifier d'une atteinte à ses droits pour pouvoir soutenir une irrégularité. Or, dans le cas particulier, l'examen a permis de relevé que l'état de santé de Monsieur [D] [U] était compatible avec la mesure de garde à vue dans les locaux de police et qu'il ne souffrait d'aucun trouble mental ou de lésion traumatique, ni ne disposait du moindre traitement.

Dans ces conditions, l'attente subie avant la mise en 'uvre de l'examen n'a eu aucune incidence sur l'état de santé de Monsieur [D] [U], il ne peut en être déduit aucun préjudice et le moyen sera donc rejeté comme étant mal fondé.

Sur le moyen tiré de la notification irrégulière des droits en garde à vue (article 63-1 du CPP) :

Le conseil de Monsieur [D] [U] dénonce la régularité de la mesure de garde à vue au motif que le procès-verbal de notification ferait mention erronée de ce que l'intéressé à lu le document, ne sachant pas lire le français, et par suite, il aurait donc été privé de la juste compréhension de ses droits.

L'article 63-1 du code de procédure pénale dispose que la personne placée en garde à vue est immédiatement informée par un officier de police judiciaire ou, sous le contrôle de celui-ci, par un agent de police judiciaire, dans une langue qu'elle comprend, le cas échéant au moyen d'un formulaire, de l'ensemble de ses droits attachés à son placement en garde à vue.

L'article 803-6 du code de procédure pénale dispose que toute personne suspectée ou poursuivie soumise à une mesure privative de liberté en application d'une disposition du présent code se voit remettre, lors de la notification de cette mesure, un document énonçant, dans des termes simples et accessibles et dans une langue qu'elle comprend, les droits dont elle bénéficie au cours de la procédure en application du présent code.

Dans le cas particulier, il résulte de l'examen de la procédure que [D] [U] ne maîtrise pas la lecture du français, comme cela a pu effectivement être acté par les enquêteurs eux-mêmes qui relèvent qu'ils lui ont donné lecture de l'ensemble des pièces utiles, à l'exception du procès-verbal de notification des droits lié à la garde à vue, au terme duquel il est indiqué que l'appelant a lu le document, de manière manifestement erronée.

Toutefois, la cour de Cassation (Crim 21.02.2017 N° pourvoi 16-85.224) estime que cette question est à observer de manière pratique, considérant que la notification est valablement faite à partir du moment où la procédure permet d'observer que le gardé à vue a pu effectivement faire usage de tels droits, qu'il a émargé le document de notification et qu'il a été fait rappel de son information dans une langue comprise dans le procès-verbal rappelant les opérations de la mesure. Tel est bien le cas dans l'espèce, puisqu'il lui a été donné connaissance de ses droits dans une langue comprise, qu'il a effectivement pu les exercer lorsqu'il le demandait, en sollicitant un examen médical et l'assistance d'un avocat et qu'il a apposé sa signature sur l'ensemble des actes intéressants ces questions.

Par suite, Monsieur [D] [U] ne peut prétendre à aucune atteinte effective à ses droits et ce moyen sera écarté comme étant sans objet.

Sur le moyen tiré de l'insuffisance des diligences de la préfecture :

Le conseil de Monsieur [D] [U] soutient que la préfecture n'a pas accompli toutes les diligences utiles aux fins de mettre en 'uvre la mesure d'éloignement de son client, notamment en limitant des démarches auprès des autorités consulaires ivoiriennes alors qu'il a déjà subi en 2018 un refus de reconnaissance.

L'article L.741-3 du CESEDA dispose qu'un étranger ne peut être placé ou maintenu en rétention que pour le temps strictement nécessaire à son départ. L'administration exerce toute diligence à cet effet et par décisions en du 9 juin 2010, la Cour de cassation a souligné que l'autorité préfectorale se devait de justifier de l'accomplissement de ces diligences dès le placement en rétention, ou, au plus tard, dès le premier jour ouvrable suivant l'organisation de la rétention.

L'article L.743-12 du CESEDA dispose qu'en cas de violation des formes prescrites par la loi à peine de nullité ou d'inobservation des formalités substantielles, le juge des libertés et de la détention saisi d'une demande sur ce motif ou qui relève d'office une telle irrégularité ne peut prononcer la mainlevée du placement ou du maintien en rétention que lorsque celle-ci a eu pour effet de porter substantiellement atteinte aux droits de l'étranger dont l'effectivité n'a pu être rétablie par une régularisation intervenue avant la clôture des débats.

A ce titre, il doit être souligné que la Cour de cassation n'a aucunement, à ce stade de la procédure, entendu mettre en corrélation les périodes de rétention et les démarches produites puisqu'elle a précisément rappelé que les diligences devaient être entreprises dès le placement en rétention et sans nécessité particulière d'avoir à les réitérer si le contexte n'en justifiait pas d'autre.

On peut observer qu'en l'espèce, Monsieur [D] [U] a été placé en rétention administrative le 1er juillet 2024, sur le fondement d'une obligation de quitter le territoire français sans délai du 30 juin 2024, notifiée le 1e juillet 2024. L'intéressé n'étant en possession d'aucune pièce d'identité valable, la préfecture justifie avoir interpellé dès le 1er juillet 2024 les autorités consulaires ivoiriennes afin de provoquer la remise d'une demande d'identification pour l'un de ses possibles ressortissants et, dans l'affirmative, un laissez-passer pour permettre de formaliser le transport à destination.

Si la validité de cette information est contestée au motif que seule l'information du placement de Monsieur [D] [U] aurait été exposée aux autorités consulaires ivoiriennes en date du 1er juillet 2024, cette lecture est parcellaire puisqu'il est également mentionné à l'autorité étrangère le fait que le dossier de l'intéressé est géré par l'unité centrale d'identification (UCI) de la direction nationale de la police aux frontières (DNAF), interlocuteur usuel en la matière et destinataire secondaire dudit courriel.

Il est, de fait, également établi que l'UCI a été distinctement saisie d'un autre courrier à destination des autorités consulaires ivoiriennes dès le 1er juillet 2024, assorti de l'ensemble des pièces justifiant de la possible identité de Monsieur [D] [U], afin de compléter la bonne information de ces interlocuteurs.

Dès lors, et s'il est strictement nécessaire de vérifier que les autorités étrangères ont été requises de manière effective, l'adjonction et la concomitance de ces informations données aux autorités consulaires ivoiriennes ne peut être assimilée à une simple demande automatisée transmise à l'administration centrale française. Dans ces conditions, et peu important les modalités internes ou diplomatiques d'organisation, il résulte des pièces du dossier que le consulat a été saisi et informé par courriel et que, même sans la preuve d'une saisine ultérieure par l'UCI, le préfet justifie ainsi de diligences suffisantes.

Ce moyen est donc rejeté comme étant mal fondé.

Sur le moyen tiré de l'absence de perspectives d'éloignement à bref délai :

Le conseil de Monsieur [D] [U] soutient que, concernant la reconnaissance de la nationalité de l'appelant et la délivrance d'un éventuel laissez passer, aucun élément ne vient étayer le fait que ce processus puisse aboutir puisqu'une précédente mesure de rétention s'était achevée avec un rejet de la Côte d'Ivoire courant 2018, sur des bases similaires. Il n'existerait donc pas de perspectives d'éloignement effectives de l'intéressé.

Conformément aux dispositions de l'article L 742-4 du CESEDA, le juge des libertés et de la détention peut, dans les mêmes conditions qu'à l'article L. 742-1, être à nouveau saisi aux fins de prolongation du maintien en rétention au-delà de trente jours, dans les cas suivants :

1° En cas d'urgence absolue ou de menace d'une particulière gravité pour l'ordre public;

2° Lorsque l'impossibilité d'exécuter la décision d'éloignement résulte de la perte ou de la destruction des documents de voyage de l'intéressé, de la dissimulation par celui-ci de son identité ou de l'obstruction volontaire faite à son éloignement ;

3° Lorsque la décision d'éloignement n'a pu être exécutée en raison :

a) du défaut de délivrance des documents de voyage par le consulat dont relève l'intéressé ou lorsque la délivrance des documents de voyage est intervenue trop tardivement pour procéder à l'exécution de la décision d'éloignement ;

b) de l'absence de moyens de transport.

L'étranger peut être maintenu à disposition de la justice dans les conditions prévues à l'article L. 742-2.

Si le juge ordonne la prolongation de la rétention, celle-ci court à compter de l'expiration de la précédente période de rétention et pour une nouvelle période d'une durée maximale de trente jours. La durée maximale de la rétention n'excède alors pas soixante jours.

Lorsque l'impossibilité d'exécuter la mesure d'éloignement résulte de la perte ou de la destruction des documents de voyage de l'intéressé, il est établi de jurisprudence constante de la Cour de Cassation que 'l'absence de document de voyage équivaut à la perte de ceux-ci.' Or, en l'espèce, Monsieur [D] [U] est dépourvu de documents de voyage et ne fournit à l'administration aucun élément pour faciliter sa reconnaissance de nationalité.

En outre, il résulte de l'article 15 §1 de la Directive 2008/115/CE du parlement européen, d'application directe en droit français, et du conseil du 16 décembre 2008 dite Directive retour qu'"à moins que d'autres mesures suffisantes mais moins coercitives puissent être appliquées efficacement dans un cas particulier, les Etats membres peuvent uniquement placer en rétention le ressortissant d'un pays tiers qui fait l'objet de procédures de retour afin de préparer le retour et/ou de procéder à l'éloignement". En complément, l'article 15 §4 de cette même directive dispose que "lorsqu'il apparaît qu'il n'existe plus de perspective raisonnable d'éloignement pour des considérations d'ordre juridique ou autres ou que les conditions énoncées au paragraphe 1 ne sont plus réunies, la rétention ne se justifie plus et la personne concernée est immédiatement remise en liberté".

Il ressort de l'arrêt rendu par la CJCE le 30 novembre 2009 que l'article 15 §4 précité doit être interprété en ce sens que « seule une réelle perspective que l'éloignement puisse être mené à bien eu égard aux délais fixés aux paragraphes 5 et 6 correspond à une perspective raisonnable d'éloignement et que cette dernière n'existe pas lorsqu'il paraît peu probable que l'intéressé soit accueilli dans un pays tiers eu égard auxdits délais ».

Aux visas de l'article 88-1 de la Constitution, du traité sur l'Union européenne et du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, la Cour de cassation rappelle "Qu'il incombe au juge des libertés et de la détention, saisi en application de l'article L552-1 du CESEDA de mettre fin, à tout moment, à la rétention administrative, lorsque des circonstances de droit ou de fait le justifient, résultant, notamment, de la recherche de la conformité au droit de l'Union de la mesure de rétention" ;

En l'espèce, il apparaît que pour Monsieur [D] [U], placé en rétention administrative le 1er juillet 2024, sur le fondement d'un arrêté portant obligation de quitter le territoire français sans délai, la préfecture justifie avoir saisi dès le 1er juillet les autorités consulaires de Côte d'Ivoire, pays dont l'intéressé est déjà reconnu comme étant ressortissant et dont il s'est réclamé à plusieurs reprises et sous plusieurs identités, aux fins de délivrance éventuelle d'un laissez-passer. La préfecture a joint à sa demande plusieurs pièces justificatives.

Si Monsieur [D] [U] affirme qu'il a déjà fait l'objet d'un refus de reconnaissance de la part des autorités ivoiriennes et qu'il ne prétend désormais plus forcément être ivoirien, il ne justifie en rien de ces allégations puisqu'aucun détail n'est fourni concernant les suites données à la précédente consultation de ces interlocuteurs étrangers. En outre, au regard de l'utilisation de multiples alias, de sa propension à se donner des nationalités alternatives comme lors d'une audition consulaire, courant 2018, où, confronté à une représentation ivoirienne, il avait fini par se dire burkinabé, il apparaît justifié de considérer que ces nouvelles démarches, complétées par une documentation postérieure à celle connue lors de la précédente période de rétention en 2018, constituent autant d'éléments qui sont de nature à faire aboutir utilement la présente interrogation.

Si les autorités consulaires saisies n'ont pas encore répondu, il convient de préciser qu'une réponse peut intervenir à tout moment au gré de l'évolution de la situation et que, dans ces conditions, on ne peut raisonnablement affirmer que la perspective d'un éloignement de l'intéressé n'est pas possible durant le délai légal de rétention administrative et à ce stade de la procédure. D'autant qu'il ne doit pas être ignoré que dans le cadre de ces procédures d'éloignement, les états ont obligation d'accueillir leurs nationaux et d'organiser les conditions de leur rapatriement.

Il ressort de ces éléments que les conditions posées par l'article L 742-4 sont remplies, la mesure d'éloignement n'ayant pu être exécutée en raison de la perte ou de la destruction des documents de voyage de l'intéressé, alors que l'intéressé n'a produit aucun renseignement de nature à certifier le principe de son identité, a cherché à tromper la vigilance des autorités l'utilisation de fausses identités et que toutes les diligences de nature à favoriser son éloignement ont bien été effectuées par la préfecture, conformément aux dispositions de l'article L741-3 du CESEDA, l'administration ne pouvant se voir reprocher le temps que les autorités consulaires, étrangères et souveraines, ont décidé de s'octroyer pour répondre à ses sollicitations.

Le moyen sera ainsi rejeté.

Sur le fond :

Monsieur [D] [U] n'est porteur d'aucun document d'identité ou de voyage en cours de validité. Il ne justifie d'aucune forme d'installation pérenne et régulière sur le territoire national alors qu'il a s'est déjà soustrait à plusieurs précédentes mesures d'éloignement et n'a plus tenté de régulariser sa situation depuis le rejet d'une demande d'asile en date du 21 septembre 2018. Il n'est pas inséré sur le plan professionnel, ne dispose d'aucune attache personnelle et est sans domicile fixe.

Il est, de ce fait, dépourvu de toutes garanties sérieuses de représentation et dans ces circonstances, la mesure d'éloignement est de nature à assurer l'exécution de l'obligation de quitter le territoire national délivrée contre l'intéressé sachant que l'intéressé s'est déjà volontairement abstenu de respecter le cadre d'un dispositif d'assignation à résidence.

Son parcours pénal est marqué par une multiplicité d'atteintes aux biens et de trafics et déterminent suffisamment le principe d'une menace pour l'ordre public dès lors qu'il ne s'est jamais amendé.

Enfin, en conformité avec les dispositions de l'article L.741-3 et L.751-9 du CESEDA, cette prolongation est strictement motivée par l'attente d'un laissez-passer auprès des autorités ivoiriennes et dont la concrétisation n'a pu être raisonnablement opérée durant la période initiale de rétention.

En conséquence, c'est par une erreur d'appréciation que le premier juge a dit n'y avoir lieu à prolongation de la mesure de rétention administrative de Monsieur [D] [U] et il convient donc d'ordonner sa prolongation à compter du 3 juillet 2024, pour une période d'un délai maximum de vingt-huit jours dans des locaux non pénitentiaires.

La décision dont appel est donc infirmée.

Dit n'y avoir lieu à condamner le préfet de la Sarthe sur la base des dispositions des articles 37 et 75 de la loi du 10 juillet 1991 sur l'aide juridictionnelle.

PAR CES MOTIFS :

Statuant publiquement,

Déclarons l'appel recevable,

Infirmons l'ordonnance du juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire de Rennes en date du 3 juillet 2024,

Ordonnons la prolongation du maintien de Monsieur [D] [U] dans des locaux pénitentiaires pour un délai maximum de VINGT-HUITJOURS à compter du 3 juillet 2024 à 16h.

Rejetons la demande titre de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 sur l'aide juridictionnelle,

Rappelons à Monsieur [D] [U] qu'il a l'obligation de quitter le territoire français,

Laissons les dépens à la charge du trésor public,

Fait à Rennes, le 05 Juillet 2024 à 15 heures 00

LE GREFFIER, PAR DÉLÉGATION, LE CONSEILLER,

Notification de la présente ordonnance a été faite ce jour à [D] [U], à son avocat et au préfet

Le Greffier,

Cette ordonnance est susceptible d'un pourvoi en cassation dans les deux mois suivant la présente notification et dans les conditions fixées par les articles 973 et suivants du code de procédure civile.

Communication de la présente ordonnance a été faite ce même jour au procureur général.

Le Greffier


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Rennes
Formation : Chambre etrangers/hsc
Numéro d'arrêt : 24/00289
Date de la décision : 05/07/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 13/07/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-07-05;24.00289 ?
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