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04/07/2024 | FRANCE | N°21/04031

France | France, Cour d'appel de Rennes, 7ème ch prud'homale, 04 juillet 2024, 21/04031


7ème Ch Prud'homale





ARRÊT N°304/2024



N° RG 21/04031 - N° Portalis DBVL-V-B7F-RZMT













S.A.S. MEDICA FRANCE



C/



Mme [OC] [B]























Copie exécutoire délivrée

le :04/072024



à :Me TALLENDIER

Me GISSELBRECHT

Me VOISINE





RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



COUR D'APPEL DE RENNES

ARRÊT

DU 04 JUILLET 2024





COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :



Président : Monsieur Hervé BALLEREAU, Président de chambre,

Assesseur : Madame Isabelle CHARPENTIER, Conseillère,

Assesseur : Monsieur Bruno GUINET, Conseiller,



GREFFIER :



Madame Françoise DELAUNAY, lors des ...

7ème Ch Prud'homale

ARRÊT N°304/2024

N° RG 21/04031 - N° Portalis DBVL-V-B7F-RZMT

S.A.S. MEDICA FRANCE

C/

Mme [OC] [B]

Copie exécutoire délivrée

le :04/072024

à :Me TALLENDIER

Me GISSELBRECHT

Me VOISINE

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE RENNES

ARRÊT DU 04 JUILLET 2024

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :

Président : Monsieur Hervé BALLEREAU, Président de chambre,

Assesseur : Madame Isabelle CHARPENTIER, Conseillère,

Assesseur : Monsieur Bruno GUINET, Conseiller,

GREFFIER :

Madame Françoise DELAUNAY, lors des débats et lors du prononcé

DÉBATS :

A l'audience publique du 15 Avril 2024

En présence de Madame [GD] [J], médiateur judiciaire,

ARRÊT :

Contradictoire, prononcé publiquement le 04 Juillet 2024 par mise à disposition au greffe comme indiqué à l'issue des débats

****

APPELANTE :

S.A.S. MEDICA FRANCE

[Adresse 2]

[Localité 6]

Représentée par Me Yves TALLENDIER de la SELARL CAPSTAN - PYTHEAS, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de MARSEILLE

INTIMÉE :

Madame [OC] [B]

[Adresse 1]

[Localité 3]

Représentée par Me Renaud GISSELBRECHT, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de LAVAL

INTERVENANTE :

Etablissement Public POLE EMPLOI BRETAGNE

[Adresse 5]

[Localité 4]

Représentée par Me Mélanie VOISINE de la SELARL BALLU-GOUGEON, VOISINE, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de RENNES

EXPOSÉ DU LITIGE

La SAS Médica France est une filiale de la SA Korian. Elle applique la convention collective de l'hospitalisation privée à but lucratif du 18 avril 2002.

Les directeurs régionaux employés par la société Korian sont les supérieurs hiérarchiques des directeurs d'établissement dépendant du groupe mais exploités par d'autres sociétés. Les différentes fonctions « support » (ressources humaines, comptabilité, réglementation') sont assurées par la société Korian

Mme [B] a été embauchée en qualité de directrice d'établissement (cadre C, position III, coefficient 455) par la SAS Médica France, filiale de la société Korian, selon un contrat à durée indéterminée. Elle travaillait au sein de l'EHPAD Korian à [Localité 7].

Les parties sont en désaccord quant à la date de début du contrat de travail :

- 14 février 2011 selon la SAS Médica France

- 6 décembre 2010 selon Mme [B]

- 10 février 2011 selon Pôle Emploi

Par avenant au contrat de travail en date du 21 mars 2018, Mme [B] a poursuivi sa mission en qualité de directrice de Pôle (Cadre C, position III, coefficient 500) coiffant désormais les établissements du groupe Korian de [Localité 7] « [10]» et [Localité 9] « [8] » (maisons de retraite médicalisées).

Dans le dernier état de la relation contractuelle de travail, le salaire mensuel brut de Mme [B] s'élevait à 5.300 euros bruts auquel pouvait s'ajouter une part variable.

Au début de l'été 2019, la Directrice régionale et la Responsable des ressources humaines de la société Korian ont été destinataires de courriers ou de signalements émanant de salariés des établissements dirigés par Mme [B] l'informant de faits susceptibles de relever de la qualification de harcèlement moral.

A la suite d'une enquête interne au cours de laquelle la responsable RH régionale de la société Korian et une juriste ont entendu 14 salariés du Pôle breton, la société Medica a convoqué Mme [B] par courrier remis en mains propre le 23 juillet 2019 à un entretien préalable à une sanction pouvant aller jusqu'au licenciement, fixé le 31 juillet suivant, avec mise à pied à titre conservatoire.

Par courrier recommandé en date du 5 août 2019, Mme [B] s'est vue notifier son licenciement pour faute grave en raison de faits de harcèlement moral commis à l'encontre de plusieurs salariés.

***

Contestant la rupture de son contrat de travail, Mme [B] a saisi le conseil de prud'hommes de Saint-Malo par requête en date du 19 novembre 2019, de demandes dirigées contre la société Korian afin de voir :

A titre principal,

- Dire et juger le licenciement nul pour atteinte aux droits fondamentaux de Mme [B],

Subsidiairement,

- Dire les faits prescrits au regard des dispositions de l'article L 1332-4 du code du travail,

Dans tous les cas,

- Dire et juger le licenciement sans cause réelle et sérieuse et condamner la SAS Médica France à payer à Mme [B] :

- indemnité compensatrice de préavis (six mois) : 48 918,00 euros

- congés payés sur préavis : 489,18 euros

- indemnité conventionnelle de licenciement : 81 530,00 euros

- dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse : 89 683,00 euros

- domrnages et intérêts pour licenciement vexatoire : 15 000,00 euros

- frais irrépétibles : 5 000,00 euros

- exécution provisoire sur la totalité des chefs de condamnation,

La société Médica France est intervenue volontairement à l'instance tandis que la société Korian a sollicité sa mise hors de cause.

La SA Korian et la SAS Médica France ont demandé au conseil de prud'hommes de :

- Dire et juger que le licenciement de Mme [B] repose sur une faute grave,

- En conséquence, débouter Mme [B] de l'intégralité de ses demandes, et la condamner à verser à la SAS Médica France la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile

Par jugement en date du 11 juin 2021, le conseil de prud'hommes de Saint-Malo a :

- Donné acte à la SA Médica France de son intervention volontaire

- Mis hors de cause la SA Korian

- Fixé la moyenne mensuelle brute des 12 derniers mois de salaires de Mme [B] à la somme de 6359,69 euros

- Dit et jugé que la procédure de licenciement de Mme [B] est valable

- Dit et jugé que les faits reprochés à Mme [B] n'étaient pas prescrits

- Dit et jugé que le licenciement de Mme [B] est sans cause réelle et sérieuse

- Condamné la SAS Médica France à verser à Mme [B] :

- la somme de 65 186,83 euros au titre de l'indemnité conventionnelle de licenciement.

- la somme de 19 079,07 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis et la somme de 1907,91 euros au titre de l'indemnité de congés payés sur préavis

- la somme de 3000 euros au titre de l'arti de 700 du code de procédure civile

- Dit n'y avoir lieu à ordonner l'exécution provisoire au-delà de ce qui est de droit, la moyenne des trois derniers mois de salaire dans ce cadre étant de 6 070 82 euros ;

- Débouté les parties de leurs autres demandes;

- Condamnée la SAS Médica France à rembourser à Pole Emploi 6 mois d'indemnités de chômage versées à Mme [B], en application des dispositions de l'article L1235-4 du code du travail,

- Dit qu'une copie conforme de la présente décision sera transmise à Pôle emploi par le greffe.

- Condamné la SAS Médica France aux entiers dépens, y compris ceux éventuels d'exécution du présent jugement.

***

La SAS Médica France a interjeté appel de la décision précitée par déclaration au greffe en date du 1 juillet 2021.

En l'état de ses dernières conclusions transmises par son conseil sur le RPVA le 14 mars 2022, la SAS Médica France demande à la cour d'appel de :

- Réformer le jugement entrepris,

- Dire et juger que le licenciement de Madame [B] n'est pas nul et qu'il repose sur une faute grave ;

En conséquence :

- Débouter Madame [B] de l'intégralité de ses demandes

- Condamner Madame [B] à verser à la SAS Médica France la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile

En l'état de ses dernières conclusions transmises par son conseil sur le RPVA le 15 décembre 2021, Mme [B] demande à la cour d'appel de :

- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a:

- Dit que le licenciement de Mme [B] était sans cause réelle et sérieuse

- Fixé la moyenne de ses 12 derniers mois de salaires à la somme de 6359,69 euros

- Condamné la SAS Médica France à verser à Mme [B] :

- Une somme de 65186,83 euros au titre de l'indemnité conventionnelle de licenciement.

- Une somme de 19 079,07 euros au titre de l'indemnité compensatrice de congés payés afférente

- Une somme de 1907,91 euros au titre de l'indemnité de congés payés afférente

- Une somme de 3000 euros au titre de l'arti cle 700 du code de procédure civile

- Condamné la SAS Médica France à rembourser à Pôle Emploi 6 mois d'indemnités de chômage versées à Mme [B]

- Condamné SAS Médica France aux entiers dépens.

- Infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a :

- Dit que la procédure de licenciement de Mme [B] était valable

- Dit que les faits reprochés à Mme [B] n'étaient pas prescrits

- Condamné la SAS Médica France à verser à Mme [B] la somme de 35 000 euros de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse

- Débouté Mme [B] de sa demande au titre du licenciement vexatoire

Et :

- Dire que la procédure de licenciement est nulle

- Dire que les faits reprochés à Mme [B] étaient prescrits

- Condamner la SAS Médica France à verser à Mme [B] la sommede 89683 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul et subsidiairement pour licenciement sans cause réelle et sérieuse

- Dire que le licenciement de Mme [B] à un caractère vexatoire etcondamner la SAS Médica France à verser à Mme [B] la somme de 15000 euros à ti tre de dommages et intérêts de ce chef.

- Condamner la SAS Médica France à verser à Mme [B] la sommede 5000 euros au titre des frais irrépéti bles en cause d'appel

En l'état de ses dernières conclusions transmises par son conseil sur le RPVA le 16 juin 2022, Pôle Emploi demande à la cour d'appel de :

- Condamner la SAS Médica France à rembourser auprès du Pôle Emploi les indemnités versées à Mme [B], dans la limite de 6 mois d'allocations, soit 21 784,32 euros.

- Condamner la SAS Médica France à verser à Pôle Emploi la somme de 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

- Condamner la même aux entiers dépens

***

La clôture de l'instruction a été prononcée par ordonnance du conseiller de la mise en état le 26 mars 2024 avec fixation de la présente affaire à l'audience du 15 avril 2024.

Conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, la cour renvoie, pour un plus ample exposé des prétentions et moyens des parties, à leurs dernières conclusions régulièrement signifiées.

MOTIFS DE LA DÉCISION

I.Sur le défaut de pouvoir de la directrice régionale ouest pour procéder au licenciement :

Pour infirmation du jugement, Mme [B] fait valoir que si les sociétés Médica France et Korian ont produit en première instance un mandat au nom de Mme [M] à effet du 2 mai 2019 pour procéder à son licenciement, cette dernière ne fait état de cette délégation ni dans la convocation à l'entretien préalable, ni dans la lettre de licenciement, ce qui jette un doute sur la réalité de la délégation de pouvoir ; d'autre part, alors que Mme [B] avait reçu une subdélégation pour exercer ses fonctions de la part de M. [A], le prédécesseur de Mme [M], pour la période du 2 mai au 5 août 2019, jamais elle n'a reçu de subdélégation de la part de Mme [M] ; elle en déduit qu'à la date du 2 mai 2019, et en tout cas lors du licenciement, Mme [M] n'avait pas reçu de délégation pour la licencier.

La société Medica France réplique que le contrat de travail de Mme [B] prévoit explicitement son rattachement hiérarchique au Directeur régional de la zone géographique dont dépend le Pôle d'établissements dont elle assumait la direction et que le licenciement a été notifié par la directrice régionale ouest qui fait partie du même groupe que la société Medica France.

Elle souligne que la validité d'une délégation dont la réalité est établie n'est pas subordonnée à sa présentation ou à une forme de publicité vis-à-vis des subordonnés de son détenteur, ni conditionnée au fait qu'elle ait consenti ou non une subdélégation à Mme [M].

La société Medica France produit en pièce n°5 une délégation de pouvoirs et de signature datée du 2 mars 2019, par laquelle, M. [H], Directeur des opérations Pôle Séniors au sein de la société Korian consent à Mme [M], Directrice régionale Ouest (suit une liste d'établissements, dont ceux de [Localité 9] et [Localité 7]), une délégation de signature portant notamment, en matière de ressources humaines sur « les convocations et courriers relatifs à une sanction disciplinaire, en ce compris les courriers de notification de licenciement ».

Ni le fait qu'il ne soit pas fait état du mandat dans la convocation à l'entretien préalable ou la lettre de licenciement, ni l'absence de subdélégation à Mme [B] de la part de Mme [M], ne sont susceptibles de remettre en cause la réalité de cette délégation de pouvoirs et de signature.

Au surplus, et en tout état de cause, les principes applicables en la matière sont les suivants :

$gt;si la finalité même de l'entretien préalable et les règles relatives à la notification du licenciement interdisent à l'employeur de donner mandat à une personne étrangère à l'entreprise pour procéder à cet entretien et notifier le licenciement, dans l'entreprise, une personne autre que celle détenant juridiquement le pouvoir de licencier peut procéder à un licenciement en vertu d'une délégation du titulaire de ce pouvoir ;

$gt;le directeur du personnel, engagé par la société mère pour exercer ses fonctions au sein de la société et de ses filiales en France, n'est pas une personne étrangère à ces filiales et peut recevoir mandat pour procéder à l'entretien préalable et au licenciement et au licenciement des salariés employés par ces filiales, sans qu'il soit nécessaire que la délégation de pouvoir soit donnée par écrit, en dépit du fait que la société holding n'est pas l'employeur des salariés des filiales, ceci découlant, du droit pour une société holding de participer, avec ses sociétés filiales, à la gestion du personnel des salariés travaillant au sein des filiales ou du droit pour la société mère d'intervenir dans les décisions de gestion du personnel lorsqu'a été reconnue l'existence d'une UES avec les sociétés filiales »,

$gt;par ailleurs, aucune disposition n'exige que la délégation du pouvoir de licencier soit donnée par écrit ; elle peut être tacite et découler des fonctions du salarié qui conduit la procédure de licenciement ; c'est le cas d'un directeur des ressources humaines ;

$gt;enfin en cas de dépassement de pouvoir par le mandataire, le mandant est tenu de l'acte de celui-ci s'il l'a ratifié expressément ou tacitement, ce qui est cas lorsque la société soutient en justice la validité et le bien-fondé du licenciement. Le mandat donné à une personne non étrangère à l'entreprise, bien qu'étant dans une structure différente, peut donc se trouver démontré par la ratification par l'employeur de la mesure prise dans le cadre nécessairement postérieur de la procédure contentieuse

En l'espèce la lettre de licenciement a été signée par la personne exerçant les fonctions au sein de la société mère Korian, de directrice régionale du secteur ouest de la France, Mme [M], et considérée de ce fait par l'employeur comme étant délégataire du pouvoir de licencier les salariés des filiales, dont la société Médica France ; ainsi, à supposer même que le mandat ait été établi pour les besoins de la cause, ce mandat n'est pas nécessairement écrit et sa preuve provient postérieurement de la ratification de l'employeur dans le cours de la procédure contentieuse.

Le jugement est confirmé sur ce point et le moyen rejeté.

II.Sur le licenciement pour faute grave :

II.1.Sur la prescription des faits fautifs :

Pour infirmation du jugement qui a considéré que les faits fautifs reprochés n'étaient pas prescrits, Mme [B] fait valoir que les faits mentionnés dans le courriel de Mme [MX] du 3 juillet 2019 ont en réalité été dénoncés bien plus tôt.

Elle en veut pour preuve les termes de ce courriel : « Je tiens par la présente, après de nombreux échanges avec vous-même et les délégués du personnel, vous faire part du harcèlement moral que je subis de la part de la directrice de (') Lors des réunions des délégués du personnel, une question a été posée concernant son attitude déplacée envers le personnel. A ce jour, cette question reste sans réponse (') Je me permets de vous rappeler les conversations que nous avons eues à ce sujet, au cours desquelles nos points de vue convergeaient, tout comme ceux des membres du Codir (')

De multiples courriers, appels et plaintes de différents collaborateurs (MEDEC, IDEC, psychologue, adjointe de direction) des établissements de [Localité 7] et de [Localité 9], ont déjà été transmis au siège de Korian. Nous ne pouvons que nous étonner de l'absence de réaction. Vous avez également reçu un courrier de témoignage d'une AVS qui a été victime des agissements de Mme [B] qui l'avaiet insultée.»

La société Medica France réplique qu'à réception du courriel d'alerte de Mme [MX] du 3 juillet 2019, elle a procédé à une série d'auditions qui se sont déroulées les 18 et 19 juillet 2019, et ce n'est qu'à leur issue qu'elle a acquis une connaissance exacte de la réalité des faits et de leur gravité, de sorte que le délai de deux mois a été respecté.

Elle observe que si elle avait déjà relevé, lors de l'entretien annuel de février 2017 un « management très directif » de la part de Mme [B], pour autant, le courriel d'alerte évoque pour la première fois du harcèlement moral, ce qui n'avait jamais été le cas jusque là.

Aux termes de L 1332-4 du code du travail : Aucun fait fautif ne peut donner lieu à lui seul à l'engagement de poursuites disciplinaires au-delà d'un délai de deux mois à compter du jour où l'employeur en a eu connaissance à moins que ce fait ait donné lieu dans le même délai à l'exercice de poursuites pénales.

Il en résulte que :

- Les poursuites disciplinaires se trouvent engagées à la date à laquelle le salarié concerné est convoqué à un entretien préalable à une sanction disciplinaire. Lorsque la prescription des faits fautifs est opposée par le salarié, il appartient à l'employeur de rapporter la preuve de la connaissance de ces faits dans les deux mois ayant précédé l'engagement des poursuites. Le point de départ du délai n'est pas celui de la commission de l'agissement fautif mais le jour où l'employeur a eu connaissance exacte de la réalité, de la nature et de l'ampleur des faits reprochés au salarié. Des vérifications peuvent être nécessaires pour que l'employeur parvienne à une connaissance exacte de la réalité, de la nature et de l'ampleur des faits.

Cette notion relève du pouvoir souverain d'appréciation des juges du fond. Mais en matière de harcèlement moral, il existe pour l'employeur une l'obligation de diligenter une enquête, qui trouve son origine dans l'accord national interprofessionnel du 26 mars 2010 sur le harcèlement et la violence au travail dont l'article 4 prévoit que « les plaintes doivent être suivies d'enquête ».

- l'employeur peut sanctionner un fait fautif qu'il connaît depuis plus de deux mois dans la mesure où le comportement du salarié s'est poursuivi ou s'est réitéré dans ce délai et s'il s'agit de faits de même nature ; autrement dit, il faut que les deux fautes procèdent d'un comportement identique.

- l'existence de nouveaux griefs autorise l'employeur à tenir compte de griefs antérieurs, qu'ils aient ou non déjà été sanctionnés.

Il est donc acquis que l'employeur peut prendre en compte des faits dont il a connaissance depuis plus de deux mois si le comportement du salarié s'est poursuivi ou a été réitéré pendant ce délai, la date précise à laquelle l'employeur en a eu connaissance étant, dans ce cas, indifférente.

Toutefois, aucune sanction antérieure de plus de trois ans à l'engagement des poursuites disciplinaires ne peut être invoquée à l'appui d'une nouvelle sanction.

La charge de la preuve du caractère non prescrit de l'action disciplinaire pèse sur l'employeur.

Par ailleurs, dès lors que l'employeur envisage de mettre en oeuvre un licenciement pour faute grave, il ne peut se borner à respecter le seul délai légal de prescription des faits fautifs de deux mois et doit mettre en oeuvre la procédure de licenciement dans un délai restreint après qu'il a eu connaissance des faits fautifs allégués sauf à ce que la faute perde son caractère de gravité.

L'écoulement d'un délai trop long est de nature à démontrer que les faits, s'ils peuvent justifier un licenciement, ne peuvent cependant recevoir la qualification de faute grave impliquant un départ immédiat de l'entreprise. En effet un employeur ne peut pas à la fois soutenir que le maintien du salarié d'entreprise est impossible même pendant la durée limitée du préavis, et avoir préalablement maintenu celui-ci à son poste durant un délai dont l'étendue n'est justifiée par aucun élément objectif.

L'appréciation du délai restreint pour engager la procédure de licenciement pour faute grave relève du pouvoir souverain des juges du fond.

Au cas présent, le délai de prescription et le délai restreint doivent s'apprécier à l'aune de l'enquête interne déclenchée par l'employeur dans les 15 jours qui ont suivi le courriel du 3 juillet 2019 de Mme [MX], infirmière coordinatrice, dans la mesure où Mme [B] n'apporte aucun élément matériellement vérifiable pour établir que l'employeur avait une connaissance précise de la nature et de l'ampleur des faits antérieurement à cette date hormis le fait que Mme [MX] affirme qu'elle avait déjà dénoncé des faits de même nature auparavant, mais à une date indéterminée.

Il est acquis aux débats que les résultats de l'enquête interne n'ont été connus qu'à l'issue des auditions de 14 salariés des sites de [Localité 7] et de [Localité 9], réalisées le 18 et le 19 juillet 2019, date à partir de laquelle l'employeur a disposé de la connaissance exacte de la réalité des faits et de leur gravité. Le 23 juillet 2019, soit 4 jours plus tard, l'employeur a remis en mains propres à Mme [B] la convocation à un entretien préalable à une sanction pouvant aller jusqu'au licenciement, fixé le 31 juillet suivant, avec mise à pied conservatoire. Mme [B] ne s'est pas présenté à cet entretien et s'est vue notifier son licenciement son licenciement pour faute grave en raison de faits de harcèlement moral commis à l'encontre de plusieurs salariés, le 5 juillet suivant.

En conséquence les faits fautifs ne sont pas prescrits et le délai restreint a été respecté. Le jugement est confirmé.

II.2.Sur le fond :

La lettre de licenciement (9 pages), qui circonscrit le litige, reproche en substance à Mme [B] :

$gt;des agissements visant à isoler ses collaborateurs de manière volontaire (saluer certains et pas d'autres, inviter certains à partager un café à la pause et pas d'autres, s'abstenir d'adresser la parole à des membres du Codir, le tout de manière aléatoire suivant l'humeur du moment ; ignorer ostensiblement les collaborateurs avec qui elle est en conflit') ;

$gt;des propos ou gestes déplacés et méprisants ayant pour effet de discréditer ses collaborateurs, et ce de manière permanente (haussements d'épaule, gestes de la main balayant l'air, yeux levés au ciel ; reproches adressés publiquement à des collaborateurs de manière humiliante ; confiscation de la parole lors des réunions ; discrédit jeté sur des chefs de service devant leurs subordonnés (dit aux salariés le contraire de ce qu'ont annoncé les chefs de services) ; remarques désobligeantes adressées à des salariés ou des stagiaires sur leur tenue vestimentaire, leur coupe de cheveux, leur mine fatiguée, leur âge, leur embonpoint ; les surnoms vexants dont elle affuble certaines salariées : « la mollassonne », « la molle du gland », « les ramasseuses d'huîtres », « la neu-neu », « les grosses », « si les salariées torchent des culs, c'est qu'elles ne peuvent pas faire mieux », « c'est qui cette conne ' », parlant de la psychologue : « Bah, celle-là, elle ressemble de plus en plus à [D] [W] ! », ou encore à propos d'une résidente désorientée entrée dans son bureau : « Enlevez-moi ça de là ! »), ce mode managérial venant renforcer le mal-être des salariés ;

$gt;un management trop directif et autoritaire, se traduisant par un besoin de contrôle permanent, la volonté de faire peur, des voltes-faces sur différents sujets, des injonctions contradictoires (proscrire le recours à l'intérim tout en rappelant à un chef de service, confronté à d'importantes difficultés dans la gestion des remplacements, qu'il n'a qu'à recourir à l'intérim ; demander à des collaborateurs d'effectuer des contrôles et leur reprocher ces mêmes contrôles), l'infantilisation des collaborateurs (« Je suis la directrice, c'est moi qui décide ! » « Faites ce que je dis, je ne vous demande pas de réfléchir »), le refus d'entendre tout désaccord, changement d'horaires sans délai de prévenance (du jour au lendemain consigne donnée à la gouvernante d'assumer le nettoyage du rez-de-chaussée à la place de la lingère, alors que ce n'est pas dans ses attributions), des remarques intempestives sur l'heure de départ à 17h30 de certains collaborateurs («Ah oui, c'est vrai, j'avais oublié que vous étiez à mi-temps » alors que la personne arrive tôt le matin et est au forfait-jours), l'impossibilité de récupérer les heures accomplies le week-end), des appels téléphoniques passé à une collaboratrice en arrêt de travail pendant une période d'audit, faire venir la MEDEC à une réunion « de recadrage » en dehors de ses jours de présence, des propos désobligeants lors d'entretiens d'embauche (« Votre parcours est totalement incohérent ! »), vider la boîte mail du directeur délégué en décembre 2018 durant ses congés sur une période de 18 mois (qui n'avait laissé ses identifiants et mot de passe dans un tiroir qu'en cas d'urgence), interruption d'un entretien annuel mené par M. [FN] [Directeur délégué] et reprise en main de cet entretien alors qu'elle s'était annoncée comme simple observatrice, absence d'entretien annuel pour certains collaborateurs (« A quoi cela va vous servir '! »), volonté de contrôler toutes les activités de l'établissement et imposition de consignes contraire à celle du groupe Korian (refus de valider une semaine d'absence pour RTT), faire signer à M. [FN] une attestation destinée à Pôle Emploi pour son fils qui travaillait alors en Australie, en exigeant qu'il atteste que celui-ci avait été reçu en entretien pour un emploi au sein de Solidor Korian, ce que M. [FN] n'a pas osé refuser alors qu'il avait conscience de commettre un faux.

La lettre de licenciement s'achève ainsi : « Les salariés entendus n'ont jamais osé parler à l'extérieur de l'établissement par crainte de représailles de votre part. Il ont été nombreux à expliquer qu'ils étaient également attachés à vous, qu'ils vous appréciaient pour d'autres raisons et qu'ils estimaient que vous étiez une bonne gestionnaire. Cela se traduit aujourd'hui par un sentiment de culpabilité clairement exprimés par eux, mais ils ne vous voulaient aucun mal. Cette contradiction décrit parfaitement le mal-être qu'ils ressentent au quotidien et justifie qu'ils n'aient pas parlé de leurs conditions de travail aux membres de l'équipe régionale durant toutes ces années. Une véritable souffrance a été engendrée par votre comportement envers vos collaborateurs : pleurs, arrêts de travail, stress, problèmes de sommeil, angoisse en venant travailler (') Il ressort clairement des entretiens réalisés qu'un nombre certain d'agissements hostiles, verbaux ou physiques, sont constatés. Leur caractère répétitif et leur étalement sur une longue période démontrent que ce sont des agissements quotidiens qui ont pour effet de dénigrer et de porter atteinte à l'intégrité des collègues les plus sensibles. (') Votre licenciement pour faute grave prend effet à compter de la date d'envoi de la présente. La période de mise à pied conservatoire dont vous faites l'objet depuis le 23 juillet 2019 ne vous sera pas rémunérée (') »

Pour infirmation du jugement qui a considéré les faits de harcèlement moral reprochés à Mme [B] n'étaient pas constitués au motif que «L'examen attentif par le Conseil du courriel de Mme [X] [MX], des témoignages recueillis dans le cadre de l'enquête interne, de la lettre de licenciement de Mme [OC] [B] et des pièces versées aux débats, révèle incontestablement un management très directif de Mme [OC] [B]. Le Conseil constate notamment un comportement autoritaire et des propos inappropriés de celle-ci vis-à-vis de ses collaborateurs. Les méthodes de management mises en oeuvre par Mme [OC] [B] ne peuvent caractériser un harcèlement moral que si elles se manifestent pour un salarié déterminé par des agissements répétés ayant pour objet ou pour effet d'entrainer une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel ; ainsi Mme [OC] [B] adopte un comportement autoritaire avec l'ensemble de ses collaborateurs et non avec un salarié en particulier. », la société Medica France fait valoir que :

-tenue d'une obligation de sécurité à l'égard de ses salariés, elle a, 15 jours après avoir reçu le courrier d'alerte de Mme [MX], procédé à une enquête au cours de laquelle 14 salariés du Pôle breton, travaillant directement avec Mme [B], ont été entendus ; 13 d'entre eux ont indiqué avoir subi ou constaté personnellement de la part de Mme [B], des propos ou gestes méprisants, des agissements visant à isoler ou ignorer ses collaborateurs de manière volontaire, un comportement déplacé voire inacceptable dans la manière de manager, éléments qui s'apparentent à un harcèlement moral de sa part et relèvent de la faute grave ; considérer, comme l'a fait le conseil de prud'hommes que les faits ne sont pas fautifs au motif qu'ils concernent l'ensemble des collaborateurs directs de Mme [B] et non spécialement tel ou tel d'entre eux est contraire à tous les principes de responsabilité disciplinaire ; par ailleurs la notion de « management autoritaire et inapproprié et une version très édulcorée de la réalité ; en tout état de cause, les premiers juges ne pouvaient retenir simultanément la réalité des faits fautifs et considérer que le licenciement était dépourvu de cause réelle et sérieuse ;

-Mme [B] ne peut pas déduire du fait que son entretien annuel de 2019 n'avait pas encore eu lieu que le licenciement était décidé par avance ; cet entretien avait été fixé en mars 2019 au 16 avril 2019 avec M. [A] (le prédécesseur de Mme [M] et n'a pu se tenir comme prévue en raison d'une réunion des directeurs d'établissement de la région Ouest et à laquelle Mme [B] devait se rendre ; à la date du 15 avril 2019, sur les 30 entretiens à réaliser, il en restait encore 5 dont celui de Mme [B] ;

-Mme [B] ne peut pas soutenir que l'enquête interne n'a pas respecté le principe du contradictoire (lequel ne consiste pas à réaliser les auditions en présence de leurs supérieure directe) alors qu'elle ne s'est pas présentée à l'entretien préalable, au cours duquel elle aurait eu tout loisir de s'exprimer ; elle ne peut soutenir que les questions sont orientées et le questionnaire « à charge » dès lors qu'il reprend les termes du questionnaire dit de Leymann (un psychologue suédois qui a regroupé les situations de violence psychologique au travail en 5 catégories : agissements empêchant la personne de s'exprimer / visant à isoler la personne / visant à discréditer la personne dans le travail / visant à déconsidérer la personne auprès des collègues / visant à compromettre la santé de la personne - « Leymann inventory of psychological terror»), présenté par l'INRS comme l'un de ceux permettant le diagnostic des risques psycho-sociaux au travail ; la preuve des faits est libre en matière prud'homale et les réponses aux questionnaires, signées, sont des éléments probatoires parfaitement recevables peu important que les réponses aux question aient été notées par Mmes [L] et [Z], respectivement responsables RH régionale et juriste en droit social ;

-il est indifférent que Mme [B] justifie avoir entretenu des relations cordiales avec certains collaborateurs (par la production d'extraits de sms avec 4 personnes entre février 2018 et juin 2019), ou qu'elle ait été appréciée positivement, s'agissant de ses compétences techniques, dans les comptes-rendus d'entretien annuel, ou qu'elle ait perçu des bonus ; les deux attestations (la première ancienne, la seconde émanant du représentant des familles au sein du conseil de la vie sociale, soit un tiers à la relation de travail), ne contredisent pas les griefs qui lui sont reprochés.

Mme [B] réplique que :

-Mme [MX], infirmière coordinatrice, nourrissait du ressentiment à son endroit ; elle n'a jamais admis l'importance donnée à l'aspect hôtelier de l'établissement de [Localité 9] (projet Boost), et en tant que directrice, elle lui avait demandé de mieux respecter les consignes, ce qui s'est matérialisé dans un entretien annuel et ne constitue pas un harcèlement moral ; elle verse aux débats un audit « soins » réalisé au mois de mai 2019 qui notait de nombreux manquements de sa part quant à la prise en charge des résidents ; l'employeur ne fournit pas la copie des courriels ou des alertes qui lui auraient été adressées auparavant ;

-l'enquête interne a été menée à charge, avec des questions orientées (« on ne parle pas » ; « on utilise envers moi des propos méprisants », « on me retire mon autonomie », « on m'attribue volontairement des tâches inférieures à mes compétences », « on me discrédite vis-à-vis de mes collègues / supérieurs / subordonnés », « on m'injurie avec des propos obscènes, dégradants », « on conteste toutes mes décisions », etc') et il n'a pas été procédé à son audition en tant que directrice ; les auditions ne respectent pas les dispositions de l'article 202 du code de procédure civile et ont été écrites de la main même de l'enquêtrice ;

-les délégués du personnel ne sont jamais intervenus alors que le CSE dispose d'un droit d'alerte dans les entreprises d'au moins 50 salariés (article L2312-59 du code du travail), ni le CHSCT de l'établissement de [Localité 7], pour alerter sur un soi-disant harcèlement moral de sa part et la médecine du travail n'a jamais été saisie ; par ailleurs, jamais aucun cadre ni aucun salarié n'est venu lui reprocher quoi que ce soit, alors qu'elle travaillait avec certains depuis longtemps (8 ans avec Mme [N], IDEC, 14 ans avec Mme [C], gouvernante, 4 ans avec Mme [F]) ; elle fournit des échanges de sms avec Mme [C], M. [FN], M. [K], qui montrent que les relations étaient cordiales ; elle n'a jamais insulté ni humilié personne ; du reste le Dr [T] affirme qu'elle a été harcelée non par elle mais par M. [Y], membre du siège de Médica France ; c'est M. [FN] et pas elle, qui s'est permis des propos désobligeants sur le physique de certaines salariées ;

-elle produit les attestations de M. [U] (membre du conseil de la vie sociale de l'EHPAD de [Localité 7]), de Mme [VG] (infirmière qui a travaillé à [Localité 7]), qui ont apprécié sa façon de travailler ; deux déléguées du personnel l'ont soutenue, Mmes [V] et [S] ;

-les comptes-rendus de ses entretiens annuels de performance montrent qu'elle était très bien notée ; le terme de management directif employé en 2017 l'avait conduite à solliciter un rendez-vous avec son employeur, demande à laquelle il n'a jamais donné suite, ni n'a ordonné d'audit social pour vérifier ce point ; l'employeur a d'ailleurs encouragé ce type de management à travers les primes qu'il lui a accordées et en la promouvant en qualité de directrice de Pôle (3.600 euros de bonus pour l'année 2014, 7.180 euros de bonus global pour l'année 2015, 7.440 euros pour l'année 2016, 7.336 euros pour l'année 2017, 12.050 euros pour l'année 2018) ; les indicateurs montrent du reste que le climat social était bon : absentéisme et turn-over des salariés des sites de [Localité 7] et [Localité 9] inférieurs à celui des autres établissements du groupe.

Il résulte de l'article L1232-1 du code du travail que, pour que la rupture du contrat de travail à l'initiative de l'employeur soit justifiée ou fondée, en tout cas non abusive, la cause du licenciement doit être réelle (faits objectifs, c'est-à-dire précis et matériellement vérifiables, dont l'existence ou la matérialité est établie et qui constituent la véritable raison du licenciement), mais également sérieuse, c'est-à-dire que les faits invoqués par l'employeur, ou griefs articulés par celui-ci, doivent être suffisamment pertinents pour justifier le licenciement.

La faute grave, est celle qui rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise pendant la durée du préavis prévu à l'article L1234-1 du code du travail. La faute grave suppose une action délibérée ou une impéritie grave, la simple erreur d'appréciation ou l'insuffisance professionnelle ne pouvant ouvrir droit à une sanction disciplinaire. La gravité d'une faute n'est pas nécessairement fonction du préjudice qui en est résulté.

La charge de la preuve de la faute grave incombe dans tous les cas à l'employeur.

La société Medica France verse aux débats, pour établir la faute grave :

$gt;le courriel de Mme [MX], IDEC, du 3 juillet 2019, adressé à M. [FN], à Mme [M] et Mme [L] : « Je tiens par la présente après nombreux échanges avec vous-même et les délégués du personnel, vous faire part du harcèlement moral que je subis de la part de la directrice de pôle, qui atteint le seuil de l'inacceptable et me conduit à solliciter une rupture conventionnelle. En effet, elle ne cesse de dénigrer notre travail et faire des réflexions que nous jugeons, vous comme moi, totalement inappropriées. Elle ne cesse de proférer des insultes à l'encontre du personnel, d'être humiliante et de formuler des sous-entendus méprisants. Lors des réunions des délégués du personnel, une question a été posée concernant son attitude déplacée envers le personnel. A ce jour, cette question reste sans réponse. Cet irrespect a pour effet de dévaloriser mon travail à l'égard de mes collègues, mais aussi le travail des équipes. Cette situation dégradante n'est pas sans conséquence sur mon état de santé et se manifeste par des anxiétés permanentes et des insomnies. Je n'ai pas eu d'autre choix, afin de préserver mon état physique et psychique, que de consulter mon médecin traitant, qui m'a prescrit un arrêt de travail depuis le 20 juin dernier (') » ;

$gt;les réponses au questionnaire de l'employeur (composé de deux parties : 1ère partie : Dans votre emploi subissez-vous ou avez-vous subi des agissements suivants ' [suit une liste de 46 questions, dont certaines rappelées plus haut], Si oui, par qui ' Quand ' Comment ' Fréquence ' Racontez-nous comme cela s'est passé, ce que vous avez vu et entendu. A quoi attribuez-vous les agissements de votre ou de vos collègues, supérieures ou subordonnées à votre égard ou à celle de votre collègues / vos collègues [suit une liste de 25 items par exemple : par plaisir de faire souffrir ; parce que les résultats sont inférieurs à la moyenne ; parce qu'ils voulaient se débarrasser de moi ; en raison de vieux conflits mal réglés'] ; Quand ces agissements ont-ils commencé ' Depuis combien de temps durent-ils ' Vous ont-ils conduit à un arrêt de travail ' Si oui combien de jours ' Quels sont les impacts sur la santé ; 2ème partie : Témoin d'agissements hostiles : Avez-vous été alertée indirectement de quelconques difficultés relationnelles au sein de l'équipe ' Avez-vous été amenée à directement constater des comportements, propos, attitudes déplacées ou déstabilisantes de la part d'un salarié à l'encontre d'un autre salarié '),de 14 salariés, à savoir Mme [R] (animatrice et déléguée du personnel), Mme [I], ergothérapeute, Mme [G], psychologue,

Mme [F], animatrice, M. [E], chef de cuisine, Mme [C], gouvernante, M. [O], responsable technique, (n'a rien subi, n'a été témoin de rien), Mme [N], infirmière coordinatrice (IDEC), Mme [T], médecin coordinateur (MEDEC), M. [K], adjoint de direction, M. [P], responsable technique, M. [FN], directeur délégué, Mme [XR], psychologue, Mme [MX], infirmière coordinatrice (IDEC).

A l'exception de M. [O] qui déclare n'avoir été ni victime ni témoin de faits problématiques concernant Mme [B], les 13 autres salariés détaillent de manière claire, précise et scrupuleuse, dans des témoignages d'une grande crédibilité, avec retenue, sans animosité et malgré le climat de peur que Mme [B] fait régner, le comportement de cette dernière à l'égard du personnel, dont la lettre de licenciement (qui en reprend de larges extraits) est le strict et fidèle reflet.

A cet égard, ni la qualité des personnes entendues (un panel étendu et représentatif), ni le fait que les propos des salariés aient été retranscrits par Mme [M] et son assistante, ni les questions posées, conformes, comme le fait valoir l'employeur, au questionnaire de Leymann, admis par l'INRS, certes fermées mais étayées par les récits libres de chacun des salariés entendus, ne sont de nature à remettre en cause utilement le sérieux et l'impartialité de l'enquête réalisée par l'employeur, peu important que cette enquête n'ait pas été réalisée par le CHSCT ou le CSE.

Il convient de rappeler en tout état de cause que l'enquête interne à laquelle recourt l'employeur pour établir l'existence de faits de harcèlement moral, n'est soumise à aucun formalisme.

Mme [B] n'est pas fondée à soutenir que le principe du contradictoire a été violé dès lors que le principe de la liberté de la preuve en matière prud'homale, le respect des droits de la défense et du principe de la contradiction n'impose pas que, dans le cadre d'une enquête interne destinée à vérifier la véracité des agissements dénoncés par d'autres salariés, le salarié ait accès au dossier et aux pièces recueillies ou qu'il soit confronté aux collègues qui le mettent en cause ni qu'il soit entendu, dès lors que la décision que l'employeur peut être amené à prendre ultérieurement ou les éléments dont il dispose pour la fonder peuvent, le cas échéant, être ultérieurement discutés tant lors de l'entretien préalable à sanction (auquel Mme [B] ne s'est pas présentée, curieusement), que devant les juridictions de jugement. (en ce sens, Cass. Soc. 29 juin 2022, pourvoi n° 21-11.437).

Par ailleurs, la thèse de Mme [B] selon laquelle elle serait victime d'une vengeance de Mme [MX] avec qui elle aurait eu maille à partir n'est pas étayée.

Est ainsi établi de la part de Mme [B], directrice d'EHPAD, un comportement fautif constitué par des paroles et attitudes humiliantes ou insultantes vis-à-vis de ses subordonnés, un management par la peur consistant en des injonctions contradictoires, une infantilisation de ses collaborateurs, le discrédit jeté sur les uns ou les autres, le refus de tout avis divergent, des décisions arbitraires, le tout générateur de risques psychosociaux.

Ni son ancienneté (9 ans), pas plus que l'absence de sanction disciplinaire antérieure, ni le fait qu'elle ait bénéficié d'évaluations élogieuses ou encore que deux déléguées du personnel, Mmes [V] et [S] l'aient soutenue, ne constituent des éléments permettant d'amoindrir la sanction prononcée.

Mme [B] n'est pas plus fondée à se prévaloir d'une tolérance ancienne par l'employeur de ses pratiques, qui n'aurait été de nature à disqualifier la faute que si l'employeur avait eu une connaissance exacte et complète des agissements fautifs ; or cette connaissance ne peut se déduire uniquement de la mention « management très directif » dans l'entretien annuel de performance (EAP) du 15 février 2017 ou de l'appréciation du manager « J'apprécie le style direct de [OC] dans la gestion quotidienne de son établissement de [Localité 7] » dans l'EAP du 21 février 2018.

En définitive, les faits, reprochés qualifiés de harcèlement moral, constituent une faute grave rendant impossible son maintien dans l'entreprise et non une cause réelle et sérieuse de licenciement, dans la mesure où l'employeur, tenu d'une obligation de sécurité se doit de protéger la santé physique et mentale des salariés et de prévenir les agissements de harcèlement moral.

Le jugement est infirmé et Mme [B] déboutée de toutes ses demandes afférentes à un licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Mme [B] est condamnée aux dépens d'appel et déboutée par voie de conséquence de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Il n'est pas inéquitable de laisser à la société Medica France la charge des frais qu'elle a exposés pour sa défense. Elle est déboutée de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS :

Infirme le jugement du conseil de prud'hommes de Saint Malo du 11 juin 2021 sauf en ce qu'il a déclaré régulière la procédure de

licenciement et non prescrits les faits fautifs ;

Statuant à nouveau et y ajoutant,

Dit que le licenciement est fondé sur une faute grave ;

Déboute Mme [B] de toutes ses demandes ;

Déboute Mme [B] de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Déboute la société Médica France de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamne Mme [B] aux dépens de première instance et d'appel.

Le Greffier Le Président


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Rennes
Formation : 7ème ch prud'homale
Numéro d'arrêt : 21/04031
Date de la décision : 04/07/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 11/07/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-07-04;21.04031 ?
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