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20/06/2024 | FRANCE | N°22/07095

France | France, Cour d'appel de Rennes, 7ème ch prud'homale, 20 juin 2024, 22/07095


7ème Ch Prud'homale





ARRÊT N°287/2024



N° RG 22/07095 - N° Portalis DBVL-V-B7G-TKJY













M. [K] [M]



C/



CINECRANS S.A.S.



















Copie exécutoire délivrée

le :



à :





RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



COUR D'APPEL DE RENNES

ARRÊT DU 20 JUIN 2024





COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU D

ÉLIBÉRÉ :



Président : Monsieur Hervé BALLEREAU, Président de chambre,

Assesseur : Madame Isabelle CHARPENTIER, Conseillère,

Assesseur : Monsieur Bruno GUINET, Conseiller,



GREFFIER :



Madame Françoise DELAUNAY, lors des débats et lors du prononcé



DÉBATS :



A l'audience publique du...

7ème Ch Prud'homale

ARRÊT N°287/2024

N° RG 22/07095 - N° Portalis DBVL-V-B7G-TKJY

M. [K] [M]

C/

CINECRANS S.A.S.

Copie exécutoire délivrée

le :

à :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE RENNES

ARRÊT DU 20 JUIN 2024

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :

Président : Monsieur Hervé BALLEREAU, Président de chambre,

Assesseur : Madame Isabelle CHARPENTIER, Conseillère,

Assesseur : Monsieur Bruno GUINET, Conseiller,

GREFFIER :

Madame Françoise DELAUNAY, lors des débats et lors du prononcé

DÉBATS :

A l'audience publique du 25 Mars 2024

En présence de Madame Dubuis, médiateur judiciaire,

ARRÊT :

Contradictoire, prononcé publiquement le 20 Juin 2024 par mise à disposition au greffe comme indiqué à l'issue des débats

****

APPELANT :

Monsieur [K] [M]

né le 11 Janvier 1979 à [Localité 4]

[Adresse 5]

[Localité 3]

Représenté par Me Arnaud COUSIN, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de RENNES substitué par Me GREGOIRE, avocat au barreau de RENNES

INTIMÉE :

CINECRANS S.A.S. Prise en la personne de ses représentants légaux, domiciliés en cette qualité audit siège

[Adresse 1]

[Localité 2]

Représentée par Me Florence LE GAGNE de la SELARL KOVALEX, Plaidant, avocat au barreau de SAINT-BRIEUC substituée par Me MAROS, avocat au barreau de SAINT-BRIEUC

Représentée par Me Christophe LHERMITTE de la SELEURL GAUVAIN, DEMIDOFF & LHERMITTE, Postulant, avocat au barreau de RENNES

EXPOSÉ DU LITIGE

Le 1er septembre 2012, M. [K] [M] a été embauché en qualité de chef d'équipe hall selon un contrat à durée déterminée par la SAS Cinécrans qui exploite à [Localité 7], le cinéma Cinéland, et à [Localité 6], le cinéma Le club 6.

La société Cinécrans applique la convention collective nationale de la production cinématographique du 19 janvier 2012.

Le 1er décembre 2012, M. [M] était embauché en contrat à durée indéterminée.

A compter du 1er juillet 2017, M. [M] était promu au poste d'assistant directeur.

A compter du 9 janvier 2019, M. [M] a été placé en arrêt de travail. Par la suite, il a de nouveau été arrêté à plusieurs reprises.

Le 5 février 2020, M. [M] a été déclaré inapte à son poste de travail avec possibilité de reclassement pour 'un poste sans station debout prolongée (en alternant position assise et position debout) sans manutention, sans contrainte posturale du rachis de type flexion-extension rotation par exemple : pourrait occuper un poste de type administratif avec formation si besoin'.

Par courrier en date du 9 mars 2020, la SAS Cinécrans a notifié à M. [M] une impossibilité de reclassement.

Par courrier en date du 10 mars 2020, il a été convoqué à un entretien préalable à son licenciement, finalement tenu le 19 mai 2020.

Par courrier en date du 25 mai 2020, M. [M] s'est vu notifier son licenciement pour inaptitude avec impossibilité de reclassement.

 ***

M. [M] a saisi le conseil de prud'hommes de Saint-Brieuc par requête en date du 21 mai 2021 afin de voir juger son licenciement sans cause réelle et sérieuse et d'obtenir le paiement des sommes suivantes :

- Dommages et intérêts pour inexécution fautive du contrat de travail : 2 700,00 euros

- Indemnité compensatrice de préavis : 5 389,96 euros

- Congés payés afférents : 538,99 euros

- Dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse : 21 559,84 euros

- Article 700 du code de procédure civile : 3 000,00 euros

- Avec intérêts de droit à compter du jugement

- Ordonner l'exécution provisoire pour toutes les condamnations n'en bénéficiant pas de droit

- Rejeter toutes autres demandes, fins et conclusions

La SAS Cinécrans a demandé au conseil de prud'hommes de débouter M. [M] de toutes ses demandes et subsidiairement de réduire le quantum des sommes demandées à titre de dommages-intérêts.

Par jugement en date du 18 novembre 2022, le conseil de prud'hommes de Saint-Brieuc a :

- Dit et jugé qu'aucun manquement contractuel n'a été commis par la SAS Cinécrans dans le cadre de l'exécution du contrat de travail ;

En conséquence,

- Débouté M. [M] de sa demande au titre des dommages et intérêts pour inexécution fautive du contrat de travail,

- Dit et jugé que le licenciement pour inaptitude de M. [M] est un licenciement pour cause réelle et sérieuse

En conséquence,

- Débouté M. [M] de l'ensemble de ses demandes au titre du licenciement sans cause réelle et sérieuse,

- Débouté M. [M] de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- Débouté la SAS Cinécrans de sa demande reconventionnelle au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- Dit que les parties prendront en charge leurs propres dépens s'il en existe

***

M. [M] a interjeté appel de cette décision par déclaration au greffe en date du 5 décembre 2022.

En l'état de ses dernières conclusions transmises par son conseil sur le RPVA le 1er septembre 2023, M. [M] demande à la cour d'appel d'infirmer le jugement entrepris et de :

- Dire le licenciement dénué de cause réelle et sérieuse ;

- Condamner la SAS Cinécrans à lui payer les sommes suivantes :

- 500 euros à titre de dommages-intérêts au titre du non-respect de l'obligation de paiement du salaire à bonne date ;

- 5389,96 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis ;

- 538,99 euros à titre de congés payés afférents ;

- 21 559,84 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

- 3000 euros au titre des frais irrépétibles de première instance

- 3000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile en appel ;

Avec intérêts de droit à compter de l'arrêt, sauf pour les indemnités légales et les sommes à titre de salaire, à compter de la demande en justice valant mise en demeure ;

- Rejeter toutes autres demandes, fins et conclusions, et notamment l'appel incident de l'employeur.

M. [M] fait valoir en substance que :

- Le salaire était régulièrement payé avec retard ; l'employeur était tenu à une obligation de maintien du salaire pendant l'arrêt de maladie ; il n'a pas non plus adressé à la CPAM les documents nécessaires au versement des indemnités journalières ; il n'a pas avisé la Caisse de la fin de la subrogation, ce qui a entraîné un retard dans le paiement des indemnités journalières ;

- Aucune recherche sérieuse de reclassement n'a eu lieu ; il n'est justifié ni d'une consultation préalable des représentants du personnel ni d'un procès-verbal de carence ; le procès-verbal produit par l'employeur n'a pas date certaine et est donc dépourvu de valeur ; ni le témoignage d'employés indiquant avoir vu le procès-verbal de carence affiché, ni la production d'une capture d'écran du site des élections professionnelles ne peuvent conférer date certaine au procès-verbal ;

- Il était tout à fait possible de réorganiser le fonctionnement de l'entreprise pour permettre au salarié de n'effectuer que les tâches préconisées par le médecin du travail, en conformité avec la fiche de poste ; le poste d'assistant directeur n'a pas pour objet principal de venir en renfort pour l'exécution de tâches subalternes (poinçonnage des tickets, orientation des clients, vente de confiseries...) ; c'est un poste de responsabilité qui implique de seconder le directeur et non d'absorber en permanence les surcroîts d'activité ; il est tout à fait possible d'éviter à l'assistant directeur d'exercer des tâches d'agent de manutention ;

- Il se plaignait de l'importance de ses fonctions subalternes au détriment de celles d'assistant directeur, ce que révèlent les entretiens annuels ; la polyvalence visée à l'avenant de 2017 ne vise pas les missions mais les compétences ; l'expression 'en cas de nécessité' visée au contrat de travail renvoie à l'exécution à titre exceptionnel de tâches subalternes ; la réorganisation du poste était parfaitement possible.

En l'état de ses dernières conclusions transmises par son conseil sur le RPVA le 1er juin 2023, la SAS Cinécrans demande à la cour d'appel de :

A titre principal

- Confirmer le jugement du conseil de prud'hommes de Saint-Brieuc du 18 novembre 2022, en ce qu'il a :

- Dit et jugé qu'aucun manquement contractuel n'a été commis par la SAS Cinécrans dans le cadre de l'exécution du contrat de travail ;

- En conséquence, débouté M. [M] de sa demande de dommages et intérêts pour inexécution fautive du contrat de travail (500,00 euros) ;

- Dit et jugé que le licenciement pour inaptitude de M. [M] est un licenciement pour cause réelle et sérieuse ;

- En conséquence, débouté M. [M] de ses demandes au titre du licenciement sans cause réelle et sérieuse :

- 5 389,96 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis et 538,99 euros au titre des congés payés y afférents ;

- 21 559,84 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

- Débouté M. [M] de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- Infirmer le jugement en ce qu'il a :

- Débouté la SAS Cinécrans de sa demande reconventionnelle de condamnation de M. [M] à lui verser la somme de 3 500,00 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- Dit que les parties prendront leurs propres dépens s'il en existe ;

Statuant à nouveau,

- Condamner M. [M] à verser à la SAS Cinécrans 3 500,00 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens au titre de la procédure prud'homale ;

A titre subsidiaire, si par extraordinaire le jugement rendu par le conseil de prud'hommes devait être infirmé et le licenciement de M. [M] jugé sans cause réelle et sérieuse

- Fixer le montant des dommages et intérêts à la somme maximale de 8 084,94 euros ;

En tout état de cause

- Débouter M. [M] de sa demande de condamnation de la SAS Cinécrans à lui verser la somme de 3 000,00 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- Condamner M. [M] à verser à la SAS Cinécrans 3 000,00 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens au titre de la procédure d'appel.

La société Cinécrans fait valoir en substance que :

- L'article 54 de la convention collective prévoit un maintien du salaire en cas de maladie du salarié ; le maintien du salaire a été opéré conformément aux dispositions conventionnelles ; à partir de juillet 2019, il n'y avait plus lieu au maintien du salaire, l'arrêt ayant excédé 180 jours ; la société a alors versé à M. [M] les indemnités journalières et les remboursements de prévoyance au fur et à mesure de leur perception ; le versement des primes a été maintenu tout au long de l'arrêt de travail ;

- Les élections professionnelles des 29 septembre et 11 octobre 2016 ont donné lieu à une carence de candidatures ; un procès-verbal de carence a donc été établi le 11 octobre 2016 ; la régularité des élections n'a fait l'objet d'aucune contestation ; la société ne pouvait consulter des représentants du personnel inexistants ; le site internet dédié aux élections professionnelles prouve la transmission du procès-verbal de carence à l'administration et les dates d'organisation des premier et second tours ;

- M. [M] a été déclaré inapte à son poste de travail ; aucun aménagement du poste de travail ne pouvait être envisagé ; seule une recherche de reclassement dans un autre poste pouvait être effectuée ; les variations dans le nombre d'entrées journalières dans un cinéma justifient une nécessaire polyvalence (hall, caisse, accueil, cabine et encadrement du personnel) de l'assistant directeur ; il était impossible d'aménager le poste de M. [M], sauf à le vider de sa substance ; il n'a pas été possible de le reclasser sur un autre poste ; M. [M] a signé l'avenant du 4 juillet 2017 et la fiche de poste correspondante lui a été remise ; il a accepté le poste en toute connaissance de cause et l'a occupé pendant plus de deux ans ; plusieurs témoins attestent de la réalité des fonctions exercées par M. [M] ; de même des salariés ayant occupé ou occupant le poste d'assistant directeur témoignent de la diversité des missions confiées ;

- Il a été procédé à des recherches de reclassement parmi les postes disponibles ; à l'exclusion du poste d'agent d'accueil qui s'est avéré incompatible avec les aptitudes physiques de M. [M], aucun poste n'était disponible ; la crise sanitaire du Covid 19 a empêché le projet d'extension du cinéma et la création d'un poste dédié à l'animation et à la communication ;

- Il n'est pas justifié du préjudice allégué ; la dégradation de l'état de santé de M. [M] est survenue suite à un accident de voiture dont il a été victime en revenant d'une soirée privée, en état d'ébriété ; il a créé une activité d'agence en événementiel pendant son arrêt de travail.

***

La clôture de l'instruction a été prononcée par ordonnance du conseiller de la mise en état le 12 mars 2024 avec fixation de la présente affaire à l'audience du 25 mars 2024.

Conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, la cour renvoie, pour un plus ample exposé des prétentions et moyens des parties, à leurs dernières conclusions régulièrement signifiées.

MOTIFS DE LA DÉCISION

1- Sur la contestation du licenciement :

L'article L1226-2 du code du travail dispose :

'Lorsque le salarié victime d'une maladie ou d'un accident non professionnel est déclaré inapte par le médecin du travail, en application de l'article L. 4624-4, à reprendre l'emploi qu'il occupait précédemment, l'employeur lui propose un autre emploi approprié à ses capacités, au sein de l'entreprise ou des entreprises du groupe auquel elle appartient le cas échéant, situées sur le territoire national et dont l'organisation, les activités ou le lieu d'exploitation assurent la permutation de tout ou partie du personnel.

(...)

Cette proposition prend en compte, après avis du comité social et économique lorsqu'il existe, les conclusions écrites du médecin du travail et les indications qu'il formule sur les capacités du salarié à exercer l'une des tâches existantes dans l'entreprise. Le médecin du travail formule également des indications sur la capacité du salarié à bénéficier d'une formation le préparant à occuper un poste adapté.

L'emploi proposé est aussi comparable que possible à l'emploi précédemment occupé, au besoin par la mise en oeuvre de mesures telles que mutations, aménagements, adaptations ou transformations de postes existants ou aménagement du temps de travail'.

L'article L1226-2-1 du même code dispose :

'Lorsqu'il est impossible à l'employeur de proposer un autre emploi au salarié, il lui fait connaître par écrit les motifs qui s'opposent à son reclassement.

L'employeur ne peut rompre le contrat de travail que s'il justifie soit de son impossibilité de proposer un emploi dans les conditions prévues à l'article L. 1226-2, soit du refus par le salarié de l'emploi proposé dans ces conditions, soit de la mention expresse dans l'avis du médecin du travail que tout maintien du salarié dans un emploi serait gravement préjudiciable à sa santé ou que l'état de santé du salarié fait obstacle à tout reclassement dans un emploi.

L'obligation de reclassement est réputée satisfaite lorsque l'employeur a proposé un emploi, dans les conditions prévues à l'article L. 1226-2, en prenant en compte l'avis et les indications du médecin du travail.

S'il prononce le licenciement, l'employeur respecte la procédure applicable au licenciement pour motif personnel prévue au chapitre II du titre III du présent livre'.

En l'espèce, pour soutenir que le licenciement pour inaptitude et impossibilité de reclassement dont il a fait l'objet est sans cause réelle et sérieuse, M. [M] invoque successivement un non-respect de l'obligation de consultation des représentants du personnel et un non-respect de l'obligation de reclassement.

1-1: Sur la question de la consultation des représentants du personnel :

Depuis l'entrée en vigueur de la loi n°2016-1088 du 8 août 2016, dite 'loi travail', lorsque l'employeur envisage de procéder au licenciement pour inaptitude, même non professionnelle, d'un salarié, il doit, si un Comité social et économique (CSE) n'a pas été mis en place alors que l'entreprise atteint l'effectif de onze salariés, être en mesure de produire un procès-verbal de carence, seul à même de justifier l'absence de consultation des élus du personnel.

Le procès-verbal de carence atteste que l'employeur a rempli ses obligations en matière d'organisation d'élections de représentants du personnel.

En l'espèce, la société Cinécrans se prévaut d'un procès-verbal de carence daté du 11 octobre 2016.

L'article L2314-5 du code du travail dans sa rédaction applicable au présent litige, compte tenu de la date du procès-verbal de carence, disposait :

'Lorsque l'institution n'a pas été mise en place ou renouvelée, un procès-verbal de carence est établi par l'employeur.

L'employeur porte à la connaissance des salariés par tout moyen permettant de donner date certaine à cette information le procès verbal dans l'entreprise et le transmet dans les quinze jours, par tout moyen permettant de conférer date certaine à cette transmission, à l'inspecteur du travail qui en envoie copie aux organisations syndicales de salariés du département concerné'.

L'article R2314-27 du même code, dans sa rédaction applicable au litige, disposait : 'Les contestations relatives à l'électorat et à la régularité des opérations électorales prévues à l'article L. 2314-25 sont de la compétence du tribunal d'instance, qui statue en dernier ressort'.

En l'espèce, il n'est ni établi ni même allégué qu'une action ait été engagée par M. [M], qui en sa qualité d'électeur avait qualité pour agir, devant la juridiction matériellement compétente en matière de contestation des élections professionnelles.

Dès lors, les développements consacrés par M. [M] sur la notion de date certaine visée à l'article L2314-5 susvisé du code du travail, contestation tendant à soutenir que le procès-verbal de carence serait dépourvu de valeur probante faute d'une date certaine attestée par sa transmission à l'administration du travail et aux salariés de l'entreprise, ne sont pas pertinents.

Il est justifié par la production d'un procès-verbal de carence daté du 11 octobre 2016 que des élections professionnelles ont bien été organisées au sein de l'entreprise, à raison d'un premier tour le 29 septembre 2016 et d'un second tour le 11 octobre 2016, qu'à cette occasion aucune candidature n'a été présentée et qu'une transmission du dit procès-verbal a été effectuée par l'employeur à l'administration du travail via le site internet dédié du ministère du travail, tandis que deux salariés, M. [O], responsable hall et Mme [Y], assistante de direction, attestent que le procès-verbal de carence relatif aux élections de 2016 a bien été affiché dans les locaux de l'entreprise.

Le moyen tiré de l'absence de consultation des représentants du personnel sera en conséquence rejeté.

1-2: Sur la question du non-respect de l'obligation de reclassement :

L'avis d'inaptitude médicale en date du 5 février 2020 indique: 'pourrait occuper un poste sans station debout prolongée (en alternant position assise et position debout), sans manutention, sans contraintes posturales du rachis de type flexion extension rotation, par exemple: pourrait occuper un poste de type administratif avec formation si besoin'.

La lettre de licenciement du 25 mai 2020 indique qu'il a été 'vérifié si un aménagement de votre poste était envisageable et, à défaut quels postes de reclassement seraient éventuellement susceptibles de vous être proposés compte tenu de vos aptitudes physiques et professionnelles.

De cette étude, il est ressorti que le poste d'Assistant de direction que vous occupez, est constitué des missions suivantes :

- Accueil hall

- Gestion du comptoir confiserie

- Animations -Techniques

Administratives

Autres (...).

Sont ensuite décrites les tâches propres aux missions susvisées et les gestes et/ou postures qu'elles impliquent.

L'employeur poursuit : 'Dans la mesure où le médecin indique que votre état de santé est incompatible avec une station debout prolongée, des manutentions et des contraintes posturales du rachis de type flexion extension rotation, nous avons vérifié s'il était possible de réaménager votre poste en ôtant toute station debout prolongée, toute manutention et toute contrainte posturale du rachis type flexion, extension, rotation.

Cependant, sauf à vider votre poste de sa substance, il nous est impossible :

- De supprimer les stations debout prolongées car la mission première d'un assistant est la gestion d'un hall d'accueil et le flux des entrées et sorties de la clientèle.

- De supprimer toute manutention dans la mesure où vous êtes responsable du poste de confiseries et que vous êtes amené à mettre en place le hall pour l'événementiel.

Ainsi que de gérer en urgence les dépannages dus à l'exploitation.

- De supprimer tout mouvement susceptible d'engendrer une flexion, extension ou torsion du rachis dans la mesure où le poste nécessite énormément de déplacements allers/retours dans le hall, montées et descentes vers la cabine de projection et les bureaux, utilisation de son véhicule ce qui laisse très peu de temps pour une posture assise.

Un aménagement de votre poste étant impossible, nous avons analysé les différents postes existant dans l'entreprise afin de vérifier s'il existait au sein de la société Cinécrans des postes disponibles en adéquation avec vous aptitudes physiques et professionnelles (...)'.

Sont ensuite listés les différents postes (Accueil hall, fonctions techniques, fonctions commerciale et fonctions administratives), l'employeur exposant leur incompatibilité avec l'état de santé du salarié (Accueil hall, fonctions techniques et fonctions commerciales) et/ou l'absence de poste disponible (Fonctions techniques, fonctions administratives).

Il est constant qu'à compter du 1er juillet 2017, M. [M] occupait un poste d'assistant directeur, coefficient 269, l'avenant signé à cette fin le 4 juillet 2017 stipulant :

'Sous la responsabilité de la direction le poste d'assistant directeur vous permet d'être parfaitement polyvalent dans le hall et en cabine, et encadrer l'ensemble du personnel.

Vous serez chargé de la qualité du service dû à la clientèle, de la bonne exécution du travail et de la discipline du personnel placé sous vos ordres, de la surveillance de l'établissement, de la bonne exécution des tâches administratives et comptables, de la prise de toutes dispositions en cas d'incident et de l'information à votre employeur. Vous continuerez à assurer la négociation et les achats de la confiserie, ainsi que la gestion du hors cinéma (Opéra, concerts, soirées événements, etc).

Vous assumerez les fonctions du directeur en l'absence de celui-ci.

Les autres éléments de votre contrat restent inchangés (...)'.

L'annexe 1 à l'avenant n°60 à la convention collective nationale de l'exploitation cinématographique décrit ainsi le poste d'assistant directeur :

'L'assistant directeur est un salarié placé sous l'autorité et le contrôle de l'employeur ou du directeur salarié.

Il est garant:

- de la qualité du service dû à la clientèle;

- de la bonne exécution du travail, de la discipline, l'évaluation et la bonne tenue du personnel placé sous ses ordres ;

- de la surveillance de l'établissement et de la sécurité du public, du bâtiment et des installations ;

- de l'entretien et de la maintenance du bâtiment et des installations ;

- de la bonne exécution des tâches administratives et comptables ;

- de la prise de toutes dispositions en cas d'incident et de l'information de son employeur ou du directeur salarié.

Il est vigilant à la sûreté des lieux.

Il assume les fonctions du directeur en l'absence de celui-ci.

En cas de nécessité, il peut être amené à remplir les différentes tâches qui doivent être accomplies dans l'établissement'.

L'employeur produit l'attestation pôle emploi remise à M. [M] à l'issue du licenciement, qui mentionne un effectif de 25 salariés dans l'établissement au 31 décembre 2019 et un organigramme qui fait apparaître un directeur général, une directrice administrative, immédiatement en-dessous un 'assistant cinéland' en la personne de M. [M] puis deux responsables hall, une responsable caisse, des agents d'accueil et une personne chargée de la distribution des programmes.

Il ne peut qu'être constaté que les fonctions du salarié, extrêmement larges, telles que décrites dans la lettre de licenciement, ne correspondent pas à celles d'un assistant directeur dont la mission première n'est pas 'la gestion d'un hall d'accueil', de même que la 'responsabilité du poste de confiseries' ou celle de 'mettre en place le hall pour l'événementiel' mais celle d'une assistance à la direction consistant à seconder et suppléer le directeur de l'établissement dans les différentes tâches listées à l'annexe 1 de l'avenant n°60 à la convention collective, l'exécution des 'différentes tâches qui doivent être accomplies dans l'établissement' n'ayant été prévue par les partenaires sociaux qu'en 'cas de nécessité', hypothèse qui ne peut raisonnablement s'entendre que comme occasionnelle, voire exceptionnelle.

A cet égard, le recours au témoignage de salariés de l'établissement pour décrire les fonctions d'assistance de direction, ne fait que refléter la pratique adoptée par la société Cinécrans, sans toutefois répondre à la question de l'adéquation entre cette pratique et la nature effective du poste tel qu'il est décrit au contrat de travail et dans la convention collective, s'agissant donc d'un poste de nature administrative et de direction et non d'un poste impliquant au premier chef des tâches d'exécution manuelles.

De même, la notion de poly compétence mentionnée à l'article 3 de l'avenant n°60 relatif aux classifications professionnelles, ne peut-elle être utilement invoquée pour justifier l'absence de reclassement possible de M. [M], alors que cette notion évoquée au nombre des différents critères de classification, n'implique pas qu'un assistant de direction tel que le décrit la même convention exécute toutes les tâches manuelles devant être accomplies dans l'exploitation d'une salle de cinéma, étant encore rappelé que l'exécution de tâches autres que celles propres au poste d'assistant directeur n'est prévue dans la même convention collective 'qu'en cas de nécessité'.

Les comptes-rendus d'entretien professionnels du salarié, s'ils font effectivement état de l'exécution de tâches parfois éloignées de la définition du poste (tenue du comptoir, hall, caisse, accueil) ne sont pas plus pertinents pour justifier l'impossibilité alléguée de reclasser le salarié par une adaptation ou une transformation du poste d'assistant directeur.

En outre, force est de constater que si de nombreuses constatations et déductions sur la faculté pour M. [M] d'exécuter telle ou telle tâche sont faites par l'employeur dans la lettre de licenciement et reprises dans ses conclusions (pages 37, 38, 42 et 43), il ne résulte d'aucune des pièces versées aux débats que le médecin du travail ait été sollicité pour donner, au vu du descriptif des postes, toutes indications utiles sur les capacités du salarié à exercer l'une des tâches existantes dans l'entreprise.

A cet égard, la cour relève que s'il est indiqué dans la lettre de licenciement que tous les postes administratifs sont pourvus ('1 comptable à temps partiel, 3 personnes ont des tâches administratives en dehors de la direction mais sont polyvalentes et travaillent également dans le hall (contrôle, caisse et comptoir confiserie), 2 cadres (1 directeur et une directrice administrative)), M. [M] qui avait un statut d'agent de maîtrise en sa qualité d'assistant directeur occupait lui-même un poste à caractère administratif, l'employeur n'expliquant pas en quoi ne pouvait être envisagée une réorganisation des services prenant en compte l'avis et les précisions du médecin du travail qu'il lui appartenait de solliciter, afin de reclasser le salarié dans le cadre d'aménagements, adaptations ou transformations de postes existants.

Compte-tenu de l'ensemble de ces éléments, il doit être jugé que la société Cinécrans n'a pas respecté son obligation de rechercher de façon loyale et sérieuse un poste de reclassement.

Dans ces conditions, le licenciement de M. [M] sera jugé sans cause réelle et sérieuse par voie d'infirmation du jugement entrepris.

En application des dispositions conventionnelles équivalentes sur ce point au droit commun, le salarié est en droit de percevoir une indemnité compensatrice de préavis égale à deux mois de salaire brut.

La société Cinécrans, qui ne discute pas le salaire de référence de 2.694,98 euros dont la base de calcul est présentée en pages 22 et 23 des conclusions de l'appelant, sera condamnée à lui payer la somme de 5.389,96 euros brut à titre d'indemnité compensatrice de préavis outre celle de 538,99 euros brut au titre des congés payés afférents.

En application de l'article L1235-3 du code du travail, compte-tenu des circonstances de l'espèce, de l'âge du salarié au moment de la rupture (41 ans), de son ancienneté (7 années révolues) et du salaire de référence (2.694,98 euros), il est justifié de condamner la société Cinécrans à payer à M. [M] la somme de 16.000 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Faisant application des dispositions de l'article L1235-4 du code du travail, il convient de condamner la société Cinécrans à rembourser à l'organisme gestionnaire du régime d'assurance chômage les allocations servies à M. [M] dans la proportion de trois mois.

2- Sur la demande de dommages-intérêts pour paiement tardif du salaire :

M. [M] se prévaut du préjudice subi par suite d'un retard dans le versement des salaires et reproche à l'employeur d'avoir maintenu un mécanisme de subrogation qui devait cesser au mois de juillet 2019.

Il n'est pas contesté que durant les six premiers mois d'arrêt de travail pour maladie de M. [M] et conformément aux dispositions de l'article 54 de la convention collective, un maintien du salaire a été opéré.

Les relevés de la CPAM des Côtes d'Armor versés aux débats font apparaître que les paiements d'indemnités journalières ont été effectués entre les mains de l'employeur dans le cadre du mécanisme de subrogation, y compris après le mois de juillet 2019 qui marquait uniquement la fin de la période conventionnelle de maintien du salaire.

La société Cinécrans produit un extrait de grand livre comptable à l'appui de son affirmation selon laquelle elle a versé les indemnités journalières de sécurité sociale au fur et à mesure de leur perception.

Cet extrait comptable couvre la période du 8 mars au 12 septembre 2019, or le bulletin de paie du mois d'octobre 2019 fait apparaître une ligne 'Régularisation IJSS bulletin 09/2019" pour la somme de 4.019,24 euros brut, cette même somme ayant été portée en déduction de la paie du mois de septembre 2019.

L'employeur ne s'explique pas utilement sur cette régularisation opérée pour un montant de plus de 4.000 euros brut au mois d'octobre 2019 et il n'est pas démontré que ce versement tardif relève d'une cause étrangère, tel qu'un paiement tardif des indemnités journalières par la CPAM.

Il est résulté de ce paiement tardif un préjudice financier pour M. [M] qui sera réparé par la condamnation de la société Cinécrans à lui payer la somme de 300 euros à titre de dommages-intérêts pour versement tardif du revenu de remplacement.

Le jugement entrepris qui a débouté M. [M] de sa demande sera infirmé de ce chef.

3- Sur les dépens et frais irrépétibles :

La société Cinécrans, partie perdante, sera condamnée aux dépens de première instance et d'appel.

Elle sera en conséquence déboutée de sa demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile.

L'équité commande de condamner la société Cinécrans à payer à M. [M] la somme de 2.500 euros à titre d'indemnité sur ce même fondement juridique.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Infirme le jugement entrepris ;

Dit que le licenciement notifié à M. [M] par la société Cinécrans est sans cause réelle et sérieuse ;

Condamne la société Cinécrans à payer à M. [M] les sommes suivantes :

- 5.389,96 euros brut à titre d'indemnité compensatrice de préavis

- 538,99 euros brut à titre de congés payés sur indemnité compensatrice de préavis

- 16.000 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse

- 300 euros à titre de dommages-intérêts pour versement tardif d'un revenu de remplacement perçu dans le cadre d'un mécanisme de subrogation ;

Déboute la société Cinécrans de sa demande d'indemnité fondée sur l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamne la société Cinécrans à payer à M. [M] la somme de 2.500 euros à titre d'indemnité sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamne la société Cinécrans aux dépens de première instance et d'appel.

La greffière Le président


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Rennes
Formation : 7ème ch prud'homale
Numéro d'arrêt : 22/07095
Date de la décision : 20/06/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 29/06/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-06-20;22.07095 ?
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