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03/07/2024 | FRANCE | N°20/05210

France | France, Cour d'appel de Rennes, 9ème ch sécurité sociale, 03 juillet 2024, 20/05210


9ème Ch Sécurité Sociale





ARRÊT N°



N° RG 20/05210 - N° Portalis DBVL-V-B7E-RAWK













Société [7]



C/



[W] [R]

CPAM COTES D'ARMOR





















Copie exécutoire délivrée

le :



à :











Copie certifiée conforme délivrée

le:



à:

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS


r>COUR D'APPEL DE RENNES

ARRÊT DU 03 JUILLET 2024





COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :



Président : Madame Cécile MORILLON-DEMAY, Présidente de chambre

Assesseur : Madame Véronique PUJES, Conseillère

Assesseur : Madame Anne-Emmanuelle PRUAL, Conseillère



GREFFIER :



Madame Adeline TIREL lors des d...

9ème Ch Sécurité Sociale

ARRÊT N°

N° RG 20/05210 - N° Portalis DBVL-V-B7E-RAWK

Société [7]

C/

[W] [R]

CPAM COTES D'ARMOR

Copie exécutoire délivrée

le :

à :

Copie certifiée conforme délivrée

le:

à:

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE RENNES

ARRÊT DU 03 JUILLET 2024

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :

Président : Madame Cécile MORILLON-DEMAY, Présidente de chambre

Assesseur : Madame Véronique PUJES, Conseillère

Assesseur : Madame Anne-Emmanuelle PRUAL, Conseillère

GREFFIER :

Madame Adeline TIREL lors des débats et Monsieur Philippe LE BOUDEC lors du prononcé

DÉBATS :

A l'audience publique du 15 Mai 2024

ARRÊT :

Contradictoire, prononcé publiquement le 03 Juillet 2024 par mise à disposition au greffe comme indiqué à l'issue des débats

DÉCISION DÉFÉRÉE A LA COUR:

Date de la décision attaquée : 24 Septembre 2020

Décision attaquée : Jugement

Juridiction : Tribunal Judiciaire de SAINT-BRIEUC - Pôle Social

Références : 18/01154

****

APPELANTE :

La Société [7]

[Adresse 5]

[Localité 3]

représentée par Me Bruno LOUVEL de la SELARL PHENIX, avocat au barreau de RENNES substitué par Me Claire LETERTRE, avocat au barreau de RENNES

INTIMÉES :

Madame [W] [R]

[Adresse 1]

[Localité 4]

représentée par Me David QUINTIN de la SELARL ARMOR AVOCATS, avocat au barreau de SAINT-BRIEUC

LA CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DES COTES D'ARMOR

[Adresse 6]

[Adresse 6]

[Localité 2]

représentée par Madame [B] [Y] en vertu d'un pouvoir spécial

EXPOSÉ DU LITIGE

Le 20 mai 2014, la société [7] (la société) a complété une déclaration d'accident du travail concernant l'une de ses salariées, Mme [W] [V] épouse [R] (Mme [R]), conductrice de ligne, faisant état des circonstances suivantes : 'Elle surveillait sa machine. Engourdissement fourmillement dans le bras gauche et au niveau du visage côté gauche, irruption de plaques rouges au niveau du cou et du visage côté gauche. Début AVC' et indiquant que le fait accidentel était survenu le 19 mai 2014 à 12h30.

Le certificat médical initial établi le 22 mai 2014 par un neurologue vasculaire constate un 'AVC ischémique survenu sur le lieu de travail, responsable de paresthésies persistantes main gauche avec gène pour motricité fine'.

Par decision du 28 juillet 2014, après enquête administrative et avis défavorable du service medical, la caisse primaire d'assurance maladie des Côtes d'Armor (la caisse) a refusé de prendre en charge l'AVC au titre de la legislation sur les risques professionnels.

Mme [R] a sollicité une expertise médicale technique confiée au docteur [T], lequel a conclu à l'absence de relation directe, certaine et exclusive entre la modification des conditions de travail et l'épisode neurologique de Mme [R], permettant de retenir cette prise en charge au titre de l'accident du travail.

Après avoir saisi en vain la commission de recours amiable, Mme [R] a porté le litige le 5 mars 2015 devant le tribunal des affaires de sécurité sociale des Côtes d'Armor, lequel a, par jugement du 17 décembre 2015 :

-dit que l'accident survenu le 19 mai 2014 est un accident du travail et a condamné la caisse à le prendre en charge ;

-condamné la caisse à payer à Mme [R] la somme de 800 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Par arrêt du 6 septembre 2017, la cour d'appel de Rennes a confirmé ce jugement.

Par lettre du 31 août 2017, Mme [R], qui avait été entre-temps licenciée pour inaptitude physique et impossibilité de reclassement par lettre du 30 novembre 2015, a formé une demande en reconnaissance de la faute inexcusable de son employeur auprès de la caisse qui a dressé un procès-verbal de carence le 4 juillet 2018.

Par décision du 20 février 2018, la date de consolidation de Mme [R] a été fixée au 26 novembre 2017, et un taux d'incapacité permanente partielle de 8 %, dont 3 % au titre du coefficient professionnel, lui a été attribué, donnant lieu au versement d'un capital de 3 504,07 euros.

Le 23 août 2018, Mme [R] a saisi le tribunal des affaires de sécurité sociale de Saint-Brieuc aux fins de voir reconnaître la faute inexcusable de l'employeur.

Par jugement du 24 septembre 2020, le pôle social du tribunal judiciaire de Saint-Brieuc, devenu compétent, a :

- dit que la société a commis une faute inexcusable dans la réalisation de l'accident du travail du 19 mai 2014 dont Mme [R] a été victime ;

- fixé au maximum prévu par la loi la majoration de la rente (sic) ;

- condamné la caisse à verser à Mme [R] la somme de 1 000 euros à titre provisionnel et à valoir sur l'indemnisation définitive ;

- condamné la société à rembourser à la caisse cette provision et l'intégralité des conséquences financières imputables à la reconnaissance de la faute inexcusable ;

- dit que ces sommes seront productives d'intérêts au taux légal à compter de la date de réception de la première demande de remboursement et jusqu'à paiement effectif ;

Avant dire droit sur l'indemnisation du préjudice personnel,

- ordonné une expertise et commis pour y procéder le docteur [C], ayant pour mission celle figurant au dispositif du jugement ;

- condamné la société à verser à Mme [R] avec exécution provisoire une somme de 1 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

- rappelé que les frais résultant de cette expertise seront avancés par la caisse ;

- réservé les dépens.

Par déclaration adressée le 27 octobre 2020 par communication électronique, la société a interjeté appel de ce jugement qui lui avait été notifié le 5 octobre 2020.

Par arrêt du 7 juillet 2022, la cour d'appel de Rennes a confirmé le jugement du conseil de prud'hommes de Saint-Brieuc du 3 mai 2018 constatant que l'inaptitude avait pour origine un accident du travail et lui allouant un certain nombre de sommes à ce titre.

Par ses écritures n°4 parvenues au greffe le 4 avril 2023 auxquelles s'est référé et qu'a développées son conseil à l'audience, la société demande à la cour :

- d'infirmer le jugement en ses dispositions frappées d'appel ;

- de débouter Mme [R] de sa demande de reconnaissance de faute inexcusable et de l'ensemble de ses prétentions ;

Subsidiairement,

- de déclarer irrecevable et à défaut infondée l'action récursoire de la caisse et en conséquence la débouter de toutes ses prétentions ;

- à défaut, de débouter la caisse de ses demandes relatives aux dépenses afférentes à l'accident du travail et la majoration de rente, et ordonner leur exclusion de son compte ;

Reconventionnellement,

- de condamner Mme [R] à lui payer la somme de 2 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

- de condamner Mme [R] aux entiers dépens.

Par ses écritures n°2 parvenues au greffe le 11 mai 2023 auxquelles s'est référé et qu'a développées son conseil à l'audience, Mme [R] demande à la cour :

- de confirmer le jugement entrepris ;

En tant que de besoin,

- de dire et juger que la société a commis une faute inexcusable à l'origine de l'accident du travail du 19 mai 2014 ;

- de dire que la rente accident du travail qui lui a été allouée sera fixée à son maximum ;

- d'ordonner avant dire droit sur la liquidation des préjudices personnels une expertise médicale confiée à tel expert qu'il plaira au tribunal avec pour mission celle figurant à son dispositif ;

- de confirmer l'indemnité provisionnelle de 1 000 euros allouée à valoir sur l'indemnisation de ses préjudices personnels ainsi que l'indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile allouée en cause de 1ère instance ;

- en tant que de besoin, de condamner la caisse à faire l'avance des sommes qui lui ont été allouées sans préjudice de son recours à l'encontre de la société ;

Y additant,

- de renvoyer la liquidation de ses préjudices personnels devant le pôle social du tribunal judiciaire de Saint-Brieuc après dépôt du rapport d'expertise ;

- de condamner la société à lui payer une indemnité de 3 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel ;

- de condamner les parties succombantes aux entiers dépens ;

- de débouter la société de toutes ses demandes, fins et conclusions plus amples ou contraires.

Par ses écritures parvenues au greffe le 28 avril 2022 auxquelles s'est référée et qu'a développées sa représentante à l'audience, la caisse demande à la cour de :

- lui décerner acte de ce qu'elle s'en rapporte à justice sur la reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur ;

- condamner la société à lui rembourser les sommes dues au titre de la reconnaissance de la faute inexcusable dont elle devra faire l'avance des frais ;

- dire que ces sommes seront augmentées des intérêts au taux légal à compter de la date de réception par l'employeur de la première demande de remboursement et ce, jusqu'à paiement effectif.

Pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, la cour, conformément à l'article 455 du code de procédure civile, renvoie aux conclusions susvisées.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur la faute inexcusable

Selon l'article L. 230- 2 du code du travail (aujourd'hui articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail), l'employeur est tenu de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs en veillant à éviter les risques, à évaluer les risques qui ne peuvent pas être évités et à adapter le travail de l'homme, en particulier en ce qui concerne la conception des postes de travail ainsi que le choix des équipements de travail et des méthodes de travail et de production.

Le manquement à l'obligation légale de sécurité et de protection de la santé à laquelle l'employeur est tenu envers le travailleur a le caractère d'une faute inexcusable lorsque l'employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était soumis le travailleur et qu'il n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver. (2e Civ., 8 octobre 2020, pourvoi n°18-25.021 ; Soc., 2 mars 2022, pourvoi n° 20-16.683).

Il est indifférent que la faute inexcusable commise par l'employeur ait été la cause déterminante de l'accident survenu au salarié. Il suffit qu'elle en soit une cause nécessaire, même non exclusive ou indirecte, pour que sa responsabilité soit engagée.

Il résulte des dispositions de l'article L. 452-1 du code de la sécurité sociale que la demande en reconnaissance de la faute inexcusable est formée par la victime d'un accident du travail, d'une maladie professionnelle ou d'une rechute, ou par ses ayants droit, à l'encontre de l'employeur.

Dans ce cadre, ce dernier peut soutenir, en défense à cette action, que l'accident, la maladie ou la rechute n'a pas d'origine professionnelle (2e Civ., 9 juillet 2020, pourvoi n° 18-26.782)

La décision de refus régulièrement notifiée à la société a revêtu, dès cette notification, un caractère définitif à son égard dans les rapports caisse/employeur (2e Civ., 4 avril 2019, pourvoi n° 18-14.182).

Il s'ensuit que l'employeur est recevable à contester le caractère professionnel de l'accident dans les rapports salariée/employeur à l'occasion de la présente action en vue de la reconnaissance de sa faute inexcusable.

La société, en l'espèce, conteste l'existence d'un lien de causalité entre le travail de Mme [R] et l'AVC dont celle-ci a été victime ; ce faisant, elle remet en cause le caractère professionnel de l'accident.

' Sur le caractère professionnel de l'accident

L'action en reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur ne peut être engagée que pour autant que l'accident survenu à la victime revêt le caractère d'un accident du travail.

Il résulte de l'article L.411-1 du code de la sécurité sociale que : 'Est considéré comme accident du travail, quelle qu'en soit la cause, l'accident survenu par le fait ou à l'occasion du travail à toute personne salariée ou travaillant, à quelque titre ou en quelque lieu que ce soit, pour un ou plusieurs employeurs ou chefs d'entreprise'.

Constitue un accident du travail un événement ou une série d'événements survenus à des dates certaines par le fait ou à l'occasion du travail, dont il est résulté une lésion corporelle, quelle que soit la date d'apparition de celle ci. (Soc., 2 avril 2003, n° 00-21.768 ; 2e Civ 9 juillet 2020, n° 19-13.852)

Il appartient à la victime de rapporter la preuve de la survenance d'une lésion conséquence d'un événement survenu au temps et au lieu du travail. S'agissant de la preuve d'un fait juridique, cette preuve est libre et peut donc être rapportée par tous moyens, notamment par des présomptions graves, précises et concordantes (Soc. 8 octobre 1998 pourvoi n° 97-10.914).

Sur ce :

Il est constant que l'AVC dont Mme [R] a été victime le 19 mai 2014 est survenu aux temps et lieu du travail, de sorte que la présomption d'imputabilité au travail s'applique.

Il appartient par conséquent à la société de rapporter la preuve d'une cause totalement étrangère au travail.

L'expertise médicale réalisée par le docteur [T] le 5 novembre 2014 concluant à l'absence de 'relation directe, certaine et exclusive entre la modification des conditions de travail et l'épisode neurologique de Mme [R]' ne caractérise nullement l'existence d'une cause totalement étrangère au travail ; l'absence de relation exclusive avec le travail ne permet pas en effet d'écarter tout lien avec les conditions de travail, d'autant que le docteur [T] mentionne comme seul facteur de risque extra-professionnel la prise d'une contraception orale et rappelle l'absence de tabagisme, d'antécédents familiaux notamment cardiovasculaires ; le fait que la cause de cet AVC reste au final inconnue ne permet pas d'établir la cause totalement étrangère.

Il s'ensuit que dans les rapports entre Mme [R] et la société, le caractère professionnel de l'accident est établi.

' Sur la faute inexcusable présumée

Il ressort des dispositions combinées des articles L. 4154-2 et L. 4154-3 du code du travail que l'existence de la faute inexcusable de l'employeur est présumée établie pour les salariés titulaires d'un contrat de travail à durée déterminée, victimes d'un accident du travail alors qu'affectés à des postes de travail présentant des risques particuliers pour leur sécurité, ils n'ont pas bénéficié d'une formation renforcée à la sécurité ainsi que d'un accueil et d'une information adaptés dans l'entreprise dans laquelle ils sont employés.

En cause d'appel, Mme [R] soutient que la faute inexcusable de son employeur est présumée dès lors qu'avant son embauche en contrat à durée indéterminée le 1er avril 2014, elle travaillait pour le compte de la société sous contrat à durée déterminée depuis le 1er mars 2013 et qu'elle n'a pas durant ce temps-là bénéficié d'une formation, renforcée ou pas, à la sécurité, alors même qu'elle travaillait de nuit et qu'il est acquis que ce type de travail génère un risque biologique et psychique.

Si Mme [R] a travaillé pour la société sous contrat à durée déterminée à compter du 1er mars 2013, il demeure qu'à la date de l'accident elle travaillait sous contrat à durée indéterminée depuis le 1er avril 2014, de sorte qu'elle ne peut utilement invoquer les dispositions des articles L. 4154-2 et L. 4154-3 du code du travail.

La présomption de faute inexcusable instituée par ces textes ne peut donc être retenue.

' Sur la faute inexcusable prouvée

Au soutien de sa demande, Mme [R] fait valoir qu'elle occupait un poste présentant des risques particuliers pour sa santé ou sa sécurité au regard de la station debout prolongée, la manipulation d'engin, des cadences exigées, le tout dans un contexte de travail de nuit pour lequel elle n'avait passé aucune visite médicale d'aptitude et dont les dangers étaient ou auraient dû être connus de l'employeur.

Sur ce :

Le contrat de travail de Mme [R], conclu le 31 mars 2014, prévoyait qu'elle travaillerait à raison de 35 heures par semaine en équipe de 3x7 heures.

L'enquête administrative effectuée par la caisse à la suite de l'accident laisse apparaître qu'avant son embauche en contrat à durée indéterminée, la salariée travaillait pour l'entreprise en horaires de nuit depuis octobre 2013 ; qu'à compter de son embauche en contrat à durée indéterminée, son planning comprenait un travail de nuit et de jour en alternance ; que cependant, à la date de son accident, elle travaillait depuis son embauche de 21h50 à 5h05, du lundi au samedi matin, en raison de l'absence de son collègue partageant avec elle le travail de nuit.

La littérature médicale versée aux débats par Mme [R] (ses pièces n°27) fait bien ressortir les effets des horaires atypiques sur la santé, et notamment sur les risques d'AVC qu'ils engendrent.

C'est la raison pour laquelle, notamment, tout travailleur de nuit bénéficie avant son affectation sur un poste de ce type et à intervalles réguliers ne pouvant excéder six mois par la suite, d'une surveillance médicale particulière comme indiqué à l'article L. 3122-42 du code du travail dans sa rédaction applicable au litige.

Si, en l'espèce, la société conteste la qualité de travailleur de nuit appliquée par les premiers juges à Mme [R], il demeure que, de fait, la salariée accomplissait depuis son embauche le 1er avril 2014, au moins deux fois par semaine, au moins trois heures de son temps de travail quotidien au cours de la période s'étendant de 21 heures à 6 heures, sans que l'employeur ne se soit assuré de son aptitude physique à de tels horaires atypiques et soutenus.

L'employeur ne peut se retrancher derrière la visite réalisée à l'embauche en contrat à durée déterminée le 26 mars 2013 l'ayant déclarée apte au poste de conductrice de ligne dès lors qu'il n'était aucunement fait mention d'un poste de nuit dans son contrat de travail et que le médecin du travail n'a donc pas émis d'avis sur ce point à l'issue de la visite.

Sachant de plus que la salariée avait travaillé la nuit au cours des cinq mois précédant son embauche le 1er avril 2014 et qu'elle devait ensuite enchaîner sur des horaires décalés comprenant un mois de nuit (en réalité un mois et demi à la date de l'accident du fait de l'absence de son collègue), une semaine de jour puis une semaine mixte, la société se devait de prendre les mesures qui s'imposaient pour prévenir les risques engendrés par ces rythmes de travail et dont elle ne pouvait pas ignorer l'existence au regard de son activité, de la nécessité de maintenir les lignes de production et de l'organisation du travail par équipe qui en découle.

En affectant la salariée à ce type de poste et dans les conditions précédemment décrites, sans un minimum de précautions en vue de s'assurer de l'aptitude physique de l'intéressée lors de son embauche et la préserver ainsi des risques encourus dont elle avait ou aurait dû avoir conscience, la société a commis une faute inexcusable.

Le jugement entrepris sera par conséquent confirmé.

Sur les conséquences de la faute inexcusable

Les premiers juges ont ordonné la majoration de la rente (sic) versée à Mme [R] ; il s'agit en réalité d'un capital au regard du taux d'incapacité de 8% retenu à la date de consolidation ; le jugement sera donc rectifié sur ce point.

Le jugement sera par ailleurs confirmé en ce qu'il a ordonné aux frais avancés par la caisse une expertise médicale pour évaluer le préjudice de l'intéressée ainsi que le versement d'une provision que les éléments de la cause permettent, par voie de confirmation, de fixer à 1 000 euros.

Y ajoutant et comme demandé par Mme [R], il y a lieu de dire que l'avance de l'ensemble des sommes qui lui sont allouées en sera faite par la caisse.

Le jugement entrepris sera pour le surplus confirmé, les parties étant renvoyées devant les premiers juges pour la liquidation du préjudice de Mme [R].

Sur l'action récursoire de la caisse

La société reproche aux premiers juges d'avoir fait droit à l'action récursoire de la caisse alors que, dans leurs rapports, le refus de l'organisme de prendre en charge l'accident au titre de la législation professionnelle a acquis un caractère définitif.

La caisse maintient que son refus de prise en charge, même définitif, ne la prive pas de son action récursoire.

Sur ce :

Il résulte du dernier alinéa de l'article L. 452-3 du code de la sécurité sociale que la réparation des préjudices allouée à la victime d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle dus à la faute inexcusable de l'employeur, indépendamment de la majoration de rente, est versée directement au bénéficiaire par la caisse qui en récupère le montant auprès de l'employeur.

Le bénéfice de ce versement direct s'applique également aux indemnités réparant les préjudices non couverts par le livre IV du code de la sécurité sociale (2e Civ., 10 mars 2016, pourvoi n° 15-10.824).

Ayant pour objet exclusif la prise en charge ou le refus de prise en charge au titre de la législation professionnelle, de l'accident, de la maladie ou de la rechute, la décision prise par la caisse dans les conditions prévues par l'article R. 441-14 du code de la sécurité sociale, dans sa rédaction issue du décret n°2009-938 du 29 juillet 2009, est sans incidence sur l'action en reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur.

Ainsi, en l'espèce, s'il n'est pas contesté par la caisse que la décision de refus de prise en charge régulièrement notifiée à la société a revêtu, dès cette notification, un caractère définitif à son égard dans les rapports caisse/employeur, celle-ci est néanmoins fondée à faire valoir son action récursoire à l'encontre de la société en ce qui concerne la majoration de rente (ou de capital) et les indemnités allouées en réparation de la faute inexcusable de l'employeur. (2e Civ., 28 novembre 2019, pourvoi n°18-24.161)

Les premiers juges seront dès lors approuvés en ce qu'ils ont fait droit à l'action récursoire de la caisse et dit que les sommes seront productives d'intérêts au taux légal à compter de la réception de la première demande de remboursement.

Sur les frais irrépétibles et les dépens

Il n'apparaît pas équitable de laisser à la charge de Mme [R] ses frais irrépétibles.

La société sera en conséquence condamnée à lui verser à ce titre la somme de 2 000 euros.

Les dépens de la présente procédure seront laissés à la charge de la société qui succombe à l'instance.

PAR CES MOTIFS :

La COUR, statuant publiquement par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe,

Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions sauf en ce qu'il a ordonné la majoration au maximum de la rente ;

Statuant à nouveau sur ce chef,

Ordonne la majoration au maximum du capital versé à Mme [R] ;

Y ajoutant,

Condamne la caisse primaire d'assurance maladie des Côtes d'Armor à faire l'avance à Mme [R] de l'ensemble des sommes allouées à celle-ci ;

Condamne la société [7] à verser à Mme [R] une indemnité de 2 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamne la société [7] aux dépens d'appel ;

Renvoie les parties devant le Pôle social du tribunal judiciaire de Saint-Brieuc pour qu'il soit statué sur les points non jugés.

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Rennes
Formation : 9ème ch sécurité sociale
Numéro d'arrêt : 20/05210
Date de la décision : 03/07/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 09/07/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-07-03;20.05210 ?
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