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20/06/2024 | FRANCE | N°21/03338

France | France, Cour d'appel de Rennes, 7ème ch prud'homale, 20 juin 2024, 21/03338


7ème Ch Prud'homale





ARRÊT N°286/2024



N° RG 21/03338 - N° Portalis DBVL-V-B7F-RV3X













S.A. SNCF VOYAGEURS



C/



M. [M] [G]



















Copie exécutoire délivrée

le :



à :





RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



COUR D'APPEL DE RENNES

ARRÊT DU 20 JUIN 2024





COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET D

U DÉLIBÉRÉ :



Président : Monsieur Hervé BALLEREAU, Président de chambre,

Assesseur : Madame Isabelle CHARPENTIER, Conseillère,

Assesseur : Monsieur Bruno GUINET, Conseiller,



GREFFIER :



Madame Françoise DELAUNAY, lors des débats et lors du prononcé



DÉBATS :



A l'audience publique...

7ème Ch Prud'homale

ARRÊT N°286/2024

N° RG 21/03338 - N° Portalis DBVL-V-B7F-RV3X

S.A. SNCF VOYAGEURS

C/

M. [M] [G]

Copie exécutoire délivrée

le :

à :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE RENNES

ARRÊT DU 20 JUIN 2024

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :

Président : Monsieur Hervé BALLEREAU, Président de chambre,

Assesseur : Madame Isabelle CHARPENTIER, Conseillère,

Assesseur : Monsieur Bruno GUINET, Conseiller,

GREFFIER :

Madame Françoise DELAUNAY, lors des débats et lors du prononcé

DÉBATS :

A l'audience publique du 25 Mars 2024

En présence de Madame Dubuis, médiateur judiciaire,

ARRÊT :

Contradictoire, prononcé publiquement le 20 Juin 2024 par mise à disposition au greffe comme indiqué à l'issue des débats

****

APPELANTE :

S.A. SNCF VOYAGEURS

[Adresse 3]

[Localité 4]

Représentée par Me Vincent BERTHAULT de la SELARL HORIZONS, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de RENNES substitué par Me Laura HUET, avocat au barreau de RENNES

INTIMÉ :

Monsieur [M] [G]

né le 01 Mars 1965 à [Localité 5]

[Adresse 2]

[Localité 1]

Représenté par Me Eric MARLOT de la SELARL MARLOT, DAUGAN, LE QUERE, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de RENNES substitué par Me BRIAUD, avocat au barreau de RENNES

EXPOSÉ DU LITIGE

Le 4 octobre 1982, M. [M] [G] a été embauché selon un contrat à durée indéterminée par la SA SNCF Mobilités, devenue SA SNCF Voyageurs en 2020. En dernier lieu, il occupait le poste de chef de bord principal et travaillait à ce titre au sein du « Site assistance » [plate-forme d'appui téléphonique en temps réel des agents du service commercial train ' ASCT, autrement dit les contrôleurs].

Le 29 janvier 2018, il a été contrôlé positif à l'alcool sur son lieu de travail. Un « contrat d'engagement » a alors été conclu posant certaines obligations telles que l'absence de consommation d'alcool et l'évaluation régulière au cabinet médical de son taux d'alcoolémie.

Le 1er juin 2018, M. [G] s'est vu notifier une sanction de dernier avertissement avec mise à pied de six jours.

Le 20 septembre 2018, il a de nouveau été contrôlé positif à l'alcool sur son lieu de travail. A la suite de cet évènement, il a été placé en arrêt de travail.

Par courrier en date du 22 novembre 2018, M. [G] a sollicité sa réforme auprès de sa hiérarchie.

Le 4 décembre 2018, un conseil de discipline s'est tenu. Par décision en date du 17 septembre 2018, le directeur régional a prononcé sa radiation des cadres, équivalent du licenciement pour faute grave.

Par lettre recommandée en date du 28 décembre 2018, M. [G] s'est vu notifier sa radiation des cadres.

Par décision en date du 25 février 2019, le président de la SA SNCF Voyageurs, statuant sur un recours grâcieux de M. [G] (qui reconnaissait « les faits reprochés tout comme ma maladie (') ; je souhaite que vous reveniez sur la décision de sanction me concernant et me permettiez d'aller au bout de ma demande de mise à la réforme pour moi et ma famille »), a confirmé la décision de radiation au motif que « suite aux faits de janvier 2018, vous avez fait l'objet d'une mise à pied de 6 jours assortie d'un dernier avertissement (DA) en date du 22 mai 2018 : dès lors, toute nouvelle faute au moins égale au 7 ème niveau de sanction commise dans un délai d'un an à compter de la notification de ce DA devait entraîner votre radiation, conformément à l'article 3.6 du Chapitre 9 du Statut. ».

***

Contestant la rupture de son contrat de travail, M. [G] a saisi le conseil de prud'hommes de Rennes par requête en date du 9 décembre 2019 afin de voir :

- Dire et juger que la radiation des cadres notifiée à M. [G] doit s'analyser en un licenciement sans cause réelle et sérieuse.

En conséquence,

- Condamner la SA SNCF voyageurs à verser à M. [G] les sommes suivantes : - Indemnité légale de licenciement : 32 026,45 euros

- Indemnité de préavis : 5 543,04 euros

- Congés payés afférents : 554,30 euros

- Dommages-intérêts pour Iicenciement sans cause réelle et sérieuse: 55.430,40 euros net

- Dommages-intérêts pour manquement à l'obligation de prévention et de sécurité : 10 000,00 euros net

- Condamner la SA SNCF voyageurs à verser à M. [G] une indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile : 2 000,00 euros

- Ordonner l'exécution provisoire.

- Débouter la SA SNCF voyageurs de toutes ses demandes, fins et conclusions.

- Condamner la SA SNCF voyageurs aux entiers dépens.

La SA SNCF voyageurs a demandé au conseil de prud'hommes de :

- Débouter M. [G] de toutes ses demandes, fins et conclusions.

- Condamner M. [G] à payer à la SA SNCF voyageurs une indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile : 1 800,00 euros

- Condamner M. [G] aux entiers dépens.

Par jugement en date du 28 avril 2021, le conseil de prud'hommes de Rennes a:

- Dit et jugé que le licenciement pour faute grave (radiation des cadres) de M. [G] est requalifié en licenciement pour faute.

En conséquence,

- Condamné la SA SNCF voyageurs à verser à M. [G], avec intérêts au taux légal à compter du 11 décembre 2019, date de la citation :

- La somme de 32026,45 euros (trente deux mille vingt-six euros quarante-cinq centimes) au titre du paiement de l'indemnité de licenciement;

- La somme de 5543,04 euros (cinq mille cinq cent quarante-trois euros quatre centimes) au titre du paiement de l'indemnité de préavis.

- La somme de 554,30 euros (cinq cent cinquante-quatre euros trente centimes) au titre du paiement des congés payés afférents.

- Dit que les sommes ci-dessus, à caractère salarial, sont exécutoires de plein droit en application de l'article R 1454-28 du code du travail et fixé la moyenne des trois derniers mois de salaire à la somme de 2771,52 euros.

- Condamné la SA SNCF voyageurs à verser à M. [G] la somme de 1500,00 euros (mille cinq cents euros) au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

- Débouté les parties de toutes leurs autres demandes.

- Condamné la SA SNCF voyageurs aux entiers dépens, y compris les frais éventuels d'exécution.

***

La SA SNCF voyageurs a interjeté appel de la décision précitée par déclaration au greffe en date du 1er juin 2021.

En l'état de ses dernières conclusions transmises par son conseil sur le RPVA le 29 mars 2024, la SA SNCF voyageurs demande à la cour d'appel de :

- Réformer le jugement en date du 28 avril 2021 en ce que le conseil de prud'hommes de Rennes a

- Dit et jugé que le licenciement pour faute grave (radiation des cadres) de M. [G] est requalifié en licenciement pour faute.

- Condamné la SA SNCF voyageurs à verser à M. [G], avec intérêts au taux légal à compter du 11 décembre 2019, date de la citation :

- La somme de 32 026,45 euros au titre du paiement de l'indemnité de licenciement

- La somme de 5 543,04 euros au titre du paiement de l'indemnité de préavis

- La somme de 554,30 euros au titre du paiement des congés payés afférents

- Dit que les sommes ci-dessus, à caractère salarial, sont exécutoires de plein droit en application de l'article R 1454-28 du code du travail et fixé la moyenne des trois derniers mois de salaire à la somme de 2 771,52 euros

- Condamné la SA SNCF voyageurs à verser à M. [G] la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

- Condamné la SA SNCF voyageurs aux entiers dépens, y compris les frais éventuels d'exécution.

En l'état de ses dernières conclusions transmises par son conseil sur le RPVA le 15 février 2022, M. [G] demande à la cour d'appel de :

- Confirmer le jugement du conseil de prud'hommes de Rennes en date du 28 avril 2021 en ce qu'il a condamné la SA SNCF voyageurs au paiement des sommes suivantes, avec intérêts au taux légal à compter du 11 décembre 2019 :

- Indemnité légale de licenciement : 32 026,45 euros

- Indemnité de préavis : 5 543,04 euros

- Congés payés afférents : 554,30 euros

- Article 700 du code de procédure civile : 1 500,00 euros

- Confirmer le jugement du conseil de prud'hommes de Rennes en date du 28 avril 2021 en ce qu'il a condamné la SA SNCF voyageurs aux entiers dépens, y compris les frais éventuels d'exécution.

- Confirmer le jugement du conseil de prud'hommes de Rennes en date du 28 avril 2021 en ce qu'il a fixé la moyenne de salaire de M. [G] à la somme de 2 771,52 euros.

- Infirmer le jugement du conseil de prud'hommes de Rennes en date du 28 avril 2021 en ce qu'il a:

- Requalifié le licenciement pour faute grave (radiation des cadres) en un licenciement pour faute ;

- Débouté M. [G] de sa demande de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

- Débouté M. [G] de sa demande de dommages-intérêts pour manquement à l'obligation de prévention et de sécurité.

Statuant à nouveau et y additant :

- Juger que la radiation des cadres notifiée à M. [G] doit s'analyser en un licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

- Condamner la SA SNCF voyageurs à verser à M. [G] la somme nette de 55 430,40 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

- Condamner la SA SNCF voyageurs à verser à M. [G] la somme nette de 10 000,00 euros à titre de dommages-intérêts pour manquement à l'obligation de prévention et de sécurité et non-respect du contrat d'engagement ;

- Condamner la SA SNCF voyageurs à verser à M. [G] la somme de 2 000,00 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile au titre de la procédure d'appel ;

- Débouter la SA SNCF voyageurs de toutes ses demandes, fins et conclusions;

- Condamner la SA SNCF voyageurs aux entiers dépens.

***

La clôture de l'instruction a été prononcée par ordonnance du conseiller de la mise en état le 12 mars 2024 avec fixation de la présente affaire à l'audience du 25 mars 2024.

Conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, la cour renvoie, pour un plus ample exposé des prétentions et moyens des parties, à leurs dernières conclusions régulièrement signifiées.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur l'opposabilité des référentiels RH0006 relatif aux principes de comportement, prescriptions applicables au personnel des EPICs et RA 00644 relatif à la prévention des risques liés à la consommation de produits psychoactifs :

M. [G] soutient que des référentiels doivent être qualifiés juridiquement comme étant un règlement intérieur, de sorte que la société SNCF Voyageurs doit produire les procès-verbaux de consultation du personnel sur la mise en place et la modification desdits référentiels, la preuve de leur communication à l'inspection du travail et au greffe du conseil de prud'hommes ; dans la mesure où elle ne le fait pas, le licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse.

La société SNCF Voyageurs fait valoir que les dispositions concernées ont été intégrées dans le règlement intérieur, qu'en application de l'article L2233-1 et suivants du code du travail, les relations collectives de travail dans certaines entreprises et établissements du secteur public ne sont pas déterminées par voie d'accord négocié mais font l'objet d'un statut législatif ou réglementaire, lequel est applicable à M. [G]. Elle rappelle que les règlements RA 0644 et RH 006 interdisent la consommation d'alcool dans l'entreprise.

Il est constant que le statut des relations collectives entre la SNCF et son personnel, ainsi que les règlements du personnel pris pour son application, ont le caractère d'un règlement administratif dont la légalité ne peut être appréciée que par le juge administratif, le juge judiciaire ne pouvant que vérifier si la SNCF a fait une exacte application des textes réglementaires mais aucunement en écarter l'application, que celle-ci apparaisse plus ou moins avantageuse que les règles classiques tirées du code du travail.

Pour la même raison les dispositions relatives à la publicité du règlement intérieur ne lui sont pas applicables.

Les règlements RH0006 et RA00644 sont donc opposables à M. [G].

Ce moyen est rejeté.

Sur le licenciement pour faute grave :

La lettre de licenciement, qui circonscrit le litige est ainsi rédigée : « Le 20 septembre 2018, vous avez pris votre service à 12h00. A 12h20, au moment de vous saluer, votre responsable constate un comportement inhabituel : vous vous exprimez en parlant très fort, vos yeux sont rouges, et votre haleine alcoolisée. L'adjointe de votre responsable fait le même constat. Votre responsable et son adjointe vous demandent si vous avez consommé de l'alcool. Vous confirmez avoir consommé deux verres avant de venir travailler. Vous avez accepté de souffler dans l'éthylotest : le test s'est avéré positif. Non-respect des articles 2.1 et 12.3 du GRH006 relatif aux «Principes de comportement, prescriptions applicables au personnel des EPICs constituant le Groupe Public ferroviaire. »

Pour dire que le licenciement reposait sur une cause réelle et sérieuse et non sur une faute grave, le conseil de prud'hommes de Rennes a retenu que :

$gt;au vu des circonstances et de la taille de l'entreprise, il apparaît que l'employeur ne démontre pas que le maintien de Monsieur [M] [G] dans l'entreprise soit rendu impossible par sa pathologie.

$gt;Monsieur [M] [G] bénéficie d'une ancienneté de 36 années au service de la SNCF en ayant occupé différentes fonctions, sans que son dossier ne soit entaché de sanctions disciplinaires, sauf à compter de janvier 2018.

$gt;la radiation des cadres de Monsieur [M] [G] ne s'est pas accompagnée d'une mise à pied permettant une enquête précise permettant d'alimenter la décision du Conseil de discipline.

Pour infirmation du jugement, la société SNCF Voyageurs :

-souligne qu'une contre-expertise ne s'imposait pas, dès lors que M. [G] ne contestait pas son imprégnation alcoolique le 20 septembre 2018, ni sa maladie alcoolique ultérieurement. Elle en déduit que le référentiel RA 00644 a été respecté.

-observe que M. [G] n'a pas été laissé à son poste après que son état anormal a été remarqué, à 12 h 20 : il a été reçu par le médecin du travail, qui l'a déclaré apte à la reprise de son poste, puis est resté 2 heures dans le bureau dans le bureau de la responsable du Site assistance, le temps de son dégrisement.

-soutient que l'accompagnement managérial mis en place après une première sanction pour un état d'ébriété au travail le 29 janvier 2018 s'est traduit par des contrôles réguliers et volontaires de son alcoolémie, M. [G] étant incité parallèlement à prendre rendez-vous avec l'infirmière du travail, le pôle de soutien psychologique et le médecin du travail et un membre du CHSCT étant associé à la démarche.

M. [G] fait valoir que la société SNCF Voyageurs n'a pas respecté le référentiel RA 00644 : il n'a pas été retiré de son poste en violation de l'article 3.4.1 ; son employeur n'a pas mis en place de véritable accompagnement managérial, ni d'aide du réseau pluridisciplinaire pour le soutenir dans sa problématique alcoolique ; il n'a pas analysé « les cause profondes de l'écart pour procéder à une analyse de qualité des faits » en de la note interne intitulée « Comment traiter un écart de manière juste et équitable ».

Il ajoute que la sanction est disproportionnée : s'il a pu consommer par deux fois de l'alcool avant son embauche, ceci dans un contexte de profonde dépression lié au climat délétère dans lequel s'est inscrite la relation de travail depuis quelques années, la faute grave est incompatible avec l'ancienneté de Monsieur [G] et les propres agissements de la société SNCF qui a autorisé son agent à travailler et de ses manquements dans le suivi de son agent malgré un contrat d'engagement clair.

Il en veut pour preuve :

-qu'il a signé le 15 février 2018, à la suite du contrôle positif de son alcoolémie sur son lieu de travail le 29 janvier 2018 un « contrat d'engagement dans le cadre de la prévention des risques liés à la consommation de produits psychoactifs. Cette démarche vise à mettre en place des actions avec notre accompagnement et celui du médecin du travail. A ce titre, un rendez-vous sera organisé avec le médecin du travail. Nous vous transmettons également les coordonnées de l'Action sociale SNCF et de l'Association Santé de la famille (suivent adresses et numéros de téléphone). D'autre part vous vous engagez pendant une période d'un mois, renouvelable si besoin, à compter du lundi 19 février 2018, à vous rendre au cabinet médical à 15 h 00 lorsque vous occupez un poste de soirée du lundi au vendredi, afin de faire évaluer votre taux d'alcoolémie (utilisation éthylotest). L'adjointe du site Assistance et moi-même en tant que responsable du Site Assistance, nous engageons à nous disponibiliser régulièrement afin de faire ensemble des points d'avancement et mettre en place les conditions de réussite de ce contrat. Un bilan sera réalisé à l'issue de la période ci-dessus et nous conviendrons de la nécessité de maintenir ou non le dispositif mis en place. L'ensemble du dispositif sera communiqué au médecin du travail, à l'infirmière ainsi qu'à la présidente et au secrétaire du CHSCT ('). »

-que le médecin du travail, le Dr [E] a noté sur la fiche d'examen du 20 septembre 2018 : « 53 ans, contrat moral pour le pb d'OH depuis avril 2018 ; Ethylotest tous les jours de travail ; ce midi éthylotest + ; ce matin 3 ou 4 rosés et 1 sandwich ; sans raison particulière sauf peut-être un coup de « mou » (') En pleurs $gt; Dépression ++ ; accepte l'idée d'une cure. »

Or, il observe que son employeur ne justifie pas des points d'avancement, ni du bilan au bout d'un mois alors qu'il est décrit comme très dépressif.

Il ajoute que la SNCF ne peut pas faire état de faits antérieurs de plus de trois ans à l'engagement des poursuites disciplinaires.

La cour constate tout d'abord, que contrairement à ce qu'affirme M. [G], il a été retiré de son poste durant près de 3 heures, jusqu'à dégrisement complet (comme en atteste le rapport circonstancié du 20 septembre 2019 établi par Mme [L], pièce n°3 de la SNCF) et qu'il avait la possibilité de solliciter une contre-expertise mais ne l'a jamais sollicitée ' et pour cause puisqu'il n'a jamais discuté son alcoolisation excessive.

La cour relève ensuite que si la partie « contrôle » du contrat d'engagement incombait à l'employeur par le biais d'alcootest quotidien et a été pleinement respectée, l'aspect soins nécessitait une action positive de la part de M. [G] dont il ne justifie aucunement, alors que l'employeur lui avait communiqué les coordonnées d'associations spécialisées et l'avait informé que l'infirmière du travail se tenait à sa disposition. Il est dès lors mal venu à reprocher à son employeur des carences alors qu'il ne démontre de son côté, aucune démarche volontaire de sa part.

La cour observe enfin que si M. [G] stigmatise le comportement de son employeur qui a contribué à la dégradation de son état de santé, il ne fournit aucune pièce pour étayer cette affirmation. Au contraire, il verse aux débats une attestation de M. [O], agent SNCF retraité, qui indique : « J'ai plutôt constaté des comportements à son égard empreint d'empathie alors même que mes interventions au sein de cette entité étaient liés à de sérieux problèmes de harcèlement concernant plusieurs personnels. »

La faute grave est celle qui rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise. La charge de la preuve pèse sur l'employeur.

Les dispositions d'un règlement intérieur permettant d'établir sur le lieu de travail l'état d'ébriété d'un salarié en recourant à un contrôle de son alcoolémie sont licites dès lors d'une part que les modalités de contrôle en permettent la contestation, d'autre part, qu'eu égard à la nature du travail confié à ce salarié, un tel état d'ébriété est de nature à exposer les personnes ou les biens à un danger.

Le comportement de M. [G] (un état d'ébriété qu'il ne conteste pas et qui a été objectivé d'abord par les témoins présents qui ont constaté qu'il parlait fort, avait les yeux injectés de sang et une haleine chargée, et ensuite par le dépistage de l'alcoolémie), constituait une faute grave dès lors :

$gt;que cet état avait nécessairement des répercussions sur l'accomplissement de ses tâches (répondre par téléphone aux questions des contrôleurs dans les trains),

$gt;qu'il était susceptible d'exposer les personnes et les biens à un danger dans la mesure où il était investi d'une fonction touchant à la sécurité ferroviaire,

$gt;que si M. [G] avait certes 37 ans d'ancienneté, de tels faits avaient déjà eu lieu les 15 janvier 2009, 24 novembre 2011 et 25 septembre 2012, répétition qui illustre une problématique alcoolique profondément ancrée et difficile à enrayer, faits qui avaient donné lieu à des demandes d'explications écrites de la part de l'employeur (et à l'établissement de procès-verbaux écrits conservés au dossier du salarié de sorte qu'elles s'analysent en des avertissements ; v. ses pièces n°24 à 26), et encore le 29 janvier 2018, ce dernier fait ayant été sanctionné d'une mise à pied disciplinaire de 6 jours ; à cet égard, la cour rappelle que si l'employeur n'est pas recevable à invoquer, dans la lettre de licenciement, une sanction antérieure de plus de trois ans à l'engagement des poursuites en application des dispositions de l'article L1332-5 du code du travail, ces dispositions n'ont pas par elles-mêmes pour objet d'interdire à un employeur qu'il soit fait référence devant une juridiction à des faits qui ont motivé une sanction disciplinaire prescrite, dès lors que cela est strictement nécessaire à l'exercice devant la juridiction de ses droits de la défense ; or, comme le fait remarquer pertinemment la société SNCF Voyageurs, c'est en réponse au moyen de M. [G] selon lequel il n'avait jamais été sanctionné avant le mois de janvier 2018 (page 15 de ses conclusions) qu'elle a produit ces avertissements vieux de plus trois ans à la procédure (en ce sens, [pour des faits amnistiés] : Cass. Soc. 4 juin 2014, n°12-28740), utiles à sa défense dans le cadre du procès intenté contre elle par son salarié, lequel a donc affirmé mensongèrement que l'événement du 29 janvier 2018 constituait le « premier fait d'état alcoolique sur le lieu de travail » (page 13 puis 18 de ses conclusions); ainsi, dans ses explications signées le 16 octobre 2012, M. [G] indiquait : «Je reconnais les faits. Suite au dernier dossier disciplinaire, j'avais pris la décision de me soigner de l'alcool tout seul. Je reconnais aujourd'hui que je ne suis pas allé assez loin et j'ai décidé d'entamer un sevrage avec l'aide de mon médecin et d'un alcoologue de [Localité 6]. Je souhaite avec force que cette nouvelle démarche aboutisse dans l'espoir de pouvoir réintégrer la fonction d'ASCT » ;

$gt;que, quand bien même les dispositions du règlement intérieur relatives à l'échelle des sanctions disciplinaires et à la qualification des faits fautifs ne lient pas le juge qui conserve son pouvoir souverain d'appréciation, l'article 3.6 du Chapitre 9 du Statut, que M. [G] n'est pas censé ignorer, précise que «'toute faute nouvelle commise dans un délai de douze mois à partir de la notification d'un dernier avertissement et comportant une des sanctions à partir de la septième prononcée par l'autorité habilitée telle que définie par la réglementation du personnel entraîne la radiation des cadres'»,

$gt;qu'un accompagnement pour essayer de l'amender et de le soigner avait été mis en place, en vain, peu important son ancienneté ou que cet état puisse s'expliquer par une maladie sous-jacente (dépression), ce qui n'est au demeurant pas allégué par M. [G] ;

$gt;qu'il est indifférent que l'employeur n'ait pas procédé à une mesure conservatoire avant le licenciement motivé par la faute grave, étant rappelé que l'absence de mise à pied conservatoire ne prive pas l'employeur de se prévaloir de la gravité de la faute.

Le jugement est donc infirmé en ce qu'il a considéré que le licenciement était fondé sur une cause réelle et sérieuse et non sur une faute grave. M. [G] est débouté de la totalité de ses demandes indemnitaires.

Sur la manquement de l'employeur à l'obligation de sécurité :

M. [G] rappelle les dispositions de l'article 4.3 du RA00644 qui prévoit que : «Pour les agents en difficulté qui le souhaitent, un processus d'accompagnement est engagé. Il mobilise l'équipe de travail, l'encadrement avec le soutien du RRH, le médecin du travail en lien avec le médecin de soins, l'action sociale, le pôle de Soutien psychologique et le CHSCT. L'entreprise, avec son dispositif médical, met à disposition de ces agents des consultations d'addictologie. »

Il soutient que la SNCF Voyageurs ne justifie pas avoir mis des mesures d'accompagnement et de prévention en place alors que la première alerte remontait au mois de janvier 2018.

La société SNCF Voyageurs réplique que :

-Après les faits de janvier 2018, elle a proposé un accompagnement de l'agent, l'a conduit chez le médecin du travail, associant ce dernier à la démarche et l'a également invité à se rapprocher du pôle de soutien psychologique ;

-Il a préféré être suivi par un médecin à l'extérieur, ce qui est son droit le plus strict. -Suivi par un addictologue, il n'était pas guéri à en croire ses propres affirmations ce qui ne peut être reproché à l'employeur ;

-Monsieur [G] était apte à son poste, n'était pas en arrêt de travail : l'entreprise n'avait pas de raison particulière de le retirer de son poste en « prévention ».

Selon l'article L. 4121-1 du code du travail, en sa rédaction applicable au litige, l'employeur est tenu de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs.

Ces mesures comprennent :

1° Des actions de prévention des risques professionnels et de la pénibilité au travail;

2° Des actions d'information et de formation ;

3° La mise en place d'une organisation et de moyens adaptés.

L'employeur est également tenu de veiller à l'adaptation de ces mesures pour tenir compte du changement des circonstances et tendre à l'amélioration des situations existantes.

Tel qu'il résulte des articles L. 4121-2 à L. 4121-5 du même code, l'employeur est tenu d'évaluer dans son entreprise, les risques pour la santé et la sécurité des travailleurs et de transcrire les résultats dans un document unique. Il appartient à l'employeur d'assurer l'effectivité de cette obligation en assurant la prévention des risques professionnels. Dès lors que le salarié invoque une inobservation des règles de prévention et de sécurité, il revient à l'employeur de démontrer l'absence de manquement de sa part à son obligation de sécurité.

Ainsi que cela résulte des développements qui précèdent, la partie « contrôle » du contrat d'engagement incombait à l'employeur par le biais d'alcootest quotidien et a été pleinement respectée, tandis que l'aspect soins nécessitait une action positive de la part de M. [G] dont il ne justifie aucunement, alors que l'employeur lui avait communiqué les coordonnées d'associations et l'avait informé que le service de la médecine du travail se tenait à sa disposition.

Quant aux problèmes de santé du salarié, la cour constate qu'il n'est justifié ni que ses arrêts de travail ont été pris en charge au titre de la législation professionnelle, ni que le médecin du travail a jugé utile d'informer l'employeur d'une souffrance au travail de M. [G], ni que ce dernier a porté à la connaissance de l'employeur des difficultés d'ordre médical en lien avec une souffrance au travail.

M. [G] ne peut qu'être débouté de sa demande en dommages et intérêts pour manquement de la société SNCF Voyageurs à son obligation de sécurité.

Le jugement est confirmé.

Le jugement est infirmé en ce qu'il a condamné la société SNCF Voyageurs à payer une indemnité de 1.500 euros à M. [G] au titre de l'article 700 du code de procédure civile et l'a condamnée aux dépens.

Partie perdante, M. [G] est condamné aux dépens d'appel. Par voie de conséquence, il est débouté de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

L'équité commande de laisser à la société SNCF Voyageurs la charge des frais qu'elle a exposés pour sa défense. Elle est déboutée de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant contradictoirement, publiquement, par mise à disposition au greffe,

Infirme en toutes ses dispositions le jugement du conseil de prud'hommes de Rennes du 28 avril 2021, sauf en ce qu'il a débouté M. [G] de sa demande en dommages et intérêts pour manquement de la société SNCF Voyageurs à son obligation de sécurité,

Statuant à nouveau et y ajoutant,

Dit que le licenciement de M. [G] est fondé sur une faute grave ;

Déboute M. [G] de toutes ses demandes ;

Déboute la société SNCF Voyageurs de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamne M. [G] aux dépens de première instance et d'appel.

Le Greffier Le Président


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Rennes
Formation : 7ème ch prud'homale
Numéro d'arrêt : 21/03338
Date de la décision : 20/06/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 29/06/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-06-20;21.03338 ?
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