La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

20/06/2024 | FRANCE | N°21/01924

France | France, Cour d'appel de Rennes, 7ème ch prud'homale, 20 juin 2024, 21/01924


7ème Ch Prud'homale





ARRÊT N°282/2024



N° RG 21/01924 - N° Portalis DBVL-V-B7F-RPKM













M. [S] [K]



C/



S.A.S. GROUPE CERAP



















Copie exécutoire délivrée

le :



à :





RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



COUR D'APPEL DE RENNES

ARRÊT DU 20 JUIN 2024





COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET D

U DÉLIBÉRÉ :



Président : Monsieur Hervé BALLEREAU, Président de chambre,

Assesseur : Madame Isabelle CHARPENTIER, Conseillère,

Assesseur : Monsieur Bruno GUINET, Conseiller,



GREFFIER :



Madame Françoise DELAUNAY, lors des débats et lors du prononcé



DÉBATS :



A l'audience publique...

7ème Ch Prud'homale

ARRÊT N°282/2024

N° RG 21/01924 - N° Portalis DBVL-V-B7F-RPKM

M. [S] [K]

C/

S.A.S. GROUPE CERAP

Copie exécutoire délivrée

le :

à :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE RENNES

ARRÊT DU 20 JUIN 2024

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :

Président : Monsieur Hervé BALLEREAU, Président de chambre,

Assesseur : Madame Isabelle CHARPENTIER, Conseillère,

Assesseur : Monsieur Bruno GUINET, Conseiller,

GREFFIER :

Madame Françoise DELAUNAY, lors des débats et lors du prononcé

DÉBATS :

A l'audience publique du 25 Mars 2024

En présence de Madame Dubuis, médiateur judiciaire,

ARRÊT :

Contradictoire, prononcé publiquement le 20 Juin 2024 par mise à disposition au greffe comme indiqué à l'issue des débats

****

APPELANT :

Monsieur [S] [K]

né le 08 Février 1962 à [Localité 6]

[Adresse 1]

[Localité 3]

Représenté par Me Vincent BERTHAULT de la SELARL HORIZONS, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de RENNES substitué par Me Laura HUET, avocat au barreau de RENNES

INTIMÉE :

S.A.S. GROUPE CERAP PRISE EN LA PERSONNE DE SON REPRESENTANT LEGAL DOMICILIE EN CETTE QUALITE AUDIT SIEGE

[Adresse 4]

[Adresse 4]

[Localité 2]

Représentée par Me Nicolas CARABIN de la SELARL CARABIN-STIERLEN AVOCATS, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de RENNES

EXPOSÉ DU LITIGE

La SAS Groupe Cerap est une structure de courtage. Elle applique la convention collective nationale des entreprises de courtage d'assurances.

Le 15 mars 2004, M. [S] [K] était embauché en qualité de chargé de clientèle en contrat à durée indéterminée par la SAS Groupe Cerap.

Du 28 juin 2016 au 31 décembre 2019, il exerçait un mandat de délégué du personnel.

Par lettre recommandée avec accusé de réception en date du 1er décembre 2016, il était convoqué à un entretien préalable à son licenciement fixé le 13 décembre suivant. Des résultats insuffisants lui étaient reprochés.

Le 16 décembre 2016, l'employeur sollicitait auprès de l'inspection du travail l'autorisation de procéder au licenciement de M. [K] pour insuffisance professionnelle.

Par décision en date du 15 février 2017, cette demande d'autorisation de licenciement était refusée.

Le 3 avril 2017, la SAS Groupe Cerap engageait un recours hiérarchique à l'encontre de cette décision administrative.

Par décision en date du 2 août 2017, le ministre du travail annulait la décision de l'inspecteur du travail pour non respect du contradictoire mais rejetait la demande d'autorisation de licenciement.

A compter du 23 mars 2017, M. [K] avait été placé en arrêt de travail.

Lors de sa visite médicale de reprise en date du 7 mai 2020, le médecin du travail le déclarait inapte à la reprise de son poste.

Par courrier en date du 15 mai 2020, il était convoqué à un entretien préalable à son licenciement pour inaptitude.

Le 29 mai 2020, l'employeur sollicitait auprès de l'inspection du travail l'autorisation de procéder au licenciement de M. [K]. Le 7 juillet 2020 il était fait droit à cette demande.

Par lettre recommandée avec accusé de réception en date du 10 juillet 2020, M. [K] se voyait notifier son licenciement pour inaptitude et impossibilité de reclassement.

 ***

Entre-temps, M. [K] avait saisi le conseil de prud'hommes de Rennes le 19 septembre 2018 et formulait les demandes suivantes :

- Prononcer la résiliation du contrat de travail aux torts exclusifs de la société Groupe Cerap et dire que cette résiliation produira les effets d'un licenciement nul et à défaut sans cause réelle ni sérieuse

- Paiement de dommages et intérêts nets de CSG CRDS : 120 000,00 euros net

- Indemnité de préavis : 17 522,49 euros

- Congés payés afférents : l 752,25 euros

- Indemnité légale de licenciement : 33 584,77 euros

- Communication à M. [K], sous astreinte de 60 euros par jour de retard, des éléments composant le reçu pour solde de tout compte à la date du jugement portant résiliation du contrat de travail

- Remise, sous astreinte de 30 euros par jour de retard, de l'attestation Pôle Emploi, du certificat de travail et du reçu pour solde de tout compte

- Article 700 du code de procédure civile : 5 000,00 euros

- Ordonner l'exécution provisoire du jugement à intervenir

- Entiers dépens

Par jugement en date du 22 février 2021, le conseil de prud'hommes de Rennes a :

- Dit et jugé que M. [K] n'a pas été victime d'une situation de harcèlement moral au sens des dispositions de 1'article L.1 152-1 du code du travail,

- L'a débouté de sa demande de résiliation judiciaire de son contrat de travail et de sa demande de dommages et intérêts pour licenciement nul,

- Dit et jugé fondée la demande de M. [K] portant sur un solde d'indemnité de licenciement restant à lui revenir de 18 424,37 euros compte tenu de l'origine professionnelle de son inaptitude et donné acte à la société Groupe Cerap d'en avoir effectué le règlement avant le prononcé du présent jugement,

- Condamné la société Groupe Cerap à payer à M. [K] la somme de 700,00 euros (sept cents euros) au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- Débouté les parties de leurs autres demandes,

- Condamné la société Groupe Cerap aux entiers dépens.

***

M. [K] a interjeté appel de cette décision par déclaration au greffe en date du 26 mars 2021.

En l'état de ses dernières conclusions transmises par son conseil sur le RPVA le 21 juin 2021, M. [K] demande à la cour de :

- Réformer le jugement frappé d'appel et, statuant à nouveau,

- Prononcer la résiliation du contrat de travail aux torts exclusifs de la société Groupe Cerap et dire que cette résiliation produira les effets d'un licenciement nul et à défaut sans cause réelle ni sérieuse.

- Condamner la société Groupe Cerap à verser à M. [K] la somme de 120 000 euros nette de CSG et CRDS à titre de dommages et intérêts.

- Condamner la société Groupe Cerap à verser à M. [K] une somme de 5 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

- La condamner aux entiers dépens.

M. [K] fait valoir en substance que:

- A compter du mois d'août 2015 puis de sa désignation en qualité de délégué du personnel titulaire, ses conditions de travail se sont dégradées ; il devait travailler sans son assistante commerciale non immédiatement remplacée, alors que la réforme des mutuelles employeurs amenait des exigences supplémentaires ; au mois de février 2016, l'équipe était réduite de 7 à 5 membres ; l'objectif d'augmentation de 30% dans un délai de 2 mois était inatteignable, ce qu'a relevé l'inspecteur du travail; l'employeur, alerté sur la dégradation de l'état de santé du salarié, n'a rien fait ; le salarié était poussé à solliciter une rupture conventionnelle ;

- La société Cerap est incapable d'expliquer la récurrence des entretiens auxquels il a été convoqué entre fin juillet 2016 et fin novembre 2016 ; l'employeur a fait en sorte de rendre les conditions de travail intolérables, ce qui a entraîné un arrêt de travail ;

- Les entretiens annuels produits par l'employeur sont dénués de portée ; les motifs tirés de l'insuffisance professionnelle ont été écartés par une décision définitive du Ministre du travail ;

- La direction a laissé se dégrader une situation portée à sa connaissance par l'enquête administrative de la CPAM qui a considéré que les troubles anxio-dépressifs du salarié ont une origine professionnelle et qu'ils ont eu des conséquences majeures au plan de sa santé ;

- Les agissements répétés de l'employeur caractérisent un profond mépris pour la dignité du salarié ; il lui a été reproché dans un mail du 13 février 2017 de se plaindre d'une situation de harcèlement moral ; il n'a été procédé à aucune enquête par l'employeur.

En l'état de ses dernières conclusions transmises par son conseil sur le RPVA le 21 septembre 2021, la SAS Groupe Cerap demande à la cour d'appel de :

- Confirmer le jugement rendu par le conseil de prud'hommes de Rennes le 22 février 2021.

A titre principal,

- Dire et juger que M. [K] n'a pas été victime d'une situation de harcèlement moral au sens des dispositions de l'article L.1152-1 du code du travail ;

- Le débouter de sa demande de résiliation judiciaire de son contrat de travail et de la demande de dommages et intérêts au titre de la nullité du licenciement en découlant ;

- Condamner M. [K] à verser à la SAS Groupe Cerap une indemnité de 5 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

Subsidiairement,

- Réduire les prétentions indemnitaires de M. [K] à l'équivalent de 6 mois de salaire, en l'absence de préjudice particulier justifiant l'allocation d'une somme nette de 120 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul.

La société Groupe Cerap fait valoir en substance que:

- M. [K] était en arrêt de travail de manière continue à compter du 23 mars 2017, avant d'être déclaré inapte à son poste de cadre commercial le 7 mai 2020 ;

- Les délégués du personnel n'ont jamais rencontré de difficultés suite à leur élection; M. [K] n'était pas seul élu et sa collègue, Mme [O], n'a rencontré aucune difficulté du fait de son statut ; aucun lien n'a été établi par l'administration du travail entre la demande d'autorisation de licenciement et le mandat de délégué du personnel ;

- L'absence d'une assistante commerciale au cours de l'année 2016 ne permet pas de matérialiser une dégradation des conditions de travail ; les assistantes commerciales, au nombre de 5, ne sont pas dédiées et peuvent travailler indifféremment avec tous les chargés de clientèle ; l'assistante commerciale absente pour maladie à compter du 21 août 2015 a été remplacée dès le 18 septembre 2015; la réduction de l'équipe commerciale de 7 à 5 membres n'est pas établie et est contestée ; le nombre de dossiers confiés à M. [K] n'était pas disproportionné par rapport à la charge des autres salariés chargés de clientèle ;

- La société n'a jamais été alertée par une dégradation de l'état de santé du salarié ; il était déclaré apte sans réserve par le médecin du travail ; ses objectifs étaient réalistes ; la décision de l'inspecteur du travail à laquelle se réfère M. [K] a été annulée par le ministre du travail qui n'a constaté aucune augmentation disproportionnée d'un objectif à réaliser ; l'objectif de M. [K], dans le cadre d'un accompagnement mis en place le 15 septembre 2016, a été réduit de 50Keuros à 20K euros de chiffre d'affaires ;

- M. [K] n'a jamais été exclu des réunions de l'équipe commerciale ;il ne démontre aucune pression, ni aucune menace proférée à son encontre par l'employeur ; il a au contraire été accompagné du fait des difficultés avérées dans l'accomplissement de ses missions commerciales (entretiens fin juillet 2016, 15 septembre 2016, mi-novembre 2016) ; les salariés attestent massivement de l'absence de traitement anormal subi par M. [K] pendant sa collaboration ; la responsable commerciale atteste du comportement singulier de M. [K] (refus de coopérer, refus de participer à l'entretien annuel d'évaluation, de rendre compte de son activité, remise en cause de la légitimité de sa responsable, attitude ironique et dénigrante) ; l'enquête contradictoire de l'inspection du travail n'a relevé aucun comportement anormal de l'employeur ;

- L'inspecteur du travail n'a relevé aucun harcèlement moral ;

- M. [K] a été en arrêt de travail de façon continue depuis le 23 mars 2017 et il ne peut être reproché à l'employeur d'avoir laissé se dégrader une situation portée à sa connaissance ; la dénonciation de faits de harcèlement moral ne suffit pas à démontrer l'existence d'un tel harcèlement ;

- Il ne lui a jamais été reproché d'avoir dénoncé des faits de harcèlement moral ;

- Le syndrome d'épuisement professionnel relevé par la CPAM ne se caractérise pas par une faute de l'employeur ; la reconnaissance du caractère professionnel de son affection ne permet pas de conclure à l'existence d'un harcèlement moral ; l'infarctus dont il a été victime est survenu 8 mois après le début de l'arrêt de travail.

***

La clôture de l'instruction a été prononcée par ordonnance du conseiller de la mise en état le 19 décembre 2023 avec fixation de la présente affaire à l'audience du 22 janvier 2024. L'affaire a été renvoyée à l'audience du 25 mars 2024.

Conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, la cour renvoie, pour l'exposé des prétentions et moyens des parties, à leurs dernières conclusions régulièrement signifiées.

MOTIFS DE LA DÉCISION

1- Sur la demande de résiliation judiciaire du contrat de travail:

Il résulte des dispositions des articles 1224 et suivants du code civil, que si une partie n'exécute pas ses engagements contractuels, la résolution peut en être demandée en justice, le juge pouvant, selon les circonstances, constater ou prononcer la résolution ou ordonner l'exécution du contrat, en accordant éventuellement un délai au débiteur, ou allouer seulement des dommages et intérêts.

Il appartient au salarié qui sollicite la résiliation judiciaire du contrat de travail de rapporter la preuve de manquements suffisamment graves par l'employeur à ses obligations contractuelles de nature à empêcher la poursuite du contrat et ainsi justifier la rupture à ses torts.

Pour apprécier la gravité des griefs reprochés à l'employeur dans le cadre de la demande de résiliation judiciaire, le juge n'a pas à se placer à la date d'introduction de la demande de résiliation judiciaire et doit tenir compte de leur persistance jusqu'au jour du licenciement.

L'ancienneté des faits, si elle est n'est pas un critère de recevabilité de la demande de résiliation judiciaire, peut en être un pour l'appréciation de la gravité des manquements, même si elle ne peut permettre, à elle seule, d'écarter la gravité du manquement.

S'agissant d'une demande de résiliation judiciaire du contrat de travail formée par un délégué du personnel, il convient d'apprécier les manquements reprochés à l'employeur compte tenu non seulement des règles applicables au contrat de travail de l'intéressé, mais également des exigences propres à l'exécution du mandat de représentation du personnel.

Par ailleurs, l'autorisation de licenciement donnée par l'inspecteur du travail ne fait pas obstacle à ce que le salarié fasse valoir devant les juridictions judiciaires tous les droits résultant de l'origine de l'inaptitude lorsqu'il l'attribue à un manquement de l'employeur à ses obligations. A cet égard, si le juge ne peut, sans violer le principe de la séparation des pouvoirs, se prononcer sur une demande de résiliation judiciaire postérieurement au prononcé du licenciement notifié sur le fondement d'une autorisation administrative de licenciement accordée à l'employeur, il lui appartient, le cas échéant, de faire droit aux demandes de dommages-intérêts au titre de l'absence de cause réelle et sérieuse ou de la nullité du licenciement ainsi que d'ordonner le remboursement par l'employeur aux organismes intéressés des indemnités de chômage.

En l'espèce, dès lors que le licenciement pour inaptitude et impossibilité de reclassement de M. [K] est intervenu le 10 juillet 2020 à la suite d'une décision de l'inspecteur du travail en date du 7 juillet 2020, autorisant le licenciement, la cour ne saurait sans violer le principe fondamental de la séparation des pouvoirs, prononcer la résiliation judiciaire telle que sollicitée par M. [K].

Il lui appartient en revanche d'examiner les manquements allégués de nature à justifier la demande de dommages-intérêts formée par le salarié, d'une part sur le fondement d'un harcèlement moral, d'autre part sur celui d'une absence de cause réelle et sérieuse de licenciement.

1-1: Sur le harcèlement moral:

En vertu de l'article L1152-1du code du travail, 'aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel'.

L'article L1154-1 dispose que 'Lorsque survient un litige relatif à l'application des articles L. 1152-1 à L. 1152-3 et L. 1153-1 à L. 1153-4, le candidat à un emploi, à un stage ou à une période de formation en entreprise ou le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'un harcèlement.

Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement. Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles'.

Il ne suffit pas cependant au salarié d'alléguer des faits de harcèlement moral. Il doit établir la matérialité de faits précis et concordants constituant selon lui un harcèlement. Ce n'est que si tel est le cas, qu'il revient à l'employeur de prouver que les agissements invoqués ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

En l'espèce, M. [K] affirme que ses conditions de travail se sont progressivement dégradées à partir du mois d'août 2015 puis à compter de sa désignation en qualité de délégué du personnel titulaire.

Il se prévaut des éléments suivants:

- L'enquête administrative conduite par un agent de la CPAM à la suite de la déclaration de maladie professionnelle reçue par la Caisse le 16 mai 2017.

Cette enquête relate dans une première partie les propos de M. [K] sur le déroulement de la relation de travail depuis le mois d'août 2015, l'intéressé évoquant notamment les événements ci-après:

- La perte d'une assistante commerciale en août 2015, ce qui aurait été source de désorganisation et d'une surcharge de travail ;

- La réforme des contrats de mutuelles employeurs début 2016 occasionnant un 'travail intense' et une absence d'écoute de la part de sa hiérarchie quand il a évoqué les difficultés éprouvées ;

- Le non-remplacement de Mme [B], responsable commerciale partie en congé de maternité fin février 2016, l'équipe se retrouvant à 5 au lieu de 7 en mars 2016 ;

- Le constat d'une situation de burn-out au printemps 2016, au cours d'un entretien avec le médecin du travail;

- Son élection en qualité de délégué du personnel titulaire début juin 2016 qui aurait 'empiré ses relations qui étaient déjà très tendues avec ses responsables' ;

- Quatre entretiens successifs avec M. [W] [E], directeur général fin juillet 2016, le 15 septembre 2016, mi-novembre 2016 et fin novembre 2016. Au cours de ces deux derniers entretiens, son supérieur hiérarchique lui aurait dit 'qu'il n'était pas fait pour ce métier', il se serait montré 'très directif' et lui aurait 'parlé d'une rupture conventionnelle et en même temps il le menace d'appliquer 'la méthode dure'.

- Un entretien le 21 novembre 2016 au cours duquel il aurait exprimé à M. [E] son souhait de ne pas démissionner, ce qui aurait provoqué l'énervement du directeur général qui aurait déclaré: 'C'est moi le patron'.

- La procédure de licenciement pour insuffisance professionnelle initiée au mois de décembre 2016, dans le cadre de laquelle aurait de nouveau été évoquée la possibilité d'une rupture conventionnelle, sans qu'aucun fait précis sur une insuffisance professionnelle ne soit cité ;

- Un mail reçu de M. [E] le 8 mars 2017 indiquant: 'Point demain matin à 9h00 sur ton activité' et un énervement manifesté le 9 mars 2017 lors de l'entretien mené par M. et Mme [E], co-gérants de la société, M. [K] précisant qu'il est sorti de cet entretien 'tendu et épuisé'.

L'enquête de la CPAM relate dans une seconde partie le compte rendu d'un entretien avec Mme [E] qui exprime son désaccord avec les déclarations de M. [K], ajoutant qu'il n'atteignait pas ses objectifs et que durant la période où une assistante commerciale a été absente, les collègues du salarié ont fait leur travail sans difficulté.

Mme [E] réfutait les accusations de harcèlement portées par M. [K] à l'encontre de sa hiérarchie, ajoutant que sa fonction de délégué du personnel était étrangère aux observations qui ont été faites sur la qualité de son travail.

- Un mail de l'intéressé daté du 13 février 2017, adressé à Mme [B], évoquant un entretien auquel l'avait convoqué cette dernière le 10 février 2017 pour évoquer un point d'activité commerciale, la lettre d'objectifs 2017 et le transfert de clients qui aurait été 'annulé'. M. [K] concluait: 'En conclusion, je te confirme mon étonnement face à ces pressions et insistances que je vis comme un harcèlement. Tu me réponds que je suis parano et que tu me traites comme les autres. Je pense pourtant être le seul à être visé par une procédure de licenciement (...)'.

- Un courrier recommandé de l'employeur en date du 20 mars 2017, s'étonnant des termes évoqués dans le message adressé par M. [K] à Mme [B] le 13 février 2017 et ajoutant: 'A l'analyse des éléments motivant de telles accusations, nous vous invitons à faire preuve de plus de mesure et de discernement dans vos propos, ceux-ci étant source de perturbation pour la personne intéressée et ne reposant sur aucun fondement (...)'.

Suivait une analyse des différentes questions qui avaient fait l'objet de l'entretien mené par Mme [B], étant ici observé que s'agissant de la question d'un transfert de clients, il était précisé qu'une telle mesure visant la zone [Localité 5]-Sud Bretagne concernait également les autres chargés de clientèle, dès lors qu'une autre salariée était affectée sur la zone considérée, mais que ce transfert n'aurait finalement pas lieu s'agissant de la clientèle de M. [K].

- La décision de refus d'autorisation de licenciement pour insuffisance professionnelle en date du 15 février 2017, étant ici observé que cette décision a été annulée le 2 août 2017 sur recours hiérarchique et que si le ministre a notifié un refus d'autorisation de licenciement, il n'a pas repris la mention d'un lien entre la demande d'autorisation de licenciement et le mandat de délégué du personnel, qu'avait visée l'inspecteur du travail.

M. [K] soutient avoir alerté son employeur à différentes reprises sur la dégradation de ses conditions de travail et celle de son état de santé.

Cette affirmation ne ressort cependant d'aucune des pièces versées aux débats, à l'exception du mail susvisé du 13 février 2017 adressé à Mme [B] qui évoquait, sans autre précision, des 'pressions et insistances que je vis comme un harcèlement', mail auquel il était répondu précisément par l'employeur le 18 avril 2017 dans des termes qui, s'ils s'étonnent du terme de 'harcèlement' cité par le salarié, ne lui en font pas le reproche, contrairement à ce qui est allégué, aucune sanction n'ayant été prise à l'encontre de M. [K] pour avoir relaté ou dénoncé des faits de harcèlement.

Il n'est établi par aucun élément que l'employeur ait tenu des propos inadaptés à un quelconque moment de la relation contractuelle et notamment à l'occasion des entretiens qui ont eu lieu entre fin juillet et fin novembre 2016, soit sur une période de quatre mois.

La survenance d'un trouble anxio-dépressif, suivi au mois d'octobre 2017, alors que M. [K] était en arrêt de travail depuis 7 mois, d'un infarctus et la reconnaissance le 30 mai 2018 d'une maladie professionnelle après avis du CRRMP, ne peuvent pas être reliés à des éléments objectifs de nature à laisser supposer l'existence d'un harcèlement moral imputable à son employeur.

En conclusion, il doit être jugé que M. [K] ne présente pas des éléments de fait qui, pris dans leur ensemble, puissent laisser supposer l'existence d'un harcèlement moral.

La demande de dommages-intérêts formée sur ce fondement sera rejetée par voie de confirmation du jugement entrepris.

1-2: Sur la demande de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse

L'employeur est tenu d'une obligation légale de sécurité en matière de protection de la santé et de la sécurité des travailleurs en vertu des dispositions de l'article L 4121-1 du code du travail.

Il lui appartient de veiller à l'effectivité de cette obligation en assurant la prévention des risques professionnels.

Si l'employeur n'a pas respecté son l'obligation de sécurité, le licenciement pour inaptitude est sans cause réelle et sérieuse car l'inaptitude résulte d'un manquement préalable de l'employeur, qui a provoqué cette inaptitude.

Il incombe à l'employeur de démontrer qu'il a effectivement pris les mesures nécessaires pour protéger la santé et assurer la sécurité du salarié.

L'obligation de prévention des risques professionnels, qui résulte des articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail, est distincte de la prohibition des agissements de harcèlement moral instituée par l'article L. 1152-1 du code du travail et ne se confond pas avec elle.

En l'espèce, M. [K] reproche à la société Groupe Cerap de 'n'avoir rien fait ni procédé à la moindre enquête' alors qu'elle avait été alertée.

Il est constant que M. [K] a été en arrêt de travail sans discontinuer entre le 23 mars 2017 et la constatation de son inaptitude par le médecin du travail.

L'unique courriel dans lequel M. [K] évoque des 'pressions et insistances que je vis comme un harcèlement' est relatif à un entretien du 10 février 2017 avec sa supérieure hiérarchique, Mme [B], qui avait pour objet un point sur l'activité commerciale du salarié, la signature de sa lettre d'objectifs et le transfert de clients.

Il doit être relevé que ni ce courriel ni aucun autre élément ne décrit de façon précise les agissements dont le salarié aurait été l'objet, qui se résumeraient donc au fait pour son supérieur hiérarchique d'aborder les trois questions susvisées.

L'employeur a réagi face à l'évocation d'un harcèlement par le salarié, en lui répondant point par point le 20 mars 2017.

Sur la question de l'activité commerciale, il était indiqué à M. [K] qu'il était utile d'évoquer l'état d'avancement de l'action 'retraite' auprès de la clientèle, s'agissant d'une opportunité pour rencontrer les clients alors que l'intéressé enregistrait peu de rendez-vous depuis le début de l'année.

S'agissant du refus de signer les objectifs de l'année, l'employeur s'en étonnait en observant qu'ils étaient identiques à ceux de l'année passée et qu'ils avaient fait l'objet d'une présentation commune lors d'une réunion commerciale s'étant tenus avant leur formalisation individuelle.

S'agissant enfin du transfert de clients, il était rappelé qu'elle concernait l'ensemble des chargés de clientèle compte-tenu du recrutement d'une nouvelle chargée de clientèle basée sur le secteur [Localité 5]-Sud Bretagne et en rappelant qu'il avait été finalement convenu, s'agissant de M. [K], de ne pas opérer ce transfert compte-tenu du nombre de clients réduit dont il bénéficiait.

L'employeur concluait: 'Ce faisant, il ne s'agit pas d'exercer sur vous de quelconques pressions, mais de suivre votre activité et la réalisation des objectifs fixés et des directives données (...) Ce suivi est d'autant plus prégnant que vos résultats ne sont pas en adéquation avec les objectifs conjointement définis (...)'.

Sans plus d'indications sur les faits précis qui seraient de nature à laisser supposer une situation de harcèlement moral, l'avocat de M. [K] écrivait à l'employeur le 6 avril 2017 pour lui indiquer: '(...) Mon client a exprimé son ressenti, à propos des pressions et insistances dont il est l'objet et qu'il vit comme étant une situation de harcèlement', lui reprochant encore l'envoi du courrier recommandé précité du 20 mars 2017.

La société Groupe Cerap a répondu précisément à ce dernier courrier de l'avocat de M. [K] le 18 avril 2017 en rappelant notamment que la réalisation de bilans sur l'activité commerciale du salarié et la fixation d'objectifs n'étaient pas des faits propres à caractériser un harcèlement moral, lequel ne pouvait reposer sur le seul 'ressenti' de M. [K].

Dans une attestation datée du 31 mai 2019, Mme [B], Responsable commerciale, indique qu'au nombre de ses missions, elle est chargée de l'animation commerciale de l'équipe dans laquelle était rattaché M. [K]. Elle indique: 'Je tiens à souligner qu'en tant que manager, je suis attachée à faire des points mensuels avec mes collaborateurs pour qu'ils puissent s'exprimer sur des ressentis aussi bien négatifs que positifs, déconnectés de la notion de résultat.

L'ensemble de ces démarches tendant à laisser s'exprimer M. [K] avait pour vocation à l'accompagner et le faire progresser'.

Plusieurs salariés (Mme [X], Mme [F], Mme [H], Mme [Y], Mme [T], Mme [P]) décrivent une ambiance de travail fondée sur l'esprit d'équipe et l'écoute, plusieurs témoins indiquant n'avoir pas constaté une quelconque dégradation relationnelle entre M. [K] et la direction (Mme [F], Mme [T], Mme [P]).

Sans qu'il soit utile d'entrer dans le débat relatif à une insuffisance de résultats et à l'analyse des comptes-rendus des entretiens annuels du salarié, il doit cependant être noté que la société Ideis atteste le 13 mai 2019 avoir dispensé à M. [K] des formations en 2010 et 2011 sur 'l'initiation au modèle process communication' et la prospection commerciale afin 'd'aider à remettre en dynamique de succès un chargé de clientèle, [S] [K], identifier ensemble les leviers de performance et construire un plan de progrès dans sa relation aux autres', le formateur ajoutant: 'A chaque occasion, Ideis a noté des échanges très respectueux et emplis de bienveillance de la part de la direction de Cerap à l'égard de M. [K] et la volonté permanente de celle-ci d'améliorer les compétences de ce collaborateur'.

Il est ainsi établi que l'employeur, alerté par la supérieure hiérarchique de M. [K], de ce que ce dernier avait évoqué dans un courriel du 13 février 2017 la notion d'un harcèlement, a analysé la situation et a précisément répondu au salarié puis à son avocat et que, contrairement à ce qui est soutenu par l'appelant qui se borne à former le grief du défaut de prévention d'une situation d'un harcèlement moral qui ne peut être présumé pour les motifs précédemment développés, la société Groupe Cerap a pris les mesures nécessaires pour protéger sa santé et assurer sa sécurité.

Il convient dès lors de débouter M. [K] de sa demande de dommages-intérêts fondée sur l'absence de cause réelle et sérieuse de la rupture de son contrat de travail.

Le jugement entrepris sera également confirmé de ce chef.

2- Sur les dépens et frais irrépétibles:

M. [K], partie perdante, sera condamné aux dépens d'appel.

Il sera dès lors débouté de sa demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile.

L'équité commande de laisser la société Groupe Cerap supporter la charge de ses frais irrépétibles et par conséquent, il convient de la débouter de sa demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Confirme le jugement entrepris ;

Y ajoutant,

Déboute M. [K] et la société Groupe Cerap de leurs demandes respectives fondées sur l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamne M. [K] aux dépens d'appel.

La greffière Le président


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Rennes
Formation : 7ème ch prud'homale
Numéro d'arrêt : 21/01924
Date de la décision : 20/06/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 29/06/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-06-20;21.01924 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award