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19/06/2024 | FRANCE | N°21/02769

France | France, Cour d'appel de Rennes, 8ème ch prud'homale, 19 juin 2024, 21/02769


8ème Ch Prud'homale





ARRÊT N°322



N° RG 21/02769 -

N° Portalis DBVL-V-B7F-RTHP













M. [T] [W]



C/



S.A.R.L. CABINET BG

















Infirmation partielle













Copie exécutoire délivrée

le :



à :

-Me Anne-Laure BELLANGER

-Me Tiphaine LE BERRE BOIVIN







RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUP

LE FRANÇAIS



COUR D'APPEL DE RENNES

ARRÊT DU 19 JUIN 2024





COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :



Madame Nadège BOSSARD, Présidente,

Madame Anne-Cécile MERIC, Conseillère,

Mme Anne-Laure DELACOUR, Conseillère,



GREFFIER :



Monsieur Philippe RENAULT, lors des débats et lors du prononcé







DÉBA...

8ème Ch Prud'homale

ARRÊT N°322

N° RG 21/02769 -

N° Portalis DBVL-V-B7F-RTHP

M. [T] [W]

C/

S.A.R.L. CABINET BG

Infirmation partielle

Copie exécutoire délivrée

le :

à :

-Me Anne-Laure BELLANGER

-Me Tiphaine LE BERRE BOIVIN

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE RENNES

ARRÊT DU 19 JUIN 2024

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :

Madame Nadège BOSSARD, Présidente,

Madame Anne-Cécile MERIC, Conseillère,

Mme Anne-Laure DELACOUR, Conseillère,

GREFFIER :

Monsieur Philippe RENAULT, lors des débats et lors du prononcé

DÉBATS :

A l'audience publique du 12 Avril 2024

devant Mme Anne-Laure DELACOUR, magistrat rapporteur, tenant seul l'audience, sans opposition des représentants des parties et qui a rendu compte au délibéré collégial

ARRÊT :

Contradictoire, prononcé publiquement le 19 Juin 2024 par mise à disposition au greffe comme indiqué à l'issue des débats

****

APPELANT :

Monsieur [T] [W]

né le 21 Mars 1979 à [Localité 6] (86)

demeurant [Adresse 1]

[Localité 3]

Ayant Me Anne-Laure BELLANGER de la SARL LA BOETIE, Avocat au Barreau de NANTES, pour Avocat constitué

INTIMÉE :

La S.A.R.L. CABINET BG prise en la personne de son représentant légal et ayant son siège social :

[Adresse 2]

[Localité 3]

Ayant Me Tiphaine LE BERRE BOIVIN, Avocat au Barreau de RENNES, pour postulant et représentée à l'audience par Me Gaëlle CHAUDET-DUCHENNE, Avocat plaidant du Barreau de NANTES

Monsieur [T] [W] a été engagé par la SARL Cabinet BG (société d'expertise technique en matière industrielle) suivant contrat de travail à durée indéterminée en date du 10 janvier 2014 à effet au 14 avril 2014, pour un poste d'expert industriel. La SARL Cabinet BG est une entreprise qui compte moins de 10 salariés et qui applique la convention collective des entreprises d'expertises en matière d'évaluations industrielles et commerciales.

A compter de 2017, des échanges de courriers et de mails font état d'une relation de travail qui se dégrade, Monsieur [W] reprochant à ses employeurs des propos insultants ainsi qu'une dévalorisation de son travail.

Le 16 mai 2018, monsieur [W] est convoqué à un entretien préalable pouvant conduire à un licenciement.

Il est placé en arrêt de travail à compter du 18 mai 2018, lequel s'est poursuivi jusqu'à la rupture du contrat de travail.

Le 22 mai, il a informé son employeur qu'il ne pouvait se rendre à l'entretien.

Le 16 juin 2018, la SARL CABINET BG a licencié M. [W] pour cause réelle et sérieuse, avec un préavis de 3 mois.

Le 28 juin 2018, M. [W] a demandé des précisions sur les motifs de son licenciement.

Le 10 juillet 2018, l'employeur a maintenu sa position et a invité le salarié à se reporter à la lettre de licenciement.

Le 18 juillet 2018, M. [W] a contesté les griefs et demandé le maintien de son véhicule de fonction durant son préavis.

Le 26 novembre 2018, M. [W] a saisi le Conseil de prud'hommes de Nantes aux fins de :

' Constater l'existence de faits relevant d'une discrimination liée au harcèlement

moral,

' Dire et juger que le licenciement pour motif personnel du 15 juin 2018 produisait les effets d'un licenciement nul, à titre subsidiaire, sans cause réelle et sérieuse,

' Fixer le salaire moyen mensuel brut à la somme de 5.200,66 €,

' Condamner la SARL CABINET BG à verser à M. [W] la somme de :

- 7.638 € bruts au titre du paiement de la part variable sur le chiffre d'affaires 2017,

-763,80 € bruts de congés payés afférents,

- 65.000 € nets de dommages et intérêts pour licenciement nul, à titre subsidiaire en raison du licenciement sans cause réelle et sérieuse,

- 10.000 € nets de dommages et intérêts pour l'exécution déloyale des obligations contractuelles et l'attitude particulièrement vexatoire et négligente de l'employeur.

- 3.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

' Intérêts au taux légal à compter de la saisine du conseil pour les sommes de nature salariale et à compter du jugement à intervenir pour les autres sommes, outre l'anatocisme.

- Remise de l'attestation Pôle Emploi, des bulletins de salaires rectifiés conformes à la décision à intervenir, ainsi que la réalisation des déclarations rectificatives aux différents organismes sociaux, dans les 15 jours de la décision à intervenir, sous astreinte de 150 € par jour de retard passé ce délai,

' Exécution provisoire du jugement à intervenir,

' Condamner aux entiers dépens.

La cour est saisie de l'appel régulièrement interjeté par M. [W] le 5 mai 2021 contre le jugement du 1er avril 2021, par lequel le Conseil de prud'hommes de Nantes a :

' Dit que :

- les faits de harcèlement et de discrimination liée au harcèlement ne sont pas démontrés,

- le licenciement reposait sur une cause réelle et sérieuse,

- il n'y avait pas lieu au paiement de la prime variable 2017,

- le contrat de travail a été exécuté de façon loyale et sans attitude vexatoire et négligente de l'employeur,

' Débouté M. [W] de l'ensemble de ses demandes,

' Condamné M. [W] à régler à la SARL CABINET BG la somme de 1.750 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

' Condamné M. [W] aux dépens éventuels.

Vu les écritures notifiées par voie électronique le 31 octobre 2023 suivant lesquelles M. [W] demande à la cour de :

' Infirmer le jugement rendu le 1er avril 2021 par le Conseil de prud'hommes de Nantes, déboutant M. [W] de l'ensemble de ses demandes et le condamnant à régler à la SARL CABINET BG la somme de 1.750 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

' Juger l'existence de faits relevant de harcèlement moral,

' Juger l'existence de faits relevant d'une discrimination liée au harcèlement moral dénoncé,

' Dire et juger que le licenciement pour motif personnel en date du 15 juin 2018 produit les effets d'un licenciement nul, à titre subsidiaire sans cause réelle et sérieuse,

' Fixer le salaire moyen mensuel de M. [W] à la somme de 5.200,66 € bruts,

' Condamner la SARL CABINET BG à payer à M. [W] la somme de :

- 7.638 € bruts au titre de la part variable sur le chiffre d'affaires 2017, outre 763,80 € bruts au titre des congés payés afférents,

- 70.000 € nets, à titre de dommages et intérêts en raison de la nullité du licenciement, à titre subsidiaire, en raison du licenciement sans cause réelle et sérieuse,

- 10.000 € nets sur le fondement des articles 1104 et 1231 du code civil, à titre de dommages et intérêts pour l'exécution déloyale des obligations contractuelles et l'attitude particulièrement vexatoire et négligente de l'employeur,

- 4.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

' Dire que les sommes ayant une nature salariale porteront intérêts à compter de la saisine du conseil et que les autres sommes porteront intérêt à compter du jugement à intervenir, avec capitalisation,

' Ordonner la délivrance de l'attestation Pôle Emploi et des bulletins de salaire rectifiés conforme à la décision à intervenir, ainsi que la réalisation des déclarations rectificatives aux différents organismes sociaux, dans les 15 jours de la décision à intervenir, sous astreinte de 150 € par jour de retard passé ce délai,

' Ordonner l'exécution provisoire du jugement à intervenir

' Condamner la même en tous les dépens.

Vu les écritures notifiées par voie électronique le 7 mars 2023, suivant lesquelles la SARL CABINET BG demande à la cour de :

' Rejeter l'appel, le disant mal fondé,

' Confirmer le jugement du conseil de prud'hommes de Nantes du 1er avril 2021 en ce qu'il a débouté M. [W] de l'ensemble de ses demandes,

A titre subsidiaire,

' Constater que M. [W] ne justifie d'aucun préjudice,

' Réduire les demandes indemnitaires en ce compris celle due au titre de l'article L.1235-3 du code du travail à un mois de salaire brut soit 4.221,03 €,

En tout état de cause,

' Condamner M. [W] à verser à la SARL CABINET BG la somme 4.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile au titre de la procédure d'appel ainsi qu'aux entiers dépens,

' Rejeter toutes demandes, fins et conclusions autres ou contraires aux présentes.

L'ordonnance de clôture a été prononcée le 28 mars 2024

Par application de l'article 455 du code de procédure civile, la cour se réfère, pour un plus ample exposé des prétentions et des moyens des parties aux conclusions sus-visées.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur le harcèlement moral et la nullité du licenciement

Monsieur [W] entend voir prononcer la nullité de son licenciement intervenu selon courrier du 15 juin 2018 pour cause réelle et sérieuse en invoquant des agissements de harcèlement moral comme étant la cause réelle de ce licenciement.

Aux termes de l'article L. 1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir des agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

L'article L. 1152-3 du code du travail prévoit que toute rupture du contrat de travail intervenue en méconnaissance des dispositions des articles L.1152-1 et L.1152-2, toute disposition ou tout acte contraire est nul.

Selon l'article L. 1154-1 du code du travail, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2018-1088 du 8 août 2016, le salarié établit des faits qui permettent de présumer l'existence d'un harcèlement. Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

En application de l'article L. 1154-1 du même code, dans sa rédaction postérieure à la loi précitée, lorsque le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'un harcèlement moral, il incombe à l'employeur de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs, étrangers à tout harcèlement.

Il résulte de ces dispositions que, pour se prononcer sur l'existence d'un harcèlement moral, il appartient au juge d'examiner l'ensemble des éléments invoqués par le salarié, en prenant en compte les documents médicaux éventuellement produits et d'apprécier si les faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, permettent de présumer ou laissent supposer l'existence d'un harcèlement moral au sens de l'article L. 1152-1 du code du travail. Dans l'affirmative, il revient au juge d'apprécier si l'employeur prouve que les agissements invoqués ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Le harcèlement moral peut en outre résulter de méthodes de gestion mises en 'uvre par un supérieur hiérarchique dès lors qu'elles se manifestent pour un salarié déterminé par des agissements répétés ayant pour objet ou pour effet d'entraîner une dégradation des conditions de travail susceptibles de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

Monsieur [W] reproche d'abord à l'employeur une accumulation d'humiliations ayant dégradé la relation de travail, avec notamment des mails insultants et dégradants dès le début de cette relation.

Monsieur [W] fait également valoir une « mise au placard » à compter de fin 2017 (non-réponse aux mails, perte importante de chiffre d'affaire).

Concernant le premier grief (les humiliations), Monsieur [W] verse aux débats une trentaine de mails depuis l'origine de la relation contractuelle avec le Cabinet BG ayant débuté en avril 2014, laissant apparaître un mode de communication avec utilisation fréquente de la part de ses supérieurs hiérarchiques de propos très familiers, sarcastiques, parfois grossiers ou pouvant être considérés comme « insultants ». (pièces 1 à 26 transmises par M. [W])

C'est ainsi à titre d'exemple que les propos suivants pouvaient être tenus : « va te faire grosse burne » « ça te convIent stylistiquement parlant », (pièce 4), « les pédales ça te connait » (pièce 21), « tu n'es qu'un simple ingénieur de mes deux et non le premier prix Goncourt » (pièce 16) , 0, 5 h pour un mail comme ça !! achètes toi une deuxième main pour taper plus vite » , tu as appris à utiliser les mails dans la même école que ton DRH » ' (pièce 58), de même que certaines dénominations pouvaient être utilisées à son égard : « quel connard [T] [W] » (pièce 7), « Môssieur [W] » (pièce 9), « le jeune » (pièce 15)

Monsieur [W] verse également aux débats l'attestation de Mme [H] [K], salariée au sein du cabinet BG du 26 mai 2014 au 21 mai 2017 qui atteste avoir entendu à plusieurs reprises des propos dégradants que M. [O] ou M. [M] pouvaient adresser à M. [W] , parfois sur le « ton de la rigolade » mais également de façon vexatoire ou insultante. Elle évoque dans cette même attestation ses propres difficultés avec le cabinet BG et une « mise au placard » l'ayant affectée psychologiquement, déplorant par ailleurs le mode de management de M. [O] qu'elle considère comme « délétère » ayant des répercussions psychologiques. (pièce 47)

De même, dans son courrier du 23 avril 2018 (pièce 33), Monsieur [W] dénonce d'abord un désaccord en lien avec sa rémunération, concernant plus spécifiquement la part variable de son salaire, avant de déplorer une relation de travail « particulièrement dégradante » en rappelant plusieurs éléments dont les insultes ou grossièretés dont il pouvait faire l'objet, mais également le fait qu'il ne dispose pas de réseau Wifi ni de téléphonie dans son bureau, et qu'il avait le sentiment d'avoir été « mis au placard » depuis quelques mois (puis « sorti du placard » suite aux échanges au sujet de sa rémunération ).

Si la poursuite des échanges montre que les demandes de M. [W] portaient surtout et avant tout sur les conditions de sa rémunération et l'attribution des missions permettant d'influer sur sa part variable , ce dernier mentionne également une dégradation de la relation de travail qui ne concerne pas seulement des « revendications salariales », évoquant « in fine » dans son courrier du 9 mai 2018 un « sentiment d'épuisement et d'injustice », «cet état de fait  ajouté aux insultes et au manque de considération », mentionnant ainsi « je vous assure qu'il est difficile de se faire traiter de « connard » par son employeur, et au moins autant de lire que je serais un menteur en m'en plaignant » (pièce 35 )

Ainsi, il résulte des pièces ainsi transmises, et notamment de la teneur des échanges de mail, l'existence de propos humiliants à l'encontre de Monsieur [W]

Sur le second grief, à savoir la « mise au placard », Monsieur [W] indique que la société Cabinet BG a volontairement ralenti ses projets professionnels, se traduisant par une « mise au placard », ce qui avait pour effet de diminuer son chiffre d'affaires et sa rémunération.

Il verse aux débats l'attestation de Mme [H] [K] (pièce 47) aux termes de laquelle cette dernière indique notamment que M. [O] ou M. [M] « profitaient de la bonne volonté et de la disponibilité de M. [T] [W] pour le solliciter de façon déraisonnable, par exemple en lui demandant de les « remplacer » au pied levé , c'est-à-dire la veille au soir pour le lendemain matin afin d'assurer des expertises notamment près de [Localité 5] ou de [Localité 4] pour un dossier très volumineux que M. [W] ne connaissait pas et dont il lui était matériellement impossible de prendre connaissance »

La teneur de cette seule attestation ne permet toutefois aucunement de caractériser la volonté de celui-ci de retarder la facturation des dossiers de M. [W], et ne traduit ainsi aucune « mise au placard » de celui-ci.

Ce fait n'est donc pas établi.

Concernant enfin la dégradation de son état de santé, Monsieur [W] verse aux débats :

- son arrêt de travail du 18 mai 2018 de son médecin traitant (jusqu'au 3 juin 2018) pour « asthénie intense » (prolongé par la suite).

- un certificat émanant de [C] [P], psychologue clinicienne du travail, établi le 25 juin 2018 et faisant état de plusieurs consultations réalisées par M. [W] à compter du 17 mai 2018 « dans les suites d'une situation de mal-être au travail alléguée », en évoquant plusieurs éléments ayant pu contribuer, au fil du temps, à la dégradation de son état de santé : manque de moyens matériels dès la prise de poste, répartition inégalitaire de la charge de travail le mettant en difficulté pour atteindre ses objectifs, défaut d'organisation du travail, rapports sociaux dégradés (relations irrespectueuses dès le début de la relation, moqueries, remarques blessantes sur le ton de la plaisanterie), pratiques d'isolement (diminution des dossiers à traiter, injonctions faites au assistantes de ne pas traiter ses rapports, annulation de rendez-vous client, contrôle de son activité, modification de ses écrits à son insu), incitation à la démission. Elle indique que ce contexte a entraîné une « dégradation de son état de santé visible par des troubles du sommeil, une fatigue intense avec sentiment de lassitude, une restriction de la vie sociale, des atteintes cognitives, des atteintes psychiques et des atteintes somatiques », précisant « souffrance professionnelle pathologique générée par un environnement de travail devenu délétère et intenable pour Monsieur [T] [W] » (pièce 46)

Pris dans leur ensemble, les humiliations et la dégradation de l'état de santé du salarié laissent ainsi supposer l'existence d'une situation de harcèlement moral, et il incombe dès lors à l'employeur de démontrer que ses agissements sont justifiés par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement moral.

A ce titre, la société CABINET BG conteste le premier grief en lien avec les humiliations en indiquant qu'il s'agissait d'un « contexte d'échanges au second degré» ou de «boutades entre collègues», dans le cadre de l'ambiance « débonnaire » de l'entreprise, auquel le salarié lui-même prenait part. Selon elle, nombre de mails n'étaient pas des mises en cause personnelle de Monsieur [W], mais plutôt des échanges entre associés et collaborateurs sur les propos de leurs interlocuteurs, en rappelant que celui-ci n'avait pas dénoncé ce mode de communication avant le conflit en lien avec le salaire, qui est la cause réelle de la mésentente.

La cour note en effet sur ce point qu'il ressort de l'examen des pièces transmises qu'il s'agit d'un mode de communication partagé au sein du cabinet d'expertise BG, auquel M. [W] participait également, comme le montrent plusieurs conversations par SMS évoquant une bonne entente entre les intéressés (pièces 3 à 5 ainsi que 34 à 39 transmises par l'employeur)

Même si ce dernier le conteste par la suite, ce mode de communication ne laisse pas transparaître, dans un premier temps au moins, une quelconque gêne ou malaise de la part de M. [W] qui ne justifie pas avoir remis en question ce mode de communication et ces échanges de mail.

En outre, Mme [A] [Z] atteste à cet égard que : « (') L'ambiance au sein du cabinet BG est « bon enfant », les associés comme les collaborateurs peuvent être amenés à faire des blagues ou rigoler sans que cela ne soit mal pris ou vécu. Il me semblait que Monsieur [W] était du même avis puisqu'il participait également facilement à cette ambiance jusqu'à début 2018. J'ai d'ailleurs moi-même été destinataire de mails qu'il a pu envoyer sur le ton de la blague aux associés comme à moi.

J'ai ressenti un changement d'attitude début 2018, engendrant une ambiance tendue et des échanges limités notamment avec les assistantes concernant la gestion des dossiers. (') » (pièce 46 transmise par la société Cabinet BG)

Sur la temporalité, il résulte des échanges de mails intervenus fin janvier et début février 2018 (pièces 27 et 28) que la mésentente entre M. [W] et ses employeurs a d'abord pour origine un différend au titre des missions qui lui étaient confiées ayant une incidence sur le montant du chiffre d'affaire et de sa rémunération.

C'est ainsi que dans son mail du 31 janvier 2018 (pièce 27), il mentionne en dernier lieu « je vous confirme que je souhaite m'investir dans la durée avec le cabinet, mais que cela passe a minima par un accord sur ces deux sujets », lesquels concernent exclusivement des revendications financières.

Il en est de même du mail du 1er février (pièce 28) qui s'achève comme suit :

« je reste bien entendu disponible pour finaliser la discussion associée aux deux vrais sujets rappelés dans mon courriel d'hier matin, à savoir :

- Le « rattrapage » du manque à gagner sur ces trois dernières années

- La méthode de calcul pour les années à venir (à partir du 01.01.2018) » .

Seul un échange de mail du 16 février 2018 (pièce 30), soit contemporain aux échanges en lien avec le désaccord salarial, reproche à [U] [M] de l'avoir insulté au téléphone : « je ne sais pas si c'était indispensable que tu me rappelles à l'instant pour m'insulter et me raccrocher au nez », en précisant ensuite « le « tu veux jouer au con » par exemple me parait relever du registre de l'insulte »

D'autres échanges de mail intervenus en mars et avril 2018 montrent que les échanges entre les associés et leur collaborateur se sont fortement tendus à compter de cette période, les premiers reprochant au second son attitude ainsi que des insuffisances professionnelles, et sollicitant plusieurs modifications et améliorations dans des courriers qu'il avait rédigés, C'est ainsi, à titre d'exemple, que le mail du 26 mars 2018 adressé par [V] [O] à [T] [W] se termine comme suit : « nous te rappelons que nous ne sommes qu'une TPE. Nous avons toujours privilégié le dialogue et non les mails » ou qu'il lui indique le 10 avril 2018 « tu n'es pas patron ' ni Boss au cabinet BG donc STOP. Tes mails sont insultants et dépassent le raisonnable admissible venant d'un salarié même d'un associé. Nous ([U] et moi) n'en pouvons plus de cette attitude anormale (') tu es salarié et non PDG (') donc merci de te ressaisir » (pièces 13 à 13-5 transmises par la société Cabinet BG)

La Cour note ainsi qu'à compter de cette période (début de l'année 2018), les échanges de plaisanterie cessent, de même que le mode de communication, à savoir que les échanges se font davantage par courrier (notamment entre février et mai 2018), avec de nombreux reproches évoqués de part et d'autre en lien principalement avec les demandes d'évolution salariale formulées par M. [W], comme le montrent spécialement les courriers adressés par Monsieur [W] au Cabinet BG le 23 avril puis le 9 mai 2018, qui ont principalement trait aux griefs en lien avec le montant de son chiffre d'affaire et le calcul de sa part variable.

Ainsi, en définitive, au regard de l'ensemble des éléments produits et des justifications apportées par le cabinet BG, l'existence d'un harcèlement moral au sens de l'article L. 1152-1 du code du travail n'est pas caractérisée, et le jugement déféré sera confirmé sur ce point.

Sur la dénonciation du harcèlement

Il résulte des articles L. 1152-2 et L.1152-3 du code du travail que le salarié qui relate des faits de harcèlement moral ne peut être licencié pour ce motif, sauf mauvaise foi, laquelle ne peut résulter de la seule circonstance que les faits dénoncés ne sont pas établis et n'est constituée que lorsqu'il est établi que l'intéressé savait que les faits dénoncés étaient faux.

Le licenciement prononcé pour dénonciation d'un harcèlement sans caractérisation de la mauvaise foi du salarié est nul.

Lorsque les faits invoqués dans la lettre de licenciement ne caractérisent pas une cause réelle et sérieuse de licenciement, il appartient l'employeur de démontrer l'absence de lien entre la dénonciation par le salarié d'agissements de harcèlement moral ou sexuel et son licenciement..

Selon l'appelant le licenciement prononcé en raison d'une « mésentente » correspond factuellement à la dénonciation de faits de harcèlement et trouve sa source dans cette dénonciation.

Il résulte des pièces transmises par les parties et de la chronologie des échanges déjà rappelée ci-dessus qu'alors que le licenciement de M. [W] a été prononcé par courrier du 15 juin 2018, les relations entre ces dernières se sont dégradées à compter du début de l'année 2018 et notamment à compter du mois d'avril 2018 (notamment le courrier du 23 avril 2018, pièce 33 produite par l'appelant).

La Cour doit donc ainsi s'interroger sur la cause véritable du licenciement prononcé à l'égard de Monsieur [W], étant rappelé qu'en vertu de l'article L 1232-1 du Code du travail, tout licenciement doit être justifié par une cause réelle et sérieuse.

Par ailleurs si le juge estime que le motif ne constitue pas une cause réelle et sérieuse, il appartient alors à l'employeur de démontrer l'absence de lien entre l'atteinte dénoncée par le salarié - en l'espèce les faits de harcèlement moral - et le licenciement, faute de quoi ce dernier est nul.

En application des dispositions de l'article L.1235-1 du code du travail, en cas de litige relatif au licenciement, le juge, à qui il appartient d'apprécier la régularité de la procédure et le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l'employeur, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties, au besoin après toutes mesures d'instruction qu'il estime utiles. Si un doute subsiste, il profite au salarié.

Si la lettre de licenciement fixe les limites du litige en ce qui concerne les griefs articulés à l'encontre du salarié et les conséquences que l'employeur entend en tirer quant aux modalités de rupture, il appartient au juge de qualifier les faits invoqués, en examinant l'ensemble des motifs mentionnés dans la lettre.

En l'occurrence, il résulte du courrier de licenciement du 15 juin 2018 versé aux débats, (pièce 21 de l'employeur) que le licenciement de Monsieur [W] intervient en raison du « trouble objectif causé au bon fonctionnement de la société » : « compte tenu de l'ensemble de ces éléments et de l'impact que ces problèmes entraînent pour la bonne marche du cabinet, nous avons décidé de prononcer ton licenciement pour cause réelle et sérieuse »

Il est ainsi reproché à [W] un comportement globalement désagréable à l'origine d'une dégradation du travail de l'ensemble de l'équipe, et notamment dans les relations avec les assistantes lesquelles expriment « un sentiment de malaise se répercutant sur la communication et la gestion des dossiers » , ainsi qu'une remise en cause des instructions : « nous sommes régulièrement contraints

de te rappeler les règles de fonctionnement du cabinet mais aussi de te demander de faire évoluer ton positionnement » (') « or, force est de constater que la situation n'a pas évolué positivement, au contraire puisque tu continues de ne pas entendre nos consignes et d'avoir un comportement globalement désagréable ce qui entraine une dégradation du travail de l'ensemble de l'équipe et porte un grave préjudice à l'entreprise » (')

« Ainsi que nous avons été obligés de te le faire remarquer, ton comportement en interne est source de difficultés ce qui amène les assistantes à fuir les échanges avec toi et génère trop d'incompréhensions susceptibles de se répercuter sur la gestion des dossiers. ('). « De même nous ne pouvons admettre que tu remettes en cause les instructions que nous te donnons, que tu ne les respectes pas ou que tu nous demandes de nous justifier ». (')

« Tu répercutes ton mécontentement sur l'ensemble de l'équipe » (en ce qui concerne la déception de ne pas percevoir une rémunération plus importante)

« Les assistantes nous ont expliqué se sentir mal à l'aise dans le travail avec toi, rencontrer des difficultés pour échanger sur les dossiers. La collaboration n'est plus sereine.

Nous en arrivons à des tensions continuelles entraînant de réels problèmes de gestion des dossiers puisqu'il y a de nombreuses incompréhensions avec les assistantes et un réel défaut de communication ».(')

« Tu as mis en difficultés les assistantes qui se sont trouvées prises au milieu de nos échanges sans que cela ne les concerne.

Tu as laissé entendre qu'il existait des dissensions entre les deux associés concernant la gestion du cabinet et plus particulièrement la gestion de ta collaboration alors que cela n'était pas le cas.

Ton positionnement au sein du cabinet devrait t'amener à veiller à respecter une certaine réserve. Or ce n'est pas le cas et ton attitude est trop souvent source de tensions »

Dans un courrier postérieur du 10 juillet 2018 faisant suite à la demande de M. [W] de préciser les motifs du licenciement, le cabinet BG précise :

« Nous devions tirer les conséquences de la situation dès lors que :

- nous avons constaté avec une certaine sidération que tu ne parvenais pas à réagir de manière professionnelle et objective face à une proposition d'augmentation qui ne te convenait pas.

- malgré nos demandes réitérées de faire évoluer ton attitude, ton positionnement, tant au sein de l'équipe que dans le cadre des dossiers, nous ne constations aucune évolution, bien au contraire » (')

Plusieurs exemples étaient ainsi mentionnés relatifs à des échanges de mails.

Il était également reproché à M. [W] dans ce même courrier des « problèmes relationnels » voire des tensions avec certains interlocuteurs et apporteurs d'affaires (avocats, assureurs, clients), avec certains dossiers cités en exemple (Cellioplast/earl Cosquer, ERDF/GIP Blavet Scorff, Romain SAS/ Mme [B], Screlec/PC domotic)

L'employeur reproche ainsi à Monsieur [W] d'avoir, par son attitude, entravé le bon fonctionnement du cabinet d'expertise.

Afin d'établir les difficultés rencontrées avec M. [W], il verse aux débats une attestation de l'une des assistantes du cabinet, Mme [A] [Z], ainsi que plusieurs échanges de mail.

===

- Concernant le refus de travail et le comportement inapproprié vis-à-vis d'une assistante

L'employeur verse aux débats un échange de mails intervenu en janvier 2018 avec Mme [A] [Z] intitulé «vous passez au bureau ' j'ai deux nouveaux dossiers à voir avec vous » dans lequel ce dernier répond  « à la suite de notre échange à l'instant, je vous remercie de faire le point dans un premier temps avec [V] ou [U] », puis sur interrogation de [V] [O] suite à cette réponse, il répond à ce dernier « à la suite de notre échange à l'instant, je te confirme que je reste dans l'attente d'une proposition concrète de votre part, comme nous en avions à nouveau convenu mercredi dernier ». (pièce n°7)

Ces échanges interviennent alors que M. [W] avait fait état de ses revendications salariales.

Toutefois ce simple échange de mails, s'il établit en effet l'existence d'un désaccord important entre M. [W] et ses employeurs, ne permet pas pour autant de rapporter la preuve de ce qu'il aurait refusé les missions et entravé le bon fonctionnement de l'entreprise de ce fait.

De même, si Mme [A] [Z] mentionne dans son attestation (pièce 46 de l'employeur) : (') « J'ai ressenti un changement d'attitude début 2018, engendrant une ambiance tendue et des échanges limités notamment avec les assistantes concernant la gestion des dossiers. Celle-ci en a été compliquée. Il a parfois été difficile de savoir ce que nous devions faire alors même que le dossier devait être traité rapidement », cette constatation d'ordre général et peu circonstanciée ne permet pas d'établir l'incidence réelle du comportement reproché à M. [W] sur la bonne organisation de la structure.

- Concernant le non-respect des instructions et des règles de fonctionnement de l'entreprise

L'employeur verse aux débats les mails échangés en février 2017 dans le cadre du dossier BRETAGNE ETUDES SERVICES/BES (cf pièce 6)  ainsi qu'un mail du 20 février 2017 (pièce 6-1) dans lequel M. [W] émet des objections « en gras » aux règles de fonctionnement rappelées par l'un de co-gérants concernant un rendez-vous fixé unilatéralement avec la représentante de la compagnie AXA [Localité 4]. Ce mail lui reproche de ne pas respecter les règles du cabinet, ce que M. [W] conteste notamment en ce qui concerne le rendez-vous ainsi fixé, en indiquant avoir fait part de la demande de la cliente aux associés. Il lui est également demandé d'annuler le rendez-vous pris de manière unilatérale sans accord et validation des associés.

Il produit également un échange de mail relatif au dossier ENEDIS/ GIP BLAVET SCORFF (pièce 31) où il indique à M. [O], alors qu'ils s'opposent sur la procédure relative aux convocations aux réunions d'expertise, « indépendamment du fait que ce n'est sans doute pas à moi de justifier que j'ai raison mais plutôt à toi de justifier pourquoi tu penses que j'ai tort ».

Dans le cadre du dossier [R] (pièces 13 et suivantes), il est versé aux débats un échange de plusieurs mails quant à l'envoi de deux courriers rédigés par M. [W] alors que M. [O] sollicite des compléments d'information et des rectifications. M. [W] insistait pour faire partir ses courriers en l'état, répondant ainsi malgré les précédents échanges « je souhaite que mes deux courriers soient diffusés au plus tôt et si possible tels quels », « si tu tiens absolument à les modifier, je te remercie de bien vouloir directement proposer tes corrections dans le corps de ces deux courriers » alors que M. [O] lui indiquait « tu devrais comprendre que ce n'est pas ce que je veux et ce que veut un gestionnaire de Cie !!! »

Ces mails traduisent l'existence de désaccords fréquents entre M. [W] et ses employeurs quant à leurs pratiques professionnelles ou la posture à adopter, et le fait qu'il cherchait à imposer son point de vue en dépit parfois des directives de ces derniers.

Toutefois, alors même que le licenciement est prononcé pour un motif non disciplinaire, il n'est pas justifié de ce que l'attitude de M. [W] ait été à l'origine d'un trouble objectif au bon fonctionnement du cabinet d'expertise, dès lors qu'aucune pièce ne permet de démontrer que la bonne exécution des missions du cabinet d'expertise ait été perturbée ou entravée par le comportement ou les agissements de M. [W].

- Concernant les difficultés relationnelles et le positionnement de M. [W]

Alléguant enfin l'existence de difficultés rencontrées par M. [W] dans sa pratique professionnelle à l'égard d'autres interlocuteurs et à l'extérieur du cabinet d'expertise, l'employeur verse aux débats d'autres échanges de mail intervenus dans le cadre de deux dossiers (dossier ENEDIS/ BLAVET SCORFF : pièces 33-1 et 33-2 et dossier CELLOPLAST/COSQUER : pièce 48) laissant apparaître des divergences de vue ou des contradictions

Il sera toutefois observé que ces échanges avec d'autres confrères, qui présentent un caractère avant tout technique, ne permettent aucunement de caractériser en quoi l'attitude professionnelle de M. [W] était réellement inadaptée et préjudiciable pour le cabinet BG.

La société Cabinet BG produit également une attestation transmise par mail le 9 octobre 2019 de la part de M. [X] [J], expert industrie, qui indique être intervenu avec M. [W] sur deux dossiers, et avoir rencontré des difficultés dans ce cadre,(pièce 47 transmise par le cabinet BG), ainsi qu'une autre attestation/mail du 9 septembre 2019 de M. [G] [D], Directeur Régional Eurexo Ouest Atlantique qui indique également avoir rencontré des difficultés avec M. [W] à l'occasion de certains dossiers, évoquant une « attitude particulièrement agressive » de celui-ci, vis-à-vis des confrères ou des assurés, inadaptée à la résolution des litiges, l'utilisation un ton désobligeant voire « péremptoire », mentionnant ainsi « je vous confirme donc que Mr [W] n'était pas un modèle pour notre profession déjà sujette à la critique » (pièce 53 transmise par le cabinet BG).

Sur ce point, alors même que comme rappelé précédemment, l'employeur n'a pas souhaité licencier M. [W] pour un motif disciplinaire, le comportement qui lui est ainsi reproché a posteriori par des tiers, au sein d'attestations rédigées en termes généraux et non étayées par de quelconques éléments objectifs et matériellement vérifiables, ne suffit pas davantage à caractériser le trouble allégué au bon fonctionnement de l'entreprise, et ce d'autant plus que M. [W], pour sa part, verse aux débats d'autres échanges de mail montrant la bonne réalisation de ses missions.

Enfin, il sera relevé que le grief également évoqué au sein du courrier de licenciement rappelant les exigences salariales de M. [W] et la contestation de ce dernier sur les dossiers qui lui étaient confiés (mise au placard), ne peut aucunement constituer un motif valable de licenciement.

En définitive, le licenciement prononcé le 15 juin 2018 à l'égard de M. [W] est donc injustifié.

Il résulte en outre de ce qui précède que ce licenciement est intervenu alors que Monsieur [W] avait dénoncé depuis quelques mois, dans plusieurs mails et courriers, les conditions de son emploi (et surtout de sa rémunération) ainsi que le mode de management des deux associés à son égard.

Il résulte ainsi de ces éléments que le motif réel du licenciement de M. [W] est la dénonciation écrite par celui-ci d'une situation de harcèlement moral.

Faute pour la société intimée d'établir la mauvaise foi du salarié, laquelle ne peut résulter du seul fait que le harcèlement moral ne soit pas retenu, le licenciement intervenu, en ce qu'il trouve sa source dans cette même dénonciation, encourt donc la nullité.

En conséquence de ces éléments, le jugement entrepris sera donc infirmé.

Sur le désaccord relatif au paiement de la part variable de 2017 et l'exécution défectueuse des obligations contractuelles en matière de salaire

Pour infirmation à ce titre, M. [W] reproche d'abord à la société cabinet BG d'avoir refusé de facturer au titre de son CA 2017 la note d'expertise finalisée le 31/12/2017.

Il sollicite ainsi le paiement de la somme de 7 638 euros bruts au titre de la part variable sur le chiffre d'affaire 2017.

La société Cabinet BG réplique que la note d'expertise dont M. [W] sollicite la prise en charge ayant été transmise le 31 décembre elle ne pouvait donc faire l'objet d'une facturation au titre de l'année 2017 ; qu'elle a toutefois bien été facturée au titre de 2018, participant ainsi à l'établissement de la part variable de M. [W] en 2018.

Selon l'article 4 du contrat de travail ayant été régularisé relatif à la rémunération « les parties conviennent également du versement d'une prime variable, calculée à partir du chiffre d'affaire annuel Hors Taxe dégagé au titre des missions réalisées par Monsieur [T] [W], hors frais exceptionnels de sapiteur et de déplacement.

La prime variable correspond ainsi à 25% de ce chiffre, ce dernier s'entendant du chiffre d'affaire ci avant défini et encaissé.

Le paiement de la prime variable interviendra au premier trimestre qui suit la clôture annuelle des comptes.

Pour l'application de cette prime variable, il est expressément prévu qu'elle est conditionnée à l'atteinte d'un seuil, fixé pour l'année 2014 et 2015 à 160 000 euros HT »

Il n'est pas contesté que la note d'expertise dont M. [W] sollicite la comptabilisation au titre du CA 2017 a été transmise dans l'après-midi du dimanche 31 décembre 2017 (pièce 44 cabinet BG : échange de mails relatifs au dossier AEB/EARL LES FERMES).

C'est ainsi que dans un courrier du 25 avril 2018, l'employeur explique à M. [W] que la part variable se calcule à partir du chiffre d'affaire facturé au 31 décembre, pouvant être toutefois encaissé postérieurement (jusqu'au 31 mars de l'année suivante correspondant à la date contractuelle de versement de la part variable).

Il était par ailleurs rappelé :

« plus particulièrement concernant le montant de ta part variable pour l'année 2017 (') tu nous as transmis le dimanche 31 décembre 2017 à 15H07 un projet de note d'expertise d'une soixantaine de pages et un décompte de note d'honoraire à adresser au client pour plus de 21 840 euros, hors frais, s'échelonnant du 24 mars 2016 au 30 décembre 2017, étant précisé

- Qu'aucune information n'a été adressée au client

- Que ce projet de note résulte de ta propre initiative, sans aucune demande spécifique de la part du client.

Compte tenu du jour et de la date de ton envoi il était inconcevable et matériellement impossible de mettre en forme ta note d'expertise et d'établir la facture avant le 31 décembre » (pièce 15 cabinet BG)

La société produit la facture finalement datée du 23 juillet 2018 et adressée à AXA pour un montant total TTC de 31 233,10 euros (pièce 51)

Force est de constater, au vu de ces éléments, qu'en application de la clause contractuelle mentionnée au contrat de travail, M. [W] ne peut pas reprocher à la société BG Conseil de ne pas avoir comptabilisé la note d'expertise adressée le 31 décembre 2017 sur l'année 2017, en l'absence de toute facturation de celle-ci et donc de tout encaissement du CA afférent.

Le jugement entrepris sera donc confirmé sur ce point.

Monsieur [W] reproche également au cabinet BG expertise de ne pas avoir respecté l' « économie du contrat » , à savoir que sa rémunération annuelle pouvait « doubler » en considération du chiffre d'affaire réalisé sur l'année de référence.

Toutefois, force est de constater que, comme le rappelle la société intimée, le contrat de travail ne prévoit aucun engagement de ce type, en ce qui concerne le montant du chiffre d'affaire, ni aucune clause d'objectifs.

En outre, les éléments chiffrés versés aux débats par l'appelant montrent que le chiffre d'affaires de M. [W], même s'il demeure inférieur à celui réalisé par les deux co-associés, a toutefois augmenté entre 2015 et 2017 (pièce 8 transmise par M. [W] : mail du 31 janvier 2018), et il ne justifie pas de ce que l'employeur serait responsable et redevable d'un « manque à gagner » sur la rémunération qu'il estime lui être due.

Il ne justifie pas davantage, en dehors des mails qu'il adresse lui-même à ses employeurs, de ce que ces derniers, faute de lui confier des missions, ne lui permettaient pas d'atteindre les objectifs escomptés, étant rappelé que l'attestation de Mme [H] [K] telle que rappelée ci-dessus ne permet pas d'établir un tel grief, cette dernière relatant davantage la procédure de rupture conventionnelle ayant été engagée à son égard en mars 2017.

En considération de ces éléments, le jugement entrepris, en ce qu'il a rejeté la demande de dommages et intérêts pour exécution déloyale des obligations contractuelles, et « attitude vexatoire et négligente de l'employeur », sera donc confirmé.

Sur les conséquences financières (dommages et intérêts pour licenciement nul) :

En application des dispositions de l'article L1235-3-1 du code du travail dans sa rédaction issue de l'ordonnance du 22 septembre 2017, le salarié victime d'un licenciement nul et qui ne réclame pas sa réintégration a droit, quelle que soit son ancienneté dans l'entreprise, d'une part, aux indemnités de rupture, d'autre part, à une indemnité réparant l'intégralité du préjudice résultant du caractère illicite du licenciement et au moins égale à six mois de salaire.

En cas d'arrêts de travail pour arrêt maladie durant la période précédant la rupture, il convient de prendre en compte les salaires des derniers mois précédents ces arrêts.

En l'espèce, au regard de l'ancienneté de M. [W] (4 ans et 5 mois), du fait que la société Cabinet BG emploie moins de 11 salariés, et du montant de ses salaires de référence (4 495, 09 euros, en prenant en compte les 12 derniers mois exempts d'arrêts de travail pour maladie, incluant la prime 2017) , ainsi que de sa situation personnelle et professionnelle depuis la rupture (il verse aux débats une attestation Pole Emploi mentionnant la perception de l'ARE depuis décembre 2018), Il y a lieu en conséquence de lui accorder la somme de 30 000 € au titre de dommages-intérêts pour licenciement nul.

Sur l'obligation de sécurité de l'employeur

Il sera relevé que si Monsieur [W] estime que le cabinet BG a également manqué à son obligation de sécurité en ne réagissant pas aux alertes relatives à son mal-être en lien avec la dégradation de la relation de travail, et en laissant ainsi son état de santé se dégrader, il n'en tire aucune conséquence dès lors qu'aucune demande d'indemnisation n'est formée à ce titre dans le dispositif des conclusions, dont la Cour est seule tenue.

Sur la remise des documents sociaux rectifiés

La demande de remise de documents sociaux rectifiés conformes à la présente décision est sans objet en l'espèce.

Sur l'anatocisme

En application de l'article 1343-2 du code civil, la capitalisation des intérêts est de droit dès lors qu'elle est régulièrement demandée ; il sera donc fait droit à cette demande du salarié.

Sur les dépens et les frais irrépétibles

Les éléments de la cause et la situation économique respective des parties justifient qu'il soit fait application de l'article 700 du code de procédure civile dans la mesure énoncée au dispositif

La société intimée, qui succombe partiellement en appel, doit être déboutée de la demande formulée à ce titre et condamnée à indemniser l'appelant des frais irrépétibles qu'il a pu exposer pour assurer sa défense

PAR CES MOTIFS

LA COUR,

Statuant par arrêt contradictoire mis à la disposition des parties au greffe,

CONFIRME le jugement entrepris en ce qu'il a débouté Monsieur [T] [W] de ses demandes au titre du harcèlement moral, ainsi que de sa demande en paiement au titre de la prime variable sur l'année 2017 et de sa demande de dommages et intérêts pour exécution déloyale.

INFIRME le jugement entrepris en ses autres chefs contestés, en ce compris la condamnation de M. [T] [W] au paiement de la somme de 1750 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Statuant à nouveau,

DIT que le licenciement de M. [T] [W] est nul.

CONDAMNE la SARL Cabinet BG à verser à M. [T] [W] la somme de 30 000 euros net à titre de dommages-intérêts pour licenciement nul.

RAPPELLE qu'en application de l'article 1231-7 du code civil cette somme qui présente un caractère indemnitaire portera intérêts au taux légal à compter de la décision qui la prononce.

ORDONNE la capitalisation des intérêts.

DEBOUTE la SARL Cabinet BG de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

DÉBOUTE M. [T] [W] de ses autres demandes ;

Et y ajoutant,

CONDAMNE la SARL Cabinet BG à verser à M. [T] [W] la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel

CONDAMNE M. [T] [W] aux entiers dépens.

LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT.


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Rennes
Formation : 8ème ch prud'homale
Numéro d'arrêt : 21/02769
Date de la décision : 19/06/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 26/06/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-06-19;21.02769 ?
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