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19/06/2024 | FRANCE | N°21/02765

France | France, Cour d'appel de Rennes, 8ème ch prud'homale, 19 juin 2024, 21/02765


8ème Ch Prud'homale





ARRÊT N°321



N° RG 21/02765 -

N° Portalis DBVL-V-B7F-RTHE













Mme [L] [R]



C/



Association MOISSONS NOUVELLES

















Infirmation partielle













Copie exécutoire délivrée

le :



à :

-Me Nicolas BEZIAU

-Me Matthieu BABIN





RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAI

S



COUR D'APPEL DE RENNES

ARRÊT DU 19 JUIN 2024





COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :



Madame Nadège BOSSARD, Présidente,

Madame Anne-Cécile MERIC, Conseillère,

Mme Anne-Laure DELACOUR, Conseillère,



GREFFIER :



Monsieur Philippe RENAULT, lors des débats et lors du prononcé


...

8ème Ch Prud'homale

ARRÊT N°321

N° RG 21/02765 -

N° Portalis DBVL-V-B7F-RTHE

Mme [L] [R]

C/

Association MOISSONS NOUVELLES

Infirmation partielle

Copie exécutoire délivrée

le :

à :

-Me Nicolas BEZIAU

-Me Matthieu BABIN

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE RENNES

ARRÊT DU 19 JUIN 2024

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :

Madame Nadège BOSSARD, Présidente,

Madame Anne-Cécile MERIC, Conseillère,

Mme Anne-Laure DELACOUR, Conseillère,

GREFFIER :

Monsieur Philippe RENAULT, lors des débats et lors du prononcé

DÉBATS :

A l'audience publique du 11 Avril 2024

En présence de Madame [S] [E], médiatrice judiciaire,

ARRÊT :

Contradictoire, prononcé publiquement le 19 Juin 2024 par mise à disposition au greffe comme indiqué à l'issue des débats

****

APPELANTE et intimée à titre incident :

Madame [L] [R]

née le 28 Janvier 1966 à [Localité 4] (61)

demeurant [Adresse 6]

[Localité 3]

Représentée par Me Nicolas BEZIAU de la SCP IPSO FACTO AVOCATS, Avocat au Barreau de NANTES

INTIMÉE et appelante à titre incident :

L'Association MOISSONS NOUVELLES prise en la personne de son Président en exercice et ayant son siège :

[Adresse 1]

[Localité 2]

Ayant Me Matthieu BABIN de la SELARL CAPSTAN OUEST, Avocat au Barreau de NANTES, pour postulant et représentée à l'audience par Me Julien GOUWY, Avocat plaidant du Barreau de NANTES

Madame [L] [R], a été engagée par l'association MOISSONS NOUVELLES en contrat à durée indéterminée à temps plein le 2 juillet 2001.

Elle occupait en dernier lieu les fonctions d'éducatrice technique, au coefficient 556, échelon 10.

La convention collective applicable est celle des établissements et services pour personnes inadaptées et handicapées du 15 mars 1966.

Au cours de l'année 2009, l'association a changé de statut, passant d'un statut d'lME (institut médico-éducatif) à un statut d'ITEP (institut thérapeutique éducatif et pédagogique), ce qui a entraîné une modification de la population accueillie avec des troubles psychiatriques plus conséquents.

Le 7 juin 2016, deux jeunes de l'institut tentaient de s'en prendre physiquement aux éducateurs en proférant des menaces, l'un d'eux s'emparant d'une poignée de graviers lancés en direction des éducateurs, que Mme [R] a reçus en plein visage. Choquée, elle s'écroulait en pleurs et quittait son poste. Elle a été placée en arrêt de travail le même jour par son médecin traitant, lequel a été prolongé par la suite.

Le 5 octobre 2017, lors de sa visite de reprise, Mme [R] a été déclarée inapte à tous les postes dans l'entreprise, le médecin du travail précisant que tout maintien dans l'emploi serait gravement préjudiciable à sa santé.

Le 21 novembre 2017, Mme [R] a été convoquée à un entretien préalable à licenciement, fixé au 4 décembre 2017, auquel elle ne s'est pas rendue.

Le 28 novembre 2017, Mme [R] a expliqué à l'association que son inaptitude était, selon elle, d'origine professionnelle car liée à l'agression du 7 juin 2016.

Le 30 novembre 2017, Madame [R] sollicite l'association MOISSONS NOUVELLES aux fins de déclaration d'accident de travail concernant les faits du 7 juin 2016 . L'association a procédé à cette déclaration d'accident du travail avec réserves.

Le 14 décembre 2017, Madame [R] est licenciée pour inaptitude non professionnelle avec impossibilité de reclassement.

Par un courrier du 9 avril 2018, la CPAM a informé Madame [R] de ce que l'accident du 7 juin 2016 avait été reconnu comme présentant un caractère professionnel.

Suite à la reconnaissance de l'accident du travail, l'association a réclamé la somme de 8.717,75 € à Madame [R], car la caisse complémentaire de prévoyance lui aurait versé à tort son complément de salaire.

Le 20 mars 2019, Mme [R] a saisi le Conseil de prud'hommes de Nantes aux fins de :

' Dire et juger que :

- Mme [R] avait été exposée à des agissements de harcèlement moral, et à tout

le moins que l'employeur avait manqué à ses obligations d'exécution loyale du contrat de travail,

- le licenciement était nul,

' Condamner l'association MOISSONS NOUVELLES à payer les sommes suivantes :

- 15.000 € de dommages et intérêts pour harcèlement moral et à tout le moins pour exécution déloyale du contrat de travail,

- 40.000 € de dommages et intérêts pour licenciement nul,

- 7.483,25 € de solde d'indemnité spéciale de licenciement,

- 4.778,72 € bruts d'indemnité équivalente au préavis,

- 477,87 € bruts de congés payés afférents,

- 2.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

' Condamner aux dépens,

' Intérêts au taux légal, outre l'anatocisme,

' Remise des documents sociaux sous astreinte de 75 € par jour suivant la notification de la décision à intervenir, le conseil se réservant le pouvoir de liquider l'astreinte,

' Exécution provisoire, nonobstant appel et sans caution,

' Fixer le salaire de référence à la somme de 2.389,36 € bruts.

La cour est saisie de l'appel régulièrement interjeté par Mme [R] le 5 mai 2021 contre le jugement du 15 avril 2021, par lequel le Conseil de prud'hommes de Nantes a :

' Dit que :

- le licenciement pour inaptitude non professionnelle de Mme [R] n'était pas lié à des faits de harcèlement moral commis par l'association MOISSONS NOUVELLES

- les demandes de Mme [R] au titre de la rupture de son contrat de travail étaient irrecevables comme étant prescrites depuis le 14 décembre 2018,

- la demande reconventionnelle présentée par l'association MOISSONS NOUVELLES au titre d'un remboursement de trop perçu d'indemnités journalières était irrecevable,

' Débouté Mme [R] du surplus de ses demandes,

' Débouté l'association MOISSONS NOUVELLES de sa demande reconventionnelle formée au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

' Laissé les dépens éventuels à la charge l'association MOISSONS NOUVELLES.

Vu les écritures notifiées par voie électronique le 6 septembre 2023 suivant lesquelles Mme [R] demande à la cour de :

' Confirmer le jugement de première instance en ce qu'il a dit et jugé irrecevable la demande reconventionnelle de remboursement de la somme de 8.717,75 € réclamée au titre d'un trop perçu d'indemnités de prévoyance,

En cas de réformation sur ce chef de demande,

' Débouter l'association MOISSONS NOUVELLES de ses demandes en ce qu'elles sont prescrites,

A défaut de relever la prescription,

' Débouter l'association de toute demande excessive,

' Assortir la condamnation dont souffrirait Mme [R] d'un délai de grâce de deux ans au visa de l'article 1343-5 du code civil, les intérêts ne trouvant pas à s'appliquer sur ledit délai,

' Réformer le jugement de première instance en ce qu'il a :

- dit que le licenciement pour inaptitude non professionnelle de Mme [R] n'est pas lié à des faits de harcèlement moral commis par l'association MOISSONS NOUVELLES,

- dit que les demandes de Mme [R] au titre de la rupture de son contrat de travail sont irrecevables comme étant prescrites depuis la date 14 décembre 2018,

- débouté Mme [R] du surplus de ses demandes,

Statuant à nouveau,

' Dire et juger que :

- les demandes de Mme [R] recevables et bien fondées,

- Mme [R] avait été exposée à des agissements de harcèlement moral, et à tout le moins que l'employeur avait manqué à ses obligations d'exécution loyale du contrat de travail,

- le licenciement était nul,

' Débouter l'association MOISSONS NOUVELLES de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,

' Condamner l'association MOISSONS NOUVELLES à payer les sommes suivantes :

- 15.000 € de dommages et intérêts pour harcèlement moral et à tout le moins pour exécution déloyale du contrat de travail,

- 40.000 € de dommages et intérêts pour licenciement nul,

- 7.483,25 € de solde d'indemnité spéciale de licenciement,

- 4.778,72 € bruts d'indemnité équivalente au préavis,

- 477,87 € bruts de congés payés afférents,

- 4.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile (toutes instances

confondues), outre les dépens,

' Assortir lesdites sommes de l'intérêt légal outre le bénéfice de l'anatocisme (art. 1231-7 et 1343-2 du code civil dans leur rédaction issue de l'ordonnance du 10 février 2016),

' Ordonner la remise de documents sociaux sous astreinte de 75 € par jour suivant la notification de la décision à intervenir,

' Fixer le salaire de référence à la somme de 2.389,36 € bruts,

' Débouter l'association MOISSONS NOUVELLES de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Vu les écritures notifiées par voie électronique le 27 mars 2024, suivant lesquelles l'association MOISSONS NOUVELLES demande à la cour de :

' Confirmer le jugement rendu par le Conseil de prud'hommes de Nantes le 15 avril 2021 en ce qu'il a :

' dit que :

- le licenciement pour inaptitude non professionnelle de Mme [R] n'était pas lié à des faits de harcèlement moral commis par l'association MOISSONS NOUVELLES,

- les demandes de Mme [R] au titre de la rupture de son contrat de travail étaient irrecevables comme étant prescrites depuis le 14 décembre 2018,

- débouté Mme [R] du surplus de ses demandes,

' Infirmer ledit jugement en ce qu'il a :

- dit que la demande reconventionnelle présentée par l'association MOISSONS NOUVELLES au titre d'un remboursement de trop perçu indemnités journalières était irrecevable,

- débouté l'association MOISSONS NOUVELLES de sa demande reconventionnelle formée au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Statuant à nouveau,

' Condamner Mme [R] au remboursement d'une somme de 7.690,22 € au titre du trop-perçu lié à la régularisation des indemnités de prévoyance,

' Condamner Mme [R] au paiement d'une somme de 5.000 € au titre de l'article

700 du code de procédure civile,

' Débouter Mme [R] des demandes de dommages et intérêts qu'elle formule au titre du harcèlement moral,

' Déclarer irrecevable car prescrite toute demande relative à la rupture et/ou à l'exécution du contrat de travail,

' Débouter Mme [R] de toute demande relative à l'obligation de sécurité,

' Débouter Mme [R] des demandes qu'elle formule au titre de l'origine professionnelle de son inaptitude,

A titre subsidiaire,

' Limiter le montant des dommages et intérêts alloués à Mme [R] aux seuls préjudices subis et démontrés,

' Formuler le montant ainsi alloué en 'brut' de CSG-CRDS,

' Limiter le montant alloué à Mme [R] au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

' Débouter Mme [R] de la demande qu'elle formule au titre de l'astreinte ou à tout le moins aménager cette astreinte dans de plus justes proportions de montant et de durée.

L'ordonnance de clôture a été prononcée le 4 avril 2024.

Par application de l'article 455 du code de procédure civile, la cour se réfère, pour un plus ample exposé des prétentions et des moyens des parties aux conclusions sus-visées.

MOTIFS DE LA DÉCISION

- Sur la demande portant sur la reconnaissance d'un harcèlement moral

Aux termes de l'article L. 1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir des agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

L'article L. 1152-3 du code du travail prévoit que toute rupture du contrat de travail intervenue en méconnaissance des dispositions des articles L.1152-1 et L.1152-2, toute disposition ou tout acte contraire est nul.

Selon l'article L. 1154-1 du code du travail, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2018-1088 du 8 août 2016, le salarié établit des faits qui permettent de présumer l'existence d'un harcèlement. Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

En application de l'article L. 1154-1 du même code, dans sa rédaction postérieure à la loi précitée, lorsque le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'un harcèlement moral, il incombe à l'employeur de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs, étrangers à tout harcèlement.

Il résulte de ces dispositions que, pour se prononcer sur l'existence d'un harcèlement moral, il appartient au juge d'examiner l'ensemble des éléments invoqués par le salarié, en prenant en compte les documents médicaux éventuellement produits et d'apprécier si les faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, permettent de présumer ou laissent supposer l'existence d'un harcèlement moral au sens de l'article L. 1152-1 du code du travail.

Dans l'affirmative, il revient au juge d'apprécier si l'employeur prouve que les agissements invoqués ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Pour infirmation à ce titre, Mme [R] soutient avoir été victime d'actes de harcèlement moral ayant conduit à une dégradation de ses conditions de travail et une altération importante de sa santé physique et mentale se caractérisant notamment par le silence de son employeur face aux alertes des salariés quant aux incidents répétés en lien avec les agressions du public accueilli. Elle reproche ainsi à l'association MOISSONS NOUVELLES un manquement à son obligation de sécurité faute d'avoir réagi face à une situation de danger, en se référant notamment à une enquête de l'inspection du travail ayant conclu que toutes les violences commises par les jeunes n'étaient pas systématiquement relevées et qu'il y avait eu une hausse des agressions physiques.

Mme [R] produit :

- plusieurs attestations émanant de divers salariés au sein de l'ITEP faisant état de situations de violence en augmentation à l'origine d'un absentéisme croissant des employés et de démissions de certains d'entre eux (attestation de M. [V] [B], pièce 27) ainsi que du manque de réaction de la direction malgré les alertes et interpellations des salariés afin qu'elle se positionne pour obtenir des conditions d'accueil des jeunes et des salariés plus sécurisantes, notamment lors de diverses réunions ou via les « fiches incidents » (non traitées) ainsi que par l'intermédiaire des institutions représentatives du personnel (attestation de M. [N] [Y] pièce 24).

Il est également mentionné un « climat d'insécurité et de mise en danger pour chacun sans que cela ne soit vraiment pris au sérieux » (attestation de M. [G], pièce 26), ou le fait que la direction ne réagisse pas ou banalise les divers incidents relatés malgré les alertes et arrêts de travail à répétition (attestation de M. [M] [D] pièce 29) .

M. [J] [A], éducateur technique et secrétaire du CHSCT, ayant travaillé pendant 9 ans dans le service de Mme [R], témoigne de ce que celle-ci a été confrontée à plusieurs reprises à des situations conflictuelles et violentes de nature à « générer des dommages psychologiques et physiques » et ce sans qu'un accompagnement ne soit mis en place par la Direction de l'ITEP, rendant difficile la continuité du travail dans de telles conditions (pièce 28).

Il en est de même de M. [D] (ayant démissionné en septembre 2016) qui atteste de ce que Mme [R] a cherché à plusieurs reprises à alerter la direction sur les difficultés rencontrées et ses conditions de travail dégradées : « tous ces faits ont été signalés aux différentes directions de Moissons Nouvelles, aux délégués du personnel, notamment par Mme [R] , jour après jour au CHSCT, mais rien n'a changé. Des délégués du personnel ont alerté à cet effet l'inspection du travail qui a diligenté une enquête sur la souffrance mentale des professionnels et la maltraitance, courant 2017 » (pièce 29)

- un courrier du 3 juin 2015 adressé à Mme [F] [C] (directrice) et M. [J] [P] (directeur adjoint) dans lequel plusieurs salariés font état des difficultés de prise en charge avec les jeunes accueillis au sein de l'ITEP et la demande de solutions et de réponse éducatives plus cohérentes pour assurer la sécurité des jeunes et des salariés. (pièce 25)

- l'enquête de l'inspection du travail (pièce 31) dénommée enquête «santé mentale» réalisée en novembre et décembre 2017 notamment sur le site de [5] (où travaillait Mme [R]) dont il résulte en effet l'existence d'un climat de travail insécurisant («l'insécurité professionnelle est fortement ressentie », P8).

Cette enquête fait le constat de conditions de travail qui se sont dégradées entre 2015 et 2017, avec des arrêts de travail en augmentation, et ce en raison de plusieurs facteurs dont un climat de violence accrue. Elle met également en évidence le sentiment des salariés (éducateurs notamment) d'un manque de soutien et d'une absence de réponse apportée par la hiérarchie, insuffisamment présente, ce qui donne lieu à une perte de confiance et de mauvaises relations de travail, plusieurs professionnels ayant évoqué un état d'épuisement moral et physique. Il est notamment noté un ressenti d'incompréhension de la part de plusieurs salariés du fait de l'absence de suite donnée aux fiches incidents (P10 et 11 du rapport) voire le fait que l'attitude et le manque d'écoute de la direction soit à l'origine d'une escalade de la violence. (P11 du rapport).

Mme [R] produit également, outre les arrêts de travail établis à compter du 7 juin 2016, le courrier du Dr [I] [Z], médecin du travail, en date du 23 août 2016 (suite à la visite de reprise) sollicitant une orientation vers un médecin psychiatre en raison d'un état avéré d'épuisement professionnel (pièce 6), confirmé par le compte-rendu réalisé le 4 juillet 2017 par le Dr [O] [K] exerçant au sein de la consultation de pathologie professionnelle et environnementale du CHU de [Localité 7], faisant état de l'impossibilité pour Mme [R] de reprendre son emploi au sein de l'entreprise (pièce 8), ainsi enfin que l'attestation de son médecin traitant du 25 octobre 2019 mentionnant un « arrêt de travail pour syndrome anxio-dépressif sévère depuis le 07/06/2016 », nécessitant des soins réguliers et empêchant toute projection professionnelle (pièce 30).

Pour autant, ces éléments, même s'ils établissent un climat de travail insécurisant et anxiogène, dans un contexte généralisé de tensions importantes et de violence en lien avec certains manquements de l'employeur à qui il est reproché de ne pas avoir pris les mesures nécessaires afin d'y remédier, ne permettent toutefois pas d'objectiver des faits précis concernant directement et personnellement Mme [R] qui laisseraient supposer ou présumer l'existence d'un harcèlement moral.

La demande tendant à l'obtention de dommages et intérêts ainsi que celle tendant à voir juger le licenciement pour inaptitude nul pour avoir été causé par une situation de harcèlement moral sont en conséquence rejetées et le jugement déféré sera donc confirmé sur ce point.

Sur les autres demandes au titre de l'exécution du contrat de travail

L'article L 1222-1 du Code du travail commande que le contrat de travail doit être exécuté de bonne foi. Il en résulte une obligation de loyauté pesant tant sur le salarié que sur l'employeur pendant la durée de la relation contractuelle.

En ce qui concerne l'obligation de protection de la sécurité et de la santé du salarié également visée par Mme [R], il convient de rappeler que selon l'article L.4121-1 du code du travail, en sa rédaction applicable au litige :

'L'employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs.

Ces mesures comprennent :

1° Des actions de prévention des risques professionnels et de la pénibilité au travail ;

2° Des actions d'information et de formation ;

3° La mise en place d'une organisation et de moyens adaptés.

L'employeur veille à l'adaptation de ces mesures pour tenir compte du changement des circonstances et tendre à l'amélioration des situations existantes.'

L'obligation de prévention des risques professionnels, telle qu'elle résulte des articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail est distincte de la prohibition des agissements de harcèlement moral instituée par l'article L. 1152-1 du code du travail et ne se confond pas avec elle. Les obligations étant distinctes, la méconnaissance de chacune d'elles, lorsqu'elle entraîne des préjudices distincts, peut ouvrir droit à des réparations spécifiques.

En outre, des manquements de l'employeur à ses obligations d'exécution de bonne foi du contrat de travail et de sécurité peuvent être caractérisés en l'absence d'éléments constitutifs d'un harcèlement moral.

En l'espèce, force est de constater que si les faits dénoncés tels que rappelés ci-dessus sont susceptibles d'engager la responsabilité de l'employeur faute pour celui-ci d'avoir respecté son obligation de sécurité en ne prévenant pas suffisamment les risques relatifs à la multiplication des actes violents dans le cadre de l'activité professionnelle des salariés de l'ITEP [5] (inaction à remédier à la situation), Mme [R] ne formule pas de demande précise à ce titre, si ce n'est de dire que l'employeur a « manqué à ses obligations d'exécution loyale du contrat de travail » .

En outre, l'association MOISSONS NOUVELLES soulève, en application de l'article L 1471-1 du code du travail, la prescription des autres demandes ainsi formées par Mme [R] liées à l'exécution du contrat de travail, à savoir le manquement de l'employeur à son obligation de sécurité ou à l'exécution de bonne foi du contrat de travail .

Selon elle, dès lors que Mme [R], dont le dernier jour de travail est le 7 juin 2016, a saisi le conseil des prud'hommes par requête déposée le 20 mars 2019, la demande formée à ce titre apparaît donc prescrite.

A ce titre, en application de l'article L1471-1 al 1 du code du travail, dans sa rédaction issue de l'ordonnance du 22 septembre 2017, toute action portant sur l'exécution du contrat de travail se prescrit par deux ans à compter du jour où celui qui l'exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d'exercer son droit. Cette prescription est notamment applicable aux actions en exécution déloyale du contrat de travail ou en réparation d'un préjudice lié à un manquement de l'employeur à ses obligations.

En l'espèce, dès lors que le dernier jour de travail de Mme [R] au sein de l'ITEP est le 7 juin 2016, la demande d'indemnisation formée pour « exécution déloyale du contrat de travail », effectuée selon la requête aux fins de saisine du conseil de prud'hommes datée et déposée le 20 mars 2019, soit plus de deux ans après, est en effet prescrite.

===

Sur les autres demandes au titre de la rupture du contrat de travail

Mme [R] entend contester en tout état de cause le licenciement prononcé à son encontre et sollicite diverses indemnités à ce titre dont une « indemnité compensatrice de préavis » et le « solde d'indemnité spéciale de licenciement en raison de l'origine professionnelle de l'inaptitude ».

Sur la prescription

L'association MOISSONS NOUVELLES soulève la prescription de l'action de Mme [R], cette dernière ayant été licenciée par courrier notifié le 14 décembre 2017 et ayant saisi le conseil de prud'hommes par requête en date du 20 mars 2019.

L'article L.1471-1 du code du travail, dans sa version applicable à la cause (issue de l'ordonnance n°2017-1387 du 22 septembre 2017), dispose que toute action portant sur l'exécution du contrat de travail se prescrit par deux ans à compter du jour où celui qui l'exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d'exercer son droit.

Toute action portant sur la rupture du contrat de travail se prescrit par douze mois à compter de la notification de la rupture.

Les deux premiers alinéas ne sont toutefois pas applicables aux actions en réparation d'un dommage corporel causé à l'occasion de l'exécution du contrat de travail, aux actions en paiement ou en répétition du salaire et aux actions exercées en application des articles L. 1132-1, L. 1152-1 et L. 1153-1. Elles ne font obstacle ni aux délais de prescription plus courts prévus par le présent code et notamment ceux prévus aux articles L. 1233-67, L. 1234-20, L. 1235-7, L. 1237-14 et L. 1237-19-8, ni à l'application du dernier alinéa de l'article L. 1134-5.

En l'espèce, en l'absence de toute reconnaissance d'une situation de harcèlement moral, le délai annal de prescription tel que prévu à l'article L1471-1 du code du travail précité est donc applicable, et court « à compter de la notification de la rupture », soit en l'espèce le 14 décembre 2017. La saisine du conseil des prud'hommes étant intervenue le 20 mars 2019, les demandes formées au titre de la contestation du licenciement seraient donc prescrites.

Afin d'écarter cette fin de non recevoir tirée de la prescription, Mme [R] entend toutefois d'abord voir appliquer les dispositions de l'article 2234 du code civil lequel dispose que la prescription ne court pas ou est suspendue contre celui qui est dans l'impossibilité d'agir par suite d'un empêchement résultant de la loi, de la convention ou de la force majeure. Elle considère à ce titre que les éléments médicaux transmis établissent une réelle dégradation de son état de santé et qu'elle n'était donc pas en possibilité d'agir et de contester son licenciement en saisissant la juridiction compétente.

A cet égard, il résulte en effet des pièces médicales transmises que Mme [R] a présenté un syndrome d'épuisement professionnel («burn-out ») s'accompagnant de troubles anxio-dépressifs, lesquels, selon l'attestation de son médecin traitant du 25 octobre 2019 « s'aggravent lorsqu'il existe un stress important notamment lorsqu'il existe une échéance administrative ou juridique » (pièce 30). Ce même médecin a ainsi attesté le 12 juillet 2023 que l'affection dont Mme [R] a souffert, qui a débuté le 16 juin 2016 pour se poursuivre jusqu'au 18 mars 2019, a « entravé suffisamment ses capacités intellectuelles et cognitives pour ne pas saisir le conseil des prud'hommes à temps ». (pièce 35).

Toutefois, il sera relevé qu'outre ces éléments médicaux, dont la dernière attestation sus-visée, Mme [R] verse également aux débats un courrier adressé à son employeur le 28 novembre 2017 sollicitant la régularisation de sa situation au titre de l'accident du travail (pièce 13), ainsi que son audition du 11 janvier 2018 par la CPAM dans le cadre de l'enquête relative à l'accident du travail (pièce 19) et enfin des échanges de mail intervenus entre Mme [R] et l'association MOISSONS NOUVELLES entre juin et septembre 2018 concernant les conséquences financières de la reconnaissance d'une situation d'accident du travail à l'origine de l'arrêt de travail et du licenciement intervenu pour inaptitude (pièce 23).

Ainsi, à l'examen de l'ensemble de ces éléments, Mme [R] n'établit pas une « impossibilité d'agir » de sa part en raison de son état de santé, pouvant s'apparenter à une situation de force majeure au sens des dispositions de l'article 2234 du code civil.

En ce qui concerne sa demande formée au titre du solde d'indemnité spéciale de licenciement en raison du caractère professionnel de l'inaptitude, Mme [R] entend voir appliquer les dispositions de l'article 2240 du code civil qui dispose que la reconnaissance par le débiteur du droit de celui contre lequel il prescrit interrompt le délai de prescription, en se prévalant d'un mail émis le 31 août 2018 (soit postérieurement au licenciement) par Mme [U] [T], responsable administrative et financière de l'association MOISSONS NOUVELLES, rédigé comme suit : « à réception du traitement de l'ensemble de ces données, nous pourrons procéder au traitement de votre demande, soit au calcul de votre indemnité de licenciement pour inaptitude dans le cadre d'un accident du travail ». (pièce 23)

Toutefois, même si ce mail n'émane pas de la direction de l'association MOISSONS NOUVELLES et du signataire de la lettre de licenciement (Mme [F] [C] en sa qualité de directrice du pôle Pays de la Loire), il sera relevé que les termes utilisées par la responsable administrative et financière (qui engage l'association) suffisent à caractériser la possibilité pour Mme [R] de voir reconnaître que l'inaptitude à l'origine de son licenciement est bien consécutive à un accident du travail.

En conséquence, la prescription ayant été interrompue par cet échange de mail, les demandes ainsi formées dans le cadre de la saisine du conseil des prud'hommes intervenue en date du 20 mars 2019, tendant à obtenir le solde d'indemnité spéciale de licenciement ainsi que l'indemnité équivalente au préavis (sollicitant ainsi une reconnaissance de l'origine professionnelle de l'inaptitude), ne sont donc pas prescrites.

- Sur l'inaptitude

Les règles protectrices applicables aux victimes d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle s'appliquent dès lors que l'inaptitude du salarié, quel que soit le moment où elle est constatée ou invoquée, a, au moins partiellement, pour origine cet accident ou cette maladie et que l'employeur avait connaissance de cette origine professionnelle au moment du licenciement.

Le droit du travail étant autonome par rapport au droit de la sécurité sociale, l'application de l'article L. 1226-10 du code du travail (relatif à l'inaptitude consécutive à un accident du travail ou à une maladie professionnelle) n'est pas subordonnée à la reconnaissance par la caisse primaire d'assurance maladie du lien de causalité entre l'accident du travail et l'inaptitude.

En l'espèce, Mme [R] reconnaît elle-même qu'elle n'a pas procédé à la déclaration d'accident du travail auprès de l'association MOISSONS NOUVELLE lors des faits du 7 juin 2016. Les premiers arrêts de travail établis par son médecin traitant à compter de cette date ne visaient donc pas les dispositions spécifiques en lien avec un accident du travail.

Ce n'est que par un courrier du 28 novembre 2017 (pièce n°13) que Mme [R] a sollicité son employeur afin de « régulariser sa situation », après prise de contact avec l'inspection du travail, soit postérieurement à la déclaration d'inaptitude du médecin du travail établie le 5 octobre 2017 (la déclarant inapte à son poste de travail et à tous les postes dans l'entreprise), laquelle a été établie dans le cadre de la visite de reprise pour maladie ou accident non professionnel (pièce n°9).

L'association MOISSONS NOUVELLES a donc procédé à cette déclaration le 30 novembre 2017, tout en émettant des réserves, comme elle l'indique à la CPAM dans son courrier du 20 décembre 2017 (pièce n°15).

Toutefois, même si le juge prud'homal n'est pas lié par la décision de la CPAM ayant reconnu par la suite le caractère professionnel de l'accident du 7 juin 2016 à l'origine de l'arrêt de travail de Mme [R] (courrier de la CPAM du 9 avril 2018, pièce 21), en l'espèce, les éléments médicaux transmis par Mme [R], dont l'arrêt de travail est immédiatement concomitant à l'incident ayant eu lieu le 7 juin 2016 pour se prolonger par la suite, suffisent en effet à considérer que l'inaptitude a, au moins partiellement, une origine professionnelle.

En outre, le licenciement ayant été notifié le 14 décembre 2017, soit postérieurement aux éléments rappelés ci-dessus portés à la connaissance de l'association MOISSONS NOUVELLES qui avait procédé à une déclaration d'accident du travail peu de temps avant, l'employeur avait donc bien connaissance de cette origine professionnelle à la date du licenciement.

L'employeur était donc tenu d'appliquer les dispositions spécifiques de l'inaptitude ayant pour origine un accident du travail telles que fixées par l'article L1226-4 du code du travail.

En vertu de l'article L1226-14 du code du travail, la rupture du contrat de travail dans les cas prévus au deuxième alinéa de l'article L. 1226-12 ouvre droit, pour le salarié, à une indemnité compensatrice d'un montant égal à celui de l'indemnité compensatrice de préavis prévue à l'article L. 1234-5 ;

Sans contestation sur le montant de l'indemnité équivalente à l'indemnité compensatrice de préavis, l'association MOISSONS NOUVELLES doit donc être condamnée à payer à Mme [R] la somme de 4 778, 72 euros à ce titre, correspondant à deux mois de salaire (2 389, 36 euros bruts X 2 mois).

Le jugement sera donc infirmé sur ce point.

Cette indemnité ne génère toutefois pas de droit aux congés payés, si bien que la demande ainsi formée par Mme [R] sera rejetée.

En outre, en vertu de l'article L1226-14 du code du travail, la rupture du contrat de travail dans les cas prévus au deuxième alinéa de l'article L. 1226-12 ouvre droit, pour le salarié, à une indemnité spéciale de licenciement qui, sauf dispositions conventionnelles plus favorables, est égale au double de l'indemnité prévue par l'article L. 1234-9.

Sans contestation sur le montant sollicité par Mme [R] à ce titre, l'association MOISSONS NOUVELLES doit ainsi être condamnée au paiement de la somme de 7 483,25 euros, correspondant au solde restant dû sur la somme déjà perçue.

Le jugement sera donc infirmé sur ce point

Sur l'appel incident formé par l'association MOISSONS NOUVELLES quant à la restitution de l'indu

L'association MOISSONS NOUVELLES sollicite le remboursement de la somme de 7 690 euros, correspondant, selon elle, aux sommes qu'elle a réglées à Mme [R] par subrogation au titre de son obligation de maintien de salaire intégral, entre le 1er décembre 2016 et le 27 novembre 2017, alors que cette dernière a finalement été prise en charge par la CPAM au titre d'un accident du travail, entraînant une augmentation du montant des IJ versées par cet organisme.

En vertu de l'article 1302 du code civil dans sa version applicable au litige, 'ce qui a été reçu sans être dû est sujet à restitution."

A titre liminaire, la cour considère que la demande reconventionnelle ainsi formée par l'association MOISSONS NOUVELLES devant le conseil de prud'hommes présentait bien un lien suffisant avec la demande initiale, en ce qu'elle est la conséquence de la demande visant à voir juger que l'inaptitude a pour origine un AT/MP.

Le jugement ayant déclaré cette demande irrecevable pour ce motif sera donc infirmé.

Mme [R] oppose l'absence de qualité à agir de l'association, dès lors que les sommes dont elle sollicite le paiement ont été versées par la caisse de prévoyance Chorum, dans les droits de laquelle elle ne justifie pas être subrogée.

Selon le décompte de l'organisme de prévoyance Chorum versé aux débats par l'intimée, la somme de 9 624,21 euros, correspondant au montant de la régularisation entre le 1er septembre 2016 et le 27 novembre 2017, a en effet été trop versée à Mme [R] (pièce n°33 de l'intimée).

Cet organisme en a bien demandé le remboursement auprès de l'association MOISSONS NOUVELLES par courrier du 29 novembre 2018, qui sollicitait alors le remboursement de la somme totale de 8 717,75 euros, suite à la requalification par la sécurité sociale des arrêts maladie en arrêt pour cause d'accident du travail débutant le 08 juin 2016 (pièce n°31 de l'intimée). Cette demande était d'ailleurs immédiatement suivie d'un courrier adressé par l'association MOISSONS NOUVELLES à Mme [R] sollicitant à son encontre le remboursement de cette même somme de 8 717,75 euros avec possibilité d'effectuer un paiement échelonné sur 8 mois.

L'association MOISSONS NOUVELLES, qui justifie d'un paiement total à hauteur de 9 029,81 euros en indiquant que cette somme inclut une régulation pour d'autres salariés (pièce n°35) , est donc subrogée dans les droits de la caisse de prévoyance, et elle a donc bien qualité à agir en remboursement des sommes qu'elle indique avoir été ainsi versées à tort à Mme [R].

Mme [R] soulève par ailleurs la prescription de l'action en paiement ainsi formée, s'agissant d'indemnités journalières indûment versées dont le paiement est soumis à une prescription de deux ans, de même que les indemnités versées au titre d'un contrat d'assurance.

Toutefois, l'action en répétition de l'indu, quelque soit la source du paiement indu, se prescrit selon le délai du droit commun applicable, à défaut de disposition spéciale , aux quasi-contrats, soit 5 ans, en application de l'article 2224 du code civil.(Cass Civ 2, 4 juillet 2013)

Le point de départ de l'action en répétition de l'indu est fixé au jour de la réception du paiement indu ou du jour de la connaissance réelle par le titulaire du droit des faits ou actes lui permettant de l'exercer.

En l'espèce, l'association MOISSONS NOUVELLES a eu connaissance du caractère indu des sommes perçues par Mme [R] selon le courrier précité lui ayant été adressé par l'organisme Chorum le 29 novembre 2018 (réceptionné le 5 décembre 2018), si bien que sa demande de remboursement engagée dans le cadre de la procédure prud'homale (par conclusions déposées pour l'audience du 22 octobre 2020) n'est pas prescrite.

Sur le montant des sommes sollicitées, il résulte du décompte également transmis (pièce n°34) que l'organisme de prévoyance Chorum était en droit de solliciter le remboursement de la somme de 9 624,21 euros au titre des indemnités journalières versées à Mme [R], sachant que sur cette somme, l'association MOISSONS NOUVELLES doit garder à sa charge la somme de 1 933,99 euros au titre de son obligation conventionnelle de maintien des salaires pour la période du 01/09/16 au 29/11/16 .

C'est donc à bon droit que l'association MOISSONS NOUVELLES sollicite le paiement de la somme de 7 690, 22 euros, au paiement de laquelle Mme [R] sera donc condamnée.

Sur le délai de grâce de deux ans sollicité par Mme [R]

L'article 510 du CPC prévoit la possibilité d'accorder un délai de grâce au débiteur.

En outre, en application de l'article 1345-5 al 1 du code civil, le juge peut, compte tenu de la situation du débiteur et en considération des besoins du créancier, reporter ou échelonner, dans la limite de deux années, le paiement des sommes dues.

Par décision spéciale et motivée, il peut ordonner que les sommes correspondant aux échéances reportées porteront intérêt à un taux réduit au moins égal au taux légal, ou que les paiements s'imputeront d'abord sur le capital. (al2).

En l'espèce, il sera relevé que dans son courrier du 17 décembre 2018 l'association MOISSONS NOUVELLES avait d'ores et déjà proposé à Mme [R] un paiement échelonné de 8 mois.

Mme [R], qui est âgée de presque 55 ans, indique qu'elle n'a pas été en mesure de reprendre une activité professionnelle depuis la rupture du contrat de travail avec l'association MOISSONS NOUVELLES et que son état de santé s'est dégradé.

En considération de ces éléments et de la situation de l'association MOISSONS NOUVELLES, il convient ainsi de faire droit à cette demande de délais de paiement dans les conditions fixées au dispositif de la présente décision.

Sur l'anatocisme

En application de l'article 1343-2 du code civil, la capitalisation des intérêts est de droit dès lors qu'elle est régulièrement demandée ; il sera donc fait droit à cette demande du salarié.

Sur la remise des documents sociaux

La demande de remise des bulletins de paie et documents sociaux rectifiés conformes à la présente décision est fondée en son principe, et l'association MOISSONS NOUVELLES doit être condamnée à cette remise dans un délai d'un mois à compter de la signification du présent arrêt.

Les circonstances de la cause ne justifient pas le prononcé d'une astreinte. Cette demande est rejetée.

Sur les dépens et frais irrépétibles

Le jugement sera confirmé en ce qu'il a débouté l'association MOISSONS NOUVELLES de sa demande formée au titre de l'article 700 du code de procédure civile

En application de l'article 696 du code de procédure civile, Mme [R], partie perdante, sera condamnée aux dépens d'appel, et elle sera déboutée de sa demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile.

Il n'est en revanche pas contraire à l'équité, eu égard aux circonstances de l'espèce, de ne pas faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, et il convient donc de débouter l'association MOISSONS NOUVELLES de la demande qu'elle a formée de ce chef.

* * *

*

PAR CES MOTIFS

LA COUR,

Statuant contradictoirement par arrêt mis à la disposition des parties au greffe,

CONFIRME le jugement entrepris en ce qu'il a dit que le licenciement pour inaptitude de Mme [R] n'était pas lié à des faits de harcèlement moral commis par l'association MOISSONS NOUVELLES.

INFIRME le jugement entrepris en ses autres chefs contestés.

Statuant à nouveau des chefs infirmés

DECLARE prescrites les demandes formées au titre du manquement de l'employeur à son obligation de sécurité ou à l'exécution de bonne foi du contrat de travail.

DECLARE recevables et non prescrites les demandes formées au titre de la reconnaissance de l'origine professionnelle de l'inaptitude.

DIT que l'inaptitude à l'origine du licenciement prononcé le 14 décembre 2017 à l'égard de Mme [R] a bien une cause professionnelle.

En conséquence,

Condamne l'association MOISSONS NOUVELLES à payer à Mme [L] [R] les sommes de :

- 4 778, 72 euros bruts à titre d'indemnité compensatrice,

- 7 483, 25 euros nets à titre d'indemnité spéciale de licenciement,

Avec intérêts légaux à compter de la saisine du conseil de prud'hommes pour les sommes à caractère salarial (réception par l'employeur de sa convocation devant le bureau de conciliation) et à compter de la notification de l'arrêt pour les sommes à caractère indemnitaire, et avec anatocisme à compter la demande judiciairement formée pour les créances échues depuis une année entière.

Ordonne à l'association MOISSONS NOUVELLES de remettre à Mme [L] [R] un bulletin de paie récapitulatif ainsi qu'une attestation destinée à l'opérateur France Travail dans un délai d'un mois à compter de la signification du présent arrêt.

Rejette la demande de prononcé d'une astreinte,

Déclare recevable la demande en restitution de l'indu formée par l'association MOISSONS NOUVELLES à l'encontre de Mme [L] [R].

Condamne Mme [L] [R] à payer à l'association MOISSONS NOUVELLES la somme de 7 690, 22 euros correspondant au trop perçu lié à la régularisation des indemnités de prévoyance.

Accorde à Mme [L] [R] la faculté d'apurer sa dette au plus tard le 10 de chaque mois à compter du 10 juillet 2024 en 23 mensualités équivalentes d'un montant de 320,42 euros et une 24ème mensualité correspondant au solde de la somme due.

DIT que le défaut de paiement d'un seul règlement à l'échéance prescrite entraînera la déchéance du terme et que la totalité du solde restant dû deviendra immédiatement exigible.

CONFIRME le jugement entrepris pour le surplus.

DEBOUTE l'association MOISSONS NOUVELLES de sa demande formée au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

CONDAMNE Mme [L] [R] aux dépens d'appel.

LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT.


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Rennes
Formation : 8ème ch prud'homale
Numéro d'arrêt : 21/02765
Date de la décision : 19/06/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 25/06/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-06-19;21.02765 ?
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