La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

20/06/2024 | FRANCE | N°21/02943

France | France, Cour d'appel de Rennes, 7ème ch prud'homale, 20 juin 2024, 21/02943


7ème Ch Prud'homale





ARRÊT N°283/2024



N° RG 21/02943 - N° Portalis DBVL-V-B7F-RT6S













M. [L] [R]



C/



S.A.S. ARJO FRANCE















Copie exécutoire délivrée

le :



à :





RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



COUR D'APPEL DE RENNES

ARRÊT DU 20 JUIN 2024





COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :



Président : Monsieur Hervé BALLEREAU, Président de chambre,

Assesseur : Madame Isabelle CHARPENTIER, Conseillère,

Assesseur : Monsieur Bruno GUINET, Conseiller,



GREFFIER :



Madame Françoise DELAUNAY, lors des débats et lors du prononcé



DÉBATS :



A l'audience publique du 12 Mars 2024 de...

7ème Ch Prud'homale

ARRÊT N°283/2024

N° RG 21/02943 - N° Portalis DBVL-V-B7F-RT6S

M. [L] [R]

C/

S.A.S. ARJO FRANCE

Copie exécutoire délivrée

le :

à :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE RENNES

ARRÊT DU 20 JUIN 2024

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :

Président : Monsieur Hervé BALLEREAU, Président de chambre,

Assesseur : Madame Isabelle CHARPENTIER, Conseillère,

Assesseur : Monsieur Bruno GUINET, Conseiller,

GREFFIER :

Madame Françoise DELAUNAY, lors des débats et lors du prononcé

DÉBATS :

A l'audience publique du 12 Mars 2024 devant Monsieur Hervé BALLEREAU, magistrat rapporteur, tenant seul l'audience, sans opposition des représentants des parties et qui a rendu compte au délibéré collégial

En présence de Madame [J] [O], médiatrice judiciaire

ARRÊT :

Contradictoire, prononcé publiquement le 20 Juin 2024 par mise à disposition au greffe, date à laquelle a été prorogé le délibéré initialement fixé au 30 Mai 2024

****

APPELANT :

Monsieur [L] [R]

né le 11 Juillet 1969 à [Localité 5]

[Adresse 1]

[Localité 3]

Représenté par Me Eric MARLOT de la SELARL MARLOT, DAUGAN, LE QUERE, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de RENNES substitué par Me BRIAUD, avocat au barreau de RENNES

INTIMÉE :

S.A.S. ARJO FRANCE Société par actions simplifiée au capital de 8.818.565,85 €, immatriculée au Registre du Commerce et des Sociétés de Lille Métropole sous le n° 305 219 677 et représentée par son Président domicilié en cette qualité à l'adresse déclarée de son siège social

[Adresse 2]

[Localité 4]

Représentée par Me Claude MINCHELLA de la SEP DOLFI MISSIKA MINCHELLA SICSIC ASSOCIES, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de PARIS

EXPOSÉ DU LITIGE

Suivant contrat de travail à durée indéterminée en date du 6 novembre 2001 à effet du 2 janvier 2002, la société Arjo Equipements Hospitaliers a embauché M. [R] en qualité de technicien service après vente.

Le 1er juillet 2005, M. [R] était promu au poste de coordinateur service après vente équipe ouest.

Au cours de l'année 2010, la société Arjo Equipements Hospitaliers fusionnait avec la société Huntleigh pour donner naissance à la société Arjohuntleigh.

La SAS Arjo France vient aujourd'hui aux droits de la société Arjohuntleigh.

L'entreprise a pour activité la commercialisation et la maintenance sur le territoire français de biens d'équipements hospitaliers auprès d'institutionnels de la santé.

Elle applique la convention collective nationale du négoce et des prestations de service dans les domaines médicotechniques.

Par avenant applicable à compter du 1er janvier 2012, il était convenu que le salarié serait rémunéré dans le cadre d'une convention de forfait en jours.

Du 12 juin 2015 au 24 juin 2016, M. [R] se voyait prescrire un arrêt de travail pour maladie.

Le 2 novembre 2015 était établi un certificat médical initial d'accident du travail-maladie professionnelle mentionnant : 'Syndrome de burn-out, épuisement émotionnel, étant anxio-dépressif réactionnel'.

Le 27 juin 2016, le médecin du travail déclarait M. [R] 'apte avec aménagement du poste : temps partiel thérapeutique, alléger la charge de travail du poste de coordinateur technique'.

Une demande de rupture conventionnelle formée le 17 octobre 2016 donnait lieu à une convocation à un entretien le 8 novembre 2016, mais n'aboutissait pas.

Au mois d'avril 2017 étaient proposés à M. [R] des postes de Formateur produits et Responsable solution services Ouest que l'intéressé refusait.

A l'occasion d'une visite de reprise en date du 13 octobre 2016, le médecin du travail le déclarait "Apte à la reprise à temps plein" ; "Apte avec aménagement du poste : maintenir un allègement de la charge de travail".

Le 16 juin 2017, après avis du CRRMP, la caisse primaire d'assurance maladie reconnaissait le caractère professionnel de la maladie de M. [R].

L'employeur contestait cette décision devant le pôle social du tribunal judiciaire de Lille devant lequel l'affaire est pendante.

Le 16 juin 2017, M. [R] était de nouveau placé en arrêt de travail.

Le 3 octobre 2017, M. [R] formulait une seconde demande de rupture conventionnelle qui lui était refusée.

Le 18 juin 2018, le médecin du travail déclarait M. [R] inapte à son poste avec mention de ce que l'état de santé du salarié fait obstacle à tout reclassement dans un emploi.

Après avoir été convoqué à un entretien préalable à son licenciement qui s'est tenu le 2 août 2018, M. [R] s'est vu notifier son licenciement pour inaptitude d'origine professionnelle par lettre recommandée avec demande d'avis de réception en date du 7 août 2018.

***

M. [R] a saisi le conseil de prud'hommes de Rennes par requête en date du 22 mai 2019 afin de voir:

- Dire et juger le licenciement pour inaptitude professionnelle en date du 7 août 2018 dénué de cause réelle et sérieuse

- Dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse : 59 751,27 euros net

- Dommages et intérêts pour exécution déloyale de la convention de forfait : 20 000 euros net

- Article 700 du code de procédure civile : 3 000 euros

- Ordonner l'exécution provisoire

- Entiers dépens

Par jugement en date du 26 avril 2021, le conseil de prud'hommes de Rennes a :

- Dit que le licenciement pour inaptitude de M. [R] repose sur une cause réelle et sérieuse et l'a débouté de ses demandes à ce titre

- Débouté M. [R] de sa demande au titre de l'exécution de la convention de forfait

- Dit qu'il n'y a pas lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile

- Mis les entiers dépens à la charge de M. [R] y compris les éventuels frais d'exécution

***

M. [R] a interjeté appel de cette décision par déclaration au greffe en date du 12 mai 2021.

En l'état de ses dernières conclusions transmises par son conseil sur le RPVA le 17 mars 2022, M. [R] demande à la cour d'appel de :

- Infirmer le jugement du conseil de prud'hommes de Rennes, section encadrement, en date du 26 avril 2021 en ce qu'il :

- Dit que le licenciement pour inaptitude de M. [R] repose sur une cause réelle et sérieuse et le déboute de ses demandes à ce titre.

- Déboute M. [R] de sa demande au titre de l'exécution de la convention de forfait.

- Dit qu'il n'y a pas lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile.

- Met les entiers dépens à la charge de M. [R] y compris les frais éventuels d'exécution.

Statuant à nouveau :

- Juger le licenciement pour inaptitude professionnelle en date du 7 août 2018 dénué de cause réelle et sérieuse ;

En conséquence,

- Condamner la SAS Arjo France à verser à M. [R] la somme nette de 59 751,27 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

- Juger que la convention de forfait de M. [R] est nulle et qu'elle a été exécutée de manière déloyale ;

En conséquence,

- Condamner la SAS Arjo France à verser à M. [R] la somme nette de 20 000,00 euros à titre de dommages-intérêts pour nullité et exécution déloyale de la convention de forfait ;

- Condamner la SAS Arjo France à verser à M. [R] la somme de 3 000,00 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- Débouter la SAS Arjo France de toutes ses demandes, fins et conclusions ;

- Condamner la SAS Arjo France aux entiers dépens.

M. [R] fait valoir en substance que :

- Les délégués du personnel auraient dû être consultés en application de l'article L1226-10 du code du travail ; peu importe la mention dans l'avis d'inaptitude de l'impossibilité de reclasser le salarié, la consultation des délégués du personnel s'impose à l'employeur avant d'engager la procédure de licenciement ; il importe en effet que les représentants du personnel puissent émettre un avis sur les possibilités d'amélioration des conditions de travail ; le licenciement est sans cause réelle et sérieuse faute de consultation des délégués du personnel ;

- La société Arjo l'a exposé pendant plusieurs années à une importante charge de travail ; le rapport d'enquête de la CPAM le confirme ; le médecin du travail a relevé cette surcharge de travail et préconisait dans les avis d'aptitude de 2016 et 2017 une allégement de la charge de travail ; il n'a pas été organisé d'entretien avec le supérieur hiérarchique en 2015 malgré la demande du salarié ; la société n'a pris aucune mesure pour respecter les temps de repos obligatoires, conseillant au salarié de privilégier des envois de mails différés pour éviter les mails tardifs ; le caractère professionnel de la maladie a été reconnu ; l'entretien d'évaluation de 2015 mentionne que l'articulation entre vie professionnelle et vie personnelle est très difficile et que le salarié est épuisé ; le risque 'stress au travail, surcharge de travail' n'est pas prévu au DUERP ;

- Son ancienneté était de 16 années complètes et non 15 années comme le soutient l'employeur ; il n'a retrouvé un emploi qu'au cours de l'année 2020 et perçoit un salaire très inférieur à celui qui était le sien au sein de la société Arjo France ;

- L'avenant relatif à la convention de forfait en jours ne mentionne pas d'obligation de suivi de la charge de travail ; il n'est pas prévu d'entretiens annuels sur la charge de travail ; la convention est nulle ou à tout le moins inopposable ; la demande n'est pas prescrite puisque le délai de prescription des salaires s'applique ; le délai de prescription n'a commencé à courir qu'à compter de la rupture du contrat de travail.

En l'état de ses dernières conclusions transmises par son conseil sur le RPVA le 17 juin 2022, la SAS Arjo France demande à la cour d'appel de :

- Confirmer le jugement rendu par la section Encadrement du conseil de prud'hommes de Rennes le 26 avril 2021 en ce qu'il a jugé que le licenciement pour inaptitude de M. [R] était fondé sur une cause réelle et sérieuse et débouté celui-ci de ses demandes à ce titre.

- Confirmer le jugement rendu par la section encadrement du conseil de prud'hommes de Rennes le 26 avril 2021 en ce qu'il a débouté M. [R] de sa demande de dommages et intérêts pour exécution déloyale de la convention de forfait annuel en jours.

Y ajoutant,

- Débouter M. [R] de sa demande de dommages et intérêts pour "nullité et exécution déloyale de la convention de forfait".

- Débouter M. [R] de sa demande d'indemnité pour licenciement sans cause réelle ni sérieuse.

- Condamner M. [R] à verser à la SAS Arjo France la somme de 4 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

- Condamner M. [R] aux dépens.

La société Arjo France fait valoir en substance que :

- Depuis le 1er janvier 2017, dès lors qu'il est légalement dispensé de rechercher un reclassement, l'employeur n'est plus soumis à l'obligation de consulter les délégués du personnel ou le Comité social et économique (CSE) ; les arrêts rendus par la cour de cassation le 30 septembre 2020 dont se prévaut M. [R] ne sont pas transposables à l'espèce puisqu'il s'agissait d'hypothèses dans lesquelles l'employeur ne pouvait pas se prévaloir d'une dispense de recherche de reclassement ; la consultation des délégués du personnel n'a de sens que si l'employeur est tenu d'une recherche de reclassement, ce qui n'est pas le cas en l'espèce ;

- Le médecin du travail n'a pas imputé l'inaptitude du salarié aux conditions de travail ou au comportement d'une personne ; M. [R] ne rencontrait aucune difficulté avec son équipe il n'a évoqué une prétendue surcharge de travail pour la première fois que le 26 février 2014 lors de son entretien d'évaluation ; des difficultés d'ordre personnel ont pu avoir un retentissement sur son travail ; la fusion intervenue en janvier 2014 n'a eu aucun impact sur son activité ; son supérieur hiérarchique a pris en compte ses remarques sur la charge de travail et a tenté de le rencontrer sans succès ; M. [R] a en outre refusé une décharge partielle d'activité ; son dossier médical est dépourvu de valeur probante s'agissant des conditions de travail ;

- M. [R] bénéficiait de nombreux jours de repos (5 semaines légales, 17 jours de repos RTT et 3 jours de repos supplémentaires d'ancienneté) qui lui assuraient un équilibre vie professionnelle/vie familiale ; il est défaillant à démontrer un lien entre son inaptitude et ses conditions de travail ; il n'est pas obligatoire que le Document unique d'évaluation des risques professionnels (DUERP) mentionne le risque de 'stress au travail, surcharge au travail' ; trois mails tardifs sur une période de 16 ans ne sont pas probants ; il relève de la seule responsabilité du salarié de ne pas user de son droit à la déconnexion tel que prévu par la 'charte de bonnes pratiques email' de l'entreprise ; l'allégation de surcharge de travail n'est pas cohérente par rapport au nombre et à la durée des arrêts de travail de M. [R] depuis le 12 juin 2015 ;

- M. [R] ne démontre pas avoir subi un préjudice excédant le minimum de 3 mois de salaire brut prévu par l'article L1235-3 du code du travail pour une ancienneté de 16 ans ;

- M. [R] est prescrit à invoquer des dommages-intérêts pour 'nullité et exécution déloyale de la convention de forfait' puisque cette convention a pris effet le 1er janvier 2012, date à laquelle le salarié en a eu connaissance ; de même concernant la prétendue exécution déloyale de la convention de forfait, il appartenait à M. [R] d'agir dans les deux ans suivant la date de l'entretien individuel omis ;

- Aucune disposition légale n'impose de prévoir les modalités de suivi de la charge de travail dans la convention de forfait ; l'accord d'entreprise relatifs aux cadres de la société Arjohuntleigh détermine clairement les modalités de suivi et de contrôle de la charge de travail ; les entretiens annuels d'évaluation de 2014 et 2015 permettent de constater que ces points ont été évoqués ; M. [R] a en outre refusé la proposition de son supérieur hiérarchique de le décharger de la gestion d'un département et de l'encadrement d'un technicien au sein de son équipe ; il ne démontre pas que ses temps de repos n'aient pas été respectés ; il n'est démontré aucun préjudice.

***

La clôture de l'instruction a été prononcée par ordonnance du conseiller de la mise en état le 20 février 2024 avec fixation de la présente affaire à l'audience du 12 mars 2024.

Conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, la cour renvoie, pour un plus ample exposé des prétentions et moyens des parties, à leurs dernières conclusions régulièrement signifiées.

Postérieurement à l'ordonnance de clôture, M. [R] a fait signifier des conclusions d'appelant récapitulatives n°3 le 21 février 2024, par lesquelles il sollicite la révocation de la dite ordonnance au motif pris de ce qu'un avis du CRRMP de Normandie a été adressé aux parties par le greffe du pôle social du tribunal judiciaire de Rennes le jour de la clôture, dans le cadre d'un litige en reconnaissance de faute inexcusable de l'employeur.

Il réitère les demandes contenues dans ses précédentes conclusions.

Par voie de conclusions signifiées le 7 mars 2024, la société Arjo France demande à la cour de rejeter les conclusions d'appelant n°3 et la pièce complémentaire n°35 signifiées par M. [R] le 21 février 2024.

Elle sollicite pour le surplus le bénéfice des prétentions formées dans ses précédentes conclusions.

MOTIFS DE LA DÉCISION

1- Sur les demandes relatives à l'ordonnance de clôture et aux dernières conclusions et pièces :

L'article 15 du code de procédure civile dispose : 'Les parties doivent se faire connaître mutuellement en temps utile les moyens de fait sur lesquels elles fondent leurs prétentions, les éléments de preuve qu'elles produisent et les moyens de droit qu'elles invoquent, afin que chacune soit à même d'organiser sa défense'.

En vertu des dispositions de l'article 802 du code de procédure civile, auxquelles renvoie l'article 907 du même code relatif à la procédure devant la cour d'appel, après l'ordonnance de clôture aucune conclusion ne peut être déposée ni aucune pièce produite à peine d'irrecevabilité prononcée d'office.

L'article 803 du même code dispose que l'ordonnance de clôture ne peut être révoquée que s'il se révèle une cause grave depuis qu'elle a été rendue.

En l'espèce, l'ordonnance de clôture a été rendue le 20 février 2024 et M. [R] a fait signifier des conclusions d'appelant récapitulatives n°3 le 21 février 2024.

Il sollicite la révocation de la dite ordonnance au motif pris de ce qu'un avis du CRRMP de Normandie a été adressé aux parties par le greffe du pôle social du tribunal judiciaire de Rennes le jour de la clôture, dans le cadre d'un litige en reconnaissance de faute inexcusable de l'employeur.

Outre l'absence d'argumentaire précis sur ce point dans les conclusions notifiées par l'appelant le 21 février 2024, il n'est pas justifié de ce que la diffusion par le pôle social du tribunal judiciaire de Rennes le 20 février 2024 d'un avis du CRRMP de Normandie dans un litige distinct dont les termes ne lient nullement le juge du contrat de travail, constitue une cause grave au sens de l'article 803 du code de procédure civile.

Il convient dès lors de rejeter la demande de révocation de l'ordonnance de clôture et d'écarter des débats les conclusions notifiées par les parties postérieurement à la dite ordonnance ainsi que la pièce n°35 de l'appelant.

2- Sur la contestation du licenciement :

1-1: Sur l'absence de consultation des délégués du personnel :

L'article L1226-12 du code du travail dispose : 'Lorsque l'employeur est dans l'impossibilité de proposer un autre emploi au salarié, il lui fait connaître par écrit les motifs qui s'opposent au reclassement.

L'employeur ne peut rompre le contrat de travail que s'il justifie soit de son impossibilité de proposer un emploi dans les conditions prévues à l'article L. 1226-10, soit du refus par le salarié de l'emploi proposé dans ces conditions, soit de la mention expresse dans l'avis du médecin du travail que tout maintien du salarié dans l'emploi serait gravement préjudiciable à sa santé ou que l'état de santé du salarié fait obstacle à tout reclassement dans l'emploi.

L'obligation de reclassement est réputée satisfaite lorsque l'employeur a proposé un emploi, dans les conditions prévues à l'article L. 1226-10, en prenant en compte l'avis et les indications du médecin du travail.

S'il prononce le licenciement, l'employeur respecte la procédure applicable au licenciement pour motif personnel prévue au chapitre II du titre III'.

Il résulte des dispositions de l'article L1226-10 alinéa 2 du même code que la proposition de reclassement émise par l'employeur prend en compte, après avis du comité économique et social, les conclusions écrites du médecin du travail et les indications qu'il formule sur les capacités du salarié à exercer l'une des tâches existant dans l'entreprise. Le médecin du travail formule également des indications sur l'aptitude du salarié à bénéficier d'une formation le préparant à occuper un poste adapté.

Dès lors, en présence d'un avis d'inaptitude qui mentionne expressément que l'état de santé du salarié fait obstacle à tout reclassement dans un emploi, l'employeur pouvait licencier M. [R] sans avoir à consulter préalablement les délégués du personnel ou le CSE.

(En ce sens Cass. soc., 8 juin 2022, no 20-22.500 - publié au bulletin des arrêts de la cour de cassation ; Cass. soc., 16 nov. 2022, no 21-17.255 - publié au bulletin des arrêts de la cour de cassation ; Cass. soc., 7 févr. 2024, no 22-12.967).

M. [R] est donc mal fondé à invoquer sur ce fondement l'absence de cause réelle et sérieuse du licenciement.

1-2 : Sur les manquements invoqués à l'obligation de sécurité de l'employeur :

En vertu des dispositions de l'article L 4121-1 du code du travail, l'employeur est tenu d'une obligation légale de sécurité en matière de protection de la santé et de la sécurité des travailleurs.

Il lui appartient d'assurer l'effectivité de cette obligation en assurant la prévention des risques professionnels.

Il incombe à l'employeur de démontrer qu'il a effectivement pris les mesures nécessaires pour protéger la santé et assurer la sécurité du salarié.

Si l'employeur n'a pas respecté son l'obligation de sécurité, le licenciement pour inaptitude est sans cause réelle et sérieuse car l'inaptitude résulte d'un manquement préalable de l'employeur qui a provoqué cette inaptitude.

En l'espèce, M. [R] soutient qu'il a été exposé par la société Arjo France à une très importante charge de travail, dont elle était avertie sans avoir pour autant pris les mesures de prévention nécessaires, ce dont il est résulté une dégradation de l'état de santé du salarié.

M. [R] produit le rapport d'enquête administrative en date du 29 février 2016, réalisé à la suite du certificat médical initial d'accident du travail-maladie professionnelle du 2 novembre 2015 qui mentionnait : 'Syndrome de burn-out, épuisement émotionnel, étant anxio-dépressif réactionnel'.

Il résulte des informations recueillies au cours de la dite enquête que M. [R] travaillait initialement seul en qualité de technicien itinérant SAV sur un secteur couvrant 7 départements (35, 53, 61, 14, 50, 76, 60), qu'il assurait l'installation dans les établissements hospitaliers visités des produits commercialisés par la société Arjo France, ainsi que les opérations de dépannage et de maintenance, ceci sur l'ensemble du secteur géographique susvisé. Il assurait le remplacement ponctuel de ses collègues d'autres secteurs en cas d'absences pour congés ou maladie.

Après avoir été promu au poste de coordinateur technique terrain le 1er juillet 2005, il avait en charge 7 collaborateurs répartis sur la région grand ouest couvrant 26 départements.

La fusion de 2010 a entraîné une extension des gammes et une réorganisation conduisant à l'attribution à M. [R] de nouvelles tâches dans des domaines d'activités plus diversifiés qu'auparavant, une augmentation du nombre d'interlocuteurs et une augmentation corrélative du nombre de mails et de tâches quotidiennes.

Le salarié signalait une surcharge de travail lors de son entretien annuel du 26 février 2014, au titre de l'exercice 2013. Dans ses commentaires, il indiquait : '(...) La surcharge de travail amène beaucoup d'heures et influence ma vie personnelle: stress +'.

L'année 2014 était décrite à l'enquêteur par M. [R] comme 'l'année noire' ('les techniciens SAV devaient gérer à la fois la partie Arjo et la gamme Huntleigh. En outre, un logiciel a été mis en place qui n'était pas fonctionnel. Il y a eu plein de problèmes de facturations, de signatures... Au sein de son équipe, M. [R] a eu plein de techniciens en arrêt de travail. Le total des arrêts correspondait à un emploi à temps plein (...)'.

Evoquant l'entretien professionnel du 4 mars 2015 au titre de l'exercice 2014, l'enquêteur note : 'Sur le rapport d'évaluation à la dernière page 'évaluation par le collaborateur', M. [R] avait indiqué son ressenti. Il avait écrit qu'il se sentait épuisé (cette partie n'apparaît plus dans le rapport, elle semble avoir été occultée ')'.

Il relève également la mention dans ce compte rendu d'entretien par le supérieur hiérarchique de tâches complémentaires : 'Etablir un cahier des charges de la gestion de planning des techniciens dans le PSH (logiciel interne) et aussi 'Développement des tests de conformité des harnais'.

Il est ajouté : 'Dans les suites de cet entretien d'évaluation, Mme [C] (la directrice des ressources humaines) a eu connaissance de l'état dans lequel se trouvait M. [R]. Elle en a informé M. [E] - délégué du personnel - et elle a signalé à M. [S] qu'elle craignait que M. [R] fasse un burn out et qu'il fallait absolument le contacter pour aller faire un point sur son secteur et l'épauler.

De ce fait M. [S] a appelé M. [R] 2 jours après son entretien annuel individuel pour lui proposer de faire un point (...). M. [R] a refusé estimant qu'il allait y arriver. Il pleurait au téléphone (...)'.

L'évolution des fonctions et responsabilités de M. [R] ressort de différents documents, notamment organigrammes, attachés au rapport d'enquête de la sécurité sociale.

Est également joint le compte-rendu d'entretien professionnel annuel du 26 février 2014 qui, dans la rubrique 'Pour les cadres au forfait jour uniquement : Evaluation par le collaborateur' mentionne un 'accroissement de l'activité', une 'charge importante avec le rapprochement des services. Attente d'être libéré de la partie montage. Beaucoup plus de demandes en interne et en externe'.

A la mention faite par le salarié d'une 'surcharge de travail - qui - amène beaucoup d'heures et influence - sa - vie personnelle: stress +' est indiqué en marge le commentaire suivant du manager : 'XLN s'investit beaucoup. On doit analyser son organisation en fonction des évolutions de l'organisation Service : gain d'efficacité (...) Analyser organisation de XLN en conséquence'.

Sur la note de fixation d'objectifs 2015, la cour relève les commentaires suivants du supérieur hiérarchique : '[L] doit travailler sa capacité d'analyse et retrouver une efficacité dans la mise en oeuvre de ses actions. Il doit travailler sur lui-même afin de trouver les réponses et retrouver de la sérénité dans son travail.

[L] doit prendre du recul et de la hauteur (impossible actuellement) (...) Il doit également analyser dans son quotidien les vecteurs de gain d'efficacité dans la gestion de son temps. AHFR se tient à sa disposition pour retrouver la sérénité dont il a besoin pour s'épanouir au travail (...)'.

La conclusion de cette note indique : '[L] doit retrouver sur l'année 2015 le plaisir de travailler. Nous l'accompagnerons avec des formations et coaching afin qu'il prenne la mesure de l'évolution de son poste et qu'il s'y sente à l'aise (...)'.

Sont également joints au rapport d'enquête de la CPAM différents mails échangés par M. [R] avec sa hiérarchie, faisant apparaître des heures d'envoi parfois tôt le matin ou tard le soir. Ainsi : 22h22 le jeudi 5 mars 2015 ; 6h44 le jeudi 12 mars 2015 ; 0h35 le vendredi 13 mars 2015 ; 23h17 le mardi 17 mars 2015 ; 7h43 le mercredi 18 mars 2015 ; 6h14 le mercredi 25 mars 2015 ; 23h40 le lundi 4 mai 2015 ; 23h54 le mercredi 10 juin 2015.

Le 18 décembre 2014, M. [R] avait reçu un message de la directrice des ressources humaines rédigé à 7h31 en ces termes : '[L] bonjour. Attention au respect de la charte mail, l'envoi de ton mail est trop tardif (...)', ce à quoi l'intéressé répondait '(...) Pour l'envoi de mail tardif, j'ai pas trop le choix en ce moment' pour recevoir alors un message de son supérieur hiérarchique lui indiquant : '[L], Utilisé dans Outlook l'envoi diffère. Cordialement (...)'.

M. [R] produit également :

- Un courrier adressé par la société Arjohuntleigh à la CPAM d'Ille-et-Vilaine le 9 février 2016 dans laquelle, évoquant l'évolution professionnelle de l'intéressé depuis son embauche, l'employeur émettait des réserves sur la déclaration de maladie professionnelle et listait les 'principales missions' de l'intéressé depuis sa promotion au poste de coordinateur technique terrain, au nombre de 10, ajoutant :

'De par son statut de Cadre, Mr [R] gère son emploi du temps en fonction des besoins et impératifs terrains. Il n'est donc pas aisé de quantifier les tâches listées ci-dessus'.

Dans ce même courrier, évoquant 'l'organisation du travail', l'employeur rappelait que 'M. [R] est cadre au forfait jour' et : 'Il est noté que M. [R] doit veiller à respecter les règles légales relatives au repos quotidien, au repos hebdomadaire et à l'interdiction du travail de plus de six jours consécutifs par semaine (...). Ce respect relève de la responsabilité du salarié.

Sous cette réserve, M. [R] organise librement son temps de travail à l'intérieur de ce forfait annuel'.

- Un courrier de M. [E], délégué du personnel, daté du 8 mars 2016, qui évoque un récent contact avec la directrice des ressources humaines l'ayant interrogé sur le point de savoir si M. [R] 'rencontrais des problèmes d'ordre personnel' ou s'il était 'en difficultés par rapport à - son - activité professionnelle' et avoir expliqué à l'intéressée que les soucis de son collègue étaient 'surtout d'ordre professionnel'.

M. [E] ajoutait : '(...) Avec la charge de travail qui s'ajoute au fil des mois, tu es arrivé à saturation. Vu le peu d'aide mis à notre service dans de tels moments, nous sommes quasi obligé de prendre sur nous et de travailler plus que de raison afin de garder le contrôle de nos équipes, de nos clients et en fin de compte nous ne faisons que travailler (...). Au fil des semaines, ton état se dégradait et à la réunion du 11 juin 2015, voyant ton état de santé, je t'ai vivement conseillé de consulter (...)'.

- Une copie de son dossier détenu par la médecine du travail dans lequel on relève à la date du 12 janvier 2016 les mentions suivantes : 'Arrêt maladie professionnelle (déclaration faite) depuis 12 juin 2015 pour épuisement professionnel. Charge de travail importante de + en +. Travail à la maison soir tard + WE. 'J'avais l'impression de m'enliser tout seul'. En juin 2015 a eu des idées noires. Boule au ventre. N'avait plus d'énergie. Suivi psychiatre. Actuellement, fait des cauchemars du travail. Angoisse au quotidien. Se sent fatigué. Conseil au salarié de faire courrier employeur (...)'.

Dans les huit fiches d'examen renseignées par le médecin du travail entre le 30 mai 2016 et le 18 juin 2018, il est systématiquement mentionné la nécessité d'un aménagement du poste de travail afin d'en alléguer la charge. Cette information se retrouve sur les fiches d'aptitude versées aux débats.

Le salarié évoquait à compter du 13 octobre 2016 le fait de ne plus être dans l'organigramme et un sentiment de 'mise au placard'.

Il est noté une rechute en juin 2017 d'un épuisement professionnel avec suivi par un psychiatre.

Lors de l'examen du 28 mai 2018 il était noté : 'Signe d'angoisse pendant l'entretien (chaleur, mains moites). Prévoir inaptitude à la reprise du travail. Bilan de compétence évoqué'.

Lors de l'examen du 18 juin 2018, le médecin du travail relevait : 'Pendant l'entretien, montée d'angoisse, chaleur, tremblements. Etude de poste faite le 31/08/186 Echanger avec l'employeur fait le 31/05/18".

- Une notification de prise en charge par la CPAM en date du 16 juin 2017 de la maladie professionnelle déclarée, après avis du CRRMP.

- Un relevé historique de délivrance pharmaceutique de traitements antidépresseurs depuis le 17 juillet 2015.

- La fiche d'inaptitude établie par le médecin du travail à l'issue de la visite du 18 juin 2018 avec la mention de ce que l'état de santé du salarié fait obstacle à tout reclassement dans un emploi.

Il résulte de l'ensemble de ces éléments que M. [R] dont l'état de santé s'est dégradé au point d'être placé en arrêt de travail prolongé pour un syndrome d'épuisement professionnel, a vainement dénoncé lors de l'entretien annuel professionnel en date du 26 février 2014 une charge de travail excessive, notamment liée à une réorganisation des services emportant un accroissement des tâches et responsabilités confiées à l'intéressé.

Les éléments de réponse apportés par la société Arjo France tels qu'ils résultent des comptes rendus d'évaluation professionnelle se situent avant tout sur le terrain d'une 'analyse de l'organisation - du salarié - en fonction des évolutions de l'organisation du service', d'un ' travail sur lui-même afin de trouver les réponses et retrouver de la sérénité dans son travail', de la nécessité de 'retrouver sur l'année 2015 le plaisir de travailler' ou encore de celle de 'prendre du recul et de la hauteur (impossible actuellement)' et 'd'analyser dans son quotidien les vecteurs de gain d'efficacité dans la gestion de son temps', autant de pétitions de principe qui d'une part, ne se traduisent concrètement par aucune mesure objective mise en place pour contrer un phénomène de dégradation des conditions de travail et d'épuisement exprimé par le salarié, d'autre part, renvoient à ce dernier la responsabilité de chercher et trouver les solutions pour préserver sa santé et sa sécurité en fonction des données propres à l'évolution de son poste de travail.

La réponse de l'employeur sur la question des envois de mails tardifs par M. [R] consistant, plutôt qu'à prendre la mesure d'une extension manifeste du temps de travail à des heures avancées de la nuit et à envisager les solutions propres à alléger la charge de travail de l'intéressé, à le renvoyer à l'utilisation d'une fonctionnalité informatique permettant l'envoi différé des messages, traduit encore une méconnaissance manifeste d'une problématique intéressant le droit à la santé et au repos.

La société Arjo France était cependant pleinement informée et manifestement consciente des difficultés exprimées par M. [R], ainsi que cela résulte des informations portées sur les comptes rendus d'évaluation, mais également du courrier susvisé de M. [E], délégué du personnel, dont il n'est pas utilement contesté qu'il a été interrogé par la directrice des ressources humaines quant au point de savoir si les dites difficultés, qui étaient donc connues de l'employeur, étaient d'origine personnelle ou professionnelle.

Le compte rendu d'évaluation professionnelle du 4 mars 2015 versé aux débats par l'employeur est encore plus symptomatique que les précédents puisqu'à la rubrique 'Evaluation de l'environnement de travail', sont ainsi notées les observations de M. [R] : 'Je suis en surcharge de travail depuis la fusion (...). Très difficile, je n'ai plus de vie personnelle et je suis épuisé. L'année 2014 a puisé beaucoup mon énergie (...)'.

Observations accompagnées du commentaire suivant du manager : 'XLN s'investit beaucoup. On doit rapidement mettre en oeuvre une analyse de son activité et trouver les actions nécessaires pour retrouver la sérénité. Le transfert de l'activité montage devra lui permettre d'optimiser son temps de travail'.

Les développements consacrés par la société intimée sur les difficultés familiales rencontrées par M. [R] entre 2012 et 2014 (divorce, soucis de garde d'enfant, décès de sa mère) sont non seulement sans intérêt dans le débat sur la question du respect de l'obligation de sécurité de l'employeur, mais de surcroît ne peuvent éluder l'absence de justification de démarches entreprises pour alléger la charge de travail du salarié par une adaptation de poste conforme aux prescriptions du médecin du travail, notamment pour la période postérieure au 13 octobre 2016, date à laquelle après une période de mi-temps thérapeutique qui avait donné lieu à plusieurs avenants à compter du 27 juin 2016, le salarié était déclaré apte à la reprise avec la réserve de 'maintenir un allégement de la charge de travail'.

Outre l'absence de concordance entre les pièces visées dans les écritures de la société Arjo France, dans son bordereau de pièces et celles figurant au dossier remis à la cour (la pièce 16 n'est pas relative à la proposition d'un allégement de poste mais est visée au bordereau et au dossier de l'employeur comme constituant l'enquête administrative de la CPAM d'Ille-et-Vilaine), de telle sorte que la volonté alléguée 'de le décharger de la gestion d'un département et de l'encadrement d'un technicien au sein de son équipe afin de réduire la charge de travail (...)' (conclusions Arjo France page 13) n'est pas démontrée, les échanges de mails des 24 avril et 10 mai 2017 produits par M. [R], s'ils font état de la proposition d'un poste de formateur produits et d'un poste de responsable solutions services ouest, ne contiennent aucune information sur la volonté de l'employeur, au travers de ces propositions de poste, de satisfaire aux prescriptions de la médecine du travail qui aurait présidé à ces propositions de changement de fonctions.

S'agissant du document unique d'évaluation et de prévention des risques professionnels versé aux débats par l'employeur, il prévoit effectivement le risque psychologique lié à la pression des clients, à l'agression verbale, à la difficulté d'affronter certaines 'situations de vie' de patients en fin de vie ou lourdement appareillés, mais ne prévoit rien en revanche s'agissant des risques psycho-sociaux en fonction d'une analyse des situations de travail, notamment sous l'angle de la charge de travail et de ses implications.

Au résultat de l'ensemble de ces éléments, la société Arjo France n'établit pas qu'elle a pris les mesures nécessaires pour protéger la santé et assurer la sécurité du salarié, de telle sorte que le licenciement pour inaptitude notifié à M. [R] alors qu'elle était défaillante quant au respect de son obligation de sécurité, doit être jugé sans cause réelle et sérieuse.

M. [R], embauché le 2 janvier 2002 et licencié par lettre recommandée avec demande d'avis de réception en date du 7 août 2018, comptait 16 ans révolues d'ancienneté.

En vertu des dispositions de l'article L1235-3 du code du travail, compte tenu du salaire de référence (4.185,61 euros) des circonstances de la rupture, de l'ancienneté du salarié, de son âge au moment du licenciement (49 ans), des difficultés éprouvées par l'intéressé pour retrouver en 2020 un emploi moyennant un salaire inférieur de plus de moitié à celui qu'il percevait précédemment, il est justifié de condamner la société Arjo France à payer à M. [R] la somme de 46.000 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

En application des dispositions de l'article L1235-4 du code du travail, la société Arjo France sera condamnée à rembourser à l'organisme gestionnaire de l'assurance chômage les allocations servies à M. [R] dans la limite de six mois.

3- Sur la demande de dommages-intérêts au titre de l'exécution déloyale de la convention de forfait :

3-1: Sur la fin de non-recevoir tirée de la prescription :

Il est constant que la durée de prescription est déterminée par la nature de la créance invoquée.

Aux termes de l'article L1471-1 alinéa 1er du code du travail, toute action portant sur l'exécution du contrat de travail se prescrit par deux ans à compter du jour où celui qui l'exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d'exercer son droit.

En l'espèce, il ne peut être utilement soutenu par l'employeur que le délai de prescription de l'action en paiement de dommages-intérêts pour exécution déloyale de la convention de forfait a commencé à courir à compter du 1er janvier 2012, date de signature de la convention de forfait en jours, au seul motif que M. [R] aurait alors eu connaissance de la dite convention, alors que la demande vise non pas une irrégularité de la clause contractuelle litigieuse mais la déloyauté de son exécution, révélée au moment de la déclaration d'inaptitude du salarié, par suite d'une méconnaissance par l'employeur de son obligation de sécurité, s'agissant précisément de la gestion du temps de travail de l'intéressé, qui est à l'origine de l'inaptitude constatée par le médecin du travail.

En saisissant le conseil de prud'hommes le 22 mai 2019, M. [R] a dès lors agi à l'intérieur du délai de prescription susvisé, de telle sorte que la fin de non-recevoir doit être rejetée, par ajout au jugement entrepris qui, bien qu'il ait évoqué ce point dans les motifs de sa décision en déclarant l'action prescrite, a omis de statuer au dispositif.

3-2: Sur le fond :

Aux termes de l'article L3121-39 dans sa rédaction issue de la loi n°2008-789 du 20 août 2008, la conclusion de conventions individuelles de forfait, en heures ou en jours, sur l'année est prévue par un accord collectif d'entreprise ou d'établissement ou, à défaut, par une convention ou un accord de branche.

Cet accord collectif préalable détermine les catégories de salariés susceptibles de conclure une convention individuelle de forfait, ainsi que la durée annuelle du travail à partir de laquelle le forfait est établi, et fixe les caractéristiques principales de ces conventions.

L'article L3121-42 du même code dans sa rédaction applicable à la date de conclusion du contrat de travail litigieux disposait : 'Peuvent conclure une convention de forfait en heures sur l'année, dans la limite de la durée annuelle de travail applicable aux conventions individuelles de forfait fixée par l'accord collectif :

1° Les cadres dont la nature des fonctions ne les conduit pas à suivre l'horaire collectif applicable au sein de l'atelier, du service ou de l'équipe auquel ils sont intégrés ;

2° Les salariés qui disposent d'une réelle autonomie dans l'organisation de leur emploi du temps'.

Le droit à la santé et au repos est au nombre des exigences constitutionnelles.

Il résulte des articles 17, § 1, et 19 de la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003 que les Etats membres ne peuvent déroger aux dispositions relatives à la durée du temps de travail que dans le respect des principes généraux de la protection de la sécurité et de la santé du travailleur.

Dès lors, les stipulations de l'accord collectif prévoyant la conclusion de conventions de forfait en jours doivent assurer la garantie du respect de durées raisonnables de travail ainsi que des repos, journaliers et hebdomadaires.

L'article L 3121-46 disposait : 'Un entretien annuel individuel est organisé par l'employeur, avec chaque salarié ayant conclu une convention de forfait en jours sur l'année. Il porte sur la charge de travail du salarié, l'organisation du travail dans l'entreprise, l'articulation entre l'activité professionnelle et la vie personnelle et familiale, ainsi que sur la rémunération du salarié'.

L'article L 3121-65-I-A prévu au titre des dispositions supplétives, dispose qu'à défaut de stipulations conventionnelles prévues aux 1° et 2° du II de l'article L. 3121-64, une convention individuelle de forfait en jours peut être valablement conclue sous réserve du respect des dispositions suivantes :

1° L'employeur établit un document de contrôle faisant apparaître le nombre et la date des journées ou demi-journées travaillées. Sous la responsabilité de l'employeur, ce document peut être renseigné par le salarié ;

2° L'employeur s'assure que la charge de travail du salarié est compatible avec le respect des temps de repos quotidiens et hebdomadaires ;

3° L'employeur organise une fois par an un entretien avec le salarié pour évoquer sa charge de travail, qui doit être raisonnable, l'organisation de son travail, l'articulation entre son activité professionnelle et sa vie personnelle ainsi que sa rémunération.

Il est établi en l'espèce que, sous couvert d'un questionnement prévu, non pas dans le cadre d'entretiens réguliers spécifiques portant sur la charge de travail et son adéquation avec la vie personnelle et familiale du salarié, mais in fine des entretiens annuels dont l'objet était l'évaluation professionnelle, les comptes-rendus établis à cette occasion étant d'ailleurs intitulés 'Entretien annuel de développement et d'évaluation de la performance', la société Arjo France n'a pris aucune mesure de nature à remédier en temps utile à une charge incompatible avec une durée raisonnable de travail.

Au demeurant, l'accord d'entreprise relatif aux conventions de forfait en jours du 29 septembre 2011 auquel se réfère l'employeur se borne à prévoir en son article 4.2 que: 'Au cours des entretiens individuels ou de fin d'année, le salarié et son supérieur hiérarchique évoqueront la charge de travail du salarié, l'organisation du travail dans l'entreprise, l'articulation entre l'activité professionnelle et la vie personnelle et familiale ainsi que sur la rémunération du salarié'.

En l'absence d'entretien relatif à la charge de travail à échéance d'au moins une fois l'an et de tout document de contrôle faisant apparaître le nombre et la date des journées ou demi-journées travaillées, la convention de forfait est entachée de nullité.

Il est résulté un préjudice pour le salarié, confronté à l'application revendiquée par l'employeur d'une convention de forfait qui le privait en pratique de tout contrôle de sa charge effective de travail, ce dont il est résulté une dégradation de son état de santé par suite d'un syndrome d'épuisement professionnel.

En réparation de ce préjudice, il est justifié de condamner la société Arjo France à payer à M. [R] la somme de 6.000 euros à titre de dommages-intérêts.

Le jugement entrepris qui a débouté M. [R] de sa demande sera infirmé de ce chef.

4- Sur les dépens et frais irrépétibles :

La société Arjo France, partie perdante, sera condamnée aux dépens de première instance et d'appel, par application des dispositions de l'article 696 du code de procédure civile.

Elle sera en conséquence déboutée de sa demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile.

L'équité commande de condamner la société Arjo France à payer à M. [R] la somme de 3.000 euros à titre d'indemnité sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Rejette la demande de révocation de l'ordonnance de clôture ;

Ecarte des débats les conclusions notifiées par les parties postérieurement à l'ordonnance de clôture ainsi que la pièce n°35 de l'appelant ;

Infirme le jugement entrepris ;

Statuant à nouveau,

Dit que le licenciement notifié à M. [R] par la société Arjo France par lettre recommandée avec demande d'avis de réception en date du 7 août 2018 est sans cause réelle et sérieuse ;

Dit que la convention de forfait en jours applicable à compter du 1er janvier 2012 est nulle ;

Condamne la société Arjo France à payer à M. [R] les sommes suivantes :

- 46.000 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse

- 6.000 euros à titre de dommages-intérêts au titre de la nullité de la convention de forfait

Condamne la société Arjo France à rembourser à l'organisme gestionnaire de l'assurance chômage les allocations servies à M. [R] dans la limite de six mois ;

Condamne la société Arjo France à payer à M. [R] la somme de 3.000 euros à titre d'indemnité en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

Déboute la société Arjo France de sa demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamne la société Arjo France aux dépens de première instance et d'appel.

La greffière Le président


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Rennes
Formation : 7ème ch prud'homale
Numéro d'arrêt : 21/02943
Date de la décision : 20/06/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 29/06/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-06-20;21.02943 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award