7ème Ch Prud'homale
ARRÊT N°297/2024
N° RG 21/03602 - N° Portalis DBVL-V-B7F-RXMS
Mme [C] [Y]
C/
Association UNEDIC DÉLÉGATION AGS CGEA DE [Localité 8]
S.E.L.A.R.L. DAVID - [F] ET ASSOCIES
Copie exécutoire délivrée
le : 27/06/2024
à : Me BLUTEAU
Me COLLEU
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE RENNES
ARRÊT DU 27 JUIN 2024
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :
Président : Monsieur Hervé BALLEREAU, Président de chambre,
Assesseur : Madame Isabelle CHARPENTIER, Conseillère,
Assesseur : Monsieur Bruno GUINET, Conseiller,
GREFFIER :
Madame Françoise DELAUNAY, lors des débats et lors du prononcé
DÉBATS :
A l'audience publique du 16 Avril 2024 devant Monsieur Hervé BALLEREAU, magistrat rapporteur, tenant seul l'audience, sans opposition des représentants des parties et qui a rendu compte au délibéré collégial
En présence de Madame [J] [I], médiateur judiciaire,
ARRÊT :
Contradictoire, prononcé publiquement le 27 Juin 2024 par mise à disposition au greffe comme indiqué à l'issue des débats
****
APPELANTE :
Madame [C] [Y]
née le 31 Octobre 1984 à [Localité 7]
[Adresse 2]
[Localité 5]
Représentée par Me Karima BLUTEAU, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de RENNES substituée par Me Poirier, avocat au barreau de RENNES
(bénéficie d'une aide juridictionnelle Totale numéro 2021/009909 du 03/09/2021 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de RENNES)
INTIMÉES :
Association UNEDIC DÉLÉGATION AGS CGEA DE [Localité 8] UNEDIC Délégation AGS CGEA de [Localité 8], Association déclarée, représentée par sa Directrice, Madame [K] [H]
[Adresse 3]
[Localité 8]
Représentée par Me Marie-Noëlle COLLEU, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de RENNES
S.E.L.A.R.L. DAVID - [F] ET ASSOCIES prise en la personne de Maître [E] [F], ès qualités de Liquidateur judiciaire à la liquidation judiciaire de la société SARL R'BOYS RAMI société au capital social de 1 300,00 €, immatriculée au RCS sous le n° 790 407 381, ayant son siège social sis [Adresse 1],
[Adresse 6]
[Localité 8]
Représentée par Me Jean-Marie BERTHELOT, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de RENNES
***
EXPOSÉ DU LITIGE
Le 2 septembre 2017, Mme [C] [Y] était embauchée en qualité de coiffeuse selon un contrat à durée déterminée par la SARL R'boys Rami qui exploitait un salon de coiffure à [Localité 8]. Un avenant au contrat était conclu pour la période du 28 octobre au 30 novembre 2017.
Le 13 novembre 2017, l'employeur adressait à Mme [Y] une promesse d'embauche dans le cadre d'un contrat à durée indéterminée devant prendre effet le 1er décembre 2017.
Le 27 novembre 2017, Mme [Y] qui déclarait avoir été victime d'une agression physique près de son lieu de travail par des clients du salon de coiffure se voyait prescrire un arrêt de travail.
L'arrêt de travail était prolongé jusqu'au 30 novembre 2018.
Le 26 juin 2018, Madame [Y] sollicitait de son employeur l'établissement d'une déclaration d'accident du travail pour les événements du 27 novembre 2017.
Le 26 juillet 2018, la CPAM reconnaissait le caractère professionnel de l'accident.
Le 9 janvier 2019, Mme [Y] prenait acte de la rupture de son contrat de travail.
Par jugement en date du 22 juillet 2020, la SARL R'boys Rami était placée en liquidation judiciaire. La SELARL David [F] et associés, prise en la personne de Me [F], était désignée en qualité de liquidateur judiciaire.
Par jugement en date du 12 août 2021, le pôle social du tribunal judiciaire de Rennes déclarait irrecevables les demandes suivantes de Mme [Y] :
- Dire que les faits du 27 novembre 2017 doivent être qualifiés d'accident de travail, de dire que cet accident du travail est dû à la faute inexcusable de son employeur et que les sommes suivantes seront inscrites au passif de la SARL R'Boys Rami :
- 2 000 euros en réparation de ses souffrances physiques,
- 4 000 euros en réparation de ses souffrances morales,
- 7 139,81euros pour la perte de gains professionnels,
- 1 500 euros au titre de l'article 37 de la loi de 1991 sur l'aide juridictionnelle,
- l'exécution provisoire de la décision et la capitalisation des intérêts de retard.
Le pôle social du tribunal judiciaire fondait sa décision sur l'absence de déclaration de créance effectuée par Mme [Y] dans les quatre mois de la publication au BODACC du jugement d'ouverture de la procédure collective.
***
Mme [Y] a saisi le conseil de prud'hommes de Rennes par requête en date du 21 juin 2019 des demandes suivantes:
In limine litis,
- Se déclarer incompétent quant à la qualification de l'accident du travail reconnu par la CPAM et débouter l'employeur de sa demande en ce sens.
- Dire et juger que les pièces adverses 7 et 8 son irrecevables.
Sur le fond,
- Débouter la société R'boys Rami de l'ensemble de ses prétentions, fins et conclusions.
- Dire et juger que la prise d'acte de la rupture du contrat de travail est justifiée et produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse.
- Condamner la société R'boys Rami à verser à Mme [Y] :
- Des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse au vu des barèmes applicables: 856,93 euros
- Indemnité compensatrice de préavis : 1 713,87 euros
- Outre les congés payés afférents : 171,38 euros
- Indemnité légale de licenciement : 428,46 euros
- Des congés payés : 1 654,00 euros
- Des dommages et intérêts pour préjudice moral : 4 500,00 euros
- Dire et juger que l'exécution provisoire de la décision à intervenir est de droit.
- Ordonner la capitalisation des intérêts de retard.
- Fixer la moyenne mensuelle des salaires à 1713,87 euros bruts.
- Condamner la société R'boys Rami à verser à Me Bluteau, au titre de l'article 37 de la loi n° 91-247 de 1991, la somme de : 1 500,00 euros
Me [F] ès-qualités a demandé au conseil de prud'hommes de :
- Se déclarer compétent pour statuer sur la qualification de l'accident survenu.
- Débouter Mme [Y] de toutes ses demandes fins et prétentions contraires à celles 62 de la SARL R'boys Rami.
A titre principal
- Dire que l'accident survenu ne peut être qualifié d'accident du travail,
- Qualifier la rupture contrat de travail de Mme [Y] en une démission.
A titre subsidiaire,
- Dire que les conditions de mise en oeuvre de la prise d'acte aux torts de l'employeur ne sont pas réunies.
- Dire que Mme [Y] se prévaut à tort d'une ancienneté englobant la période pendant laquelle elle a été en arrêt de maladie.
- Constater que Mme [Y] a commis un abus en attendant plus d'un an avant d'engager une action afin d'augmenter artificiellement ses droits.
- Ordonner l'exécution provisoire du jugement à intervenir, en application de l'article 515 du Code de procédure civile.
- Condamner Mme [Y] à payer à la SARL R'boys Rami une indemnité en application de l'article 700 du code de procédure civile dont le recouvrement sera assuré par Me Berthelot conformément à l'article 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.
- Condamner Mme [Y] en tous les dépens sur le fondement de l'article 696 du code de procédure civile, lesquels pourront être recouvrés directement par Me Berthelot, en application de l'article 699 du Code de procédure civile.
L'Unédic AGS CGEA de [Localité 8] a demandé au conseil de prud'hommes de :
- Débouter Mme [Y] de l'ensemble de ses demandes excessives et/ou injustifiées
En tout état de cause,
- Condamner Mme [Y] à verser au CGEA de [Localité 8] une indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile: 1000,00 euros
En toute hypothèse,
- Débouter Mme [Y] de toutes ses demandes qui seraient dirigées à l'encontre de l'AGS.
- Décerner acte à l'AGS de ce qu'elle ne consentira d'avance au représentant des créanciers que dans la mesure où la demande entrera bien dans le cadre des dispositions des articles L 3253-6 et suivants du code du travail.
- Dire et juger que l'indemnité éventuellement allouée au titre de l'article 700 du code de procédure civile n'a pas la nature de créance salariale.
- Dire et juger que l'AGS ne pourra être amenée à faire des avances toutes créances du salarié confondues que dans la limite des plafonds applicables prévus aux articles L3253-17 et suivants du code du travail.
- Dépens comme de droit.
Par jugement en date du 2 juin 2021, le conseil de prud'hommes de Rennes s'est déclaré incompétent quant à la qualification de l'accident du travail reconnu par la CPAM et a :
Dit et jugé que les pièces 7 et 8 de l'employeur sont irrecevables et sans intérêt,
- Dit que la prise d'acte de la rupture du contrat de travail de Mme [Y] produit les effets d'une démission,
- Débouté Mme [Y] de toutes ses demandes fins et prétentions contraires,
- Débouté Mme [Y] de toutes ses demandes qui seraient dirigées à l'encontre de l'AGS,
- Débouté Me [F], es-qualité de mandataire liquidatrice de la SARL R'boys Rami et le CGEA de [Localité 8] de toute autre demande,
- Mis les dépens à la charge de Mme [Y].
***
Mme [Y] a interjeté appel de cette décision par déclaration au greffe en date du 15 juin 2021.
En l'état de ses dernières conclusions transmises par son conseil sur le RPVA le 9 novembre 2023, Mme [Y] demande à la cour d'appel de:
- Se déclarer incompétente sur l'appréciation du caractère professionnel de l'accident intervenu le 27 novembre 2017 au regard des articles L.142-1 et L.541-1 du code de la sécurité sociale,
- Réformer le jugement rendu par le conseil de prud'hommes de Rennes et intervenu le 2 juin 2021 en ce qu'il a :
- Dit que la prise d'acte de la rupture du contrat de travail de Mme [Y] produit les effets d'une démission,
- Débouté Mme [Y] de toutes ses demandes fins et prétentions contraires,
- Débouté Mme [Y] de toutes ses demandes qui seraient dirigées à l'encontre de l'AGS,
- Débouté Me [F], es-qualité de mandataire liquidateur de la SARL R'boys Rami et le CGEA de [Localité 8] de toute autre demande,
- Mis les dépenses à la charge de Mme [Y].
Et statuant à nouveau :
- Déclarer recevable la demande indemnitaire relatives à la prise d'acte s'analysant comme un licenciement nul,
- Dire et juger que la prise d'acte de la rupture du contrat de travail est justifiée et produit les effets à titre principal, d'un licenciement nul, et à titre subsidiaire, d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse,
En conséquence,
A titre principal,
- Fixer la créance de Mme [Y] dans la procédure simplifiée de liquidation judiciaire de la société SARL R'boys Rami, prononcé par jugement du 22 juillet 2020 du tribunal de commerce de Rennes, immatriculée sous le n° 790 407 381 au RCS de Rennes dont le siège social sis [Adresse 4], aux sommes suivantes : - 10 283,22 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul,
A titre subsidiaire,
- Fixer la créance de Mme [Y] dans la procédure simplifiée de liquidation judiciaire de la société SARL R'boys Rami, prononcé par jugement du 22 juillet 2020 du tribunal de commerce de Rennes, immatriculée sous le n° 790 407 381 au RCS de Rennes dont le siège social sis [Adresse 4], aux sommes suivantes : - 856,93 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, au vu des barèmes applicables.
En tout état de cause,
- Fixer la créance de Mme [Y] dans la procédure simplifiée de liquidation judiciaire de la société SARL R'boys Rami, prononcé par jugement du 22 juillet 2020 du tribunal de commerce de Rennes, immatriculée sous le n° 790 407 381 au RCS de Rennes dont le siège social sis [Adresse 4], aux sommes suivantes :
- 1 713,87 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis outre la somme de 171,38 euros au titre des congés payés y afférents,
- 569,85 euros au titre d'indemnité légale de licenciement,
- 654 euros au titre des congés payés,
- 4 500 euros à titre de dommages et intérêts pour préjudice moral,
- 2 500 euros à Me Bluteau au titre de l'article 37 de la loi n°91-647 de 1991
- Déclarer opposable la décision à intervenir à l'Unédic délégation AGS CGEA de [Localité 8], association déclarée
- Ordonner la capitalisation des intérêts de retard,
- Fixer la moyenne mensuelle des salaires à 1 713,87 euros bruts ;
- Confirmer le jugement intervenu le 2 juin 2021 dans ses autres dispositions.
Mme [Y] fait valoir en substance que:
- Le liquidateur judiciaire de la société R'Boys Rami ne peut demander à la cour de trancher sur le caractère professionnel de l'accident du 27 novembre 2017; seul le Pôle social est compétent ; la CPAM a reconnu le 26 juillet 2018 le caractère professionnel de l'accident et le jugement du 12 août 2021 qui a déclaré irrecevable l'action en faute inexcusable est définitif ; cette décision ne remet pas en cause le caractère professionnel de l'accident ;
- Elle a été agressée par des clientes de l'entreprise en raison de son activité professionnelle, à proximité de son lieu de travail ; cette agression faisait suite à une précédente altercation subie au sein du salon de coiffure quelques jours auparavant, ce que n'a pas contesté l'employeur ; l'employeur n'a pas effectué en temps utile les démarches nécessaires à la prise en charge de l'accident du travail en tardant à établir la déclaration sollicitée par la CPAM ; elle n'est pas retournée travailler au salon du 8 au 30 décembre 2017 ; le bulletin de paie du mois de décembre 2017 ne démontre pas qu'elle serait venue travailler durant cette période ;
- L'employeur ne peut invoquer le comportement de Mme [Y] qui n'est pas en cause ; elle subit un important préjudice moral ; la prise d'acte doit s'analyser comme une rupture aux torts de l'employeur ; intervenue au cours d'une période de suspension du contrat de travail consécutive à un at, la rupture produit les effets d'un licenciement nul ; à défaut, la rupture produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse du fait du manquement de l'employeur à son obligation de sécurité.
En l'état de ses dernières conclusions transmises par son conseil sur le RPVA le 19 avril 2022, la SELARL David [F] et associés demande à la cour d'appel de :
- Confirmer le jugement dont appel en toutes ses dispositions ;
- Débouter Mme [Y] de toutes ses demandes, fins et prétentions contraires à celles de la SAS David [F] et Associés, prise en la personne de Me [F], ès-qualité de liquidateur dans la procédure de liquidation judiciaire simplifiée de la SARL R'boys Rami;
- Condamner Mme [Y] à payer à la SAS David [F] et Associés, prise en la personne de Me [F], ès-qualité de liquidateur dans la procédure de liquidation judiciaire simplifiée de la SARL R'boys Rami, la somme de 2 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;
- Condamner Mme [Y] en tous les dépens sur le fondement de l'article 696 du code de procédure civile, lesquels pourront être recouvrés directement par Me Berthelot, en application de l'article 699 du code de procédure civile ;
Si par impossible la Cour faisait droit à toute ou partie des demandes formées par Mme [Y], il lui est demandée de :
- Fixer la créance de Mme [Y] au passif de la liquidation judiciaire de la SARL R'boys Rami, représentée par la SAS David [F] et Associés, prise en la personne de Me [F], ès-qualité de liquidateur dans la procédure de liquidation judiciaire simplifiée ;
- Déclarer opposable au CGEA la décision à intervenir, dans la limite du plafond applicable ;
- Condamner le CGEA à faire l'avance de la somme correspondant au montant total des créances garanties sur présentation du relevé établie par le mandataire judiciaire.
Le liquidateur judiciaire de la société R'Boys Rami fait valoir en substance que:
- Le scénario décrit par Mme [Y] n'est pas crédible ; le procès-verbal de dépôt de plainte qu'elle produisait en première instance démontre que l'agression dont elle a été victime est relative à des faits relevant de sa vie privée et n'a aucun lien avec son activité professionnelle ; aucun élément n'est produit sur l'identité de l'agresseur, les circonstances mêmes de l'altercation, sur le fait qu'elle mette en cause un client du salon de coiffure, sur la date et le lieu exacts de l'événement et le motif de l'altercation ; les pièces produites par la salariée ne sont relatives qu'aux actes qu'elle a accompli pour se présenter en qualité de victime;
- L'employeur n'a été informé des faits qu'en janvier 2019, soit 6 mois après les faits allégués et largement après l'expiration du délai de recours devant la commission de recours amiable ; il n'est pas démontré de manquement grave de l'employeur rendant impossible la poursuite du contrat de travail ;
- L'attestation de Mme [Z] est irrégulière ; aucun document d'identité n'est joint ; le fait que Mme [Y] ait continué à travailler démontre que la poursuite de la relation contractuelle n'était pas impossible; le formulaire de déclaration d'accident de travail versé aux débats n'est pas rempli ;
- Mme [Y] est coutumière des procédures engagées contre ses employeurs ; sa bonne foi est douteuse; elle a eu à de nombreuses reprises des altercations avec des clients du salon qui qualifient son comportement d'impoli et agressif ; elle a insulté un client ; les conditions d'une prise d'acte du contrat de travail devant être requalifiées en licenciement aux torts de l'employeur ne sont pas réunies ;
- Ne s'agissant pas d'un accident du travail, l'ancienneté de Mme [Y] n'est pas de 1 an et 4 mois, englobant la période d'arrêt de travail pour maladie, mais de 3 mois et 3 semaines ;
- L'AGS ne peut conditionner l'exécution de son obligation de faire l'avance des créances garanties à la justification par le liquidateur judiciaire de l'absence de fonds disponibles entre ses mains ;
- Mme [Y] n'a pas droit aux congés payés qu'elle réclame compte-tenu de ce qu'elle a cessé d'acquérir un droit à congés payés à compter du mois de décembre 2017 et jusqu'au 30 novembre 2018 ;
- Le préjudice moral invoqué par la salariée n'est pas imputable à la société R'Boys Rami.
En l'état de ses dernières conclusions transmises par son conseil sur le RPVA le 8 décembre 2021, auxquelles il est expressément fait référence pour un plus ample exposé, l'Unédic délégation AGS CGEA de [Localité 8] demande à la cour d'appel de :
- Confirmer dans son intégralité le jugement du conseil de prud'hommes de Rennes du 2 juin 2021;
- En conséquence, débouter Mme [Y] de l'ensemble de ses demandes ;
En tout état de cause,
- Déclarer irrecevable la prétention nouvelle de Mme [Y] visant à voir requalifier sa prise d'acte en licenciement nul et en tout état de cause le rejeter ;
Subsidiairement,
- Débouter Mme [Y] de toute demande excessive et/ou injustifiées;
En tout état de cause,
- Condamner Mme [Y] à verser au CGEA de [Localité 8] la somme de 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
En toute hypothèse :
- Débouter Mme [Y] de toutes ses demandes qui seraient dirigées à l'encontre de l'AGS.
- Décerner acte à l'AGS de ce qu'elle ne consentira d'avance au mandataire judiciaire que dans la mesure où la demande entrera bien dans le cadre des dispositions des articles L.3253-6 et suivants du code du travail.
- Dire et juger que l'indemnité éventuellement allouée au titre de l'article 700 du code de procédure civile n'a pas la nature de créance salariale.
- Dire et juger que l'AGS ne pourra être amenée à faire des avances, toutes créances du salarié confondues, que dans la limite des plafonds applicables prévus aux articles L.3253-17 et suivants du code du travail.
- Dépens comme de droit.
***
La clôture de l'instruction a été prononcée par ordonnance du conseiller de la mise en état le 9 avril 2024 avec fixation de la présente affaire à l'audience du 16 avril 2024.
Conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, la cour renvoie, pour un plus ample exposé des prétentions et moyens des parties, à leurs dernières conclusions régulièrement signifiées.
MOTIFS DE LA DÉCISION
1- Sur la question du caractère professionnel de l'accident déclaré:
Aux termes de l'article L1411-4 alinéa 2 du code du travail, le conseil de prud'hommes n'est pas compétent pour connaître des litiges attribués à une autre juridiction par la loi, notamment par le code de la sécurité sociale en matière d'accidents du travail et maladies professionnelles.
En vertu de l'article 954 alinéa 3 du code de procédure civile, la cour ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif et n'examine les moyens au soutien de ces prétentions que s'ils sont invoqués dans la discussion.
Le conseil de prud'hommes, à juste titre et faisant application du texte susvisé, s'est déclaré incompétent pour statuer sur la qualification d'accident du travail, question qui fait l'objet de nouveaux développements des parties en cause d'appel, le liquidateur consacrant de longs développements 'sur l'absence d' accident du travail', tandis que Mme [Y] énonce un paragraphe 'sur la confirmation du caractère professionnel de l'accident (...)'.
Force est cependant de constater:
- que l'accident déclaré suite aux événements du 27 novembre 2017 a donné lieu à une décision de prise en charge notifiée par la CPAM d'Ille et Vilaine, en date du 26 juillet 2018 ;
- que cette décision n'apparaît pas avoir été contestée par l'employeur tandis que l'action en faute inexcusable engagée par Mme [Y] a donné lieu à un jugement définitif du pôle social du tribunal judiciaire de Rennes en date du 12 août 2021 qui a déclaré les demandes de l'intéressée irrecevables ;
- que Mme [Y], appelante, demande à la cour au terme du dispositif de ses conclusions, de 'se déclarer incompétente sur l'appréciation du caractère professionnel de l'accident survenu le 27 novembre 2017 au regard des articles L142-1 et L541-1 du code de la sécurité sociale', tandis que le liquidateur de la société R'Boys Rami et l'AGS concluent à la confirmation du jugement qui s'est donc déclaré incompétent pour statuer sur la caractère professionnel de l'accident du 27 novembre 2017, aucune mention du dispositif ne remettant en cause la qualification d'accident du travail pourtant développée dans le corps des écritures.
Le jugement entrepris sera donc confirmé en ce qu'il s'est déclaré incompétent quant à la qualification de l'accident du travail reconnu par la CPAM d'Ille et Vilaine.
2- Sur la contestation de la prise d'acte:
Aux termes de l'article L 1222-1 du Code du travail, le contrat de travail est exécuté de bonne foi.
Le salarié confronté au non respect par l'employeur des obligations inhérentes au contrat de travail, a la faculté de prendre acte de la rupture du dit contrat.
Cette prise d'acte de la rupture par le salarié ne constitue ni un licenciement, ni une démission, mais une rupture produisant les effets de l'un ou de l'autre selon que les faits invoqués la justifient ou non.
Si elle est fondée sur des faits avérés constitutifs d'une violation des obligations contractuelles de l'employeur, la rupture est requalifiée en licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Il appartient dans cette hypothèse au salarié de rapporter la preuve de ce que les manquements reprochés sont d'une gravité suffisante pour justifier l'impossibilité de poursuivre la relation de travail.
L'écrit par lequel le salarié prend acte de la rupture du contrat de travail en raison de faits qu'il reproche à l'employeur ne fixe pas les limites du litige.
Il appartient donc au Conseil de prud'hommes d'examiner l'ensemble des griefs invoqués par le salarié à l'encontre de l'employeur, quelle que soit leur ancienneté, même s'ils n'ont pas été mentionnés dans la lettre de prise d'acte.
Par ailleurs, en vertu des dispositions de l'article L 4121-1 du code du travail, l'employeur est tenu d'une obligation légale de sécurité en matière de protection de la santé et de la sécurité des travailleurs.
Il lui appartient d'assurer l'effectivité de cette obligation en assurant la prévention des risques professionnels.
Il incombe à l'employeur de démontrer qu'il a effectivement pris les mesures nécessaires pour protéger la santé et assurer la sécurité du salarié.
En l'espèce, la lettre de prise d'acte en date du 9 janvier 2019 adressée par Mme [Y] à son employeur est ainsi rédigée:
« Comme vous le savez, mon agression a été qualifiée d'accident du travail par la sécurité sociale. Cet événement et mes conditions de travail m'ont mise en dépression. Je n'arrive plus à dormir. Je n'en peux plus. Je prends acte de la rupture de mon contrat de travail ».
Mme [Y] affirme qu'elle a été victime le 27 novembre 2017 d'une agression perpétrée par des clients du salon de coiffure exploité par la société R'Boys Rami à proximité de l'établissement.
Elle produit:
- un avis initial d'arrêt de travail établi à cette même date sur le formulaire dédié aux accidents du travail qui mentionne: 'Plaie lèvres supérieure et inférieure, cervicalgies, traumatisme psychique - rectificatif d'un arrêt fait en maladie'.
- les différents avis de prolongation de l'arrêt de travail, qui mentionnent: 'Sd anxio-dépressif' (08/12/2017), persistance Sd anxio-dépressif, symptômes marqués' (30/12/2017), 'Sd anxio-dépressif avec troubles du sommeil (...)' (31/05/2018).
- Une demande de déclaration d'accident du travail adressée par la CPAM d'Ille-et-Vilaine à la société R'Boys Rami le 21 juin 2018, cette date ayant été biffée avec en marge une mention manuscrite indiquant 'Duplicata du courrier du 07/05/2018 aujourd'hui sans réponse'.
- Un courrier daté du 26 juin 2018 adressé à son employeur dans lequel elle sollicitait l'établissement d'une déclaration d'accident du travail.
- Une déclaration d'accident du travail non renseignée concernant les faits et non datée mais comportant une signature.
- Une décision de la CPAM en date du 26 juillet 2018 notifiant la prise en charge de l'accident du travail sous la rubrique 'Notification de prise en charge accident de trajet du 27 novembre 2017".
- Un certificat du Docteur [L] en date du 27 novembre 2017 décrivant les blessures mentionnées sur l'avis initial d'arrêt de travail et indiquant que la patiente 'déclare avoir été victime de coups et blessures ce jour'.
- Ses bulletins de paie.
- Une attestation émanant de Mme [Z], aucune copie de pièce d'identité n'étant jointe, ce témoin indiquant avoir accompagné Mme [Y] le 28 novembre 2017 pour un entretien avec son patron 'car elle avait peur de sortir seule suite à l'agression' et qui ajoute: 'A la fin de l'entretien son patron lui a demandé si elle pouvait venir le jeudi 30 pour s'occuper d'une cliente dont elle avait pris le rendez-vous avant son arrêt maladie.
Mme [Y] était alors en arrêt maladie suite à une agression et j'ai été très surprise de cette requête de la part de son patron.
Mme [Y] a refusé. Elle n'était clairement pas en état physique de reprendre son activité'.
- Un avis publié sur internet, non daté, comprenant un message ainsi libellé dont l'auteur est inconnu: 'Faut savoir que la coiffeuse [C]...de est une balance elle travaille avec la police pcq elle se drogue ou se droguait. Perso c honteux k le patron ne se renseigne pas sur ses employers a moins kil pratique la promotion canape car la demoiselle est une adepte (...) La coiffeuse n a pas fini avc tt les ennemies kel a ds le quartier' et la réponse de 'Salon de coiffure Hair'Concept (propriétaire)':
'La vie personnelle de ma salariée ne me regarde pas, en aucun cas j'ai été au courant qu'elle avait ratés un client dans mon salon. Je ne pratique pas la promotion canapé (...)'.
- Des messages élogieux laissés par des clients sur la page d'un site internet, indiquant notamment que 'la coiffeuse est super. [C] m'a réconcilié avec les coiffeurs (...) Ou '(...) J'ai été très satisfait de la coiffeuse qui a pris soin de moi (...)'.
Comme l'ont relevé les premiers juges et pas plus en cause d'appel qu'en première instance, Mme [Y] ne produit t'elle ainsi d'éléments de nature à justifier les circonstances des faits qui, s'ils ont certes conduit à une décision de reconnaissance d'accident du travail, ne permettent nullement en l'état des éléments dont dispose la cour, d'établir que la salariée ait été victime d'une agression perpétrée à proximité immédiate de son lieu de travail et en lien avec celui-ci, par le fait de clients de l'établissement.
Notamment, un avis de client non daté qui indique entre autres que 'La coiffeuse n a pas fini avc tt les ennemies kel a ds le quartier' est insuffisant pour caractériser la connaissance qu'aurait pu avoir l'employeur d'un risque d'agression dans le cadre professionnel avant les faits du 27 novembre 2017.
Le liquidateur produit un procès-verbal de police daté du 27 novembre 2017, aux termes duquel Mme [Y] déclarait qu'alors qu'elle se rendait au travail, elle a 'été abordée par une femme qui s'appelle [N], elle me disait que je parlais d'elle à tout le monde, je lui ai répondu que je ne le faisais pas, chacun sa vie. Elle s'est énervée, elle m'a mis un coup de tête au niveau du nez puis elle a enchaîné avec des coups de poings au visage, également elle me tirait les cheveux, puis sa copie nommée [W] est arrivée et à son tour elle m'a mis des coups de poings au visage (...).
Ces deux femmes je les connais parce que nos enfants fréquentent la même école, mais c'est tout (...)'.
Il apparaît en outre que l'employeur mettait en demeure le 11 janvier 2018 Mme [Y] de justifier de son absence, n'ayant reçu aucun justificatif d'absence depuis le 8 décembre 2017.
Il doit être considéré au vu des éléments dont dispose la cour que l'employeur, qui n'a au demeurant pas laissé sans réponse l'avis non daté d'un client publié sur internet dont rien n'établit qu'il soit lié aux faits du 27 novembre 2017, a respecté l'obligation de sécurité à laquelle il était tenu, l'agression dont a déclaré avoir été victime Mme [Y], si elle est survenue à l'occasion d'un trajet domicile-travail, étant manifestement dénuée de tout lien avec un agissement fautif qui puisse être reproché à l'employeur sur le terrain des articles L4121-1 et suivants du code du travail.
Plus généralement, aucun élément ne permet de caractériser l'existence de manquements fautifs graves de l'employeur de nature à rendre impossible la poursuite du contrat de travail.
Dès lors et sans qu'il soit utile et justifié d'entrer dans le détail de l'argumentation des parties sur les éléments de personnalité de Mme [Y] ou encore le fait, contesté par l'intéressée, qu'elle soit revenue travailler entre le 8 et le 29 décembre 2017, c'est à juste titre que le conseil de prud'hommes a débouté Mme [Y] de sa demande de requalification de sa prise d'acte de la rupture en licenciement nul et subsidiairement sans cause réelle et sérieuse ainsi que des demandes indemnitaires subséquentes.
3- Sur la demande de rappel de congés payés:
Aux termes de l'article L1226-7 du code du travail, le contrat de travail du salarié victime d'un accident du travail, autre qu'un accident de trajet, ou d'une maladie professionnelle est suspendu pendant la durée de l'arrêt de travail provoqué par l'accident ou la maladie (...).
La durée des périodes de suspension est prise en compte pour la détermination de tous les avantages légaux ou conventionnels liés à l'ancienneté dans l'entreprise'.
Aux termes de l'article L3141-5 du même code, sont considérées comme périodes de travail effectif pour la détermination de la durée du congé :
1° Les périodes de congé payé ;
(...)
5° Les périodes, dans la limite d'une durée ininterrompue d'un an, pendant lesquelles l'exécution du contrat de travail est suspendue pour cause d'accident du travail ou de maladie professionnelle (...)'.
Pour limiter le droit à congés payés de Mme [Y], le liquidateur judiciaire soutient que 'celle-ci a cessé d'acquérir un droit à des congés payés à compter du mois de décembre 2017 et ce jusqu'au 30 novembre 2018".
Il ajoute que Mme [Y] 'ne peut justifier que d'une ancienneté de 3 mois et 3 semaines puisque son arrêt de travail n'est pas la résultante d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle'.
Or, l'accident du travail déclaré comme étant survenu le 27 novembre 2017 a été pris en charge et cette décision non contestée en son temps par l'employeur s'impose à lui comme au liquidateur judiciaire de la société intimée.
Il ne peut donc être utilement argué de l'absence d'accident du travail pour réduire l'ancienneté de Mme [Y] et, partant, le droit aux congés payés acquis par l'intéressée.
Nonobstant la différence résultant du calcul opéré en page 25 des conclusions de l'appelante et du montant de 654 euros figurant au dispositif des dites conclusions, la cour ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif conformément aux dispositions de l'article 954 du code de procédure civile, de telle sorte que, statuant dans les limites de la demande, il est justifié, par voie d'infirmation du jugement entrepris de ce chef, de fixer la créance de Mme [Y] au passif de la liquidation judiciaire de la société R'Boys Rami à la somme de 654 euros brut à titre de rappel de congés payés.
4- Sur la garantie de l'AGS:
Le présent arrêt sera déclaré opposable à l'AGS- CGEA de [Localité 8] dans la limite de sa garantie légale telle que fixée par les articles L 3253-6 et suivants du Code du travail et des plafonds prévus à l'article D 3253-5 du même code.
5- Sur les intérêts et la demande de capitalisation:
Aux termes de l'article 622-28-1 du code de commerce, le jugement d'ouverture arrête le cours des intérêts légaux et conventionnels, ainsi que de tous intérêts de retard et majorations, à moins qu'il ne s'agisse des intérêts résultant de contrats de prêt conclus pour une durée égale ou supérieure à un an ou de contrats assortis d'un paiement différé d'un an ou plus. Les personnes physiques coobligées ou ayant consenti une sûreté personnelle ou ayant affecté ou cédé un bien en garantie peuvent se prévaloir des dispositions du présent alinéa. Nonobstant les dispositions de l'article 1342-2 du code civil, les intérêts échus de ces créances ne peuvent produire des intérêts.
Le cours des intérêts étant arrêté par l'effet de la liquidation judiciaire de la société R'Boys Rami, la demande de capitalisation est mal fondée et doit être rejetée.
6- Sur les dépens et frais irrépétibles:
L'employeur succombant pour partie, le liquidateur judiciaire ès-qualités supportera les dépens de première instance et d'appel.
Le liquidateur judiciaire ès-qualités sera en conséquence débouté de sa demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile.
Il n'est pas contraire à l'équité, eu égard aux circonstances de l'espèce, de laisser Mme [Y] supporter la charge de ses frais irrépétibles.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Confirme le jugement entrepris, excepté en ce qu'il a débouté Mme [Y] de sa demande de rappel de congés payés ;
Statuant à nouveau du chef infirmé,
Fixe la créance de Mme [Y] au passif de la liquidation judiciaire de la société R'Boys Rami à la somme de 654 euros brut à titre de rappel de congés payés ;
Constate l'arrêt du cours des intérêts légaux par l'effet de la liquidation judiciaire ;
Déboute Mme [Y] de sa demande de capitalisation des intérêts au taux légal ;
Déclare le présent arrêt opposable à l'AGS- CGEA de [Localité 8] dans la limite de sa garantie légale telle que fixée par les articles L 3253-6 et suivants du Code du travail et des plafonds prévus à l'article D 3253-5 du même code ;
Déboute Mme [Y] et la SELARL David-[F] et associés ès-qualités de liquidateur judiciaire de la société R'Boys Rami de leurs demandes respectives fondées sur l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne la SELARL David-[F] et associés ès-qualités de liquidateur judiciaire de la société R'Boys Rami aux dépens de première instance et d'appel.
La greffière Le président