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26/06/2024 | FRANCE | N°21/04689

France | France, Cour d'appel de Rennes, 9ème ch sécurité sociale, 26 juin 2024, 21/04689


9ème Ch Sécurité Sociale





ARRÊT N°



N° RG 21/04689 - N° Portalis DBVL-V-B7F-R3XN













S.A. [13]



C/



Mme [U] [R]

Mme [H] [R]

Mme [D] [R]

M. [N] [R]

FIVA

CPAM DE LOIRE ATLANTIQUE





















Copie exécutoire délivrée

le :



à :











Copie certifiée conforme délivrée

le:



à:


RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



COUR D'APPEL DE RENNES

ARRÊT DU 26 JUIN 2024





COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :



Président : Madame Cécile MORILLON-DEMAY, Présidente de chambre

Assesseur : Madame Véronique PUJES, Conseillère

Assesseur : Madame Anne-Emmanuelle PRUAL, Conseillère...

9ème Ch Sécurité Sociale

ARRÊT N°

N° RG 21/04689 - N° Portalis DBVL-V-B7F-R3XN

S.A. [13]

C/

Mme [U] [R]

Mme [H] [R]

Mme [D] [R]

M. [N] [R]

FIVA

CPAM DE LOIRE ATLANTIQUE

Copie exécutoire délivrée

le :

à :

Copie certifiée conforme délivrée

le:

à:

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE RENNES

ARRÊT DU 26 JUIN 2024

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :

Président : Madame Cécile MORILLON-DEMAY, Présidente de chambre

Assesseur : Madame Véronique PUJES, Conseillère

Assesseur : Madame Anne-Emmanuelle PRUAL, Conseillère

GREFFIER :

Mme Adeline TIREL lors des débats et lors du prononcé

DÉBATS :

A l'audience publique du 17 Avril 2024

ARRÊT :

Contradictoire, prononcé publiquement le 26 Juin 2024 par mise à disposition au greffe comme indiqué à l'issue des débats

DÉCISION DÉFÉRÉE A LA COUR:

Date de la décision attaquée : 28 Mai 2021

Décision attaquée : Jugement

Juridiction : Pole social du TJ de NANTES

Références : 19/05896

****

APPELANTE :

S.A. [13]

[Adresse 8]

[Localité 12]

représentée par Me Michel PRADEL de la SELARL PRADEL AVOCATS, avocat au barreau de PARIS substituée par Me Emilie BELLENGER, avocat au barreau de RENNES

INTIMÉS :

Madame [U] [R]

[Adresse 1]

[Localité 5]

comparante en personne, assistée de Me Romain BOUVET de la SCP MICHEL LEDOUX ET ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS substituée par Me Romain FINOT, avocat au barreau de PARIS

Madame [H] [R]

[Adresse 2]

[Localité 3]

représentée par Me Romain BOUVET de la SCP MICHEL LEDOUX ET ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS substituée par Me Romain FINOT, avocat au barreau de PARIS

Madame [D] [R]

[Adresse 9]

App C34

[Localité 6]

représentée par Me Romain BOUVET de la SCP MICHEL LEDOUX ET ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS substituée par Me Romain FINOT, avocat au barreau de PARIS

Monsieur [N] [R]

[Adresse 15]

[Adresse 4]

représenté par Me Romain BOUVET de la SCP MICHEL LEDOUX ET ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS substituée par Me Romain FINOT, avocat au barreau de PARIS

FIVA

[Adresse 16]

[Adresse 16]

[Localité 11]

représenté par Me Vincent RAFFIN, avocat au barreau de NANTES substitué par Me Nathalie BERTHOU, avocat au barreau de NANTES

CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DE LOIRE ATLANTIQUE

Service Contentieux

[Adresse 10]

[Localité 7]

représentée par Mme [V] [S], en vertu d'un pouvoir spécial

EXPOSÉ DU LITIGE

[I] [R], né le 31 mars 1951, a été employé par la société [14], aux droits de laquelle vient la société [13] (la société), du 20 août 1973 au 30 novembre 2004 en qualité d'électricien.

Le 3 mai 2016, il a complété une déclaration de maladie professionnelle au titre d'un 'carcinome pulmonaire MP 30'.

Le certificat médical initial établi le 18 avril 2016 fait état de cette pathologie avec mention d'une première constatation médicale au 9 février 2016 et avec une prescription de soins.

[I] [R] est décédé le 18 août 2016.

Par décision du 23 août 2016, la caisse primaire d'assurance maladie de la Loire Atlantique (la caisse) a pris en charge la maladie 'cancer broncho-pulmonaire' au titre du tableau n°30 bis des maladies professionnelles.

Le 29 août 2016, elle a notifié l'attribution d'une rente personnelle prenant effet le 19 avril 2016 basée sur un taux d'incapacité permanente de 100 % et reposant sur les constatations médicales suivantes : 'cancer pulmonaire avec localisation secondaire'.

Le 21 octobre 2016, la caisse a notifié à Mme [R] une rente de conjoint survivant à compter du 1er septembre 2016.

En parallèle, par courrier du 20 septembre 2016, la société a saisi la commission de recours amiable puis a porté le litige devant le tribunal des affaires de sécurité sociale de Bobigny le 17 novembre 2016, aux fins de se voir déclarer inopposable la décision de prise en charge de la maladie professionnelle de [I] [R].

Par jugement du 30 janvier 2020, le pôle social du tribunal judiciaire de Bobigny, devenu compétent, a notamment constaté que la caisse n'avait pas respecté le principe du contradictoire lors de l'instruction de la déclaration de maladie professionnelle de [I] [R] et dit inopposable à la société la décision de prise en charge du 23 août 2016.

Par courrier du 21 décembre 2016, Mme [U] [R] et ses enfants Mme [H] [R], Mme [D] [R] et M. [N] [R] (les consorts [R]) ont formé une demande en reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur auprès de la caisse.

En l'absence de réponse, les consorts [R] ont porté le litige devant le tribunal des affaires de sécurité sociale de Nantes le 16 janvier 2017.

Le Fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante (le FIVA), ayant indemnisé les consorts [R], est intervenu à l'instance.

Par jugement du 28 mai 2021, auquel la cour entend expressément se référer pour l'exposé du surplus des faits et de la procédure antérieure, le pôle social du tribunal judiciaire de Nantes, devenu compétent, a :

- dit que la maladie professionnelle constatée par certificat médical initial du 18 avril 2016 dont était atteint [I] [R] et dont il est décédé est imputable à la faute inexcusable de la société ;

- fixé au taux maximum la majoration de la rente servie à Mme [R] en sa qualité de conjoint survivant, et dit que cette majoration lui sera versée directement par la caisse ;

- alloué aux ayants droits de [I] [R] l'indemnité forfaitaire égale au montant du salaire minimum légal ;

- dit que la caisse versera cette indemnité forfaitaire de 18 281,80 euros à la succession de [I] [R] ;

- fixé l'indemnisation des préjudices personnels de [I] [R] comme suit :

* souffrances morales : 67 700 euros ;

* souffrances physiques : 21 900 euros ;

* préjudice d'agrément : 21 900 euros ;

* préjudice esthétique : 1 000 euros ;

- dit que ces sommes seront versées directement au FIVA par la caisse ;

- fixé l'indemnisation du préjudice moral des ayants droit de [I] [R] comme suit :

* 32 600 euros pour Mme [R] (conjoint) ;

* 8 700 euros pour chacun des enfants de [I] [R] ;

* 12 000 euros pour Mme [E] [R] (parent) ;

* 3 300 euros pour [G] [K] (petit-enfant) ;

- dit que la caisse devra verser ces sommes au FIVA ;

- dit que toutes ces sommes dues porteront intérêts au taux légal à compter du jugement ;

- condamné la société à rembourser à la caisse l'ensemble des sommes avancées par elle en exécution du jugement ;

- condamné la société aux dépens ;

- condamné la société à verser les sommes suivantes au titre de l'article 700 du code de procédure civile :

- 3 500 euros aux consorts [R] ;

- 1 500 euros au FIVA ;

- dit que la décision sera assortie de l'exécution provisoire ;

- débouté les parties de toutes autres demandes plus amples ou contraires.

Par déclaration adressée le 6 juillet 2021 par courrier recommandé avec avis de réception, la société a interjeté appel de ce jugement qui lui avait été notifié le 21 juin 2021.

Par ses écritures n°2 parvenues au greffe le 27 février 2023, auxquelles s'est référé et qu'a développées son conseil à l'audience, la société demande à la cour de :

- la dire recevable et bien fondée en son appel ;

A titre principal,

- réformer le jugement entrepris ;

- statuant à nouveau, débouter le FIVA et les consorts [R] de leurs demandes de reconnaissance d'une faute inexcusable de sa part ;

A titre subsidiaire,

- réformer le jugement entrepris ;

- statuant à nouveau,

* débouter le FIVA de sa demande de versement d'une indemnité réparant le préjudice d'agrément de [I] [R] ;

* débouter le FIVA de sa demande en réparation du préjudice lié à l'accompagnement, s'agissant de Mme [H] [R] et de M. [N] [R], fixé à 3 300 euros ;

* débouter le FIVA de sa demande en réparation du préjudice lié à l'accompagnement et du préjudice lié au décès s'agissant de Mme [E] [R], fixé à 3 300 euros ;

A titre infiniment subsidiaire,

- réduire le montant de la condamnation éventuellement prononcée à son encontre sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Par leurs écritures parvenues au greffe le 28 juillet 2022, auxquelles s'est référé et qu'a développées leur conseil à l'audience, les consorts [R] demandent à la cour de :

- confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;

Y ajoutant,

- condamner, en cause d'appel, la société au paiement d'une somme de 4 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

Par ses écritures parvenues au greffe le 5 juin 2023, auxquelles s'est référé et qu'a développées son conseil à l'audience, le FIVA demande à la cour de :

- confirmer le jugement entrepris sauf en ce qu'il a rejeté sa demande indemnitaire au titre du préjudice économique de Mme [R] ;

Statuant à nouveau,

- fixer à son maximum la majoration de rente servie au conjoint survivant de la victime, et juger que cette majoration lui sera directement versée par la caisse en sa qualité de créancier subrogé, dans la limite de 1 856,98 euros, et à Mme [R] pour le solde éventuel ;

Y ajoutant,

- condamner la société à lui payer une somme de 2 000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile ;

- condamner la partie succombante aux dépens.

Par ses écritures parvenues au greffe le 5 avril 2023, auxquelles s'est référée et qu'a développées sa représentante à l'audience, la caisse demande à la cour de confirmer le jugement entrepris et de condamner la société à lui rembourser l'intégralité des sommes dont elle sera amenée à faire l'avance si la faute inexcusable de l'employeur était reconnue.

Pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, la cour, conformément à l'article 455 du code de procédure civile, renvoie aux conclusions susvisées.

MOTIFS DE LA DÉCISION

1- Sur la faute inexcusable reprochée à la société [13]

Selon l'article L. 230-2, I et II du code du travail, devenu articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail, l'employeur est tenu de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs en veillant à éviter les risques, à évaluer les risques qui ne peuvent pas être évités et à adapter le travail de l'homme, en particulier en ce qui concerne la conception des postes de travail ainsi que le choix des équipements de travail et des méthodes de travail et de production.

Le manquement à l'obligation légale de sécurité et de protection de la santé à laquelle l'employeur est tenu envers le travailleur a le caractère d'une faute inexcusable lorsque l'employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était soumis le travailleur et qu'il n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver (2e Civ., 8 octobre 2020, pourvoi n°18-26.677).

Il est indifférent que la faute inexcusable commise par l'employeur ait été la cause déterminante de la maladie survenue au salarié. Il suffit qu'elle en soit une cause nécessaire, même non exclusive ou indirecte, pour que sa responsabilité soit engagée.

La faute inexcusable ne se présume pas et il appartient à la victime ou ses ayants droit, invoquant la faute inexcusable de l'employeur de rapporter la preuve que celui-ci n'a pas pris les mesures nécessaires pour préserver le salarié du danger auquel il était exposé.

Le juge n'a pas à s'interroger sur la gravité de la négligence de l'employeur et doit seulement contrôler, au regard de la sécurité, la pertinence et l'efficacité de la mesure que l'employeur aurait dû prendre.

Le salarié qui recherche la faute inexcusable de son employeur doit au préalable démontrer qu'il est atteint d'une maladie qui présente un caractère professionnel.

En l'espèce, la société conteste avoir commis une faute inexcusable en ce qu'elle a mis en place toutes les mesures de protection afin d'assurer la sécurité et la salubrité au sein des chantiers navals dans le respect des dispositions de la loi du 12 juin 1893, notamment au regard de l'empoussièrement ainsi qu'en attestent les différentes notes de service établies depuis au moins 1954 et qu'elle ne pouvait pas avoir une conscience éclairée des risques liés à l'exposition à l'amiante avant le décret du 17 août 1977 ; qu'en toute hypothèse, tous les panneaux de cloisonnement en amiante ont été remplacés à compter du début des années 1970 par des panneaux sans amiante et l'utilisation de ces panneaux amiantés a été déconseillée dans l'attente de de découvrir un matériau de substitution comme le prévoit une note de 1972 ; que c'est ainsi que l'amiante a été remplacée en 1975 par la fibre de verre ; qu'elle a définitivement interdit l'amiante après l'entrée en vigueur du décret du 17 août 1977 de sorte que les panneaux dénommés 'Marinite' depuis cette date sont en réalité des panneaux sans amiante ; qu'il en fut ainsi de tous les matériaux contenant de l'amiante, systématiquement et progressivement remplacés à compter des années 1970 par des produits sans amiante ; qu'une note de la CARSAT de 2008 confirme au demeurant que les salariés électriciens n'étaient plus exposés aux poussières d'amiante depuis le milieu des années 1970.

Sur ce :

C'est par une exacte analyse des éléments de la cause que les premiers juges ont retenu à l'encontre de la société une faute inexcusable à l'origine de la maladie professionnelle déclarée par [I] [R].

Le jugement querellé détaille parfaitement l'évolution des connaissances scientifiques et l'état du droit en la matière s'agissant de la période d'emploi de [I] [R] et il y a lieu de s'y référer.

La société étant spécialisée dans la construction et la réparation navales ne peut sérieusement soutenir, au regard de sa taille et de son importance économique, qu'elle ignorait les risques liés à l'utilisation d'amiante alors même que l'état des connaissances permettait, depuis de nombreuses années, aux entreprises de savoir qu'elles exposaient leurs salariés à des risques connus depuis le milieu du XXe siècle s'agissant des asbestoses ou des plaques pleurales et ce alors que la création des tableaux de maladies professionnelles en lien avec l'exposition à l'amiante remonte à l'année 1945 et que la liste des travaux est devenue simplement indicative à compter de 1955.

Ainsi, dès cette date, tout employeur qui faisait travailler son salarié au contact de l'amiante, quel que soit le type de travail effectué et la pathologie concernée, avait nécessairement conscience du risque qu'il lui faisait courir et devait le protéger contre l'inhalation de poussières d'amiante.

Si des incertitudes scientifiques pouvaient en certains domaines encore subsister à l'époque, il demeure que tout entrepreneur avisé ayant même indirectement recours à l'amiante, ou ayant su que son personnel travaillait dans des locaux dans lesquels des poussières d'amiantes étaient présentes en grandes quantités, était dès cette période tenu à une attitude de vigilance et de prudence dans l'usage, alors encore licite, de ce matériau.

En outre, la taille de la société lui permettait d'avoir un personnel compétent en matière d'hygiène et de sécurité et celle-ci ne pouvait pas connaître les avantages de l'amiante sans connaître en parallèle les risques liés à sa manipulation et à son exposition pour ses salariés.

Le FIVA fait donc valoir à bon droit que compte tenu de l'inscription des affections respiratoires liées à l'amiante dans un tableau des maladies professionnelles à partir de 1945 (tableau n°25 des maladies professionnelles), des connaissances scientifiques raisonnablement accessibles à l'époque, de la réglementation relative à la protection contre les poussières alors en vigueur, et de l'importance, de l'organisation et de l'activité de cet employeur, ce dernier aurait dû avoir conscience du danger auquel il exposait son salarié.

En tout état de cause, des conclusions et productions de la société aux termes desquelles elle a pris, dès les années 1970 des mesures individuelles et collectives pour protéger les salariés contre l'exposition aux poussières d'amiante, comme de son affirmation selon laquelle elle s'est orientée dès cette époque vers le remplacement de ce matériau, il se déduit qu'elle n'ignorait pas les risques liés à l'inhalation de poussières d'amiante.

Bien qu'elle fixe la fin de l'exposition à compter du milieu des années 1970, il doit être relevé que la note de la CRAM (sa pièce PG6) ne fait état que d'un abandon progressif de l'usage de ce matériau.

L'efficacité des systèmes d'aspiration mis en place pour les poussières en général, comme dans son environnement immédiat de travail en particulier, sur toute la période d'emploi de [I] [R] ne ressort pas avec certitude des pièces versées aux débats.

L'appelante n'allègue pas davantage avoir fourni au salarié des protections individuelles contre l'inhalation de poussières d'amiante. Les collègues de [I] [R] attestent au demeurant qu'aucun moyen de protection n'a été fourni à l'intéressé par l'employeur à l'époque.

L'exposition professionnelle de [I] [R] aux poussières d'amiante et l'absence de protection, individuelle ou collective, sont donc établies.

Il s'ensuit que le jugement entrepris sera confirmé en ce qu'il a retenu une faute inexcusable de la société [13] à l'origine de la maladie professionnelle déclarée par [I] [R] et dont il est décédé.

2. Sur les conséquences de la reconnaissance de la faute inexcusable de la société

2.1 Sur la majoration de la rente versée au conjoint survivant et l'indemnité forfaitaire

C'est à bon droit que les premiers juges ont fixé au taux maximum la majoration de la rente servie par la caisse à Mme [R] en qualité de conjoint survivant.

Le FIVA demande que la caisse lui verse la somme de 1 856,98 euros correspondant au montant qu'il a lui-même réglé à Mme [R] au titre de sa perte de revenus, et que le solde soit payé par l'organisme social à l'intéressée.

Les premiers juges ont débouté le FIVA de cette demande au motif qu'il ne justifiait pas d'une quittance subrogative visant expressément cette somme.

Le FIVA justifiant d'une quittance subrogative à hauteur de la somme de 1 856,98 euros signée par Mme [R] et reçue par le Fonds le 25 septembre 2017, au titre du préjudice économique subi par l'intéressée du 19 août au 31 décembre 2016 (sa pièce n° 8) dont le versement est de surcroît attesté par l'expert comptable (pièce n°14), il sera, par voie d'infirmation, fait droit à sa demande. Le solde de cette majoration de rente sera directement versé par la caisse à Mme [R].

Le jugement entrepris sera par ailleurs confirmé en ce qu'il a alloué à la succession de [I] [R] l'indemnité forfaitaire prévue à l'article L. 452-3 du code de la sécurité sociale, celui-ci ayant été reconnu atteint d'une incapacité permanente de 100 %.

2.2 Sur l'indemnisation des préjudices personnels de [I] [R]

2.2.1. Sur les circonstances de la découverte de la maladie, les traitements apportés pour y remédier, leurs répercussions et celles de la maladie

Il ressort du rapport d'évaluation du taux d'IPP par le médecin conseil (pièce n° 11 du FIVA) qu'en février 2016 ont été mises en évidence de multiples lésions céphaliques d'allure métastasique d'origine pulmonaire.

Est versé aux débats le compte rendu d'examen effectué le 25 mars 2016 (biopsie) dont il ressort qu'est à cette époque effectivement diagnostiqué un carcinome invasif neuro-endocrine à petites cellules localisé au niveau des ganglions et des bronches (pièce n° 9 du FIVA).

Du 29 avril au 13 mai 2016, et tout en poursuivant une chimiothérapie, [I] [R] a subi une radiothérapie cérébrale dans le cadre de localisations secondaires du carcinome à petites cellules (pièce n° 10 du FIVA).

Le certificat de décès établi le 13 septembre 2016 indique enfin que [I] [R] est décédé des suites d'un cancer du poumon (pièce n° 12 du FIVA).

Des attestations de ses proches (famille et amis), il doit être retenu que [I] [R] s'est montré très inquiet dès le mois de février 2016 lorsqu'il a perdu momentanément la vue et fait une crise comitiale, puis dans l'attente des résultats des examens avec même des idées suicidaires ; que s'il s'est montré un peu plus serein et combatif par la suite en dépit du diagnostic, son état psychologique s'est cependant dégradé au fil de l'évolution défavorable du cancer et des maux qui l'accompagnaient (perte de force au niveau des jambes, maux de tête, anémie, malaises à répétition, etc.) ; qu'il supportait très difficilement sa déchéance physique et mentale, devenait plus agressif et ne sortait plus ; qu'il est décrit par ses amis comme dynamique, volontaire et sportif avant la maladie avec une passion pour la randonnée qu'il pratiquait régulièrement ( circuits de 15 à 20 km) et à laquelle il a dû mettre un terme.

[I] [R] a ainsi été physiquement et moralement très éprouvé par sa maladie.

En conclusion, il convient de retenir, de la date de première constatation médicale de la maladie au décès :

- une consolidation au 18 avril 2016 et une incapacité permanente partielle de 100 % ;

- des souffrances endurées avant consolidation du 9 février au 18 avril 2016 ;

- des souffrances importantes endurées après consolidation et jusqu'au décès le 18 août 2016 ;

- un important préjudice moral ;

- un préjudice esthétique ;

- un préjudice d'agrément.

2.2.2. Sur le préjudice indemnisable

En application des articles L.452-1 et L.452-3 du code de la sécurité sociale, lorsque la maladie est due à la faute inexcusable de l'employeur ou de ceux qu'il s'est substitués dans la direction, la victime a droit, indépendamment de la majoration de rente qu'elle reçoit, de demander à l'employeur devant la juridiction de sécurité sociale la réparation du préjudice causé par les souffrances physiques et morales par elle endurées, de ses préjudices esthétiques et d'agrément ainsi que celle du préjudice résultant de la perte ou de la diminution de ses possibilités de promotion professionnelle.

Tel qu'interprété par le Conseil constitutionnel dans sa décision 2011-127 QPC du 6 mai 2011 l'article L. 452-3 du code de la sécurité sociale permet à la victime d'un accident du travail de demander à l'employeur dont la faute inexcusable a été reconnue la réparation d'autres chefs de préjudice que ceux énumérés, à la condition que ses préjudices ne soient pas déjà couverts par le livre IV du code de la sécurité sociale.

Comme l'a jugé la Cour de cassation (Ass. plén., 20 janvier 2023, pourvoi n° 20-23.673 et pourvoi n° 21-23.947), eu égard à son mode de calcul appliquant au salaire de référence de la victime le taux d'incapacité permanente défini à l'article L. 434-2 du code de la sécurité sociale, la rente versée à la victime d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle ne répare pas le déficit fonctionnel permanent.

La cour trouve dans la cause les éléments suffisants pour confirmer le jugement qui a fixé comme suit l'indemnisation du préjudice personnel de [I] [R] :

- souffrances morales : 67 700 euros ;

- souffrances physiques : 21 900 euros ;

- préjudice d'agrément : 21 900 euros ;

- préjudice esthétique : 1 000 euros.

3. Sur la réparation du préjudice moral subi par les ayants droit

En cas de maladie suivie de mort, les ayants droit de la victime mentionnés aux articles L. 434-7 et suivants ainsi que les ascendants et descendants qui n'ont pas droit à une rente en vertu des dits articles, peuvent demander à l'employeur réparation du préjudice moral devant la juridiction précitée.

La réparation de ces préjudices est versée directement aux bénéficiaires par la caisse qui en récupère le montant auprès de l'employeur.

En l'espèce, la cour trouve encore dans la cause des éléments suffisants pour confirmer les sommes allouées par les premiers juges en réparation du préjudice de chacun des ayants droit.

Il suffit de rappeler que les époux [R] étaient mariés depuis 36 ans, que son épouse l'a accompagné dans sa dernière maladie et qu'elle a assisté impuissante à la lente dégradation de son état de santé.

Le préjudice d'affection qui en est résulté est à l'origine du préjudice moral exactement évalué par les premiers juges s'agissant de Mme [U] [R].

La société considère que le FIVA est défaillant à démontrer l'existence d'un préjudice d'accompagnement de fin de vie s'agissant de deux des enfants de [I] [R], à savoir [H] et [N] [R].

Si le FIVA verse aux débats l'attestation de Mme [D] [R] précisant qu'elle 'passait plus de temps chez ses parents pour permettre à sa mère d'avoir du temps pour elle', force est de constater que tel n'est pas le cas en ce qui concerne les deux autres enfants du couple, pour lesquels le FIVA échoue à démontrer l'existence d'un préjudice d'accompagnement de fin de vie et qu'il en est de même pour la mère de [I] [R].

La décision sera dans ces conditions confirmée en ce qu'elle a fixé le préjudice de Mme [U] [R] à la somme de 32 600 euros, celui de Mme [D] [R] à la somme de 8 700 euros et celui de [G] [K], petite fille du défunt, à la somme de 3 300 euros , mais infirmé en ce qui concerne le préjudice des autres ayants-droit, dont la cour ramène le montant aux sommes suivantes :

- 5 400 euros pour chacun des deux autres enfants de [I] [R] ([N] et [H] [R]) ;

- 8 700 euros pour la mère de [I] [R], Mme [E] [R].

Le FIVA justifiant de sa subrogation à concurrence de ces sommes, il sera fait droit à sa demande sur ce point, à l'instar de ce qu'ont décidé les premiers juges. La décision entreprise qui a fait droit à son action et dit que les sommes allouées lui seront versées par la caisse sera ainsi confirmée à hauteur des sommes précitées.

4. Sur l'action récursoire de la caisse à l'encontre de la société [13]

La société fait valoir que l'inopposabilité à son égard de la décision de prise en charge de la maladie au titre de la législation professionnelle ordonnée par le tribunal judiciaire de Bobigny le 30 janvier 2020 s'oppose à toute action récursoire de la caisse à son encontre, peu importe que l'inopposabilité repose sur des considérations de forme ou de fond.

La caisse réplique tout d'abord que l'inopposabilité retenue par le tribunal judiciaire de Bobigny reposant sur une irrégularité de forme (non respect du contradictoire lors de l'instruction), le moyen qu'en tire la société pour s'opposer à son action récursoire est inopérant.

La caisse ajoute qu'en toute hypothèse, quelle que soit la nature de l'irrégularité, de forme ou de fond, ayant conduit à l'inopposabilité de la prise en charge, elle conserve son action récursoire à l'encontre de l'employeur.

Sur ce :

Aux termes de l'article L. 452-3-1 du code de la sécurité sociale, 'Quelles que soient les conditions d'information de l'employeur par la caisse au cours de la procédure d'admission du caractère professionnel de l'accident ou de la maladie, la reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur par une décision de justice passée en force de chose jugée emporte l'obligation pour celui-ci de s'acquitter des sommes dont il est redevable à raison des articles L. 452-1 à L 452-3".

Ayant pour objet exclusif la prise en charge ou le refus de prise en charge au titre de la législation professionnelle, de l'accident, de la maladie ou de la rechute, la décision prise par la caisse dans les conditions prévues par l'article R. 441-14 du code de la sécurité sociale est sans incidence sur l'action en reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur.

L'inopposabilité de la décision de prise en charge de l'accident du travail ne fait pas obstacle à la demande de la caisse tendant à récupérer, sur le fondement de l'article L. 452-3 du code de la sécurité sociale, les compléments indemnitaires alloués à la victime en réparation d'une faute inexcusable de l'employeur. (2e Civ., 28 novembre 2019 n°18-24.161)

Il s'ensuit que le jugement sera confirmé en ce qu'il a dit que la caisse dispose d'une action récursoire à l'encontre de la société en remboursement des sommes allouées dont elle est tenue de faire l'avance.

5. Sur les frais irrépétibles et les dépens

Il serait inéquitable de laisser à la charge du FIVA et des consorts [R] le montant des frais irrépétibles exposés pour faire valoir leurs droits en justice.

Il sera alloué en conséquence sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile :

- au FIVA la somme de 1 500 euros, s'ajoutant à la somme de 1 500 euros déjà allouée par les premiers juges ;

- au consorts [R] la somme de 2 500 euros s'ajoutant à la somme de 3 500 euros déjà allouée par les premiers juges ;

Les dépens de la présente procédure seront laissés à la charge de la société qui succombe à l'instance.

PAR CES MOTIFS :

La COUR, statuant publiquement par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe,

Infirme le jugement entrepris en ce qu'il :

- a débouté le Fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante de sa demande en paiement de la somme de 1 856,98 euros au titre du préjudice économique de Mme [U] [R] ;

- a fixé l'indemnisation du préjudice moral de Mme [H] [R], M. [N] [R] et Mme [E] [R] à :

* 8 700 euros pour Mme [H] [R]

* 8 700 euros pour M. [N] [R]

* 12 000 euros pour Mme [E] [R] ;

Et statuant à nouveau sur ces chefs,

Dit que la majoration de rente due à Mme [U] [R] sera versée par la caisse primaire d'assurance maladie de Loire-Atlantique au Fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante dans la limite de 1 856,98 euros et le solde éventuel à Mme [U] [R] ;

Fixe l'indemnisation du préjudice moral des ayants droit précités de [I] [R] à :

* 5 400 euros pour Mme [H] [R]

* 5 400 euros pour M. [N] [R]

* 8 700 euros pour Mme [E] [R] ;

Confirme le jugement entrepris pour le surplus ;

Y ajoutant :

Condamne la société [13] à verser les sommes suivantes par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile :

- 1 500 euros au Fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante ;

- 2 500 euros aux consorts [R] ;

Condamne la société [13] aux dépens d'appel.

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Rennes
Formation : 9ème ch sécurité sociale
Numéro d'arrêt : 21/04689
Date de la décision : 26/06/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 03/07/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-06-26;21.04689 ?
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