La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

20/06/2024 | FRANCE | N°21/03294

France | France, Cour d'appel de Rennes, 7ème ch prud'homale, 20 juin 2024, 21/03294


7ème Ch Prud'homale





ARRÊT N°285/2024



N° RG 21/03294 - N° Portalis DBVL-V-B7F-RVUD













M. [B]-[I] [T]



C/



S.A.S. MEDIA BOHNEUR SA

















Copie exécutoire délivrée

le :



à :





RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



COUR D'APPEL DE RENNES

ARRÊT DU 20 JUIN 2024





COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET D

U DÉLIBÉRÉ :



Président : Monsieur Hervé BALLEREAU, Président de chambre,

Assesseur : Madame Isabelle CHARPENTIER, Conseillère,

Assesseur : Monsieur Bruno GUINET, Conseiller,



GREFFIER :



Madame Françoise DELAUNAY, lors des débats et lors du prononcé



DÉBATS :



A l'audience pu...

7ème Ch Prud'homale

ARRÊT N°285/2024

N° RG 21/03294 - N° Portalis DBVL-V-B7F-RVUD

M. [B]-[I] [T]

C/

S.A.S. MEDIA BOHNEUR SA

Copie exécutoire délivrée

le :

à :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE RENNES

ARRÊT DU 20 JUIN 2024

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :

Président : Monsieur Hervé BALLEREAU, Président de chambre,

Assesseur : Madame Isabelle CHARPENTIER, Conseillère,

Assesseur : Monsieur Bruno GUINET, Conseiller,

GREFFIER :

Madame Françoise DELAUNAY, lors des débats et lors du prononcé

DÉBATS :

A l'audience publique du 25 Mars 2024

En présence de Madame Dubuis, médiateur judiciaire,

ARRÊT :

Contradictoire, prononcé publiquement le 20 Juin 2024 par mise à disposition au greffe comme indiqué à l'issue des débats

****

APPELANT :

Monsieur [B]-[I] [T]

né le 11 Juin 1975 à [Localité 3]

[Adresse 1]

[Localité 7]

Représenté par Me Camille BAGOT de la SELARL ARMOR AVOCATS, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de SAINT-BRIEUC substitué par Me BRIAUD, avocat au barreau de RENNES

INTIMÉE :

MEDIA BOHNEUR SA Prise en la personne de ses représentants légaux, domiciliés en cette qualité au dit siège

[Adresse 2]

[Localité 6]

Représentée par Me Karine RIVOALLAN de la SELARL RIVOALLAN, Plaidant, avocat au barreau de SAINT-BRIEUC

Représentée par Me Christophe LHERMITTE de la SELEURL GAUVAIN, DEMIDOFF & LHERMITTE, Postulant, avocat au barreau de RENNES

EXPOSÉ DU LITIGE

La SAS Média bonheur est spécialisée dans l'édition et la diffusion de programmes radio. Son siège est situé à [Localité 5] et son dirigeant est M. [K] [R]. Elle est connue sous le nom commercial de Radio bonheur. Elle applique la convention collective de radiodiffusion. Son effectif est de 6 salariés. Plusieurs bénévoles participent à l'activité de la station.

Le 6 janvier 2011, M. [B]-[I] [T] a été embauché en qualité de technicien polyvalent indice 131 selon un contrat à durée déterminée puis indéterminée par la SAS Média bonheur, notamment chargé d'assurer la maintenance des installations techniques et informatiques de la radio, de gérer les sites internet/réseaux sociaux (Facebook, twitter), de s'occuper de l'aspect technique des différentes émissions et des écrans publicitaires.

Le 19 mars 2016, il s'est vu notifier un avertissement en raison d'erreurs, négligences et non respect des consignes.

Le 15 avril 2016, Mme [J], secrétaire au sein de la SAS Média bonheur, a déposé plainte pour harcèlement moral contre M. [R], dirigeant de la société. M. [T] a été auditionné dans le cadre de l'enquête et a confirmé l'existence de faits de harcèlement moral à l'encontre de sa collègue.

Le 17 octobre 2017, et alors qu'il avait pris connaissance du témoignage livré par M. [T] dans le cadre de l'enquête pénale, M. [R] lui a demandé de rédiger une attestation en sa faveur, en prévision de sa comparution le surlendemain, 19 octobre 2017, devant le tribunal correctionnel de Saint Brieuc pour y répondre de faits de harcèlement moral sur la personne de Mme [J]. M. [T] s'est alors exécuté.

Par décision du tribunal correctionnel du 7 décembre 2017, le tribunal correctionnel de Saint Brieuc a déclaré M. [R] coupable d'avoir, du 19 février 2012 au 17 mars 2017, harcelé Mme [J], secrétaire au sein de la société Média Bonheur depuis 2007, par des propos ou comportements répétés ayant pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptibles de porter atteinte à ses droits et à dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel, en l'espèce, d'avoir eu un comportement inapproprié avec son employée en empiétant sur sa vie privée, entraînant une ITT de 193 jours, et l'a condamné en répression à la peine de 5 mois d'emprisonnement avec sursis et 20.000 euros d'amende.

Par arrêt du 17 février 2021 (n°2021/257), la cour d'appel de Rennes confirmera le jugement en toutes ses dispositions.

Le 13 décembre 2017, M. [R] ayant appris par des salariés de la radio que M. [T] avait eu accès à des mails qu'il [M. [R]] avait échangés avec Mme [J] des années auparavant et s'était réjoui de sa condamnation le 7 décembre précédent, a procédé à la mise à pied conservatoire de ce dernier et l'a convoqué à un entretien préalable pouvant aller jusqu'au licenciement, fixé le 22 décembre suivant, au motif qu'il avait perturbé le fonctionnement de l'entreprise en se réjouissant de sa condamnation, que c'était un comportement déloyal et qu'en outre, il ne pouvait plus lui faire confiance puisqu'il avait violé le secret des correspondances en s'emparant de ses courriels sur son ordinateur.

Le 20 décembre 2017, M. [T] a déposé plainte pour subornation de témoin à l'encontre de M. [R]. Le 3 janvier 2018, il complétait sa plainte.

Le 22 décembre 2017 s'est déroulé l'entretien préalable, M. [T] étant assisté de M. Mallet, conseiller syndical FO.

Le 14 janvier 2018, M. [R], placé en garde à vue, était entendu sur ces faits, puis était déféré devant le procureur de la République de [Localité 7]. Il sollicitait un délai pour préparer sa défense et était placé sous contrôle judiciaire jusqu'à sa comparution à l'audience du 12 février 2018, finalement reportée au 17 avril 2018.

Par courrier recommandé en date du 19 janvier 2018, M. [T] s'est vu notifier son licenciement pour faute grave. Il lui était notamment reproché d'avoir eu :

$gt;un comportement déloyal et perturbant pour le fonctionnement de l'entreprise : " Le 8 décembre vous vous êtes ouvertement exprimé devant les salariés présents dans l'entreprise pour exposer votre joie à la vue de ma condamnation pénale. Ce comportement a déstabilisé les salariés présents qui ont été outrés par votre attitude. Cette situation affecte l'ensemble de l'entreprise et notamment la communication entre vous-même et les autres salariés travaillant dans les mêmes locaux (Mmes [R], [X] et [D]) (') " ;

$gt;Comportement déloyal et utilisation de votre PC professionnel à des fins privées et personnelles pendant votre temps de travail à mon insu et sans mon accord : "Vous êtes le seul utilisateur de votre PC professionnel. Le 13 décembre 2017, moins de deux heures après votre mise à pied, vous vous êtes empressés de vouloir vous connecter à distance par le logiciel Team Viewer à votre PC professionnel (') Intrigué j'ai décidé de contrôler votre PC professionnel et après vérification, il en résulte que [bien que vous utilisiez de manière continuelle la navigation privée], les traces de votre activité montrent que vous passez une grande partie de votre temps à gérer vos activités privées et personnelles pendant votre travail alors que les tâches que je vous demande de remplir ne sont pas toujours réalisées ; ainsi, le 11 décembre 2017, dernier jour travail, sur 557 requêtes internet, 272 le sont à titre personnel. Sur d'autres journées en décembre 2017 ('), on peut relever des traces de téléchargement de films et de jeux ainsi que des visites de sites pornographiques - outre des connexions à distance sur votre PC pro via Teamviewer pour des consultations nocturnes de ces sites. "

$gt;Téléchargement et utilisation de contenus illégaux sans mon accord et à mon insu:

" (') Globalement sur votre PC pro on retrouve autant de traces d'activités personnelles que professionnelles ('). Pendant le temps à vos occupations personnelles, vous commettez régulièrement des délits : téléchargement de logiciels, jeux vidéo, vidéos et films illégaux en risquant d'engager la responsabilité notamment pénale de votre employeur. "

"Je vous rappelle que vous êtes mis à pied à titre conservatoire à compter du mercredi 13 décembre 2017. "

Par jugement du 19 juin 2018, le tribunal correctionnel de Saint Brieuc, statuant en comparution immédiate, a déclaré M. [R] coupable d'avoir, à Pléneuf Val André, du 13 au 28 décembre 2017, au cours d'une procédure ou en vue d'une demande ou défense en justice, usé de promesses, offres, présents, pressions, menaces, voies de fait, man'uvres ou artifices, pour déterminer [B]-[I] [T] à faire ou délivrer une déposition, une déclaration ou une attestation mensongère, en l'espèce, modifier ou retirer son témoignage dans une procédure en cours de jugement pour laquelle [K] [R] est prévenu des chefs de harcèlement moral sur [O] [J], et l'a condamné en répression à la peine de 8 mois d'emprisonnement avec sursis et 5.000 euros d'amende, et sur les intérêts civils à payer à M. [T] la somme de 3.000 euros en réparation de son préjudice moral.

Par un second arrêt du 17 février 2021 (n°2021/258), la cour d'appel de Rennes confirmera ce jugement en toutes ses dispositions.

Par deux arrêts n°21-81504 et n°21-81505 du 23 novembre 2021, la chambre criminelle de la cour de cassation déclarera non admis les pourvois formés contre les deux arrêts de la cour d'appel de Rennes.

Le 28 juin 2018, M. [R] a déposé plainte contre M. [T] pour faux témoignage. Aucune suite n'y a été donnée.

&&&&&

Contestant la rupture de son contrat de travail, M. [T] a saisi le conseil de prud'hommes de Saint-Brieuc par requête en date du 30 novembre 2018 afin de voir:

Avant dire droit :

- Ecarter des débats les pièces adverses n°19, 24, 31, 38, 39 et 54

- Déclarer recevables les pièces 7 et 8

A titre principal :

- Dire et juger que le licenciement dont il a fait l'objet est nul en raison de la violation par l'employeur de la protection dont il bénéficiait, en qualité de témoin de harcèlement

- En conséquence, condamner la SAS Média bonheur à payer à M. [T] les sommes suivantes:

- Rappel de salaire sur la période de mise à pied non justifiée: 1183 euros outre 10% de congés payés afférents, soit 118,30 euros

- Indemnité compensatrice de préavis : 2 mois, soit 4506 euros outre 10 % au titre des congés payés, soit 450 euros

- Indemnité légale de licenciement : 4506 euros

- Dommages et intérêts pour licenciement nul : 12 mois de salaire, soit 27 040 euros.

A titre subsidiaire :

- Dire et juger que les fautes invoquées par l'employeur ne sont pas établies de sorte que le licenciement est sans cause réelle et sérieuse :

- En conséquence, condamner la SAS Média bonheur à lui payer les sommes suivantes :

- Rappel de salaire sur la période de mise à pied non justifiée : 1183 euros outre 10 % de congés payés afférents, soit 118,30 euros

- Indemnité compensatrice de préavis : 2 mois, soit 4506 euros, outre 10% au titre des congés payés, soit 450 euros

- Indemnité légale de licenciement : 4506 euros

- Dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse (barème Macron applicable), la somme de 18000 euros (8 mois de salaire) ;

A titre infiniment subsidiaire :

- Dire et juger que les fautes retenues par l'employeur ne sont pas constitutives de faute grave

- En conséquence, condamner la SAS Média bonheur à lui payer les sommes suivantes :

- Rappel de salaire sur la période de mise à pied non justifiée : 1 183 euros outre 10 % de congés payés afférents, soit 118,30 euros

- Indemnité compensatrice de préavis: 2 mois, soit 4506 euros, outre 10 % au titre des congés payés, soit 450 euros

- Indemnité légale de licenciement : 4506 euros

- Dire et juger que le licenciement intervenu est irrégulier et, en conséquence, condamner la SAS Média bonheur à payer à M. [T] la somme de 2253 euros à titre de dommages et intérêts.

En tout état de cause :

- Débouter la SAS Média bonheur de toutes ses demandes, fins et conclusions

- Condamner la SAS Média bonheur à payer à M. [T] la somme de 5000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

- Ordonner l'exécution provisoire de la décision à intervenir.

La SAS Média bonheur a demandé au conseil de prud'hommes de :

Avant dire droit :

- Ecarter des débats les pièces adverses n°7 et 8 ;

- Dire et juger recevables les pièces n°19-24 et 31;

- Si le conseil de prud'hommes estimait qu'il puisse exister un quelconque lien entre le licenciement et les décisions pénales évoquées par le demandeur, ordonner le sursis à statuer dans l'attente des arrêts définitifs de la cour d'appel de Rennes à intervenir.

Au fond

- Constater que le licenciement de M. [T] est fondé sur une faute grave;

- Débouter M. [T] de toutes ses demandes, fins et conclusions;

- Condamner M. [T] à payer à la SAS Média bonheur une somme de 12 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

- Condamner la même aux entiers dépens incluant des frais d'expertise et de constat d'huissier à hauteur de 8431,78 euros TTC.

Par jugement en date du 30 avril 2021, le conseil de prud'hommes de Saint-Brieuc a :

- Débouté M. [T] de sa demande d'écarter des débats les pièces adverses numéro 19, 24, 31, 38, 39 et 54 ;

- Débouté M. [T] de sa demande de déclarer recevable les pièces 7 et 8 de la partie demanderesse

- Dit qu'il n'y a aucun lien entre le licenciement de M. [T] et la procédure pénale et qu'il n'y a pas lieu de surseoir à statuer

- Débouté M. [T] de la demande de nullité du licenciement en raison de la violation de la protection en lien avec la qualité de témoin de harcèlement

- Débouté M. [T] de toutes ces demandes afférentes

- Dit que le licenciement repose sur une cause réelle et sérieuse

- Débouté M. [T] de ces demandes afférentes

- Dit que le licenciement pour faute grave est justifié

- Débouté M. [T] de toutes ces demandes afférentes

- Dit que le licenciement est irrégulier en la forme

- Fixe les dommages et intérêts à ce titre à 750 euros

- Débouté M. [T] de sa demande d'article 700 du code de procédure civile

- Débouté M. [T] de sa demande d'exécution provisoire

Sur les demandes reconventionnelles

- Ecarté les pièces numéro 7 et 8 du dossier de M. [T]

- Jugé recevable les pièces numéro 19, 24, 31, 38, 39 et 54 du dossier de la SAS Média bonheur

- Dit n'y avoir lieu à surseoir à statuer

- Dit que le licenciement est fondé sur une faute grave

- Débouté la SAS Média bonheur de sa demande de l'article 700 du code de procédure civile

- Dit que les dépens s'il en reste resteront à chacune des parties

- Condamne M. [T] à payer la SAS Média bonheur la somme de 8.431, 78 euros concernant les frais d'expertise et le constat d'huissier qu'elle a engagé

- Ordonné la compensation des sommes dues.

***

M. [T] a interjeté appel de la décision précitée par déclaration au greffe en date du 28 mai 2021.

En l'état de ses dernières conclusions transmises par son conseil sur le RPVA le 4 mars 2024, M. [T] demande à la cour d'appel de :

- Recevoir M. [T] en son appel et l'en déclarer bien fondé

- Infirmer le jugement rendu par la conseil de prud'hommes de Saint-Brieuc le 30 avril 2021 sauf en ce qu'il a déclaré le licenciement irrégulier et, statuant à nouveau:

- Débouter la SAS Média bonheur de toutes ses demandes, fins et conclusions

Avant dire droit :

-Ecarter des débats les pièces adverses n°19, 24, 31, 38, 39, 54, 65, 66 et 70:

-Déclarer recevable les pièces 7 et 8 du demandeur

Sur le fond :

A titre principal,

- Annuler le licenciement de M. [T] pour violation par l'employeur de la protection dont il bénéficiait, en qualité de témoin de harcèlement;

- En conséquence, condamner la SAS Média bonheur à payer à M. [T] les sommes suivantes :

- Rappel de salaire sur la période de mise à pied non justifiée : 1 183 euros outre 10% de congés payés afférents, soit 118,30 euros

- Indemnité compensatrice de préavis : 2 mois, soit 4 506 euros outre 10% au titre des congés payé, soit 450 euros ;

- Indemnité légale de licenciement : 4 506 euros ;

- Dommages et intérêts pour licenciement nul : 12 mois de salaire, soit 27 040 euros.

A titre subsidiaire :

- Requalifier le licenciement de M. [T] en licenciement sans cause réelle et sérieuse puisque motivé par une cause inexacte et par des fautes non établies

- En conséquence, condamner la SAS Média bonheur à payer à M. [T] les sommes suivantes :

- Rappel de salaire sur la période de mise à pied non justifiée : 1 183 euros outre 10% de congés payés afférents, soit 118,30 euros

- Indemnité compensatrice de préavis : 2 mois, soit 4 506 euros, outre 10% au titre des congés payés, soit 450 euros ;

- Indemnité légale de licenciement : 4 506 euros;

- Dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse (barème Macron applicable), la somme de 18 000 euros (8 mois de salaire) ;

A titre infiniment subsidiaire :

- Dire et juger que les fautes retenues par l'employeur ne sont pas constitutives de faute grave

- En conséquence, condamner la SAS Média bonheur à payer à M. [T] les sommes suivantes :

- Rappel de salaire sur la période de mise à pied non justifiée : 1 183 euros outre 10% de congés payés afférents, soit 118,30 euros

- Indemnité compensatrice de préavis : 2 mois, soit 4 506 euros, outre 10% au titre des congés payés, soit 450 euros;

- Indemnité légale de licenciement : 4 506 euros ;

- Confirmer le jugement dont appel en ce qu'il a constaté l'irrégularité du licenciement

- Le réformer sur les dommages et intérêts accordés au salarié au titre de l'irrégularité

- Statuant à nouveau, condamner la SAS Média bonheur à payer à M. [T] la somme de 2 253 euros à titre de dommages et intérêts.

En tout état de cause :

- Débouter la SAS Média bonheur de toutes ses demandes, fins et conclusions.

- Déclarer irrecevable la demande de sursis à statuer et subsidiairement, en débouter la SAS Média bonheur

- Condamner la SAS Média bonheur à payer à M. [T] la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

En l'état de ses dernières conclusions transmises par son conseil sur le RPVA le 1er mars 2024, la SAS Média bonheur demande à la cour d'appel de :

- Infirmer partiellement le jugement rendu par le conseil de prud'hommes le 30/04/2021, en ce qu'il condamne l'employeur à verser 750 euros au titre d'une irrégularité sur la procédure de licenciement.

- Confirmer pour le surplus:

- Avant dire droit :

- Ecarter des débats les pièces adverses n°7 et 8 ;

- Dire et juger recevables les pièces n°19-24-31-38-39-54-65-66-70

- Au fond et à titre principal:

- Constater que le licenciement de M. [T] est fondé sur une faute grave;

En conséquence :

- Débouter M. [T] de toutes ses demandes, fins et conclusions

Subsidiairement :

- Surseoir à statuer dans l'attente des décisions pénales relatives aux plaintes déposées à l'encontre de M. [T]

En tout état de cause :

- Condamner M. [T] à payer à la SAS Média bonheur une somme de 20000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

- Condamner le même aux entiers dépens incluant des frais d'expertise et de constat d'huissier à hauteur de 8431,78 euros TTC.

***

La clôture de l'instruction a été prononcée par ordonnance du conseiller de la mise en état le 12 mars 2024 avec fixation de la présente affaire à l'audience du 25 mars 2024.

Conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, la cour renvoie, pour un plus ample exposé des prétentions et moyens des parties, à leurs dernières conclusions régulièrement signifiées.

MOTIFS DE LA DÉCISION

A titre liminaire, et pour la clarté des débats, il convient de rappeler qu'il est acquis aux débats et ressort des deux procédures pénales produites, que :

$gt;dans une procédure pour harcèlement moral diligentée à l'encontre de M. [R] et concernant une employée de la radio Radio Bonheur, [O] [J], [B]-[I] [T] a témoigné et a été entendu par les gendarmes saisis de cette enquête le 28 avril 2016 ;

$gt;à cette occasion il avait indiqué avoir constaté que [K] [R], était possessif et jaloux à l'égard de cette dernière, qu'il essayait souvent d'être seul avec elle le soir, de la retenir, qu'il lui faisait de nombreuses remarques sur sa façon de s'alimenter, dénonçant une forme de perversion : " [K] [R] la couvrait de cadeaux, lui octroyait un salaire plus important qu'aux autres et un traitement de faveur qui la mettaient mal à l'aise. Lorsqu'[O] [J] était mariée, M. [R] ne cessait de critiquer son conjoint, de le faire passer pour un irresponsable. Selon [B]-[I] [T], [K] [R] était responsable du divorce de sa collègue (') que par ailleurs la jeune femme lui avait montré de nombreux SMS envoyés par [K] [R] dans lesquels ce dernier lui faisait des avances; qu'il avait ajouté qu'il avait vu que l'état de santé de celle-ci s'était dégradé et qu'elle lui avait déclaré qu'elle ne supportait plus [K] [R] ni la pression de l'épouse de celui-ci qui pensait qu'elle convoitait son employeur ; lui aussi se sentait harcelé par [K] [R] tout comme d'autres journalistes qui avaient ensuite été licenciés. Sur son cas personnel, il indiquait qu'il faisait l'objet de reproches constants et que [K] [R] le menaçait de le licencier ;

$gt;le 17 octobre 2017, deux jours avant l'audience de jugement, [K] [R] a demandé à [B]-[I] [T] de lui établir une attestation en sa faveur; que [B]-[I] [T] a expliqué s'être senti obligé de rédiger celle-ci travaillant toujours au sein de cette radio étant le subordonné de [K] [R] ; que cependant il a également indiqué que les termes en avaient été choisis par lui, sans lui avoir été dictés par son employeur ;

$gt;à la suite de l'audience qui s'est déroulée le 19 octobre 2017, le tribunal correctionnel de Saint Brieuc a, par jugement du 7 décembre 2017, déclaré M. [K] [R] coupable de harcèlement moral sur la personne d'[O] [J], une salariée de Radio Bonheur et l'a condamné en répression à une peine de 5 mois d'emprisonnement assortis du sursis simple outre 20.000 euros d'amende.

Confirmant le jugement, la cour d'appel de Rennes, dans un arrêt du 17 février 2021 a retenu que : " En s'immisçant régulièrement dans la vie privée d'[O] [J] depuis l'année 2012, notamment en lui rappelant régulièrement ses troubles alimentaires alors qu'il connaissait sa vulnérabilité de ce chef. en se présentant sur son lieu d'hospitalisation spontanément sans aucune demande de la part de celle-ci, en insistant pour rester en contact avec elle en dépit de l'interdiction qu'il lui en avait été faite par l'équipe médicale, en lui envoyant régulièrement des courriels, en soirée, hors des temps de travail, alors qu'elle se trouvait à son domicile, y compris les samedis, dimanches et durant des périodes de congés, en poursuivant ses avances alors même que celle-ci lui avait fait connaître son refus de toute relation autre que professionnelle, en lui confiant de trop nombreuses tâches professionnelles, en se présentant spontanément au domicile de celle-ci sans invitation de sa part. en lui faisant le reproche de sa vie sociale dont il ne faisait pas partie, en la culpabilisant de le faire souffrir par ses refus ou de compromettre la pérennité de la radio dans l'hypothèse où elle voudrait quitter celle-ci pour s'éloigner de lui, en lui disant de quitter la radio pour ne plus le faire souffrir. puis en lui disant de rester pour le même motif, en lui faisant craindre si elle quittait la radio de faire état auprès d'éventuels employeurs de ses problèmes de -santé (anorexie et dépression), [K] [R] a constamment multiplié des propos ou les comportements ayant pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte aux droits et à la dignité d'[O] [J], d'altérer sa santé physique ou mentale, en empêchant celle-ci de couper psychiquement avec son environnement professionnel, en la contactant sans arrêt, y compris le soir et durant les fins de semaine, en la privant d'une vie sociale, en l'accaparant par des demandes professionnelles et en ne tenant aucun compte de la volonté de cette dernière d'en rester à une stricte relation salariée/employeur.

La dégradation de l'état de santé d'[O] [J] en lien avec les agissements répétés de [K] [R], est attestée par plusieurs certificats médicaux (15 avril. 18 avril. 22 avril, 20 mai 7 juin. 30 juillet. 31 août 2016 ) faisant état d'une incapacité temporaire de travail du 22 mars au 1er novembre 2016 soit cent quatre-vingt-treize jours, pour un syndrome anxiodépressif nécessitant un traitement médicamenteux et un arrêt de travail régulièrement reconduit sur toute cette période avec des éléments phobiques et post-traumatiques (') ".

La cour de cassation a déclaré le pourvoi non admis contre cet arrêt, par décision du 23 novembre 2021.

$gt;le 13 décembre 2017, [K] [R] ayant appris par des salariés de la radio, que [B]-[I] [T] s'était réjoui de sa condamnation le 7 décembre précédent, a procédé à la mise à pied de ce dernier au motif qu'il avait perturbé le fonctionnement de l'entreprise en se réjouissant de sa condamnation et que c'était un comportement déloyal et qu'en outre, il ne pouvait plus lui faire confiance puisqu'il avait violé le secret des correspondances en s'emparant de courriels sur son ordinateur ; [B]-[I] [T] a déclaré dans sa plainte que lors de cet entretien, son employeur l'avait également informé de son souhait de porter plainte pour faux témoignage et pour piratage de sa boîte mail avant de lui proposer la signature d'un accord transactionnel dans lequel il proposait un arrangement financier et un licenciement à l'amiable à condition qu'il accepte de refaire un témoignage dans lequel il indiquerait au procureur de la république qu'il avait menti lors de sa déposition auprès de la gendarmerie de [Localité 4] et qu'à défaut, il menaçait de le licencier pour faute grave et de déposer plainte contre lui pour faux témoignage;

$gt;Juste après cet entretien, il n'est plus contesté depuis l'audience devant le tribunal correctionnel de Saint Brieuc, que [K] [R] a rédigé les trois documents suivants :

$gt;Pour le premier document, il s'agit d'une liste d'éléments à faire apparaître dans le protocole d'accord envisagé avec les engagements respectifs de [B]-[I] [T] et de Radio Bonheur et présentés de la façon suivante :

" [B] :

1. [B] reconnaît qu'il a menti dans l 'intégralité de sa déclaration du 28 avril 2016 2. [B] reconnaît qu'il a agi pour se venger de ses changements d'horaires imposés en 2015 et des reproches réalisés par son employeur en mars 2016,

3. [B] reconnaît qu'il n 'a jamais été témoin d'aucun harcèlement de son employeur vers [O] [J] depuis 2011, au contraire il a assisté à une bonne entente entre eux (d'ailleurs lorsque [B] souhaitait me demander quelque chose d'important, il passait par [O] : salaires, primes PEE, PERCO...) car il savait que nous nous entendions très bien,

4. [B] reconnaît qu'il a détourné mes mails personnels à destination d '[O] de 2012 à 2015,

5. [B] constate que les autres témoins ont aussi menti,

6. [B] rédige un courrier au procureur sur ces faits,

7. [B] s 'engage à être cité pour confirmer ce courrier au procureur,

8. [B] accepte de former son successeur pendant deux semaines,

9. La radio accepte de ne pas déposer de plaintes pénales et civiles contre [B], notamment pour détournement de correspondances et les faux témoignages,

10. La radio accorde un licenciement pour motif personnel avec I'équivalent de six mois de salaire solde de tout compte, toutes primes et indemnités incluses, soit environ 10.000 € nets (hors congés payés).

$gt;Pour le second document il s'agit d'un protocole d'accord transactionnel, reprenant notamment les éléments de la liste susvisée, prévoyant notamment un licenciement motivé par motif personnel (article deux), une indemnité globale, forfaitaire et définitive fixée après discussion à la somme de dix mille euros nets (article quatre), et qu'en contrepartie le salarié s'engage notamment, à adresser au procureur de la république dès la signature de la présente transaction, une lettre l'informant qu'il n'a pas dit la vérité dans son audition du 28 avril 2016, notamment :

*il reconnaît qu'il n'a jamais été témoin d'aucun harcèlement moral de son employeur vers [O] [J] depuis 2011 ; au contraire il a assisté à une bonne entente entre eux,

*il reconnaît qu'il a agi pour se venger de [K] [R] notamment de ses changements d'horaires imposés en 2015 et des reproches réalisés par son employeur en mars 2016,

*il reconnaît qu'il a détourné les mails personnels de [K] [R] à destination d' [O] de 2012 à 2015,

*de plus à la lecture des procès-verbaux d'audition des autres salariés, [B]-[I] [T] constate que les autres témoins ayant dénigré [K] [R] ont également menti, tant sur le comportement général de [K] [R] que sur la relation de [K] [R] avec [O] [J],

*[B]-[I] [T] s'engage également à témoigner par des attestations sur l'honneur, courrier au procureur et citation dans le cadre de ces faux témoignages (article 6-3 ) ;

$gt;Pour le troisième document il s'agit d'une lettre adressée au nom de [B]-[I] [T] à l'intention de M. le procureur de la république dans laquelle [B]-[I] [T] déclare dans les termes déjà susvisés mentionnés dans le protocole d'accord, notamment, n'avoir pas dit la vérité lors de son audition à la gendarmerie de [Localité 4] le 28 avril 2016, n'avoir à aucun moment durant cinq années dans l'entreprise, vu, entendu ou constaté le moindre comportement anormal de [K] [R], avoir été contacté par [O] [J] qu'il l'avait supplié qu'il témoigne en sa faveur et pour qu'il accuse [K] [R] de harcèlement, qu'il avait accepté de mentir car lui-même avait eu des soucis ponctuels à ce moment-là avec [K] [R] qui avait modifié ses horaires contre son gré et qui avait failli le mettre à pied à la suite d'une erreur commise à la mi-mars 2016, qu'en réalité lui-même s'entend très bien avec [K] [R] et qu'il n'a jamais constaté le moindre harcèlement de [K] [R] envers [O] [J], que par ailleurs il avait été pris de remords, avait contacté la gendarmerie de [Localité 6] pour revenir sur sa déposition, ce qui avait été refusé ; qu'il était encore ajouté qu'après avoir pris connaissance des auditions de plusieurs salariés de la radio dont [K] [R] lui avait donné connaissance, il constatait que de nombreux faits étaient inexacts, exagérés ou faux et qu'informé de l'intention de [K] [R] de déposer plainte contre ces derniers, il acceptait de témoigner dans le cadre de ses plaintes pour faux témoignages

$gt;Le 20 décembre 2017, M. [T] déposait plainte contre son employeur pour subornation de témoin et a remis alors aux gendarmes les trois documents décrits ci-dessus, récupérés par lui sur l'ordinateur de M. [R].

Sur la demande de sursis à statuer de la société Média Bonheur :

La société Média Bonheur fait valoir qu'une instruction est en cours au tribunal judiciaire de Saint Brieuc puisqu'elle a déposé une plainte avec constitution de partie civil contre M. [T] pour accès et maintien frauduleux dans un système de traitement automatisé de données, extorsion, atteinte au secret des correspondances émises par voie électronique, vol et recel et sollicite un sursis à statuer dans l'attente de l'issue de cette information judiciaire.

M. [T] s'y oppose observant que cette demande est nouvelle alors que l'instruction a été ouverte au cours de l'année 2020 et en tout état de cause sans lien avec l'instance prud'homale.

L'article 4 du code de procédure pénale dispose : " L'action civile en réparation du dommage causé par l'infraction prévue par l'article 2 peut être exercée devant une juridiction civile, séparément de l'action publique.

Toutefois, il est sursis au jugement de cette action tant qu'il n'a pas été prononcé définitivement sur l'action publique lorsque celle-ci a été mise en mouvement.

La mise en mouvement de l'action publique n'impose pas la suspension du jugement des autres actions exercées devant la juridiction civile, de quelque nature qu'elles soient, même si la décision à intervenir au pénal est susceptible d'exercer, directement ou indirectement, une influence sur la solution du procès civil ".

Ainsi, le juge civil est tenu de surseoir à statuer si l'action publique a été mise en mouvement devant la juridiction répressive à propos des mêmes faits.

A contrario, la mise en mouvement de l'action publique n'impose pas la suspension du jugement des autres actions exercées devant la juridiction civile, de quelque nature qu'elles soient, et ce même si la décision à intervenir au pénal est susceptible d'exercer, directement ou indirectement une influence sur la solution du procès civil.

En l'espèce, la société Média Bonheur avait sollicité un sursis à statuer, finalement rejeté par les premiers juges, dans l'attente des décisions à venir de la cour d'appel de Rennes contre les jugements du tribunal correctionnel de Saint Brieuc, relativement aux faits de harcèlement moral et de subornation de témoin.

S'agissant de la plainte avec constitution de partie civile actuellement en cours d'instruction auprès du magistrat instructeur du tribunal judiciaire de St Brieuc, elle ne concerne pas les mêmes faits que ceux visés dans la lettre de licenciement qui fixe les limites du litige, de telle sorte qu'elle n'aura aucun caractère décisif sur l'instance prud'homale en cours.

Il convient dès lors de rejeter cette demande de sursis à statuer par voie de confirmation du jugement.

Sur la recevabilité des pièces n°7 et n°8 produites par M. [T] :

Monsieur [T] verse aux débats des pièces numérotées 7 et 8 en l'occurrence :

- le projet de protocole d'accord découvert par lui sur l'ordinateur de M. [R] au mois de décembre 2017 (sa pièce n° 7),

-le projet de lettre au Procureur qu'il a découvert sur l'ordinateur de M. [R] au mois de décembre 2017 (sa pièce n° 8),soit les documents à partir desquels l'enquête pénale pour subornation de témoin a été ouverte après dépôt de plainte de M. [T].

Pour les écarter des débats, le conseil de prud'hommes de Saint-Brieuc a retenu qu'elles avaient été obtenues de manière illicite par M. [T], ce dernier y ayant eu accès en pénétrant dans le système informatique de la SAS MEDIA BONHEUR alors qu'il était mis à pied, ce que le salarié n'a jamais contesté.

Pour infirmation, M. [T] fait valoir que si les pièces dont s'agit ont été obtenues de manière déloyale, elles étaient d'une part totalement étrangères au fonctionnement normal de l'entreprise et d'autre part strictement nécessaires à l'exercice de ses droits de la défense puisqu'elles constituaient les seuls éléments de preuve permettant de démontrer le motif réel de son licenciement et le chantage auquel il était soumis par son employeur étant rappelé que le salarié conclut à titre principal à la nullité de son licenciement.

Il ajoute qu'en tout état de cause, le motif réel de son licenciement, à savoir le témoignage qu'il a apporté contre M. [R] est acquis aux débats puisqu'il ressort également des décisions pénales versées aux débats de sorte que les accusations soutenues par Monsieur [T] doivent nécessairement données lieu à examen, que les pièces 7 et 8 soient ou non écartées.

La société Média Bonheur réplique qu'il convient d'apprécier la demande de voir écarter des débats les pièces n°7 et 8 à la lumière de l'arrêt rendu par l'assemblée plénière de la cour de cassation le 22 décembre 2023 (n°20-20648, B+R). Elle rappelle que ces documents sont confidentiels et ont été soustraits frauduleusement par M. [T] au moyen d'une connexion illicite sur l'ordinateur de son employeur alors que son contrat était suspendu puisqu'il était mis à pied à titre conservatoire, ce que M. [T] reconnaît du reste, et ce qui constitue un aveu judiciaire au sens de l'article 1356 du code civil.

Il résulte de l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 9 du code de procédure civile que, dans un procès civil, l'illicéité ou la déloyauté dans l'obtention ou la production d'un moyen de preuve ne conduit pas nécessairement à l'écarter des débats. Le juge doit, lorsque cela lui est demandé, apprécier si une telle preuve porte une atteinte au caractère équitable de la procédure dans son ensemble, en mettant en balance le droit à la preuve et les droits antinomiques en présence, le droit à la preuve pouvant justifier la production d'éléments portant atteinte à d'autres droits à condition que cette production soit indispensable à son exercice et que l'atteinte soit strictement proportionnée au but poursuivi (en ce sens, Cass. Ass. Plén. 22 décembre 2023, n°2°-20648).

Plus précisément, pour envisager qu'une preuve illicite puisse, malgré cela, être déclarée recevable, il faut qu'elle soit indispensable, c'est à dire qu'elle doit être le seul moyen d'établir la réalité du fait allégué ou encore qu'aucun autre moyen de preuve moins attentatoire au respect de la vie privée (ou à tout autre droit fondamental mis en cause) ne puisse être offert (en ce sens, Soc., 22 septembre 2021, n° 19-26.144, publié).

Le juge doit ensuite apprécier le caractère proportionné de l'atteinte ainsi portée à la vie privée au regard du but poursuivi en vérifiant que, en l'espèce et de manière concrète, le moyen de preuve illicite ne porte pas une atteinte disproportionnée à la vie privée de l'une des parties par rapport à l'objectif poursuivi par l'autre.

Dans la mesure où cela lui est demandé, il appartient donc à la cour de vérifier, en l'espèce si les preuves litigieuses, en l'occurrence, le projet de protocole d'accord et le projet de lettre au Procureur (ses pièces 7 et 8) :

$gt;ont été obtenues de manière illicite par M. [T] en pénétrant dans le système informatique de la société Média Bonheur : en l'occurrence, il est établi et non contesté par M. [T] que le 13 décembre 2017, une fois rentré chez lui après notification de sa mise à pied conservatoire, il a tenté de se connecter à distance sur son ordinateur de travail pour vérifier que personne ne fouillait dans celui-ci, en vain; il s'est alors connecté à distance sur l'ordinateur de son employeur ; il y a accédé en se connectant à un autre PC, le PC clooner, ce qui lui a permis d'accéder au

" voisinage réseau " puis à l'ordinateur de M. [R]. Il a découvert alors dans l'ordinateur de ce dernier un fichier intitulé "Licenciements [J] Oléron [B] " dans lequel figurait un projet d'accord transactionnel ainsi qu'un projet de lettre adressée au procureur de la République avec en en-tête, ses coordonnées.

$gt;étaient indispensables ou non à l'exercice du droit à la preuve du salarié :

Il convient de rappeler à cet égard que l'égalité des armes implique l'obligation d'offrir, dans les différends opposant des intérêts à caractère privé, à chaque partie une possibilité raisonnable de présenter sa cause dans des conditions qui ne la placent pas dans une situation de net désavantage par rapport à son adversaire (CEDH, 7 septembre 2021, n° 27516/14, M.P. c. Portugal, § 46). Tel est le cas si l'interdiction de produire une preuve constitutive, par exemple, d'une atteinte au droit au respect de la vie privée empêche totalement une partie d'apporter la preuve des faits qu'elle invoque au soutien de sa prétention et la prive dès lors de toute " possibilité raisonnable de présenter sa cause ".

Au cas présent, le but est légitime dans la mesure où l'obtention de ces fichiers informatiques est strictement nécessaire à l'exercice des droits de la défense de M. [T] et à l'exercice de ses droits en justice dans le litige l'opposant à son employeur. (De fait) Il s'agit en effet du seul moyen d'établir la réalité du fait allégué, c'est-à-dire le chantage exercé par son employeur en rétorsion au témoignage qu'il avait fait 18 mois auparavant mais qui a contribué à la déclaration de culpabilité de M. [R] dont l'issue n'a été connue que le 7 décembre 2017 lorsque le tribunal correctionnel de Saint Brieuc a rendu sa décision, et alors qu'étant le supérieur hiérarchique de M. [T], M. [R] avait déjà obtenu de son salarié et subordonné, qu'il revienne, en octobre 2017, 2 jours avant l'audience, sur son témoignage du 28 avril 2016.

Il y a lieu d'observer en outre que M. [R], avait d'abord nié être l'auteur des documents ayant finalement donné lieu à sa condamnation pour subornation de témoin et accusé M. [T] d'être l'auteur desdits documents, avant de revenir sur ses déclarations,

Ainsi, M. [T] ne pouvait pas atteindre un résultat identique en utilisant d'autres moyens plus respectueux de la vie personnelle de son employeur.

$gt;l'atteinte au respect de la vie personnelle de l'employeur est ou non disproportionnée; en l'occurrence, elle est strictement proportionnée au but poursuivi, dans la mesure où elle s'est limitée à 3 fichiers récupérés par M. [T] sur l'ordinateur de M. [R], dont deux sont produits dans le cadre de l'instance prud'homale. Par ailleurs, M. [R] soutient sans preuve que M. [T] a eu accès par des man'uvres à l'ensemble des courriels qu'il a échangés avec Mme [J] ; M. [H] le conteste qui, confirmé en cela par Mme [J] elle-même, précise qu'il a eu connaissance de ces courriels exclusivement par le truchement de celle-ci.

$gt;ont en définitive porté ou non une atteinte au caractère équitable de la procédure dans son ensemble : ce n'est pas le cas ici, dès lors que M. [R], gérant de la société Média Bonheur pour les motifs sus-évoqués, étant rappelé au surplus qu'il a déjà fait l'objet d'enquêtes pénales, aussi bien sur les faits de harcèlement moral commis à l'égard de Mme [J] que sur ceux de subornation de témoin à l'égard de M. [T] qui ont donné lieu à des condamnations définitives. Au cours de la dernière enquête (sur les faits de subornation de témoin), les pièces 7 et 8 ont déjà été produites et discutées contradictoirement, la chambre des appels correctionnels de la cour répondant à ce moyen, déjà soulevé devant elle, que " les juges répressifs ne peuvent écarter les moyens de preuve produits par les parties au seul motif qu'ils auraient été obtenir de façon illicite ou déloyale et qu'il leur appartient seulement d'en apprécier la valeur probante conformément aux dispositions de l'article 427 du CPP; il appartient juste au juge de s'assurer que ces éléments de preuve ont été soumis à la discussion des parties et que celles-ci ont été en situation de les combattre par des preuves contraires; à ce titre, la logique interne aux courriels qui sont produits par [O] [J] permettent de déduire que ceux-ci ne sont en rien tronqués et qu'en tout état de cause [K] [R] avait toute possibilité de produire d'autres échanges ayant existé entre lui-même et [O] [J] pour contredire éventuellement la teneur de ces derniers : que force est de constater que pour autant celui-ci ne produit aucune pièce de ce chef ('). "

Au résultat de cet examen, les pièces n°7 et n°8 produite par l'appelant sont déclarées recevables.

Sur la nullité du licenciement :

Pour soutenir qu'il existe un lien indiscutable entre son licenciement et sa dénonciation de faits de harcèlement moral commis par son employeur sur la personne d'[O] [J], qui entraîne la nullité dudit licenciement, M. [T] fait valoir que :

-ce lien résulte de la condamnation de M. [R] pour subornation de témoin qui a mis en évidence le chantage exercé par son employeur aux termes duquel soit il reconnaissait avoir menti lors de son audition du mois d'avril 2016 (lorsqu'il avait relaté des faits pouvant relever du harcèlement moral commis par M. [R] sur Mme [J]), soit il était licencié pour faute grave ;

-ce lien résulte encore de la reconnaissance par M. [R] lors de l'audience correctionnelle du 17 avril 2018, de ce que la mise à pied était consécutive à la découverte du contenu de l'audition du 28 avril 2016 de M. [T] (sa pièce n°21, notes d'audience du tribunal correctionnel du 17 avril 2018) ;

-ce lien résulte également de la plainte pour faux témoignage déposée à son encontre par M. [R], qui, entendu le 28 juin 2018 a exprimé le motif du licenciement en ces termes : "Je souhaite vous informer que quelques jours avant l'audience d'octobre 2017, j'ai su que M. [T] avait témoigné contre moi le 28 avril 2016. Sur le coup, je n'ai rien dit, j'ai gardé cela pour moi mais en décembre 2017, lorsque j'ai appris que j'étais condamné, j'ai estimé que je ne pouvais pas garder dans mon entreprise une personne qui avait commis un faux témoignage contre moi " (pièce n°42) ; c'est donc la sanction prononcée par le tribunal correctionnel qui a poussé M. [R], certainement vexé, à punir son salarié ;

-ce lien est aussi évoqué en termes à peine voilés dans la lettre de licenciement, lorsqu'est mentionné comme premier grief le prétendu comportement déloyal perturbant le bon fonctionnement de l'entreprise consistant dans le fait de s'être réjoui de la condamnation de M. [R] pour harcèlement ; c'était du reste le seul grief connu au moment de la remise de la convocation, les deux autres étant intervenus postérieurement : " Le 13 décembre, moins de deux heures après votre mise à pied, vous vous êtes empressés de vouloir vous connecter à distance par le logiciel Team Viewer à votre PC professionnel. Mme [X] m'a informé de votre démarche qui m'a semblé pour le moins très étonnante. Intrigué, j'ai décidé de contrôler le contenu du votre PC professionnel " ;

-ce lien résulte enfin du projet de protocole lui-même dont le préambule, tout en faisant un rappel chronologique des éléments marquant la relation contractuelle, ne fait état d'aucune découverte de faute imputable à M. [T], mais aborde en revanche dans le détail tous les moments clefs en lien avec la plainte pour harcèlement moral déposée par Mme [J] ;

M. [T] considère que ces éléments démontrent qu'à cette époque, la seule préoccupation de M. [R] n'était pas de sanctionner M. [T] pour de prétendues fautes (qui n'étaient pas même identifiées), mais d'obtenir à tout prix et par des moyens illégaux, le soutien de son salarié pour l'affaire pénale en cours.

M. [T] ajoute que M. [R] a été définitivement condamné tant pour les faits de subornation de témoin que pour des faits de harcèlement moral commis au préjudice de Mme [J], de sorte que l'employeur ne peut plus soutenir que M. [T] aurait menti dans son témoignage du 28 avril 2016. Par ailleurs, la plainte pour faux témoignage a été classée sans suite.

Enfin, si M. [R] justifie qu'il a déposé une plainte au cours de l'année 2019 et qu'une instruction a été ouverte courant 2020, la demande de sursis à statuer en attendant l'issue de cette plainte, qui est en tout état de cause irrecevable, ne peut prospérer.

Pour contester ce lien, la société Média Bonheur fait valoir que :

-il n'existe aucun lien entre le licenciement de M. [T] et les décisions pénales qui ont été rendues contre M. [R] concernant Mme [J] ; du reste, la lettre de licenciement n'en fait pas état et elle-seule fixe les limites du litige ; ces décisions pénales ne sont pas définitives et sont susceptibles d'être censurées par la CEDH qu'il a saisie ;

-c'est à tort que M. [T] soutient que l'infraction pénale de subornation de témoin sur la période du 13 au 28 décembre 2017 (pour des faits que M. [R] conteste toujours), est à l'origine de son licenciement, dès lors que la décision de le mettre à pied et la convocation à l'entretien préalable sont du 12 décembre comme l'attestent deux autres salariées, Mmes [D] et [X] ;

-il n'y a aucun lien entre le témoignage de M. [T] en avril 2016 et le licenciement 19 mois plus tard ; en effet M. [R] a pris connaissance du témoignage de M. [T] dans le dossier [J] le 18 octobre 2017 et s'il avait voulu engager la procédure pour ce motif, il aurait pu le faire beaucoup plus tôt ;

-les notes d'audience et la plainte de M. [R] pour faux témoignage sont bien postérieures au licenciement (respectivement le 17 avril 2018 et le 28 juin 2018) ; entendu par les gendarmes le 28 juin 2018, il leur confirme seulement qu'au-delà des griefs avérés et démontrés fixant la motivation de la lettre de licenciement, M. [T] était l'auteur d'un faux témoignage contre lui ;

-en tout état de cause, M. [T] a menti lors de son témoignage du 28 avril 2016 comme il l'a reconnu lors de posts sur Facebook ; dans cette optique, le projet de protocole d'accord n'avait qu'un but : mettre en lumière les mensonges de M. [T]; de fait, il a reconnu devant Mme [G], une ancienne salariée, qu'il n'avait pas été témoin direct du moindre fait de harcèlement de la part de M. [R] sur [O] [J] mais seulement que cette dernière lui avait montré les mails, et a reconnu devant Mme [A] qu'il avait exagéré ;

-M. [T] a piraté durant des années la boîte mail de son employeur : Mme [J] avait souhaité verser en procédure la copie des mails échangés avec M. [R] ; ne pouvant le faire elle-même en les extrayant de sa propre boîte mail au moment de sa plainte le 15 avril 2016 dans la mesure où le serveur d'accès aux boîtes mails voila.fr avait été supprimé le 12 janvier 2016, elle a demandé à M. [T] qu'il lui crée une nouvelle adresse mail et qu'il lui transmette les mails voila à partir de l'adresse de M [R] à laquelle il avait accès à l'insu de son employeur ;

-enfin, une plainte pour atteinte au secret des correspondances et maintien frauduleux dans un système de traitement automatisé de données est en cours d'instruction à [Localité 7].

L'article L. 1152-2 du code du travail, dans sa version applicable (antérieure à la loi n°2022-401 du 21 mars 2022 , dispose : " Aucun salarié, aucune personne en formation ou en stage ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, notamment en matière de rémunération, de formation, de reclassement, d'affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat pour avoir subi ou refusé de subir des agissements répétés de harcèlement moral ou pour avoir témoigné de tels agissements ou les avoir relatés ".

Aux termes de l'article L. 1152-3 du même code : " Toute rupture du contrat de travail intervenue en méconnaissance des dispositions des articles L. 1152-1 et L. 1152-2, toute disposition ou tout acte contraire est nul ".

Il en découle que les personnes ayant témoigné d'agissements de harcèlement moral ou sexuel, ou les ayant relatés, bénéficient d'une protection, à condition de ne pas dénoncer de mauvaise foi des faits inexistants de harcèlement - la mauvaise foi ne pouvant résulter que de la connaissance par le salarié de la fausseté des faits qu'il dénonce.

Excepté dans l'hypothèse où la lettre de licenciement vise expressément la dénonciation par le salarié de faits de harcèlement moral (et dans ce cas le licenciement est automatiquement nul sil la mauvaise foi de l'intéressé n'est pas établie), les juges, pour prononcer la nullité du licenciement, doivent retenir, l'existence d'un lien entre celui-ci et le harcèlement moral (en ce sens, Soc., 12 janvier 2022, n°20-14.024), que le salarié en question soit victime ou témoin de faits de harcèlement moral.

Dès lors, lorsque la lettre de licenciement ne fait pas référence à la dénonciation, les juges doivent, si cela est invoqué par le salarié, et bien que la lettre de licenciement fixe les limites du litige en ce qui concerne les griefs articulés à l'encontre de celui-ci, rechercher, au-delà des énonciations de cette lettre, la véritable cause du licenciement, de manière à éviter que l'employeur ne vise dans la lettre de licenciement une cause de licenciement fallacieuse.

Lorsque les juges du fond retiennent que la véritable cause du licenciement n'est pas celle invoquée dans la lettre de licenciement, il ne sont pas tenus d'en examiner les griefs (en ce sens, Cass. Soc.12 décembre 2001 n°99-43824 ; Cass. Soc, 7 mai 2014, n°12-35047)).

Par ailleurs, s'agissant de la portée de l'autorité au civil, de la chose jugée au pénal, alors que l'autorité de chose jugée qui s'attache aux jugements civils n'est que relative et ne peut être opposée, conformément aux dispositions de l'article 1355 du code civil, qu'en présence d'une triple identité d'objet, de cause et de parties, l'autorité de chose jugée qui s'attache aux décisions pénales est absolue et s'applique à l'égard de tous, dès lors qu'elles sont définitives et statuent sur le fond de l'action publique.

La portée de cette autorité de chose jugée s'attache à ce qui a été définitivement, nécessairement et certainement décidé par le juge pénal sur l'existence du fait qui forme la base commune de l'action civile et de l'action pénale, sur sa qualification ainsi que sur la culpabilité de celui à qui le fait est imputé, et tant au dispositif de la décision pénale qu'aux motifs qui en sont le soutien nécessaire.

En l'espèce, la condamnation de M. [R] pour subornation de témoin a fait ressortir le chantage exercé par ce dernier sur la personne de M. [T] dans les termes suivants : soit il reconnaissait avoir menti lors de son audition du mois d'avril 2016 (lorsqu'il avait relaté des faits pouvant relever du harcèlement moral commis par M. [R] sur Mme [J]), soit il était licencié pour faute grave.

Ainsi, dans son arrêt du 17 février 2021 n°2021/258, désormais irrévocable (le pourvoi ayant été déclaré non admis par la cour de cassation), la cour d'appel de Rennes a retenu, dans des motifs qui sont le soutien nécessaire de la condamnation de M. [R] pour subornation de témoin que :

" Désormais, [K] [R] ne conteste plus :

$gt;avoir rédigé l'ensemble de ces documents, soit avoir proposé à [B]-[I] [T] un arrangement financier aux termes duquel il lui proposait un licenciement à l'amiable (ou pour faute grave) avec le versement d'une somme de dix mille euros nets à la condition qu'il accepte de refaire un témoignage adressé au procureur de la république dans lequel il déclarait avoir menti lors de sa déposition en tant que témoin auprès de la gendarmerie de [Localité 4] le 28 avril 2016 en ajoutant que d' autres personnes entendues dans cette même procédure avaient également menti ;

$gt;avoir également fait part à ce dernier et le 13 décembre 2017, et le 28 décembre 2017, de son intention de déposer plainte contre [B]-[I] [T] pour faux témoignage, et pour piratage de sa boîte mail, si celui-ci refusait cette proposition.

Cependant, [K] [R] prétend que l'infraction de subornation de témoins ne saurait lui être reprochée dès lors que ce faisant il n'a pas tendu à pousser [B]-[I] [T] à faire de fausses déclarations, mais selon lui à rétablir uniquement la vérité.

La cour relève que l'article 434-15 du code pénal ne prévoit aucunement un fait justificatif de vérité.

Par ailleurs [B]-[I] [T] entendu lors de la présente audience, a maintenu que ses déclarations initiales faites le 28 avril 2016 à la gendarmerie de [Localité 4] étaient exactes et que par ailleurs, soit il ne pouvait rien dire des déclarations de certains autres témoins entendus dans cette procédure, soit il ne pouvait pas affirmer que ces derniers auraient menti pour ce qui les concernait.

[K] [R] produit un enregistrement d'un message de [B]-[I] [T] adressé sur un réseau social [W] [G] en date du 19 décembre 2017, autre employée de la radio, dans lequel [B]-[I] [T] écrit : " j 'ai juste dit " je n 'ai rien vu " (ce qui est en partie vrai : c 'est [O] qui m 'a dit et montré les mails, pas de harcèlement directement visible) ", faisant référence à I'attestation établie le 17 décembre 2017 à la demande de [K] [R].

Pour autant, même s'il peut être déduit de ce message que [B]-[I] [T] reconnaît n'avoir pas assisté directement à des comportements pouvant être qualifiés de harcèlement, [B]-[I] [T] ne revient pas sur le fait qu'[O] [J] s'était confiée auprès de lui de tels agissements à son égard de la part de son employeur, de même qu'elle lui avait montré des courriels en ce sens de ce dernier ; par ailleurs le délit est encore caractérisé lorsque l'objet de la pression exercée sur le témoin est d'obtenir de celui-ci qu'il affirme, comme les ayant personnellement constatés des faits dont, quelle qu'en soit la réalité, il n'a pas eu connaissance ; tel est bien le cas lorsque [K] [R] a demandé également à [B]-[I] [T] d'affirmer dans la lettre adressée au procureur de la république que les autres témoins entendus dans la procédure ouverte à l'encontre de [K] [R] avaient menti alors que s'agissant de comportements de [K] [R], multiples et répétés sur plusieurs années observés et rapportés par plusieurs témoins, celui-ci ne pouvait en avoir connaissance.

L'infraction de subornation de témoin est donc établie en tous ses éléments constitutifs et le jugement est confirmé sur la déclaration de culpabilité (').

Comme l'ont relevé à juste titre les premiers juges, les circonstances dans lesquelles [K] [R] a tendu à obtenir de [B]-[I] [T] qu'il recopie les termes d'un courrier destiné au procureur de la république démontrent que celles-ci ont été mûrement réfléchies et préparées afin d'impressionner [B]-[I] [T], en usant de son autorité en sa qualité d'employeur pour parvenir à ses fins. [K] [R] n'ignorait pas l'insécurité dans laquelle son salarié serait nécessairement placé, confronté au choix qu'on exigeait de lui et aux conséquences financières de ceux-ci ; ces agissements particulièrement inacceptables d'un employeur envers son subordonné, revêtent effectivement une gravité supplémentaire, au-delà de la gravité inhérente à l'infraction de subornation de témoins ;

Par ailleurs la cour constate que [K] [R], au terme de déclarations particulièrement confuses, ne fait nullement état de la prise de conscience d'un comportement inadapté de sa part; qu' il n'existe aucune introspection sur ses agissements et sur ses mensonges maintenus jusqu'à l'audience devant le tribunal correctionnel, tendant avec une grande désinvolture à accuser son salarié de diverses malversations : que ce comportement de toute-puissance d'un chef d'entreprise ne peut qu' inquiéter pour I 'avenir (')"

Comme le souligne pertinemment M. [T], l'existence d'un lien entre son licenciement et sa dénonciation de faits de harcèlement moral commis par son employeur sur la personne d'[O] [J] résulte encore :

$gt;de la reconnaissance par M. [R] lors de l'audience correctionnelle du 17 avril 2018 que la mise à pied était consécutive à la découverte du contenu de l'audition du 28 avril 2016 de M. [T] : " Je l'ai mis à pied car je souffrais qu'une personne en qui j'avais confiance me trahisse. Je lui ai dit que je savais qu'il avait menti et que trouvais ça dégueulasse. Ce qui justifiait le licenciement, c'était la perte de confiance. Le principe du licenciement étant acté, je lui remets sa convocation dans la foulée. " (sa pièce n°21, notes d'audience du tribunal correctionnel du 17 avril 2018) ;

$gt; de la plainte pour faux témoignage déposée à son encontre par M. [R], qui, entendu par la gendarmerie le 28 juin 2018 a exprimé le motif du licenciement en ces termes : "Je souhaite vous informer que quelques jours avant l'audience d'octobre 2017, j'ai su que M. [T] avait témoigné contre moi le 28 avril 2016. Sur le coup, je n'ai rien dit, j'ai gardé cela pour moi mais en décembre 2017, lorsque j'ai appris que j'étais condamné, j'ai estimé que je ne pouvais pas garder dans mon entreprise une personne qui avait commis un faux témoignage contre moi " ;

$gt;du projet de protocole lui-même dont le préambule, tout en faisant un rappel chronologique des éléments marquant la relation contractuelle, ne fait état d'aucune découverte de faute imputable à M. [T], mais aborde en revanche dans le détail tous les moments clefs en lien avec la plainte pour harcèlement moral déposée par Mme [J].

En définitive, le licenciement, qui est directement en rapport avec le contenu du témoignage déposé par M. [T] le 28 avril 2016 et le refus de se soumettre au chantage de l'employeur, est entaché de nullité par application du texte susvisé, sans qu'il soit nécessaire d'examiner les griefs allégués, la décision des premiers juges étant reformée, de même que la question de la recevabilité des pièces produites par l'employeur au soutien de son argumentation relative au licenciement pour faute grave.

Sur les conséquences financières du licenciement nul :

M. [T] rappelle que les dispositions de l'article L1235-3 du code du travail ne sont pas applicables aux licenciements nuls et que, par ailleurs, dans la mesure où il ne demande pas sa réintégration, il a le droit, quelles que soient son ancienneté et la taille de l'entreprise :

- Aux indemnités légales de licenciement et de préavis ;

- A une indemnité égale à au moins six mois de salaire, au titre du caractère illicite du licenciement. Sur la base d'un salaire de référence de 2.253,32 euros bruts, M. [T] réclame 12 mois de salaire soit 28.000 euros.

La société Média Bonheur n'a pas conclu sur ces chefs de demande.

La sanction d'un licenciement nul consiste en l'attribution au salarié qui en est victime d'une indemnité qui ne saurait être inférieure au salaire des 6 derniers mois.

Au vu de son ancienneté (7 ans [ 6 janvier 2011 au 18 janvier 2018]), de son âge (43 ans) au moment de la rupture, de la longue période de chômage qui s'en est suivie (près de 20 mois, avant de retrouver ponctuellement un emploi pour l'année scolaire 2019/2020, contrat qui n'a pas été reconduit), de la perte d'un salaire mensuel moyen de 2.253 euros bruts, le préjudice qui en est résulté pour lui doit être réparé par la condamnation de la société Média Bonheur à la somme de 25.000,00 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul, outre :

$gt;un rappel de salaire sur la période de mise à pied non justifiée de 1.183 euros outre 10% de congés payés afférents, soit 118.30 euros

$gt;une indemnité compensatrice de préavis correspondant à 2 mois de salaire, soit 4.506,64 euros outre 10% au titre des congés payés, soit 450 euros ;

$gt;une indemnité légale de licenciement de 4.506 euros ;

ces montants n'étant pas critiqués subsidiairement par l'appelante.

Partie perdante, la société Média Bonheur est condamnée aux dépens de première instance et d'appel. Par voie de conséquence, elle est déboutée de ses demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile et, par voie d'infirmation du jugement, de remboursement de ses frais d'huissier (procès-verbal de constat) et d'expertise informatique.

Il est inéquitable de laisser à M. [T] la charge des frais qu'il a exposés pour sa défense. La société Média Bonheur est condamnée à lui verser une indemnité de 5.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS,

La cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire, par mise à disposition au greffe,

-Infirme le jugement du conseil de prud'hommes de Saint Brieuc du 30 avril 2021, sauf en ce qu'il a rejeté la demande de sursis à statuer de la société Média Bonheur et l'a déboutée de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile;

Statuant à nouveau et y ajoutant,

-Déclare recevables les pièces n°7 et n°8 de M. [B]-[I] [T] ;

-Dit que le licenciement de M. [B]-[I] [T] est nul ;

-Condamne en conséquence la SAS Média Bonheur à payer à M. [B]-[I] [T] les sommes suivantes :

$gt;25.000,00 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul ;

$gt;1.183 euros à titre rappel de salaire sur la période de mise à pied non justifiée, outre 118,30 euros au titre des congés payés y afférents ;

$gt; 4.506,64 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis outre 450 euros au titre des congés payés y afférents ;

$gt;4.506,00 euros au titre de l'indemnité légale de licenciement ;

$gt;5.000,00 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

-Déboute la SAS Média Bonheur de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile, en ce compris les frais d'expertise et d'huissier ;

-Condamne la SAS Média Bonheur aux dépens de première instance et d'appel.

Le Greffier Le Président


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Rennes
Formation : 7ème ch prud'homale
Numéro d'arrêt : 21/03294
Date de la décision : 20/06/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 29/06/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-06-20;21.03294 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award