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25/06/2024 | FRANCE | N°23/05107

France | France, Cour d'appel de Rennes, 1ère chambre, 25 juin 2024, 23/05107


1ère Chambre





ARRÊT N°197



N° RG 23/05107

N° Portalis

DBVL-V-B7H-UCCK



(Réf 1ère instance : 12-23-310)









Mme [E] [R] veuve [U]



C/



S.A.S.. RIBAUD IMMO









Copie exécutoire délivrée



le :



à :







RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



COUR D'APPEL DE RENNES

ARRÊT DU 25 JUIN 2024





COMPOSITION DE LA COUR L

ORS DU DÉLIBÉRÉ :



Président : Madame Véronique VEILLARD, Présidente de chambre,

Assesseur : Monsieur Philippe BRICOGNE, Président de chambre,

Assesseur : Madame Caroline BRISSIAUD, Conseillère,



GREFFIER :



Madame Marie-Claude COURQUIN, lors des débats et lors du prononcé



DÉBAT...

1ère Chambre

ARRÊT N°197

N° RG 23/05107

N° Portalis

DBVL-V-B7H-UCCK

(Réf 1ère instance : 12-23-310)

Mme [E] [R] veuve [U]

C/

S.A.S.. RIBAUD IMMO

Copie exécutoire délivrée

le :

à :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE RENNES

ARRÊT DU 25 JUIN 2024

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :

Président : Madame Véronique VEILLARD, Présidente de chambre,

Assesseur : Monsieur Philippe BRICOGNE, Président de chambre,

Assesseur : Madame Caroline BRISSIAUD, Conseillère,

GREFFIER :

Madame Marie-Claude COURQUIN, lors des débats et lors du prononcé

DÉBATS :

A l'audience publique du 4 mars 2024 devant Madame Véronique VEILLARD, magistrat rapporteur, tenant seul l'audience, sans opposition des représentants des parties et qui a rendu compte au délibéré collégial

ARRÊT :

Contradictoire, prononcé publiquement le 25 juin 2024 par mise à disposition au greffe après prorogation du délibéré annoncé au 22 mai 2024 à l'issue des débats

****

APPELANTE :

Madame [E] [R] veuve [U]

née le [Date naissance 2] 1941 à [Localité 8] (56)

[Adresse 1]

[Localité 5]

Représentée par Me Gilles REGNIER, avocat au barreau de LORIENT et par Me Jean-Guillaume LE MINTIER de la SELARL ISIS AVOCATS, avocat au barreau de RENNES

INTIMÉE :

La société RIBAUD IMMO, SAS immatriculée au registre du commerce et des sociétés de Meaux sous le n°903.539.229, agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité au siège

[Adresse 3]

[Localité 6]

Représentée par Me Sophie RENOUF de la SELARL SOPHIE RENOUF, avocat au barreau de LORIENT

FAITS ET PROCÉDURE

1. Mme [E] [R] épouse [U] et M. [B] [U] ont, par acte du 25 novembre 2005, acquis un bien immobilier à usage d'habitation sis [Adresse 1] à [Localité 8] selon un mécanisme de location-accession avec la Coopérative HLM de [Localité 7]

2. M. [B] [U] est décédé le [Date décès 4] 2017.

3. Par jugement du 18 mai 2021, le juge aux affaires familiales du tribunal judiciaire de Lorient a ordonné la vente par licitation aux enchères publiques de l'immeuble devenu propriété de Mme [R]. Par arrêt du 26 octobre 2021, l'appel contre cette décision a été déclaré irrecevable comme tardivement interjeté.

4. Par jugement du 12 mai 2012, le tribunal judiciaire de Lorient a adjugé l'immeuble au prix de 163.000 € à la sasu Ribaud Immo. La décision a été signifiée à Mme [R] le 9 juin 2022 et est devenue définitive le 9 août 2022, conduisant l'occupante à devoir quitter les lieux au profit de l'adjudicataire.

5. Mme [R] ne s'étant pas exécutée, la sasu Ribaud Immo l'a, par acte de commissaire de justice du 21 mars 2023, fait assigner devant le juge des contentieux de la protection du tribunal judiciaire de Lorient statuant en référé aux fins d'expulsion ainsi que de paiement d'une indemnité d'occupation.

6. Par ordonnance du 11 août 2023, le juge des contentieux de la protection du tribunal judiciaire de Lorient statuant en référé a :

- constaté l'occupation sans droit ni titre par Mme [U] du bien immobilier sis [Adresse 1] à [Localité 8] depuis le 12 mai 2022,

- dit que l'expulsion de Mme [U] et de tous occupants de son chef pourra être poursuivie en tant que de besoin avec le concours de la force publique à l'expiration d'un délai de deux mois suivant la délivrance d'un commandement d'avoir à quitter les lieux,

- débouté Mme [U] de sa demande d'octroi d'un délai supplémentaire pour quitter les lieux,

- débouté la sasu Ribaud Immo de sa demande d'astreinte,

- fixé le montant de l'indemnité mensuelle d'occupation due à titre de provision jusqu'à la libération définitive des lieux, à la somme mensuelle de 800 € charges comprises à compter de la date 12 mai 2022,

- condamné Mme [U] à payer à la sasu Ribaud Immo la somme de 800 € à titre d'indemnité mensuelle d'occupation, à titre de provision, à compter du 12 mai 2022 jusqu'à la libération effective des lieux,

- dit que par les soins du greffe, la présente décision sera transmise au préfet de département du lieu de domicile de Mme [U] dans le cadre du plan départemental d'action pour le logement des personnes défavorisées,

- condamné Mme [U] à payer à la sasu Ribaud Immo la somme de 700 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné Mme [U] aux dépens.

7. Le juge des référés a constaté l'occupation sans droit ni titre du logement par Mme [R] depuis le jugement d'adjudication du 12 mai 2022 et retenu que compte tenu du délai écoulé entre ce jugement et l'ordonnance d'expulsion, Mme [R] avait disposé d'un délai suffisant pour quitter les lieux. Il a rejeté sa demande d'octroi de délais supplémentaires et ordonné son expulsion en octroyant le concours de la force publique et en ne faisant pas droit à la demande d'astreinte de la sasu Ribaud Immo. Le juge a également retenu que Mme [R] avait commis une faute à l'égard de la sasu Ribaud Immo en ne quittant pas les lieux et, qu'en ce sens, elle lui devait une indemnité d'occupation d'un montant de 800 € par mois compte tenu de deux avis de valeur locative produits par la sasu Ribaud Immo et non remis en cause par les pièces adverses.

8. Un commandement de quitter les lieux a été délivré à Mme [R] le 24 août 2023.

9. Mme [R] a interjeté appel de l'ordonnance du 11 août 2023 par déclaration du 30 août 2023.

10. Le 7 septembre 2023, postérieurement à la déclaration d'appel, une saisie-attribution a été pratiquée sur les comptes bancaires de Mme [R] en exécution du paiement de l'indemnité d'occupation fixée à 800 €.

11. Par acte de commissaire de justice du 18 septembre 2023, Mme [R] a fait citer la sasu Ribaud Immo devant le juge de l'exécution du tribunal judiciaire de Lorient afin de voir ordonner la mainlevée de cette saisie-attribution motif pris de ce que l'indemnité mensuelle d'occupation fixée à 800 € ne correspondait pas à la valeur locative réelle du bien et que la procédure de saisie-attribution était abusive.

12. Par jugement du 21 novembre 2023, le juge de l'exécution du tribunal judiciaire de Lorient s'est déclaré incompétent au profit de la cour d'appel de Rennes sur le fondement de l'article 562 du code de procédure civile relatif à l'effet dévolutif de l'appel.

PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

13. Mme [R] expose ses prétentions et moyens dans ses dernières conclusions remises au greffe et notifiées le 5 février 2024 aux termes desquelles elle demande à la cour de :

- réformer en toutes ses dispositions l'ordonnance de référé en date du 11 août 2023,

- statuant à nouveau,

- ordonner l'interruption immédiate de la procédure mise en place par la sasu Ribaud Immo consistant en la délivrance d'un commandement de quitter les lieux en date du 24 août 2023,

- lui accorder les plus larges délais en application des articles L. 412-3 et suivants du code des procédures civiles d'exécution,

- dire que l'indemnité d'occupation à laquelle elle est assujettie ne pourra dépasser la somme de 400 € par mois et l'y condamner rétroactivement depuis le 11 août 2023,

- condamner la sasu Ribaud Immo au paiement de la somme de 1.500 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile pour abus de procédure.

14. Elle soutient que :

- elle n'est pas fautive et la procédure amorcée contre elle est abusive dès lors qu'elle ne pouvait pas se reloger dans des conditions normales au sens de l'article L. 412-3 du code des procédures civiles d'exécution,

- elle justifie de nombreuses démarches dans le but de se reloger auprès notamment des bailleurs sociaux, de la direction générale des interventions sanitaires et sociales, du préfet et de la direction départementale des territoires,

- en tout état de cause, elle a dorénavant quitté les lieux depuis le 24 janvier 2024, la procédure d'expulsion émise à son encontre n'ayant plus lieu d'être,

- elle est à jour du paiement de l'indemnité d'occupation prononcée à son encontre par l'ordonnance du 11 août 2023 en raison de la saisie-attribution à hauteur d'un montant de 43.299,84 € opérée sur ses comptes bancaires le 5 septembre 2023,

- elle est dans une situation critique et précaire en raison de son âge, de son faible niveau de ressources et de la procédure diligentée par la sasu Ribaud Immo à des fins spéculatives,

- l'indemnité d'occupation fixée à 800 € par l'ordonnance du 11 août 2023 est démesurée par rapport au prix du marché dans ce secteur et par rapport à sa situation financière dans la mesure où elle ne touche que 910 € au titre de sa pension mensuelle de retraite,

- dès lors, le montant de l'indemnité d'occupation doit être révisé et fixé à 400 € afin d'être raisonnable.

15. La sasu Ribaud Immo expose ses prétentions et moyens dans ses dernières conclusions remises au greffe et notifiées le 27 octobre 2023 aux termes desquelles elle demande à la cour de :

- confirmer l'ordonnance déférée en ce qu'elle a :

- constaté l'occupation sans droit ni titre par Mme [R] du bien immobilier sis [Adresse 1] à [Localité 8] depuis le 12 mai 2022,

- dit que l'expulsion de Mme [R] et de tous occupants de son chef pourra être poursuivie, en tant que de besoin avec le concours de la force publique à l'expiration d'un délai de deux mois suivant la délivrance d'un commandement d'avoir à quitter les lieux,

- débouté Mme [R] de sa demande d'octroi de délais supplémentaires pour quitter les lieux,

- fixé le montant de l'indemnité d'occupation due à titre de provision jusqu'à la libération définitive à la somme mensuelle de 800 € charges comprises, à compter du 12 mai 2022,

- condamné Mme [R] à lui payer la somme de 800 € à titre d'indemnité d'occupation, à titre de provision, à compter du 12 mai 2022 jusqu'à la libération effective des lieux,

- dit que par les soins du greffe, la présente décision sera transmise au préfet dans le cadre du plan départemental d'action pour le logement des personnes défavorisées,

- condamné Mme [R] à lui payer la somme de 700 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens,

- réformer l'ordonnance de référé rendue par le juge des contentieux de la protection près du tribunal judiciaire de Lorient le 11 août 2023 en ce qu'elle l'a déboutée de sa demande d'astreinte,

- statuant à nouveau :

- ordonner que l'expulsion de Mme [R], ainsi que celle de tous les occupants de son chef, de l'immeuble situé [Adresse 1] à [Localité 8] soit assortie d'une astreinte de 500 € par jour de retard à compter de la signification de l'arrêt à intervenir,

- débouter Mme [R] de toutes ses demandes,

- condamner Mme [R] à lui verser la somme de 3.000 € sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

- condamner Mme [R] aux dépens.

Elle soutient que :

- c'est à bon droit que le juge des référés a constaté l'occupation sans droit ni titre du logement par l'appelante dès lors que le jugement d'adjudication en date du 12 mai 2022 a fait d'elle la propriétaire du bien et a, par conséquent exproprié et privé l'appelante de tout droit d'occupation,

- conformément à l'article 835 alinéa 1er du code de procédure civile et à la jurisprudence de la Cour de cassation, l'occupation sans droit ni titre d'un immeuble constitue un trouble manifestement illicite que le juge des contentieux de la protection peut faire cesser en ordonnant, par procédure de référé, les mesures nécessaires telle que l'expulsion de ladite occupante,

- l'appelante se tient illégalement dans les lieux depuis de nombreux mois causant une faute délictuelle à son égard justifiant l'octroi d'une indemnité d'occupation conformément aux articles 835 alinéa 2 du code de procédure civile et 1240 du code civil,

- sur le montant de cette indemnité d'occupation, elle produit deux attestations de valeur locative du bien qui l'évaluent respectivement à 780 € par mois et entre 800 et 1.000 € par mois, en conséquence, le juge des référés a justement apprécié le montant de l'indemnité d'occupation qu'il a fixé à 800 € à compter du jugement d'adjudication,

- l'appelante se maintient dans les lieux en raison d'une volonté systématique de s'opposer, par principe, à la vente du bien et non en raison de difficultés de relogement,

- en effet, l'appelante a d'abord fait obstacle aux tentatives de partage amiable du bien initiées par le mandataire liquidateur de son défunt époux avant de relever appel de la décision d'adjudication du juge des affaires familiales du tribunal judiciaire de Lorient du 18 mai 2021, de tenter de faire renvoyer l'audience d'adjudication en soutenant, à tort, avoir constitué avocat ou encore en refusant d'exécuter ledit jugement d'adjudication malgré le commandement de quitter les lieux lui ayant été adressé,

- l'appelante n'invoque aucun argument nouveau à ce stade de la procédure et se contente de produire les mêmes arguments qui l'ont amené à être déboutée par les précédentes juridictions alors même qu'elle a reçu la part du prix de vente du bien qui lui revenait, à savoir la somme de 81.600,63 €,

- il résulte de ces éléments que les difficultés de relogement sont imputables au refus de principe de l'appelante de délaisser le bien ce qui laisse entendre une mauvaise foi de sa part justifiant le refus d'octroi de délais supplémentaires pour quitter les lieux,

- le prononcé d'une mesure d'astreinte à hauteur de 500 € par jour en sus de l'octroi de la force publique concernant l'exécution de la mesure d'expulsion de l'appelante est nécessaire au vu de sa volonté de ne pas quitter les lieux qu'elle admet elle-même au sein de ses conclusions d'appel.

17. L'instruction de l'affaire a été déclarée close le 6 février 2024.

18. Postérieurement à l'ordonnance de clôture et par conclusions de procédure remises au greffe et notifiées le 28 février 2024, Mme [R] demande à la cour de :

- ordonner la révocation de l'ordonnance de clôture en date du 6 février 2024 au vu des nouvelles pièces produites le 28 février 2024 aux débats (pièces no 23 à 26) et de son départ des lieux,

- réformer en toutes ses dispositions l'ordonnance de référé du tribunal judiciaire de Lorient en date du 11 août 2023,

- dire que l'indemnité d'occupation dont elle sera redevable sera limitée rétroactivement à une somme de 400 € par mois, à compter du 11 août,

- condamner la sas Ribaud Immo au paiement de la somme de 1.500 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

19. Elle soutient que sa situation a drastiquement évolué puisqu'elle a quitté les lieux le mercredi 7 février 2024 soit le lendemain de l'ordonnance de clôture. De plus, elle produit des nouvelles pièces attestant du mauvais état du bien faisant, en conséquence, baisser sa valeur locative.

20. En réponse, la sasu Ribaud Immo s'oppose à ces demandes par conclusions remises au greffe et notifiées le 29 février 2024 aux termes desquelles elle demande à la cour de :

- débouter Mme [R] de sa demande de révocation de l'ordonnance de clôture du 6 février 2024,

- déclarer irrecevables les conclusions et pièces de Mme [R] communiquées le 28 février 2024.

21. Elle soutient que l'appelante ne justifie d'aucun motif grave à ce que l'ordonnance de clôture soit révoquée dès lors qu'elle a quitté les lieux le 24 janvier 2024, soit bien avant l'ordonnance de clôture en date du 6 février 2024 et qu'elle ne produit pas d'éléments nouveaux puisque le diagnostic immobilier visé en pi ce 26 date du 22 juin 2020.

22. Pour plus ample exposé des prétentions et moyens des parties, il convient de se reporter à leurs écritures ci-dessus visées figurant au dossier de la procédure.

MOTIFS DE L'ARRÊT

1) Sur la révocation de l'ordonnance de clôture

23. L'article 905 du code de procédure civile dispose que 'Le président de la chambre saisie, d'office ou à la demande d'une partie, fixe les jours et heures auxquels l'affaire sera appelée à bref délai au jour indiqué, lorsque l'appel :

['] 2° Est relatif à une ordonnance de référé ;

['] Dans tous les cas, il est procédé selon les modalités prévues aux articles 778 et 779.'

24. L'article 778 du code de procédure civile dispose que 'Le président renvoie à l'audience de plaidoirie les affaires qui, d'après les explications des avocats et au vu des conclusions échangées et des pièces communiquées, lui paraissent prêtes à être jugées sur le fond.

[']
Dans tous ces cas, le président déclare l'instruction close.'

25. Enfin, en application de l'article 803 du même code, 'L'ordonnance de clôture ne peut être révoquée que s'il se révèle une cause grave depuis qu'elle a été rendue ; la constitution d'avocat postérieurement à la clôture ne constitue pas, en soi, une cause de révocation.

Si une demande en intervention volontaire est formée après la clôture de l'instruction, l'ordonnance de clôture n'est révoquée que si le tribunal ne peut immédiatement statuer sur le tout.

L'ordonnance de clôture peut être révoquée, d'office ou à la demande des parties, soit par ordonnance motivée du juge de la mise en état, soit, après l'ouverture des débats, par décision du tribunal.'

26. En l'espèce, Mme [R] a interjeté appel le 30 août 2023 d'une ordonnance de référé rendue par le juge des contentieux de la protection du tribunal judiciaire de Lorient le 11 août 2023. L'instruction a été clôturée par une ordonnance du magistrat délégué du 6 février 2024.

27. Aux termes de ses conclusions de procédure du 28 février 2024, Mme [R] demande la révocation de cette ordonnance de clôture au motif que sa situation a changé puisqu'elle a quitté les lieux le 7 février 2024. Elle produit de nouvelles pièces au débat qui sont, selon elle, de nature à justifier la révision du montant de l'indemnité d'occupation tel qu'il a été fixé par l'ordonnance dont il est fait appel.

28. Les pièces nouvellement communiquées sont :

- une lettre de M. Ribaud attestant qu'il s'est vu remettre les clés du bien le 7 février 2024,

- des photographies du bien qui, selon les conclusions de l'appelante, attesteraient de son mauvais état mais qui sont, en réalité, inexploitables tant la qualité est mauvaise,

- un état des ressources et dépenses de Mme [R],

- un diagnostic de performance énergétique établi le 22 juin 2020 classant le logement en E concernant la consommation énergétique et en F concernant les émissions de gaz à effet de serre.

29. Il ressort des pièces d'ores et déjà communiquées au dossier que par transmission de la direction générale des interventions sanitaires et sociales du Morbihan, Mme [R] s'est vue proposer un logement par la commission d'attribution des logements dans le cadre du droit au logement opposable (DALO) en date du 7 novembre 2023. Bien qu'il ait été précisé que la livraison des logements était reportée au mois de janvier 2024, Mme [R] a accepté ladite proposition le 8 novembre 2023. En ce sens, Mme [R] savait, dès le mois de novembre 2023, qu'elle serait relogée en janvier 2024.

30. Néanmoins, le relogement ne s'est finalement organisé que le 7 février 2024, soit le lendemain de l'ordonnance de clôture. M. Ribaud certifie en effet dans un courrier manuscrit 'avoir reçu les clefs le 7 février 2024 à 9 h 00 du bien situé au [Adresse 1].'

31. Ce départ définitif des lieux s'analyse en une cause grave au sens de l'article 803 ci-dessus visé dès lors qu'il a un impact direct sur la demande d'expulsion qui devient sans objet.

32. Il sera donc fait droit à la révocation de l'ordonnance de clôture conduisant à admettre, dans le cadre de la liquidation des comptes entre les parties, tant les conclusions que les pièces produites le 28 février 2024 par Mme [R], dont le diagnostic de performance énergétique. La clôture est prononcée à nouveau à la date de l'audience qui s'est tenue le 4 mars 2024.

2) Sur le montant de l'indemnité d'occupation à titre provisionnel

33. La Cour de cassation juge de manière constante, sur le fondement de l'article 1240 du code civil, que celui qui se maintient dans les lieux sans droit ni titre commet une faute quasi-délictuelle à l'égard du propriétaire, ce qui justifie l'octroi d'une indemnité d'occupation.

34. En l'espèce, à la suite du jugement d'adjudication du 12 mai 2022, la sasu Ribaud Immo est devenue propriétaire du bien litigieux, obligeant Mme [R] à quitter les lieux.

35. Or, en se maintenant dans les lieux, Mme [R] a commis une faute à l'égard de la sasu Ribaud Immo, constituant un trouble manifestement illicite, ce qui n'est pas contesté.

36. Pour déterminer le montant de l'indemnité d'occupation, le juge des référés s'est rapporté à deux avis de valeur locative produits pas la sasu Ribaud Immo lesquels estiment la valeur locative du bien à hauteur de 780 € à 1000 €.

37. En appel, pour justifier une révision à la baisse du montant de l'indemnité mensuelle d'occupation, Mme [R] produit un diagnostic de performance énergétique datant du 22 juin 2020 ainsi qu'un jeu de photographies en noir et blanc. Or, si le diagnostic fait état d'un classement en E s'agissant de la performance énergétique, ce qui reste un classement moyen, force est d'observer que Mme [R] ne s'est jamais prévalue auprès de la sasu Ribaud Immo de cette mesure technique, et ce pendant près de 4 année depuis sa date et, surtout, à aucun moment depuis l'origine de la présente procédure judiciaire.

38. Il s'en déduit qu'il ne peut donc être tiré aucune conséquence de cette mauvaise performance énergétique sur les conditions d'habitabilité de la maison (dont elle ne s'est jamais plainte) et donc sa valeur locative.

39. Ce d'autant que les attestations de valeur locative sont quant à elles datées des 16 février 2023 (Agence Belliet : 780 € / mois) et 22 février 2023 (L'Agence : 1.000 € / mois), qu'elles ont été produites aux débats de première instance sans appeler d'objection de la part de Mme [R].

40. Il sera enfin relevé que les photocopies en noir et blanc de clichés photographiques pris à l'intérieur de la maison sont totalement inexploitables puisqu'elles sont très sombres sans qu'on puisse y distinguer quoique ce soit.

41. Au total, aucune pièce n'est de nature à attester d'une valeur locative moindre que celle avancée par l'intimée.

42. En conséquence, le montant de l'indemnité d'occupation fixé à titre provisoire à hauteur de la somme de 800 € par mois sera maintenu.

43. L'ordonnance sera confirmée sur ce point.

3) Sur la procédure d'expulsion

44. L'article 835 du code de procédure civile dispose que 'Le président du tribunal judiciaire ou le juge des contentieux de la protection dans les limites de sa compétence peuvent toujours, même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite.

Dans les cas où l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable, ils peuvent accorder une provision au créancier, ou ordonner l'exécution de l'obligation même s'il s'agit d'une obligation de faire.'

45. En l'espèce, l'ordonnance dont appel a ordonné l'expulsion de Mme [R] du bien adjugé à la sasu Ribaud Immo en autorisant, si besoin, l'emploi de la force publique. Mme [R] s'est maintenue dans le logement malgré un commandement de quitter les lieux en date du 24 août 2023, faute de pouvoir se reloger. Cependant, elle a dorénavant quitté les lieux, ce qui n'est pas contesté par la sasu Ribaud Immo, pour être relogée dans une résidence de service.

46. En conséquence, la demande d'expulsion sous astreinte est devenue sans objet de même que la demande de délais pour quitter les lieux et de transmission aux services de la préfecture dans le cadre du logement des personnes défavorisées.

4) Sur la procédure de saisie-attribution

47. A la suite d'une saisie-attribution opérée le 7 septembre 2023 sur ses comptes bancaires pour un montant de 43.299,84 €, Mme [R] a, par exploit du 18 septembre 2023, fait citer la sasu Ribaud Immo devant le juge de l'exécution du tribunal judiciaire de Lorient afin de voir ordonner la mainlevée de cette mesure.

48. Par jugement en date du 21 novembre 2023, le juge de l'exécution s'est déclaré incompétent au profit de la cour sur le fondement de l'effet dévolutif de l'appel estimant que le sort de la mesure de saisie-attribution dépendait du litige pendant devant la cour concernant l'expulsion et les indemnités d'occupation.

49. Par soit-transmis du 4 mars 2024 adressé au conseil des parties, le greffe de la cour d'appel de Rennes leur a fait connaître que cette affaire initialement attribuée à la 2ème chambre civile de la cour, compétente en matière de contentieux de l'exécution, avait été redistribuée à la 1ère chambre civile sous le n° RG 24/393, de sorte qu'il convient d'en ordonner la jonction avec la présente affaire enregistrée sous le n° RG 23/5107.

50. Pour retenir son incompétence, le juge de l'exécution a retenu que 'L'article 562 du code de procédure civile dispose que 'L'appel défère à la cour la connaissance des chefs de jugement qu'il critique expressément et de ceux qui en dépendent.

La dévolution ne s'opère pour le tout que lorsque l'appel tend à l'annulation du jugement ou si l'objet du litige est indivisible.'

51. Toutefois, il n'a pas statué sur la mesure d'exécution dont il était saisi, de sorte qu'il ne saurait y avoir un quelconque effet dévolutif d'une décision non encore intervenue sur ladite mesure.

52. La cour d'appel n'a, dans l'instance 23/5107, été saisie que de l'appel interjeté contre une mesure d'expulsion et contre une condamnation au paiement d'indemnités d'occupation provisionnelles et en aucun cas d'un appel contre une décision statuant sur la mesure de saisie-attribution.

53. C'est en réalité un sursis à statuer qui devait être prononcé par le juge de l'exécution, seul compétent pour trancher les contentieux afférents à l'exécution, et ce dans l'attente de l'arrêt de la cour d'appel statuant sur l'expulsion et les indemnités d'occupation, le tout de façon à permettre que se tienne le débat du 1er degré portant sur le bien-fondé de cette mesure mise en oeuvre à hauteur d'une somme 43.299,84 €, à charge d'appel le cas échéant. Il doit du reste être noté que les parties n'ont d'ailleurs pas conclu en appel sur la demande de mainlevée de la mesure de saisie-attribution dont était saisi le juge de l'exécution, mais ont seulement conclu sur l'expulsion et les indemnités d'occupation et qu'elles sont légitimes à prétendre à bénéficier du double degré de juridiction.

54. En conséquence, il sera dit que l'affaire sera renvoyée au juge de l'exécution pour qu'il soit statué en 1ère instance et à charge d'appel sur la mesure de saisie-attribution dont il a été saisi, les indemnités mensuelles d'occupation étant ci-dessus confirmées provisionnellement et le compte restant à faire entre les parties.

5) Sur les dépens et les frais irrépétibles

55. Succombant, Mme [R] supportera les dépens d'appel.

56. L'ordonnance sera confirmée s'agissant des dépens de première instance.

57. Enfin, eu égard aux circonstances de l'affaire, il n'est pas inéquitable de laisser à la charge de chacune des parties les frais exposés par elles dans la présente instance et qui ne sont pas compris dans les dépens.

58. L'ordonnance sera infirmée s'agissant des frais irrépétibles de première instance tandis que les demandes de Mme [R] de ce chef seront rejetées.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Ordonne la révocation de l'ordonnance de clôture du 6 février 2024,

Admet aux débats les conclusions et pièces versées par Mme [E] [R] le 28 février 2024 et les conclusions versées par la sasu Ribaud Immo le 29 février 2024,

Ordonne la jonction des affaires enregistrées sous les n° RG 23/5107 et n° RG 24/393 et dit que l'affaire demeure enregistrée sous le seul et unique n° RG 23/5107,

Ordonne la clôture de l'instruction à la date du 4 mars 2024,

Confirme l'ordonnance du juge des référés du tribunal judiciaire de Lorient du 11 août 2023 en ce qu'elle a condamné Mme [E] [R] veuve [U] à payer une indemnité provisionnelle d'occupation à la sasu Ribaud Immo dont le montant est fixé à la somme mensuelle de 800 € à compter du 12 mai 2022 et jusqu'à la libération définitive des lieux,

L'infirme pour le surplus,

Statuant à nouveau,

Constate que les demandes d'expulsion sous astreinte, de délais pour quitter les lieux et de transmission au préfet du département sont devenues sans objet,

Renvoie les parties devant le juge de l'exécution pour qu'il soit statué sur la mesure de saisie-attribution dont il a été saisi,

Dit qu'à cet effet, une copie du présent arrêt est transmise au juge de l'exécution du tribunal judiciaire de Lorient pour reprise de l'instance portant sur la mesure de saisie-attribution dont il a été saisi,

Condamne Mme [E] [R] veuve [U] aux dépens d'appel,

Rejette le surplus des demandes.

LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Rennes
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 23/05107
Date de la décision : 25/06/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 03/07/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-06-25;23.05107 ?
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