La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

04/07/2024 | FRANCE | N°21/03496

France | France, Cour d'appel de Rennes, 7ème ch prud'homale, 04 juillet 2024, 21/03496


7ème Ch Prud'homale





ARRÊT N°302/2024

N° RG 21/03496 - N° Portalis DBVL-V-B7F-RW2H













M. [G] [I]



C/



S.A.S. [C] [K]

















Copie exécutoire délivrée

le :04/072024



à : Me PETIT

Me BAKOS





RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



COUR D'APPEL DE RENNES

ARRÊT DU 04 JUILLET 2024





COMPOSITION DE LA COUR LORS

DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :



Président : Monsieur Hervé BALLEREAU, Président de chambre,

Assesseur : Madame Isabelle CHARPENTIER, Conseillère,

Assesseur : Monsieur Bruno GUINET, Conseiller,



GREFFIER :



Madame Françoise DELAUNAY, lors des débats et lors du prononcé



DÉBATS :

...

7ème Ch Prud'homale

ARRÊT N°302/2024

N° RG 21/03496 - N° Portalis DBVL-V-B7F-RW2H

M. [G] [I]

C/

S.A.S. [C] [K]

Copie exécutoire délivrée

le :04/072024

à : Me PETIT

Me BAKOS

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE RENNES

ARRÊT DU 04 JUILLET 2024

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :

Président : Monsieur Hervé BALLEREAU, Président de chambre,

Assesseur : Madame Isabelle CHARPENTIER, Conseillère,

Assesseur : Monsieur Bruno GUINET, Conseiller,

GREFFIER :

Madame Françoise DELAUNAY, lors des débats et lors du prononcé

DÉBATS :

A l'audience publique du 08 Avril 2024

En présence de Madame [M] [W], médiateur judiciaire,

ARRÊT :

Contradictoire, prononcé publiquement le 04 Juillet 2024 par mise à disposition au greffe comme indiqué à l'issue des débats

****

APPELANT :

Monsieur [G] [I]

né le 31 Décembre 1970 à [Localité 4]

[Adresse 1]

[Localité 2]

Comparant en personne, assisté de Me Laurent PETIT, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de RENNES substitué par Me CHAINAY, avocat au barreau de RENNES

INTIMÉE :

S.A.S. [C] [K] Prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège

[Adresse 5]

[Localité 3]

Comparant en la personne de son représentant assisté de Me Lara BAKHOS de la SELEURL PAGES - BAKHOS, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de RENNES

EXPOSÉ DU LITIGE

Le 5 juin 2012, M. [G] [I] a été embauché en qualité de conducteur poids lourd selon un contrat à durée déterminée de 186 heures mensuelles par la SAS [C] [K], entreprise spécialisée dans le transport poids lourd en France et à l'international qui emploie entre 50 et 99 salariés et applique la convention collective des transports routiers et des activités auxiliaires du transport.

Le 4 octobre 2012, M. [I] était embauché dans le cadre d'un contrat de travail à durée indéterminée de 200 heures mensuelles, au coefficient 150M de la convention collective des transports routiers.

Il était titulaire d'un mandat de délégué du personnel et d'un mandat de délégué syndical.

Le 26 septembre 2018, M. [I] a été victime d'un accident du travail et a été placé en arrêt de travail le 27 septembre 2018.

A la suite de réclamations formulées par le salarié concernant sa rémunération, l'employeur lui adressait un courrier daté du 6 novembre 2018, expliquant le calcul de la rémunération pour les trois premiers trimestres de l'année. La SAS [C] [K] diffusait parallèlement une note d'information à ce sujet à l'intention de l'ensemble des salariés.

C'est dans ce contexte que M. [I] a saisi le conseil de prud'hommes de Rennes par requête en date du 8 mars 2019 aux fins d'obtenir un rappel de salaire sur heures supplémentaires.

Le 1er juin 2019, M. [I] prenait acte de la rupture du contrat de travail aux torts de l'employeur.

Par requête en date du 12 mars 2020, il a de nouveau saisi le conseil de prud'hommes dans le but d'obtenir la requalification de la rupture de son contrat de travail avec toutes conséquences de droit.

 ***

Au dernier état de la procédure de première instance, M. [I] demandait au conseil de prud'hommes:

Sur les heures supplémentaires et les conditions de travail :

A titre principal :

- Condamner la SAS [C] [K] à lui payer la somme de 22 865,73 euros à titre de rappel de salaire, repos compensateur et congés payés afférents, avec intérêts au taux légal à compter de la demande.

- Condamner la SAS [C] [K] à lui payer la somme de 18 696,60 euros à titre d'indemnité pour travail dissimulé.

- Condamner la SAS [C] [K] à lui payer la somme de 20 000 euros à titre de dommages et intérêts pour exécution fautive du contrat de travail.

A titre subsidiaire, si le conseil estimait nécessaire d'être éclairé avant dire droit par une expertise des horaires effectifs de M. [I] :

- Ordonner une expertise et commettre à cette fin tel expert compétent dans la matière, avec la mission suivante :

- Se faire remettre par les parties ou par des tiers tous documents utiles en leur possession

- Entendre d'autres chauffeurs de l'entreprise, notamment ceux ayant rédigé une attestation, sur les faits.

- Se rendre en tant que de besoin sur une aire d'embarquement de camions à destination de l'Angleterre aux fins de relever le temps de travail des chauffeurs

- Au vu de ces éléments, donner une estimation, sans qu'une preuve soit nécessaire, des horaires de travail effectif du salarié sur la période non prescrite, ainsi que du rappel de salaire, droits à congés payés et contribution obligatoire en repos correspondants.

- Du tout dresser rapport qui sera remis au greffe du conseil dans un délai de trois mois après consignation de la provision

- Mettre les provisions pour frais d'expertise à la charge de l'employeur, et au besoin l'y condamner.

- Renvoyer le dossier sur le fond dans l'attente du dépôt du rapport d'expertise.

Sur la rupture du contrat de travail (sous réserve de jonction avec la procédure 20/00198) :

- Dire que la prise d'acte de rupture du contrat de travail doit avoir les conséquences d'un licenciement nul.

- Condamner en conséquence la SAS [C] [K] à lui payer les sommes suivantes :

- 6 487,66 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis, ainsi que 648,77 euros au titre des droits à congés payés afférents.

- 5 676,70 euros à titre d'indemnité légale de licenciement

- 60 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul

Sur les autres demandes :

- Condamner la SAS [C] [K] à lui payer la somme de 14 400 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

- Ordonner l'exécution provisoire du jugement en toutes ses dispositions.

La SAS [C] [K] a demandé au conseil de prud'hommes de :

Sur les demandes au titre de la durée du travail,

- Dire n'y avoir lieu de procéder a la désignation d'un expert.

- Dire et juger les demandes de M. [I] non fondées.

Par conséquent

- L'en débouter.

- Débouter M. [I] de sa demande au titre d'une indemnité pour travail dissimulé.

Sur la prise d'acte,

- Prendre acte de ce que la SAS [C] [K] s'en rapporte a justice quant à la demande de jonction formulée par M. [I].

- Dire et juger que la prise d'acte de la rupture du contrat de travail produira les effet d'une démission.

En conséquence,

- Condamner M. [I] en remboursement de l'indemnité de préavis : 597,20 euros

- Débouter M. [I] de ses demandes indemitaires et subsidiairement les réduire à de plus justes proportions.

En tout état de cause,

- Condamner M. [I] a verser a la SAS [C] [K] une indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile : 2 000,00 euros

- Condamner le même aux entiers dépens.

Par jugement en date du 19 mai 2021, le conseil de prud'hommes de Rennes a :

- Dit qu'il y a lieu, pour une bonne administration de la justice, de joindre le dossier inscrit sous le N° RG 20/198 au dossier inscrit sous le N° RG 19/151.

- Dit et jugé qu'il n'y a pas lieu au paiement des heures supplémentaires pour non-respect de l'amplitude journalière de travail.

- Dit et jugé que la prise d'acte de la rupture du contrat de travail doit produire les effets d'une démission

- Rejeté le surplus des demandes des parties.

- Débouté les parties de leur demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

- Laissé chaque partie la charge de ses propres dépens.

***

M. [I] a interjeté appel de cette décision par déclaration au greffe en date du 9 juin 2021.

En l'état de ses dernières conclusions transmises par son conseil sur le RPVA le 25 mars 2024, M. [I] demande à la cour d'appel de:

- Réformer en toutes ses dispositions le jugement dévolu, et statuant à nouveau :

Sur les heures supplémentaires et les conditions de travail :

A titre principal :

- Condamner la SAS [C] [K] à lui payer les sommes suivantes:

- 22 865,73 euros à titre de rappel de salaire, repos compensateur et congés payés afférents, avec intérêts au taux légal à compter de la demande.

- 18 696,60 euros à titre d'indemnité pour travail dissimulé, avec intérêts au taux légal à compter de la demande.

- 20 000 euros à titre de dommages et intérêts pour exécution fautive du contrat de travail ;

A titre subsidiaire, si la cour estimait nécessaire d'être éclairée avant dire droit par une expertise des horaires de travail effectif de M. [I]:

- Ordonner une expertise et commettre à cette fin tel expert compétent dans la matière, avec la mission suivante :

- Se faire remettre par les parties ou par des tiers tous documents utiles en leur possession

- Entendre d'autres chauffeurs de l'entreprise, notamment ceux ayant rédigé une attestation, sur les faits.

- Se rendre en tant que de besoin sur une aire d'embarquement de camions à destination de l'Angleterre aux fin de relever le temps de travail des chauffeurs

- Au vu de ces éléments, donner une estimation, sans qu'une preuve soit nécessaire, des horaires de travail effectif du salarié sur la période non prescrite, ainsi que du rappel de salaire, droits à congés payés et contribution obligatoire en repos correspondants.

- Du tout dresser rapport qui sera remis au greffe du Conseil dans un délai de trois mois après consignation de la provision

- Mettre les provisions pour frais d'expertise à la charge de l'employeur, et au besoin l'y condamner.

- Renvoyer le dossier sur le fond dans l'attente du dépôt du rapport d'expertise.

Sur la rupture du contrat de travail :

- Dire que la prise d'acte de rupture du contrat de travail doit avoir les conséquences d'un licenciement nul.

- Condamner en conséquence la SAS [C] [K] à lui payer les sommes suivantes :

- 6 487,66 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis

- 648,77 euros au titre des droits à congés payés afférents.

- 5 676,70 euros à titre d'indemnité légale de licenciement

- 60 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul

Sur les autres demandes :

- Condamner la SAS [C] [K] à lui payer la somme de14 400 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile pour les frais irrépétibles de première instance, ainsi que 2 400 euros pour ceux d'appel.

M. [I] développe en substance l'argumentation suivante:

- L'employeur ne produit aucun décompte conforme à l'article R3312-56 du code des transports ; il ne figure pas non plus d'annexe au bulletin de salaire de fin de période de référence de la durée du travail (trimestre) récapitulant les heures réalisées (article D3312-54 du code des transports); l'analyse détaillée de la semaine échantillon suffit pour que l'employeur puisse répondre ;

- La durée invariable de 200 heures qui est mentionnée sur les bulletins de paie est suspecte puisque les tournées confiées au salarié, généralement sur la semaine, n'avaient jamais la même durée du fait des aléas de la circulation ;

- Les chauffeurs de l'entreprise sont soumis à une pression de l'employeur pour mettre leur sélecteur en coupure ou en repos pendant les temps de chargement et déchargement ; des salariés en témoignent ; l'employeur a également reconnu cette pratique lors d'une réunion du 20 novembre 2017 dont le compte-rendu est produit ;

- Il est impossible au chauffeur de prendre une pause pendant les temps de chargement/déchargement puisque les consignes écrites de l'employeur l'obligent à 'assister et si nécessaire participer' aux chargements et déchargements ;

- Les heures de coupure qui résultent de l'analyse de la carte conducteur pour l'année 2018 (70% du temps de conduite) sont totalement disproportionnées par rapport aux heures de travail effectif ; elles confirment la pratique de mise en coupure systématique pendant les opérations de chargement/déchargement ;

- Les éléments qui mettent en évidence la pression exercée par l'employeur pour ne pas déclarer en temps effectif de travail les temps de chargement/déchargement caractérisent l'intention de dissimuler une partie du temps effectif de travail ;

- Les amplitudes maximales sont dépassées à raison de 25 fois sur seulement 9 mois en 2018 ; l'employeur ne peut utilement soutenir que les graphiques issus du logiciel Tachogest seraient erronés ;

- Dès lors que la prise d'acte est intervenue pendant un arrêt de travail consécutif à un accident de travail, la rupture s'analyse en un licenciement nul ; il lui a été imposé de conduire un camion semi-remorque entre l'Angleterre et la France alors qu'il s'était blessé l'épaule en chargeant des palettes et qu'il avait un bras en écharpe.

En l'état de ses dernières conclusions transmises par son conseil sur le RPVA le 21 mars 2024, la SAS [C] [K] demande à la cour d'appel de :

A titre liminaire,

- Prononcer l'irrecevabilité de la demande des intérêts au taux légal au titre du travail dissimulé ;

- Confirmer le jugement rendu par le conseil de prud'hommes de Rennes le 19 mai 2021 (n° 19/00151) en ce qu'il a :

- Dit et jugé n'y avoir lieu au paiement d'heures supplémentaires pour non-respect de l'amplitude ;

- Dit et jugé que la prise d'acte de la rupture du contrat de travail doit produire les effets d'une démission ;

- Rejeté le surplus des demandes de M. [I].

- Infirmer le jugement ce qu'il a débouté la SAS [C] [K] des demandes suivantes :

- Condamner M. [I] au remboursement de la somme de 597, 2 euros au titre de l'indemnité de préavis ;

- Condamner M. [I] à verser à la SAS [C] [K] la somme de 2 000,00 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- Condamner le même aux entier dépens.

Statuant à nouveau,

- Débouter M. [I] de toutes ses demandes, fins et conclusions ;

- Condamner M. [I] au remboursement de la somme de 597, 2 euros au titre de l'indemnité de préavis ;

- Condamner M. [I] à verser à la SAS [C] [K] la somme de 4 000,00 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

La société [C] [K] fait valoir en substance que:

- La demande relative aux intérêts légaux sur l'indemnité de travail dissimulé n'avait pas été formée en 1ère instance ; il s'agit d'une demande nouvelle irrecevable en cause d'appel ;

- Elle rémunère tous ses salariés à raison de 600 heures par trimestre ; ce quantum d'heures permet d'anticiper les aléas de la route ; M. [I] n'a effectué aucun dépassement de ce quantum comme le prouvent les décomptes de ses temps de service ; il n'est pas démontré que l'employeur ait demandé à ne pas consigner les heures de travail correspondant au chargement et déchargement des camions ;des salariés témoignent de l'absence de toute pression en ce sens ;

- Une fois terminées les formalités d'embarquement sur le ferry entre la France et l'Angleterre, le chauffeur dispose librement de son temps et se met alors en position de repos ; ce repos n'est interrompu que par le temps de l'embarquement et celui du débarquement ; les temps d'amplitude journalière maximale ont été parfaitement respectés ; les relevés tachogest permettent de calculer les temps de service mais pas l'amplitude journalière ; la journée du 18 juin 2018 illustre cette situation;

- Une expertise ne saurait avoir pour objet de suppléer la carence du salarié dans l'administration de la preuve;

- Les décomptes mensuels des heures travaillées sont annexés chaque mois aux bulletins de salaire ; les synthèses trimestrielles des heures travaillées confirment les décomptes selon lesquels aucun dépassement de la durée de 600 heures payées par trimestre n'est intervenu ; il n'est justifié d'aucune dissimulation intentionnelle d'une partie du temps de travail ;

- Il n'est pas justifié de ce que l'employeur aurait contraint M. [I] à travailler alors qu'il était blessé ; cette affirmation est contredite par plusieurs témoins ;

- M. [I] est redevable du préavis de démission ; ses demandes sont exorbitantes et sans justification de l'étendue du préjudice subi.

***

La clôture de l'instruction a été prononcée par ordonnance du conseiller de la mise en état le 26 mars 2024 avec fixation de la présente affaire à l'audience du 8 avril 2024.

Conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, la cour renvoie, pour un plus ample exposé des prétentions et moyens des parties, à leurs dernières conclusions régulièrement signifiées.

MOTIFS DE LA DÉCISION

1- Sur la demande de rappel de salaire, repos compensateur et congés payés afférents:

En vertu de l'article R 3312-55 du code des transports, la durée du temps de service des personnels de conduite exécutant des transports routiers de marchandises ou de déménagement soumis aux règlements (CE) n° 561/2006 du Parlement européen et du Conseil du 15 mars 2006 relatif à l'harmonisation de certaines dispositions de la législation sociale dans le domaine des transports par route et (UE) n° 165/2014 du Parlement européen et du Conseil du 4 février 2014 relatif aux tachygraphes dans les transports routiers est enregistrée, attestée et contrôlée :

1° En cas de conduite d'un véhicule équipé d'un appareil de contrôle de type tachygraphe analogique, tel que défini par l'article 2, paragraphe g) du règlement (UE) n° 165/2014 du 4 février 2014 précité, au moyen de la feuille d'enregistrement de l'appareil et conformément aux dispositions de l'annexe I de ce règlement ;

2° En cas de conduite d'un véhicule équipé d'un appareil de contrôle de type tachygraphe numérique, tel que défini par l'article 2, paragraphe h) du règlement (UE) n° 165/2014 du 4 février 2014 précité, au moyen des données électroniques enregistrées dans les mémoires de la carte personnelle du conducteur ainsi que de l'unité véhicule de l'appareil, et téléchargées de manière continue et régulière sur un support de sauvegarde, conformément aux dispositions de ce règlement.

En vertu de l'article D 3312-63 du même code, le bulletin de paie ou un document annexe doit obligatoirement mentionner:

- la durée des temps de conduite ;

- la durée des temps de service autres que la conduite ;

- l'ensemble de ces temps constitutifs du temps de service rémunéré, récapitulés mensuellement ;

- les heures qui sont payées au taux normal et celles qui comportent une majoration pour heures supplémentaires ou pour toute autre cause ;

- les informations relatives aux repos compensateurs acquis en fonction des heures supplémentaires effectuées.

Les documents de décompte du temps de travail doivent être tenus à la disposition de l'inspection du travail pendant une durée d'un an.

Aux termes de l'article L3121-1 du code du travail, la durée du travail effectif est le temps pendant lequel le salarié est à la disposition de l'employeur et se conforme à ses directives sans pouvoir vaquer librement à des occupations personnelles.

Il résulte des dispositions de l'article 3.1 de l'Accord du 23 novembre 1994 sur le temps de service, annexé à la convention collective nationale des transports routiers, que ne sont pas pris en compte au titre du temps de service l'ensemble des interruptions, repos et temps pendant lesquels le conducteur n'exerce aucune activité et dispose librement de son temps.

La mise à disposition du véhicule du transporteur se définit comme par le délai qui s'écoule entre le moment où le véhicule est identifié à son arrivée sur les lieux de chargement ou de déchargement ou dans l'aire d'attente et celui où il est prêt à quitter ces lieux après émargement des documents de transport.

Les temps d'attente ou les temps de chargement/déchargement constituent un temps de travail effectif et sont rémunérées comme tel dès lors que le conducteur est à la disposition de l'employeur et se conforme à ses directives sans pouvoir vaquer librement à ses occupations personnelles, ce qui implique de vérifier le degré d'implication du salarié lors des opérations de chargement/déchargement.

Enfin, selon l'article L. 3171-4 du code du travail, en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, l'employeur fournit au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié. Au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l'appui de sa demande, le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles. Si le décompte des heures de travail accomplies par chaque salarié est assuré par un système d'enregistrement automatique, celui-ci doit être fiable et infalsifiable.

Il appartient donc au salarié de présenter, à l'appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu'il prétend avoir accomplies afin de permettre à l'employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments. Le juge forme sa conviction en tenant compte de l'ensemble de ces éléments au regard des exigences rappelées aux dispositions légales et réglementaires précitées.

En l'espèce, M. [I] embauché en qualité de chauffeur poids lourds - groupe 7 au sens des dispositions de la convention collective nationale des transports routiers et qu'en cette qualité il était principalement affecté à l'exécution de transports de marchandises à destination de la Grande Bretagne.

Le salarié verse aux débats:

- L'avenant contractuel du 4 octobre 2012 fixant la durée mensuelle de travail à 200 heures et qui indique que 'l'horaire de travail est l'horaire collectif dans l'établissement' avant d'ajouter que 'les temps de service seront décomptés d'après les cartes conducteur et/ou les feuilles d'enregistrement chronotachygraphiques (disques)'.

L'article 2 'Rémunération' stipule:

'En contrepartie de l'accomplissement de ses fonctions, le salarié percevra les avantages bruts mensuels suivants: 1 453,00 euros au coefficient 150M du groupe 7 pour 151,67 heures normales, 411,10 euros pour 34,33 heures normales majorées de 25% et 201,18 euros pour 14 heures supplémentaires majorées de 50% par mois soit 9,58 euros de l'heure.

Le décompte des heures est trimestriel.

Les heures supplémentaires à 150 % au delà de 600 heures seront payées le mois suivant leur réalisation (...)'.

- Ses bulletins de salaire pour la période du 1er février 2016 au 31 janvier 2019 qui mentionnent invariablement un temps de travail mensuel de 200 heures réparti de la manière suivante:

- Heures normales: 151,67 heures

- Heures 'normales 125%': 34,33 heures

- Heures supplémentaires 150 %: 14 heures.

- L'attestation de M. [T], collègue de travail du 31 juillet 2017 au mois de janvier 2018, qui indique avoir refusé la conclusion d'un contrat de travail à durée indéterminée après avoir travaillé en contrat de travail à durée déterminée, au motif que ses temps de chargement et déchargement n'étaient pas pris en compte avec mise en position 'repos' sur le chronotachygraphe, que ses heures de travail n'étaient pas décomptées et qu'il lui avait été demandé de conduire sept fois consécutives sur six périodes de 24 heures.

- L'attestation de M. [F], conducteur au sein de la société Laurent Pelliet, qui indique que 'dans l'entreprise Laurent Pelliet il est fortement recommandé de ne pas compter ses heures de chargement et de déchargement autre que la conduite'. Il ajoute: 'En tant que délégué syndical, j'ai régulièrement évoqué le problème avec M. [D] [V]. Cela est un problème de fatigue pour les conducteurs de l'entreprise'.

- Un courrier dactylographié de M. [F] ès-qualités de secrétaire du comité d'entreprise, daté du 26 mai 2019, dans lequel il 'confirme que la direction des transports Laurent Pelliet ordonne aux conducteurs de se mettre sur la position repos quand il charge et décharge leur camion ainsi que lorsqu'ils font leur documents de transport, la direction des transports Laurent Pelliet considère qu'elle ne doit payer que les temps de conduite, ce qui occasionne des journées de 15 heures d'amplitude (...)'.

- Une seconde attestation de M. [F] dans laquelle ce témoin 'confirme (...) que M. [D] et M. [Y] tous les deux à la tête des transports Laurent Pelliet ne respecte pas la réglementation sociale européenne et française et font une pression énorme sur leurs chauffeurs pour qu'il se mettent en repos pendant leurs chargements et déchargements, ce qui implique des amplitudes de plus de 15 heures. Plusieurs de nos collègues ont quitter l'entreprise suite à un effet de ras le bol et de fatigue (...)'.

M. [F] joint un courrier dactylographié à sa seconde attestation, dans laquelle il se présente comme délégué syndical, courrier dans lequel il affirme que '(...) Les donneurs d'ordre de la logistique se permettent de téléphoner au chauffeur en leur disant de ne pas compter les heures de chargement et déchargement pour pouvoir prendre le bateau le soir (...) Les amplitudes ne sont pas respectées et surtout pas rémunérées, nous avons des collègues comme M. [I] qui ont des amplitudes de 298 heures voir plus par mois avec des temps de service réduits à 202H voir 205 heures puisqu'ils ne peuvent pas compter leurs heures de travail on leur INTERDIT (...)'.

- Une attestation de M. [H] à laquelle est jointe un avis d'arrêt de travail daté du 13 novembre 2014 pour un syndrome anxiodépressif, ce témoin indiquant avoir 'été victime de harcèlement et de menaces au travail car je compte mes heures de travail car la direction veut que l'on charge et que l'on décharge en position coupure sur le chronotachygraphe (...)'.

- Le compte-rendu d'une réunion de comité d'entreprise du 20 novembre 2017 associant M. [D], directeur, M. [F], délégué syndical et M. [U], inspecteur du travail, dans lequel il est indiqué:

'M. [D] a rappelé à l'inspecteur que le calcul des heures est un décompte trimestriel. Il a également rappelé que dans certains cas lors de chargements vers l'Angleterre, il demandait aux conducteurs de ne pas se mettre en travail ni en mise à disposition, car en France à un moment ce temps était toléré comme une interruption de conduite contrairement à la RSE, mais en repos afin d'effectuer un repos de 45 minutes et de pouvoir arriver à l'heure au ferry pour ne pas remettre en cause la qualité de notre service client (...)'.

Ce compte-rendu est signé de M. [D], pour la direction et de M. [F], délégué syndical.

- Un courrier de l'inspectrice du travail adressé à M. [F] en date du 6 mai 2019, rappelant que 'le temps de chargement/déchargement ne saurait constituer une pause au temps de conduite en application des dispositions rappelées ci-dessus. En effet, ce temps doit être intégré dans les temps de service (...)'.

- Une note de l'employeur intitulée 'Procédures des activités professionnelles - version n°2 du 31 janvier 2013" dans laquelle il est indiqué: '(...) Dès votre arrivée sur les lieux de chargement, vous devez impérativement prendre connaissance des règles de sécurité imposées sur le site et vous y conformer.

15 mn après l'heure prévue pour le chargement appelez l'exploitation si celui-ci n'est pas commencé. Contrôlez la marchandise (...) Assistez au chargement et si nécessaire, y participez. Vous êtes tenu de vérifier l'arrimage et le calage, en cas d'impossibilité, plombez la semi-remorque (...) Vérifiez l'état des palettes et notez le nombre de palettes abîmées le cas échéant sur la feuille de route (...) Posez les réserves qui s'imposent (...) Assistez au déchargement et si nécessaire y participez (...). 15 mn après l'heure prévue pour la livraison appelez l'exploitation si le déchargement n'est pas commencé (...)'.

- Un décompte conducteur portant sur la période des trois premiers trimestres de l'année 2018, faisant apparaître au titre des coupures: 230,24 heures au 1er trimestre, 256,22 heures au 2ème trimestre et 226,53 heures au 3ème trimestre, soit des coupures représentant 70% du temps de conduite.

M. [I] observe que les temps de coupure sont réglementairement fixés à 16% du temps de conduite (45 minutes pour 4h30), de telle sorte que les temps de coupure enregistrés sur la période de janvier à septembre 2018 sont totalement disproportionnés aux temps de conduite.

Au titre du temps de mise à disposition, il apparaît un temps de 1h43 sur les trois trimestres.

- Un relevé de temps sur la période 2017-2018 qui fait apparaître un temps de travail excédant certains mois les 200 heures mensuelles contractuellement prévues et payées (Exemples: novembre 2017: 264,25 heures ; décembre 2017: 223,30 heures ;janvier 2018: 240,34 heures ; février 2018: 251,01 heures ; mars 2018: 248,55 heures ; avril 2018: 233,48 heures ; mai 2018: 257,28 heures) ;

- Un relevé d'activité du mois de juin 2018 comprenant les heures de début et de fin pour chaque séquence de travail et/ou repos ;

- Les conditions générales de transport de fret élaborées par la société Britanny Ferries mentionnant les consignes imposées aux chauffeurs avant et pendant l'embarquement et également en ce qui concerne leur obligation de rester à disposition du transporteur maritime pendant le transport et jusqu'au déchargement sur le terre-plein au port de destination.

- Un courrier de M. [B], expert comptable, valorisant à hauteur de 22.865,73 euros les sommes dues au salarié sur la période mars 2016 à mars 2019 en fonction des heures de travail réellement effectuées ;

- Une représentation graphique de l'activité de l'intéressé du 1er janvier au 30 septembre 2018.

Ces éléments sont suffisamment précis pour permettre à la société Transports [C] [K] de répondre en produisant ses propres éléments afin de justifier les horaires de travail effectivement réalisés par M. [I].

La société [C] [K] fait valoir que le forfait trimestriel de 600 heures lui permet 'd'anticiper les aléas de la route (...)' et qu'elle 'a fait le choix de payer plus d'heures même si les salariés sont payés pour des heures non effectuées'.

Elle ajoute que les décomptes qu'elle produit ne font ressortir aucun dépassement de la durée du travail de M. [I], que ceux produits par ce dernier sont fantaisistes et dénués de valeur probatoire, de même que les témoignages dont il se prévaut.

S'il est constant comme l'observe la société intimée que le temps de chargement/déchargement et les temps de repos ou coupures apparaissent distinctement sur les relevés conducteur versés aux débats, il ne peut être utilement être renvoyé de façon exclusive à la responsabilité du salarié dans le maniement du chronotachygraphe pour expliquer la distorsion manifeste, relevée par M. [I], entre les temps les temps de 'conduite' et de 'travail' d'une part et les temps de 'mise à disposition' d'autre part, ces derniers ne représentant à titre d'exemple que moins de deux heures sur la période de janvier à mars 2018 (1h43 précisément) sur 553,16 heures cumulées en temps de conduite et temps de travail, avec sur cette même période des temps de coupure anormalement élevés, puisque s'élevant à 230,24 heures.

Sur les trois premiers trimestres de l'année 2018, les temps de coupure représentent 65% des temps de conduite, ce qui apparaît parfaitement irréaliste.

Apparaît tout autant irréaliste, le fait que sur la même période, aucun temps de mise à disposition n'étant enregistré aux second et troisième trimestre 2018, ces temps comptabilisés en temps de travail effectif n'auront représenté au total qu'une heure et 43 minutes sur une période de 9 mois.

Des incohérences similaires se retrouvent à l'examen du décompte conducteur des années 2016 et 2017 versés aux débats par l'employeur.

Ainsi, l'on relève:

Période

conduite

travail

mise à disposition

coupures

1er trim. 2016

304h05

75h36

0h46

158h22

2ème trim. 2016

301h46

49h31

0h00

207h11

3ème trim. 2016

286h22

39h04

0h36

159h16

4ème trim. 2016

224h03

37h41

0h06

122h27

1er trim. 2017

388h39

52h44

0h32

235h07

2ème trim. 2017

431h17

51h43

0h24

253h59

3ème trim. 2017

323h34

39h53

0h04

187h58

4ème trim. 2017

356h03

46h05

0h00

208h13

Ces incohérences mettant sérieusement en cause la sincérité des relevés de temps du conducteur sont corroborées par les témoignages susvisés de collègues de travail dont se prévaut M. [I], qui décrivent une pratique mise en oeuvre au sein de l'entreprise consistant à demander aux conducteurs de placer leur chronotachygraphe en position 'Repos' pendant les opérations de chargement et de déchargement.

Les propos tenus par l'employeur au cours d'une réunion du 20 novembre 2017 dont le procès-verbal, peu important qu'il ait prétendument été rédigé par M. [F], délégué syndical, a été signé de M. [D], dirigeant de l'entreprise, sont particulièrement clairs sur une pratique contraire à la sincérité devant présider au maniement du chronotachygraphe, consistant 'dans certains cas lors de chargements vers l'Angleterre' à 'demander aux conducteurs de ne pas se mettre en travail ni en mise à disposition, car en France à un moment ce temps était toléré comme une interruption de conduite contrairement à la RSE, mais en repos afin d'effectuer un repos de 45 minutes et de pouvoir arriver à l'heure au ferry pour ne pas remettre en cause la qualité de notre service client (...)'.

La société intimée produit des attestations de salariés (M. [R], M. [A] et M. [N]) qui attestent 'n'avoir jamais subi de pressions ou de harcèlement (...) pour me mettre en repos lors de mes chargements' (M. [R]), n'avoir 'jamais reçu de menace de me mettre en repos systématiquement de la part de la direction dans certains cas avant de prendre le Ferry (...)' (M. [A]) ou encore que '(...) de mon propre chef il m'arrive d'effectuer une coupure de 45mn lors des chargements afin de pouvoir embarquer à l'heure (...)', qui au-delà d'une unanimité sur l'absence de pressions subies, ne font que confirmer l'existence d'une pratique contraire à l'exigence de sincérité dans le maniement du chronotachygraphe, pratique dont l'initiative revient à l'employeur ainsi que cela résulte de ses déclarations du 20 novembre 2017, consistant à ce que la mesure de décompte du temps de travail soit suspendue pendant des périodes de travail effectif, dans le but avoué 'd'arriver à l'heure au ferry' mais au mépris des règles régissant la durée maximale du travail dans les transports routiers et celles relatives aux amplitudes journalières et hebdomadaires de travail.

Ainsi, si les parties au contrat de travail ont pu librement convenir d'une rémunération forfaitaire incluant la rémunération de toutes les heures travaillées, y compris les heures supplémentaires quantifiées à 34,33 heures mensuelles pour celles majorées au taux de 25 % (qualifiées d'heures 'normales 125%') et à 14 heures pour celles majorées au taux de 50 %, une telle clause n'est opposable au salarié que sous réserve du respect par l'employeur de la réglementation relative à la durée du travail et au paiement de l'intégralité des heures de travail effectuées.

Un tel forfait de salaire ne doit donc pas être défavorable au salarié.

Or, il est établi que par l'effet d'une pratique mise en oeuvre à l'initiative de l'employeur, dont la finalité était une optimisation du temps de travail dans le but de 'ne pas remettre en cause la qualité du service client', le défaut d'enregistrement d'une partie importante de temps assimilables à du temps de travail effectif ne permet pas de considérer les décomptes conducteur comme présentant une fiabilité suffisante, l'employeur étant dès lors défaillant dans l'administration de la preuve du temps effectif de travail de M. [I].

A cet égard, les consignes figurant dans la note susvisée intitulée 'Procédures des activités professionnelles' permettent de considérer que les temps de chargement et déchargement, tels qu'ils étaient organisés par l'employeur (contrôle de la marchandise, assistance et participation si nécessaire au chargement, obligation de vérifier l'arrimage et le calage, en cas d'impossibilité, obligation de plomber la semi-remorque, vérification de l'état des palettes, relevé des palettes abîmées le cas échéant sur la feuille de route, relevé des réserves...), étaient des temps durant lesquels le salarié se tenait à la disposition de l'employeur et se conformait à ses directives sans pouvoir vaquer librement à ses occupations personnelles.

De même, les consignes figurant aux conditions générales de transport de fret de la société Britanny Ferries, démontrent une obligation pour le chauffeur de rester à proximité immédiate du camion durant la mise à bord mais également en cas d'inspection au port de chargement et au port de déchargement.

Au regard de ces différents éléments, M. [I] dont les décomptes établissent qu'à la différence de relevés conducteurs manifestement erronés, il a effectué des heures de travail excédant régulièrement le forfait de 200 heures mensuelles payées, est fondé à solliciter le paiement d'un rappel de salaire sur la période non prescrite allant de mars 2016 à mars 2019.

Toutefois, il importe d'observer que le calcul du rappel de salaire demandé par M. [I] a été déterminé avec l'aide d'un expert-comptable qui indique avoir procédé par extrapolation entre l'écart moyen mensuel trouvé sur la période de 12 octobre 2017 au 22 juin 2018 et les mois pour lesquels aucun décompte d'heures n'avait été communiqué au dit expert comptable.

Outre que cette méthode de calcul est critiquable en ce qu'elle ne reflète pas la réalité des heures de travail non payées au salarié, il doit être pris en compte le fait qu'il ne peut être utilement soutenu que durant les traversées trans-manche, l'intéressé ait été en permanence à la disposition de l'employeur sans pouvoir vaquer à des occupations personnelles, alors qu'en dehors des périodes de contrôles susvisées et des opérations d'embarquement et de débarquement, le chauffeur est en repos durant la traversée.

Dans ces conditions et sans qu'il soit justifié de recourir à une mesure d'expertise, la cour a la conviction que M. [I] a effectué des heures supplémentaires non rémunérées dans la proportion de 723,70 heures supplémentaires au taux majoré de 50% représentant un rappel de salaire de 11.833,05 euros brut, auquel s'ajoutent les congés payés afférents, soit la somme de 1.183,30 euros brut, sommes que la société [C] [K] sera condamnée à payer à M. [I] par voie d'infirmation du jugement entrepris.

2- Sur la demande au titre d'un travail dissimulé:

En vertu des dispositions de l'article L 8221-5 du Code du travail, le fait se soustraire intentionnellement à l'accomplissement de la déclaration préalable à l'embauche ou de mentionner sur le bulletin de paie un nombre d'heures de travail inférieur à celui réellement accompli, est réputé travail dissimulé.

En application de l'article L 8223-1 du même code, en cas de rupture de la relation de travail, le salarié auquel un employeur a eu recours en commettant les faits visés à l'article L 8221-5, a droit à une indemnité forfaitaire égale à six mois de salaire.

En l'espèce, M. [I] fonde l'affirmation d'une intention de l'employeur de dissimuler une partie du temps de travail sur le fait que '(...) les attestations - font - état des pressions et brimades de l'employeur pour dissimuler ces heures et les propos explicites échangés lors des réunions du comité d'entreprise (...)'.

Or, les témoins qui attestent en faveur de l'employeur, s'ils ne remettent pas en cause l'existence d'une pratique consistant à mettre le sélecteur du chronotachygraphe en position de 'repos' pendant des temps de chargement et de déchargement, affirment avoir ainsi agi librement et sans contrainte, tandis que la société [C] [K] a pu considérer, certes à tort mais sans que soit pour autant démontrée une intention de frauder les droits du salarié, que le paiement mensuel d'un forfait de salaire correspondant à 200 heures de travail, soit 600 heures par trimestre, couvrirait l'intégralité des heures supplémentaires évaluées contractuellement à hauteur de 34,33 heures majorées à 25% et 14 heures majorées au taux de 50%.

Dans ces conditions, M. [I] est mal fondé en sa prétention et le jugement entrepris sera confirmé en ce qu'il l'a débouté de sa demande en paiement d'une indemnité pour travail dissimulé.

Dès lors que M. [I] échoue en sa prétention, la fin de non-recevoir soulevée par l'employeur relative aux intérêts légaux attachés à la dite prétention devient sans objet.

3- Sur la demande de dommages-intérêts pour exécution fautive du contrat de travail:

Il résulte des articles 151 du Traité sur le fonctionnement de I'Union européenne se référant à la Charte sociale européenne et à la Charte communautaire des droits sociaux fondamentaux des travailleurs, L. 3121-45 du code du travail, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2008-789 du 20 août 2008, interprété à la lumière de I'article 17 paragraphes 1 et 4 de la Directive 1993-104 CE du Conseil du 23 novembre 1993, des articles 17 paragraphe l, et 19 de la Directive 2003-88 CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003 et de l'article 31 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne que le droit à la santé et au repos est au nombre des exigences constitutionnelles et que les Etats membres ne peuvent déroger aux dispositions relatives à la durée du temps de travail que dans le respect des principes généraux de la protection de la sécurité et de la santé du travailleur.

Aux termes de l'article R3312-2 du code des transports, l'amplitude de la journée de travail est l'intervalle existant entre deux repos quotidiens successifs ou entre un repos hebdomadaire et le repos quotidien immédiatement précédent ou suivant.

Il résulte par ailleurs des dispositions de l'article 8 du règlement 561/2006 relatif à l'harmonisation de certaines dispositions de la législation sociale dans le domaine des transports par route, que l'amplitude de la journée de travail ne peut dépasser 13 heures plus de trois fois par semaine, de telle sorte qu'elle peut au maximum atteindre 15 heures (24 h - 9 h de repos minimal).

En l'espèce, les relevés de la carte conducteur de M. [I] font apparaître des amplitudes excédant très régulièrement 15 heures (exemples: 16h35 le 4 janvier 2018 ; 22h43 le 23 janvier 2018 ; 20h53 le 11 avril 2018 ou encore 22h58 le 12 juillet 2018).

L'employeur expose que le logiciel dénommé 'Tachogest' qui équipe ses véhicules n'est pas à même de calculer de manière fiable l'amplitude de la journée de travail des conducteurs au motif 'qu'aucun logiciel de lecture de cartes ne sait calculer les amplitudes compte-tenu des coupures maritimes avec couchette'.

Elle produit des relevés intitulés 'Chronologie du conducteur' émanant d'un autre logiciel dénommé 'Vehco' pour soutenir qu'elle a toujours respecté les règles de décompte de l'amplitude et des temps de repos.

Ainsi que le relève M. [I], il est surprenant de constater que le relevé de décompte conducteur portant sur la période du 1er janvier 2016 au 30 septembre 2018 (pièce employeur n°32) que produit la société [C] [K], ne fait pas apparaître la colonne 'Amplitude' qui apparaît quant à elle sur le relevé produit par le salarié pour les trois premiers trimestres de l'année 2018, ce qui interroge une nouvelle fois sur la fiabilité des relevés chronotachygraphes sur lesquels se fonde l'employeur pour soutenir que le salarié n'aurait pas effectué d'heures supplémentaires.

La société intimée ajoute que 'grâce à la mise à jour du logiciel Vehco -elle - peut produire des chronologies rectifiées des journées de travail de M. [I] (...)'.

Pour autant, elle indiquait dans une note diffusée le 29 novembre 2018 'à tous les conducteurs routiers qui se rendent en Grande Bretagne par ferry' que '(...) à ce jour, les logiciels dont nous disposons (Tachogest et Vehco) ne prennent pas en considération cette particularité -traversée maritime à bord d'un ferry - et font apparaître des calculs d'amplitude complètement erronés (...)', ce qui interroge sur la fiabilité alléguée en cause d'appel du décompte 'Vehco' opposé par l'employeur en réplique à la demande du salarié, alors de surcroît que les relevés 'Tachogest' produits par la société [C] [K] ne contiennent aucune rubrique 'amplitude'.

Au-delà de l'affirmation d'un défaut de fiabilité du logiciel 'Tachogest' qui serait donc, selon la thèse soutenue par l'employeur, à même de décompter exactement le temps de travail mais pas l'amplitude journalière de travail, il apparaît que s'il a été fait état en réunions de comité d'entreprise, notamment le 25 juin 2018, de ce que 'les amplitudes données par Elocom ou par Tachogest ne sont pas correctes en raison des coupures maritimes qui ne sont pas prises en compte et par de ce fait le repos journalier n'apparaît pas', la société intimée n'explicite pas la suppression de la mention des amplitudes de travail sur les relevés qu'elle produit, à la différence de ceux versés aux débats par le salarié et qui lui ont été remis, pas plus qu'elle n'explique la co-existence de différents dispositifs électroniques de décompte du temps et de l'amplitude de travail, étant ici rappelé qu'il s'évince des dispositions de l'article D3312-60 du code des transports que le véhicule est équipé d'un unique appareil de contrôle de type tachygraphe numérique, tel que défini par l'article 2, paragraphe h) du règlement (UE) no 165/2014, qui enregistre l'ensemble des données électroniques enregistrées dans la mémoire de la carte personnelle de conducteur et des données le concernant qui sont enregistrées dans celle de l'unité véhicule de l'appareil téléchargées sur un support de sauvegarde conformément aux dispositions de ce règlement.

Aucun élément objectif ne permet de considérer que les temps de repos enregistrés sur les relevés 'Tachogest' versés aux débats, n'aient pas pris en compte les coupures maritimes.

En conséquence et dès lors que les règles relatives à l'amplitude journalière maximale de travail telles qu'elles résultent des dispositions de l'article 8 du règlement CE n°561/2006 du 15 mars 2006 n'ont pas été respectées, ce dont il est résulté un préjudice pour M. [I], il convient, par voie d'infirmation du jugement entrepris de ce chef, de condamner la société [C] [K] à payer à M. [I] la somme de 5.000 euros à titre de dommages-intérêts.

4- Sur la demande de requalification de la prise d'acte:

Aux termes de l'article L 1222-1 du Code du travail, le contrat de travail est exécuté de bonne foi.

Le salarié confronté au non respect par l'employeur des obligations inhérentes au contrat de travail, a la faculté de prendre acte de la rupture du dit contrat.

Cette prise d'acte de la rupture par le salarié ne constitue ni un licenciement, ni une démission, mais une rupture produisant les effets de l'un ou de l'autre selon que les faits invoqués la justifient ou non.

Si elle est fondée sur des faits avérés constitutifs d'une violation des obligations contractuelles de l'employeur, la rupture est requalifiée en licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Il appartient dans cette hypothèse au salarié de rapporter la preuve de ce que les manquements reprochés sont d'une gravité suffisante pour justifier l'impossibilité de poursuivre la relation de travail.

L'écrit par lequel le salarié prend acte de la rupture du contrat de travail en raison de faits qu'il reproche à l'employeur ne fixe pas les limites du litige.

Il appartient donc au Conseil de prud'hommes d'examiner l'ensemble des griefs invoqués par le salarié à l'encontre de l'employeur, quelle que soit leur ancienneté, même s'ils n'ont pas été mentionnés dans la lettre de prise d'acte.

Par ailleurs, en vertu des dispositions de l'article L 4121-1 du code du travail, l'employeur est tenu d'une obligation légale de sécurité en matière de protection de la santé et de la sécurité des travailleurs.

Il lui appartient d'assurer l'effectivité de cette obligation en assurant la prévention des risques professionnels.

Il incombe à l'employeur de démontrer qu'il a effectivement pris les mesures nécessaires pour protéger la santé et assurer la sécurité du salarié.

En l'espèce, M. [I] a pris acte de la rupture du contrat de travail par lettre recommandée avec demande d'avis de réception en date du 1er juin 2019, visant:

- le non paiement des heures supplémentaires

- une 'forte pression de votre part pour la dissimulation d'heures de travail'

- des amplitudes non respectées

- 'Sécurité, quand on me reproche de conduire une semi-remorque en France et à l'étranger, après vous avoir déclaré un accident de travail'.

Il est établi que sur la période non prescrite allant de mars 2016 à mars 2019, M. [I] a effectué plus de 700 heures supplémentaires représentant près de 12.000 euros brut qui ne lui ont pas été rémunérées et que durant la même période, les amplitudes de travail journalières n'ont pas été respectées à différentes reprises.

Sans qu'il soit justifié d'examiner les autres griefs, ces manquements sont suffisamment graves pour justifier la requalification de la prise d'acte en rupture aux torts de l'employeur produisant les effets d'un licenciement nul, dès lors que M. [I] qui avait été victime d'un accident du travail le 26 septembre 2018 et placé en arrêt de travail le 27 septembre 2018, se trouvait toujours en arrêt de travail lorsqu'il a pris acte de la rupture le 1er juin 2019.

En application des dispositions combinées des articles L1234-9 et R1234-2 du code du travail, dès lors que M. [I], embauché le 5 juin 2012, comptait 6 ans et 11 mois d'ancienneté dans l'entreprise et que le salaire moyen des 3 derniers mois qui doit prendre en compte l'incidence des heures supplémentaires non payées, doit être fixé à la somme de 2.916,55 euros brut, la société [C] [K] sera condamnée à lui payer une indemnité de licenciement d'un montant de 5.043,19 euros.

Par application combinée des dispositions des articles L1234-1 et L1234-5 du code du travail, il est justifié de condamner la société [C] [K] à payer à M. [I] une indemnité compensatrice de préavis équivalente à deux mois de salaire brut, soit la somme de 5.833,10 euros brut outre 583,31 euros brut au titre des congés payés afférents.

Par application des dispositions de l'article L1235-3-1 du code du travail, compte-tenu des circonstances de la rupture, de l'ancienneté de M. [I] (6 ans et 11 mois), du salaire de référence (2.916,55 euros brut) et de l'existence justifiée d'une situation de chômage entrecoupée d'une unique période d'emploi entre le 7 janvier 2020 et le 23 mars 2020, il est justifié de condamner la société [C] [K] à lui payer la somme de 18.000 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement nul.

5- Sur la demande reconventionnelle au titre du préavis:

Dès lors que l'employeur échoue à établir que la prise d'acte de la rupture doive être requalifiée en démission, la demande en paiement d'une indemnité compensatrice de préavis d'un montant de 597,20 euros, sur laquelle le conseil de prud'hommes a omis de statuer, doit être rejetée.

6- Sur les dépens et frais irrépétibles:

La société [C] [K], partie perdante, sera condamnée aux dépens de première instance et d'appel, conformément aux dispositions de l'article 696 du code de procédure civile.

Elle sera dès lors déboutée de sa demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile.

L'équité commande de la condamner à payer à M. [I] une indemnité d'un montant de 3.000 euros sur ce même fondement juridique.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Infirme le jugement entrepris, excepté en ce qu'il a débouté M. [I] de sa demande d'indemnité pour travail dissimulé ;

Statuant à nouveau des chefs infirmés,

Dit que la prise d'acte de la rupture du contrat de travail en date du 1er juin 2019 doit s'analyser en une rupture du contrat de travail aux torts de l'employeur produisant les effets d'un licenciement nul ;

Condamne la société [C] [K] à payer à M. [I] les sommes suivantes:

- 11.833,05 euros brut à titre de rappel de salaire sur heures supplémentaires de mars 2016 à mars 2019

- 1.183,30 euros brut à titre d'indemnité de congés payés sur rappel de salaire

- 5.000 euros à titre de dommages-intérêts pour exécution fautive du contrat de travail

- 5.043,19 euros à titre d'indemnité de licenciement

- 5.833,10 euros brut à titre d'indemnité compensatrice de préavis

- 583,31 euros brut à titre d'indemnité de congés payés sur préavis

- 18.000 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement nul ;

Rappelle que les intérêts au taux légal sur les condamnations prononcées seront dus à compter de la réception par l'employeur de sa convocation devant le bureau de conciliation et d'orientation du Conseil de prud'hommes pour les sommes à caractère de salaire et à compter du présent arrêt pour le surplus ;

Déboute la société [C] [K] de sa demande reconventionnelle en paiement d'une indemnité de préavis;

Déboute la société [C] [K] de sa demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamne la société [C] [K] à payer à M. [I] la somme de 3.000 euros à titre d'indemnité sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamne la société [C] [K] aux dépens de première instance et d'appel.

La greffière Le président


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Rennes
Formation : 7ème ch prud'homale
Numéro d'arrêt : 21/03496
Date de la décision : 04/07/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 11/07/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-07-04;21.03496 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award