La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

18/06/2024 | FRANCE | N°21/06629

France | France, Cour d'appel de Rennes, 1ère chambre, 18 juin 2024, 21/06629


1ère chambre





ARRÊT N°180



N° RG 21/06629

N° Portalis DBVL-V-B7F-SEK3



(Réf 1ère instance : 19/01454)









M. [U] [M]



C/



LE COMPTABLE DU PÔLE DE RECOUVREMENT SPÉCIALISÉ DU FINISTÈRE















Copie exécutoire délivrée



le :



à :











RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



COUR D'APPEL DE RENNES

ARR

ÊT DU 18 JUIN 2024





COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :



Président : Madame Véronique VEILLARD, Présidente de chambre entendue en son rapport,

Assesseur : Monsieur Philippe BRICOGNE, Président de chambre,

Assesseur : Madame Caroline BRISSIAUD, Conseillère,



GREFFIER :
...

1ère chambre

ARRÊT N°180

N° RG 21/06629

N° Portalis DBVL-V-B7F-SEK3

(Réf 1ère instance : 19/01454)

M. [U] [M]

C/

LE COMPTABLE DU PÔLE DE RECOUVREMENT SPÉCIALISÉ DU FINISTÈRE

Copie exécutoire délivrée

le :

à :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE RENNES

ARRÊT DU 18 JUIN 2024

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :

Président : Madame Véronique VEILLARD, Présidente de chambre entendue en son rapport,

Assesseur : Monsieur Philippe BRICOGNE, Président de chambre,

Assesseur : Madame Caroline BRISSIAUD, Conseillère,

GREFFIER :

Madame Marie-Claude COURQUIN, lors des débats et lors du prononcé

DÉBATS :

A l'audience publique du 9 avril 2024

ARRÊT :

Contradictoire, prononcé publiquement le 18 juin 2024 par mise à disposition au greffe comme indiqué à l'issue des débats

****

APPELANT :

Monsieur [U] [M]

né le [Date naissance 2] 1968 à [Localité 6]

[Adresse 1]

[Localité 4]

Représenté par Me Marc BERTHELOT de la SELARL LE STIFF- BERTHELOT-LEMAITRE, avocat au barreau de BREST

INTIMÉ :

Le Comptable du PÔLE DE RECOUVREMENT SPÉCIALISÉ DU FINISTÈRE

Direction Départementale des Finances Publiques [Adresse 5]

[Adresse 5]

[Adresse 5]

[Localité 3]

Représentée par Me Sylvain PRIGENT de la SELARL KOVALEX II, avocat au barreau de BREST

FAITS ET PROCÉDURE

La sarl BTC, ayant pour gérant M. [U] [M], exerçait l'activité de prise de participation par tous moyens (apports, fusions, souscriptions, achats d'actions, de parts sociales, etc...) et de gestion d'un portefeuille de titres dans des sociétés dans lesquelles elle détenait des participations.

Cette société a fait l'objet d'une vérification de sa comptabilité pour la période du 1er septembre 2011 au 31 août 2014.

Le contrôle a notamment permis de mettre à jour un abandon volontaire de deux créances clients au bénéfice des sarl Batelec et Jeclia (dont la sarl BTC détient respectivement 100 % et 40 % des parts sociales), et d'une rétention de TVA au titre de l'exercice clos le 31 août 2014.

Une proposition de rectification s'élevant à 52.797 €, majorations comprises, lui a été adressée par courrier du 31 mars 2015.

Par courrier du 27 mai 2015, la sarl BTC a contesté partiellement cette proposition de rectification, laquelle a ensuite été confirmée en totalité par courrier de réponse du service vérificateur le 24 juillet 2015.

Les rappels de ces impositions ont été mis en recouvrement le 30 septembre 2015 pour un montant de 52.797 €.

Par plusieurs avis de mises en recouvrement, le comptable public a également authentifié 6 autres créances de TVA non réglées, qui avaient été déclarées respectivement en date des 19 mai, 17 juillet, 7 août, 18 septembre, 1er décembre et 15 décembre 2015.

Parallèlement, par jugement du 8 septembre 2015, le tribunal de commerce de Brest prononçait l'ouverture du redressement judiciaire de la sarl BTC.

L'administration fiscale a déclaré ses créances au cours de cette procédure collective par courrier du 30 octobre 2015 pour un montant de 61.612 € à titre définitif et 358.534 € à titre provisionnel.

Par jugement du 24 novembre 2015, le tribunal de commerce a prononcé la liquidation judiciaire de la sarl BTC.

Par courrier du 25 janvier 2018, le comptable a consulté le liquidateur afin de connaître ses perspectives de recouvrement, lequel n'a pas donné suite.

Le comptable du pôle de recouvrement spécialisé (PRS) du Finistère a saisi le président du tribunal de grande instance de Brest sur le fondement des articles L. 267 et R. 267-1 du livre des procédures fiscales en demandant que soient rejetées l'exception de nullité de l'assignation soulevée par M. [M] et la demande de transmission de la question préjudicielle au tribunal administratif de Rennes, outre qu'il souhaitait obtenir la condamnation solidaire de M. [M] au paiement de la somme de 65.970 €.

Cette affaire a été successivement renvoyée à la demande des parties à plusieurs dates d'audience entre 2019 et 2020 afin de permettre les échanges d'écritures entre les parties.

A l'audience du 9 septembre 2020, les parties ont été entendues sur la seule question préjudicielle.

Par jugement du 18 novembre 2020, le tribunal judiciaire de Brest a :

- dit n'y avoir lieu à saisir le tribunal administratif de Rennes,

- fait injonction à M. [M] de conclure au fond pour le 6 janvier 2021,

- renvoyé l'affaire au 14 janvier 2021 pour plaider sur la nullité de l'assignation et au fond.

Le tribunal a d'abord constaté que le comptable du pôle de recouvrement spécialisé du Finistère justifiait en l'espèce d'une autorisation valable, donnée le 12 décembre 2018 par Mme [S] [E] en sa qualité de directrice départementale des finances publiques du Finistère. De ce fait, la procédure prévue à l'article L. 267 du LPF avait été respectée et il n'y avait donc pas lieu à question préjudicielle devant le tribunal administratif. Outre qu'il appartenait à M. [M], qui soutenait que la décision d'assigner prise par le pôle de recouvrement spécialisé du Finistère constituait un acte administratif irrégulier au regard des dispositions de l'article L. 212-1 du code des relations entre le public et l'administration, d'engager le débat devant la juridiction administrative compétente.

Le 14 janvier 2021, M. [M] a relevé appel de ce jugement.

Par ordonnance du 5 juillet 2021, le conseiller de la mise en état a déclaré irrecevable cet appel estimant qu'en refusant de transférer une question préjudicielle au tribunal administratif tout en invitant les parties à conclure au fond au sein de son dispositif, la juridiction de première instance avait statué sur une exception de procédure ne mettant pas fin à l'instance au fond en vertu de l'article 545 du code de procédure civile. L'appel était donc irrecevable à ce stade de la procédure.

Au fond, le comptable du PRS du Finistère a réitéré ses demandes sur le fondement des articles 114 et 117 du code de procédure civile ainsi que de l'article L267 du livre des procédures fiscales, demandant que la nullité de l'assignation soit écartée, que ses poursuites soient jugées non prescrites et que la condamnation solidaire de M. [M] avec la sarl BTC au titre de la créance fiscale de 65.970 € soit retenue.

Par jugement du 9 septembre 2021, le tribunal judiciaire de Brest a :

- rejeté l'exception de nullité de l'assignation soulevée par M. [M],

- dit qu'il avait déjà été statué sur la capacité à agir du comptable du PRS du Finistère par le jugement du 18 novembre 2020 et rejeté la fin de non-recevoir pour défaut de capacité à agir du comptable du PRS du Finistère présentée par M. [M],

- dit non prescrites les poursuites du comptable du pôle de recouvrement spécialisé du Finistère et non tardif l'engagement de son action,

- déclaré M. [M] solidairement responsable avec la sarl BTC du paiement au comptable du PRS du Finistère de la somme de 65.970 €,

- condamné M. [M] à payer au comptable du pôle de recouvrement spécialisé du Finistère la somme de 65.970 €,

- condamné M. [M] à payer au comptable du pôle de recouvrement spécialisé du Finistère la somme de 1.500 € en application de l'article 700 du code de procédure civile,

- ordonné l'exécution provisoire de la présente décision,

- condamné M. [M] aux entiers dépens,

- rejeté toutes les autres demandes.

Le tribunal a retenu que la non-communication de la copie de la requête et de l'ordonnance n'entrait pas dans les prévisions de l'article 117 du code de procédure civile sur les irrégularités de fond, et partant, constituait un vice de forme n'affectant pas la validité de l'acte. Il en allait de même pour l'absence de mention de la possibilité de consulter des pièces au greffe avant l'audience, laquelle n'était pas prévue à peine de nullité par l'article 789 du code de procédure civile (dans sa version en vigueur au 1er janvier 2020) visé par M. [M]. La même constatation s'imposait également en ce qui concernait la sommation faite au défendeur de communiquer ses pièces. Ainsi, dès lors que M. [M] avait été mis en mesure de conclure sur l'ensemble des points faisant débat, l'exception de nullité de l'assignation a, en conséquence, été rejetée. Sur la question de la capacité du comptable, le tribunal estimait qu'ayant déjà été évoquée dans le jugement du 18 novembre 2020, cette fin de non-recevoir devait également être rejetée. Sur le fond, l'action en recouvrement engagée par le PRS n'était pas prescrite, l'action n'étant pas tardive dès lors qu'il n'était pas certain, au moment de l'assignation de M. [M], que l'irrécouvrabilité totale et définitive de la sarl BTC était avérée. Enfin, il a été jugé que les manquements graves et répétés étaient caractérisés en l'espèce, justifiant la condamnation solidaire M. [M].

Par déclaration du 21 octobre 2021, M. [M] a interjeté appel :

- du jugement du 18 novembre 2020 en ce qu'il a dit n'y avoir lieu à saisir le tribunal administratif de Rennes d'une question préjudicielle,

- de tous les chefs de jugement du jugement du 9 septembre 2021.

Cet appel a été enregistré sous le RG 21/06629.

PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

24. M. [M] expose ses demandes et moyens dans ses dernières conclusions remises au greffe et notifiées le 11 janvier 2022 auxquelles il est renvoyé.

25. Il demande à la cour de :

- in limine litis,

- prononcer la nullité de l'assignation en date du 7 juillet 2019 et des actes subséquents,

- déclarer le comptable du pôle recouvrement spécialisé du Finistère irrecevable en son action pour défaut de capacité à agir,

- débouter purement et simplement ce dernier de toutes ses demandes,

- avant dire droit,

- porter devant le tribunal administratif de Rennes les questions préjudici-elles suivantes :

- 'Le comptable du pôle recouvrement du Finistère a-t-il compétence pour assigner M. [U] [M] devant le président du tribunal de grande instance de Brest en application de l'article L267 du livre des procédures fiscales ''

- 'La décision d'assigner est-elle entachée d'illégalité ''

- ordonner le sursis à statuer de la procédure pendante devant la cour d'appel de Rennes sous le n° RG 21/06629,

- au fond,

- juger l'action du comptable du pôle de recouvrement spécialisé du Finistère prescrite,

- débouter purement et simplement le comptable du pôle de recouvrement spécialisé du Finistère de toutes ses demandes,

- juger que le comptable du pôle recouvrement spécialisé succombe dans la charge de la preuve qu'il lui appartient d'administrer de l'irrécouvrabilité définitive de la créance fiscale aux termes des dispositions de l'article L267 du LPF,

- débouter purement et simplement le comptable du pôle de recouvrement spécialisé du Finistère de toutes ses demandes,

- à défaut,

- juger que le comptable du pôle de recouvrement spécialisé a tardé à agir contre le dirigeant et que l'action en responsabilité solidaire n'a pas été engagée dans des délais satisfaisants,

- débouter purement et simplement le comptable du pôle de recouvrement spécialisé du Finistère de toutes ses demandes,

- condamner le comptable du pôle de recouvrement spécialisé du Finistère à payer à M. [U] [M] la somme de 6.000 € sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner le même aux entiers dépens,

- subsidiairement,

- débouter purement et simplement le comptable du pôle de recouvrement spécialisé du Finistère de toutes ses demandes,

- déclarer le comptable du pôle de recouvrement spécialisé du Finistère mal fondé en son action et juger qu'il succombe dans la charge de la preuve qu'il lui incombe d'administrer de man'uvres frauduleuses ou d'inobservations graves et répétées de M. [U] [M] ayant rendu impossible le recouvrement des impositions et pénalités dues par la sarl BTC,

- condamner le comptable du pôle recouvrement spécialisé du Finistère à payer à M. [U] [M] la somme de 6.000 € sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner le même aux entiers dépens,

- tout à fait subsidiairement,

- cantonner la solidarité à paiement du dirigeant de la sarl BTC, M. [U] [M], à la somme de 13.173 €,

- débouter le comptable du pôle de recouvrement spécialisé du Finistère du surplus de ses demandes,

- dire n'y avoir lieu aux dispositions de l'article 700 du code de procédure civile au bénéfice du comptable du pôle de recouvrement spécialisé du Finistère,

- dire n'y avoir lieu à exécution provisoire,

- laisser à la charge du trésor les dépens.

26. Il soutient que :

- l'assignation qui lui a été délivrée ne respecte aucune des prescriptions de l'article 789 du code de procédure civile, d'où il suit qu'elle encourt la nullité,

- le comptable du pôle de recouvrement du Finistère, dont l'identification n'est d'ailleurs pas assurée dans l'assignation, n'est pas un comptable de la direction générale des finances publiques, et n'avait donc pas le pouvoir d'agir,

- en l'espèce, l'autorisation d'assigner a violé les dispositions de l'article L212-1 du code des relations entre le public et l'administration,

- dès lors, en vertu de l'article 49 du code de procédure civile, il conviendrait de transférer la question au tribunal administratif, le contentieux de la légalité d'un acte administratif relevant de la seule compétence des juridictions administratives,

- l'administration fiscale ne justifie d'aucun acte interruptif de prescription en dehors du jugement de conversion du redressement en liquidation judiciaire du 24 novembre 2015, d'où il suit que l'action en recouvrement dirigée à son encontre était prescrite,

- le PRS était en mesure de constater l'impossibilité de recouvrer sa créance dès l'ouverture de la procédure de redressement judiciaire en 2015, d'où il suit qu'il l'a assigné tardivement,

- aucun manquement grave à ses obligations fiscales ne saurait lui être imputé, notamment compte tenu des 2 abandons de créances qu'il a consenti à la société,

- ainsi, seules les six déclarations de TVA au titre des mois d'avril, juin, juillet, août, octobre et novembre déposées sans paiement pour un montant de 13.173 €, pourraient éventuellement caractériser des manquements à ses obligations fiscales sanctionnables.

Le comptable du pôle de recouvrement spécialisé du Finistère expose ses demandes et moyens dans ses dernières conclusions remises au greffe et notifiées le 1er avril 2022 auxquelles il est renvoyé.

Il demande à la cour de :

- confirmer les jugements du président du tribunal judiciaire de Brest en date des 18 novembre 2020 et 9 septembre 2021 en toutes leurs dispositions,

- débouter M. [M] de toutes ses demandes,

- condamner M. [M] à lui payer la somme de 5.000 €, en application de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel,

- condamner M. [M] aux dépens d'appel.

29. Il soutient que :

- M. [M] a été à même de vérifier, avant l'audience, les motifs sur lesquels était fondée la demande d'autorisation à jour fixe,

- l'omission de communiquer la copie de la requête avec l'assignation ainsi que l'absence de mention dans l'assignation du fait que le défendeur peut prendre connaissance au greffe des pièces ne sont pas prescrites à peine de nullité, d'où il suit qu'en l'absence de grief, ces omissions constituent seulement des vices de forme insusceptibles de conduire à l'annulation de l'acte,

- le comptable public départemental est investi personnellement d'un mandat de représentation de l'État pour recouvrer les impôts, et l'autorisation a été donnée par Mme [E], directrice des finances publiques départementales, d'où il suit que la fin de non-recevoir tirée du défaut de capacité à agir doit être écartée en l'espèce,

- en vertu de l'article 2242 du code civil, la prescription a été interrompue par le jugement d'ouverture de redressement judiciaire du 8 septembre 2015, d'où il suit que l'action n'était pas prescrite au jour de l'assignation,

- il résulte de la chronologie des faits qu'il n'a pas agi tardivement à l'encontre de M. [M],

- la transmission d'une question préjudicielle au tribunal administratif n'est pas justifiée en l'espèce,

- s'agissant des inobservations graves et répétées à ses obligations fiscales, la sarl BTC a gravement méconnu les obligations qui lui incombaient en minorant le montant de la TVA collectée au terme de l'exercice clos le 31 août 2014, et en n'acquittant pas la TVA due au moment du dépôt de plusieurs déclarations en 2015,

- en ne restituant pas spontanément au Trésor la TVA due et en minorant la TVA collectée, la société BTC s'est donnée les moyens d'une survie artificielle qui ne pouvait qu'entraîner l'accumulation d'une dette fiscale excessive par rapport à l'actif social rendant impossible le désintéressement de l'administration fiscale.

30. L'instruction de l'affaire a été déclarée close le 5 mars 2024.

31. Pour plus ample exposé des prétentions et moyens des parties, il convient de se reporter à leurs écritures ci-dessus visées figurant au dossier de la procédure.

MOTIFS DE L'ARRÊT

1) Sur la recevabilité de l'action

32. M. [M] soutient que l'acte d'assignation qui lui a été délivré le 16 juillet 2019 ne respecte pas les prescriptions de l'article 789 du code de procédure civile. Il estime aussi que le comptable du PRS du Finistère n'avait ni la qualité, ni le pouvoir d'agir, et ainsi que l'autorisation qu'il a donnée viole les dispositions de l'article L. 212-1 du code des relations entre le public et l'administration. Il indique que la question devrait être transférée au tribunal administratif en application de l'article 49 du code de procédure civile.

33. Le PRS du Finistère répond que M. [M] a été à même de vérifier, avant l'audience, les motifs sur lesquels était fondée la demande d'autorisation à jour fixe. De plus, ni la communication de la copie de la requête avec l'assignation, ni la mention de la possibilité pour le défendeur de consulter les pièces au greffe du tribunal ne sont prescrites à peine de nullité d'où il suit qu'en l'absence de grief, pareilles omissions constituent seulement des vices de forme insusceptibles de conduire à l'annulation de l'acte. Il estime que la compétence du comptable public est indéniable en l'espèce, la copie de l'autorisation d'engager la procédure visée à l'article L. 267 du LPF lui ayant été délivrée par le responsable départemental des finances publiques, à savoir Mme [S] [E]. Il ajoute enfin qu'il n'y a lieu à question préjudicielle car le tribunal judiciaire est compétent pour se prononcer sur la mise en cause du dirigeant et que cette question ne pose aucune difficulté sérieuse en l'espèce.

1.1) Sur la fin de non-recevoir tirée du défaut de capacité à agir

34. En droit, l'article L. 267 du LPF énonce que dans le cadre de la mise en cause de la responsabilité solidaire du dirigeant, le comptable public compétent assigne le dirigeant devant le président du tribunal de grande instance du lieu du siège social.

35. En outre, l'article L. 252 du LPF indique que le recouvrement des impôts est confié aux comptables publics compétents par arrêté du ministre chargé du budget.

36. L'article 1er de l'arrêté du 23 juillet 2010 porte création des pôles de recouvrement spécialisés qui sont des services déconcentrés de la direction générale des finances publiques.

37. L'article 3 du même arrêté précise que 'Le comptable chargé d'un pôle de recouvrement spécialisé est compétent pour engager ou poursuivre toute procédure visant au recouvrement des créances qu'il a prises en charge directement ou dont la responsabilité lui a été transférée par un autre comptable du département.'

38. Par ailleurs, l'article L. 212-1'alinéa 1 du code des relations entre le public et l'administration dispose que 'Toute décision prise par une administration comporte la signature de son auteur ainsi que la mention, en caractères lisibles, du prénom du nom et de la qualité de celui-ci.'

39. En l'espèce, le PRS du Finistère, dont les bureaux sont situés au sein même de la direction départementale des finances publiques au [Adresse 5] (29), justifie d'une autorisation donnée le 12 décembre 2018 par Mme [S] [E], directrice départementale des finances publiques.

40. Le décret du 4 décembre 2015 versé aux débats indique bien la nomination de Mme [E] en cette qualité.

41. L'autorisation de mise en cause en question comporte l'ensemble des mentions énoncées à l'article L. 212-1 alinéa 1 précité, outre que l'auteur de l'autorisation, Mme [E] dont les prénom, nom, qualité et signature sont mentionnés, apparaissent clairement.

42. Dès lors, il ne peut qu'être constaté que la procédure prévue à l'article L. 267 du livre des procédures fiscales a été respectée, sans qu'il ait été nécessaire pour le comptable d'être désigné nommément au sein des actes de procédure, en cela compris dans l'assignation délivrée à M. [M]. Il en résulte qu'en l'espèce, le comptable du PRS du Finistère était fondé à assigner M. [M] devant le président du tribunal judiciaire de Brest.

43. Le jugement du 18 novembre 2020 sera confirmé en ce qu'il a constaté la capacité à agir de Mme [E].

1.2) Sur la validité de l'assignation

44. Aux termes de l'article R. 267-1 du LPF, en cas d'assignation prévue par le texte précité, le président du tribunal statue selon la procédure à jour fixe. Le comptable public compétent est un comptable de la direction générale des finances publiques.

45. L'article 789 du code de procédure civile dans sa version en vigueur jusqu'au 1er janvier 2020 énonçait que 'L'assignation indique à peine de nullité les jour et heure fixés par le président auxquels l'affaire sera appelée ainsi que la chambre à laquelle elle est distribuée. Copie de la requête est jointe à l'assignation.

L'assignation informe le défendeur qu'il peut prendre connaissance au greffe de la copie des pièces visées dans la requête et lui fait sommation de communiquer avant la date de l'audience celles dont il entend faire état.'

46. Et selon l'article 114 du même code, 'aucun acte de procédure ne peut être déclaré nul pour vice de forme si la nullité n'en est pas expressément prévue par la loi, sauf en cas d'inobservation d'une formalité substantielle ou d'ordre public.

La nullité ne peut être prononcée qu'à charge pour l'adversaire qui l'invoque de prouver le grief que lui cause l'irrégularité, même lorsqu'il s'agit d'une formalité substantielle ou d'ordre public.'

47. En l'espèce, l'article 789 du code de procédure civile invoqué par M. [M] dans ses écritures ne prévoit pas expressément le fait que l'absence de signification de l'ordonnance autorisant à assigner à jour fixe encourt la nullité.

48. Il en va de même concernant la mention dans l'assignation de la possibilité pour le défendeur de prendre connaissance des pièces du demandeur au greffe du tribunal compétent, dont l'absence n'est pas sanctionnée par la nullité à la lumière des dispositions précitées.

49. Il en résulte que l'absence de ces mentions constitue un vice de forme dont M. [M] n'indique aucunement dans ses écritures en quoi ils lui font grief. Par ailleurs, ce dernier a été mis en mesure de conclure au fond puisqu'il a reçu copie des pièces communiquées ainsi que, le 17 septembre 2019, de la requête et de l'ordonnance autorisant à assigner à jour fixe, et qu'il a constitué avocat. M. [M] a conclu sur l'ensemble des points dans le débat à l'occasion des audiences ayant débouché sur les deux jugements dont la cour est présentement saisie, et il ne peut donc justifier d'aucun grief quant à l'exercice de ses droits de la défense.

50. Le jugement du 9 septembre 2021 sera confirmé en ce qu'il a rejeté l'exception de nullité de l'assignation.

1.3) Sur les questions préjudicielles

51. L'article 49 du code de procédure civile dispose que 'Lorsque la solution d'un litige dépend d'une question soulevant d'une difficulté sérieuse et relevant de la compétence de la juridiction administrative, la juridiction judiciaire initialement saisi la transmet à la juridiction administrative compétente en application du titre premier du livre III du code de justice administrative. Elle sursoit à statuer jusqu'à la décision sur la question préjudicielle.'

52. Compte tenu de ce qui a été développé précédemment, il apparaît que la procédure prévue à l'article L. 267 du livre des procédures fiscales a été respectée dès lors que le comptable public avait qualité et compétence pour agir et qu'il a valablement assigné M. [M].

53. En l'absence de difficulté sérieuse tendant à l'application de ces dispositions, il n'y a donc pas lieu à transmettre au tribunal administratif les questions préjudicielles posées.

54. Le jugement du 18 novembre 2020 sera confirmé sur ce point.

2) Sur la prescription de l'action en recouvrement

2.1) La prescription quadriennale applicable aux créances de la société

55. En droit, selon l'article L. 274 du livre des procédures fiscales, les comptables publics des administrations fiscales disposent d'un délai de 4 ans à compter du jour de la mise en recouvrement du rôle ou de l'envoi de l'avis de mise en recouvrement pour poursuivre le règlement des créances fiscales.

56. L'article 2241 du code civil indique toutefois que la demande en justice interrompt le délai de prescription.

57. Il ressort de l'article 2231 que 'L'interruption efface le délai de prescription acquis. Elle fait courir un nouveau délai de même durée que l'ancien.'

58. Particulièrement, en matière de procédure collective, l'interruption causée par la demande en justice telle qu'une demande d'admission de créances interrompt la prescription jusqu'à la clôture de la procédure (article L. 622-25 du code de commerce), un nouveau délai commençant à courir seulement après la clôture de ladite procédure collective (Cass. Com., 15 mars 2005, n° 03-17.783).

59. En l'espèce, M. [M] était redevable de différentes créances fiscales correspondant à la fois à la TVA minorée pour l'exercice comptable clos au 31 août 2014, et aux différentes créances de TVA déclarées sans paiement durant l'année 2015.

60. A la suite de l'ouverture de la procédure de redressement judiciaire, le comptable du PRS a déclaré ses créances à titre définitif le 30 octobre 2015 pour un montant de 61.612 €, déclaration qui a fait repartir un nouveau délai de prescription de 4 ans pour les seules créances figurant sur les avis de mise en recouvrement (voir pièce 10 du PRS).

61. Sur ce point particulier, l'argument de M. [M] tendant à dire que la liquidation judiciaire donnait lieu à une nouvelle procédure collective ne saurait prospérer, dès lors qu'en l'espèce, la liquidation judiciaire découlait d'un jugement de conversion, et qu'il ne s'agissait donc pas d'une nouvelle procédure collective décorrélée du redressement.

62. Ainsi, dans la mesure où l'assignation de M. [M] est intervenue le 16 juillet 2019, soit 3 ans et 9 mois après la déclaration des créances au passif de la société, il y a lieu de retenir que ces créances n'étaient pas prescrites au jour de l'assignation, et ce indépendamment de l'intervention de la clôture de la procédure collective dont la date demeure par ailleurs inconnue.

63. En ce qui concerne les autres créances de TVA qui figurent dans les avis de mise en recouvrement transmis mais qui n'apparaissent pas dans la déclaration de créances au passif de la procédure collective, il convient de relever que ces créances de TVA, authentifiées par le PRS en date des 10 novembre 2015, 25 janvier et 9 février 2016, n'étaient de toute façon pas prescrites à la date de l'assignation.

64. Il résulte de ces constatations que les créances de TVA figurant sur les avis de mise en recouvrement transmis n'étaient pas prescrites à la date de l'assignation, et pouvaient donc être poursuivies auprès de M. [M] sous réserve du respect d'un délai satisfaisant.

65. Le jugement du 9 septembre 2021 sera confirmé en ce qu'il rejeté la fin de non-recevoir tenant à la prescription.

2.2) Le délai satisfaisant pour agir contre le dirigeant

66. M. [M] soutient que l'irrécouvrabilité était certaine dès l'ouverture de la procédure collective ou à tout le moins à la date de la conversion en liquidation judiciaire, soit au 24 novembre 2015 au plus tard, et partant, qu'en engageant des poursuites contre lui le 7 juillet 2019 (soit plus de 3 ans après son constat d'impossibilité de recouvrement), le comptable du PRS du Finistère n'a pas agi dans un délai satisfaisant.

67. Le PRS soutient qu'il était dans l'impossibilité de connaître la solvabilité de la sarl BTC, faute pour le liquidateur d'avoir répondu à son courrier du 25 janvier 2018. Il n'a donc pas été tardif lorsqu'il a assigné M. [M] le 7 juillet 2019.

68. Il ressort de la jurisprudence ainsi que de la doctrine administrative (et notamment de l'instruction n°12C-20-88 du 6 septembre 1988) que les comptables publics sont tenus d'engager l'action en recouvrement spécifique à l'encontre du dirigeant développée précédemment dans un 'délai satisfaisant'. Ce délai satisfaisant n'est pas défini par les textes et fait donc l'objet d'une appréciation souveraine par les juges du fond. Néanmoins, ce délai s'entend logiquement comme étant inférieur au délai de prescription quadriennale courant à l'encontre du redevable légal, le comptable public ne pouvant poursuivre une créance déjà prescrite auprès du dirigeant. Au regard des conditions de l'article L. 267 du livre des procédures fiscales précité, il faut comprendre que ce délai s'entend du moment où l'administration fiscale était dans l'impossibilité de recouvrer sa dette.

69. Il est donc nécessaire de vérifier à quel moment le comptable public pouvait objectivement savoir que sa créance était définitivement irrécouvrable et ce au regard des informations auxquelles il était en mesure d'avoir accès, afin d'apprécier le délai à l'issue duquel ce dernier a adressé son assignation au dirigeant et ce, quand bien même le liquidateur judiciaire aurait certifié l'irrécouvrabilité totale et définitive de la société (Cass. Com., 18 décembre 2019, 18-22.132), ce qui ne dispense en effet pas d'effectuer une appréciation du délai satisfaisant.

70. En l'espèce, aucun jugement de clôture pour insuffisance d'actif, ni de certificat d'irrécouvrabilité n'ont été transmis au PRS.

71. Il est vrai que liquidateur de la sarl BTC, à savoir la selarl Fides, a fini par fournir une réponse au courrier du PRS du 25 janvier 2018 sur la solvabilité de la société par un email du 15 mars 2022, disant que 'en l'état actuel du dossier, les actifs recouvrés seront totalement absorbés salariales et les frais de justice'. Toutefois, cette réponse est intervenue après la délivrance de l'assignation de sorte qu'elle n'est d'aucune utilité pour apprécier le délai satisfaisant antérieur à l'assignation.

72. Sur ce point, il résulte de la chronologie des faits qu'à la suite du dépôt d'une déclaration de cessation des paiements par la sarl BTC auprès du greffe du tribunal de commerce de Brest, une procédure de redressement judiciaire a été ouverte à l'encontre de la société par jugement du 8 septembre 2015. S'il est vrai que le jugement d'ouverture du redressement indiquait que l'actif détenu par la société ne permettait pas de surmonter le passif constaté à ce moment-là, il n'était pas pour autant possible d'en déduire une irrécouvrabilité totale et définitive des créances fiscales super privilégiées, faute pour le PRS de connaître le montant exact de l'actif de la société. Par ailleurs, à cette période, la sarl BTC déclarait encore des créances de TVA dont le paiement restait à honorer (créances des 1er et 15 décembre 2015), ce qui a contribué à fausser l'appréciation que pouvait avoir le PRS sur la solvabilité de la société.

73. De même, bien qu'elle soit intervenue de manière particulièrement abrupte, la conversion en liquidation judiciaire quelques semaines après l'ouverture de la procédure collective ne permettait pas non plus, à elle seule, de déduire une insolvabilité totale de la société, outre qu'elle n'a pas été clôturée, ce qui laissait donc planer une incertitude quant à l'issue des créances inscrites au passif de la société.

74. M. [M] argue que le PRS pouvait connaître son état d'insolvabilité à travers l'affichage par le tribunal de commerce de l'état des créances de la sarl BTC au greffe le 2 mai 2016, lequel mentionnait un passif global de 1.295.364,71 €. Là encore, il n'était pas possible d'en déduire une quelconque irrécouvrabilité totale, à défaut d'informations précises sur l'actif disponible de la société à cette époque.

75. Il résulte de cet historique que la possibilité de recouvrement total et définitif des créances de la sarl BTC est demeurée incertaine durant la procédure collective, et ce y compris après la publication de l'état des créances actualisées.

76. Au demeurant, les événements financiers qui se sont produits entre 2016 et 2017, et notamment les cessions des parts sociales entre la société BTC et les sociétés FK et Aditherm qui ont généré un produit d'un peu plus de 8.000 €, ne permettaient pas d'avoir une idée nette et arrêtée de l'importance de l'actif de la société. Il en va de même pour les abandons de créance faits par M. [M] lui-même au profit de la sarl Batelec, qui, bien qu'ils étaient de nature à appauvrir la société, ne donnaient pas non plus d'informations sur la solvabilité globale de la société, outre que le PRS ne pouvait de toute façon pas en avoir connaissance, s'agissant de flux financiers internes.

77. Le PRS a ensuite tenté de s'informer précisément sur la situation financière de la société en interrogeant par courrier la selarl Fides du 25 janvier 2018, courrier resté sans réponse jusqu'en 2022.

78. Sous le bénéfice de ces observations, la cour retient qu'à défaut de réponse du liquidateur, compte tenu d'un contexte financier et fiscal obéré et dès lors que le PRS indique lui-même dans ses écritures que certaines sociétés, dans lesquelles la sarl BTC détenait des participations, avaient toutes été clôturées pour insuffisance d'actifs courant 2016-2017, et ce alors même que l'objet de la sarl BTC était justement l'activité de gestion financière de ces sociétés, il est possible de considérer que l'irrécouvrabilité était certaine au début de l'année 2018.

79. En tout état de cause, la période au cours de laquelle l'irrécouvrabilité totale et définitive peut être considérée comme irrévocablement acquise aux yeux du PRS s'achève au plus tard le 12 décembre 2018, date à laquelle l'autorisation d'assigner a été donnée par Mme [E] au comptable public.

80. C'est donc dans un délai satisfaisant que le comptable du PRS a sollicité l'autorisation d'engager les poursuites contre M. [M] le 12 décembre 2018 puis a assigné en paiement solidaire le 24 mai 2019.

81. Le jugement du 9 septembre 2021 sera confirmé en ce qu'il a déclaré l'action du PRS recevable.

3) Sur la responsabilité fiscale du dirigeant

82. M. [M] soutient que ce sont en réalité les sociétés Batelec et Jeclia, filiales non visées à la procédure et in boni, qui ont, en définitive, bénéficié d'un abandon de leurs dettes. La sarl BTC, qui n'a perçu aucune somme à ce titre, n'a ainsi conservé dans sa trésorerie aucun montant et n'est donc pas à l'origine d'inobservations graves et répétées de ses obligations fiscales.

83. Le PRS répond que la société aurait dû faire figurer le montant de TVA à régulariser résultant de la décision d'abandon, sur la déclaration de TVA modèle CA3 du mois de novembre 2014 à déposer avant le 20 décembre 2014, ce qui caractérise un manquement grave se traduisant en une minoration de la TVA, outre que six déclarations de TVA au titre des mois d'avril, juin, juillet, août, octobre et novembre 2015 ont également été déposées sans paiement.

84. En droit, il ressort de l'article 269 2) c du code général des impôts (CGI) que la taxe de TVA est exigible lors de l'encaissement des acomptes, du prix, de la rémunération ou, sur option du redevable, d'après les débits en ce qui concerne les prestations de services réalisées sur le territoire français.

85. L'article L. 267 du livre de procédures fiscales dispose que 'Lorsqu'un dirigeant d'une société, d'une personne morale ou de tout autre groupement, est responsable des man'uvres frauduleuses ou de l'inobservation grave et répétée des obligations fiscales qui ont rendu impossible le recouvrement des impositions et des pénalités dues par la société, la personne morale ou le groupement, ce dirigeant peut, s'il n'est pas déjà tenu au paiement des dettes sociales en application d'une autre disposition, être déclaré solidairement responsable du paiement de ces impositions et pénalités par le président du tribunal de grande instance. A cette fin, le comptable public compétent assigne le dirigeant devant le président du tribunal de grande instance du lieu du siège social. Cette disposition est applicable à toute personne exerçant en droit ou en fait, directement ou indirectement, la direction effective de la société, de la personne morale ou du groupement.

Les voies de recours qui peuvent être exercées contre la décision du président du tribunal de grande instance ne font pas obstacle à ce que le comptable prenne à leur encontre des mesures conservatoires en vue de préserver le recouvrement de la créance du Trésor.'

86. Ce texte permet de déclarer le ou les dirigeants personnellement et solidairement tenu(s) au paiement des impositions et pénalités dues par la société lorsque ceux-ci, par des man'uvres frauduleuses ou une inobservation grave et répétée des obligations fiscales, ont fait obstacle au recouvrement des sommes dont la société était normalement redevable.

87. Il constant que la notion d'inobservation des obligations fiscales concerne toutes les obligations dont le respect est exigé des redevables : absence de dépôt ou dépôt sans paiement de déclarations fiscales, minoration de bases imposables, etc., et elle est caractérisée lorsque les redevables ont régulièrement déposé les déclarations mais se sont abstenus de payer l'impôt correspondant (Cass. Com. 19 novembre 1991, n° 90-13495). Ainsi, la Cour de cassation a rejeté les pourvois formés par les dirigeants qui soutenaient que le seul défaut de paiement ou de dépôt des déclarations de TVA ne suffisait pas à caractériser la gravité et la répétition des manquements relevés (Cass. Com. 19 décembre 2000, pourvoi n° 98-11969 ; 26 février 2002, pourvoi n° 98-21744, RJF 7/02 n° 859 ; 22 novembre 2005, pourvoi n° 03-20885).

88. En matière de taxe sur la valeur ajoutée, le défaut de paiement de cette taxe est particulièrement grave puisque l'entreprise redevable conserve dans sa trésorerie des fonds collectés auprès de ses clients et destinés à être reversés au Trésor (Cass. Com. 23 juin 2004, 01-11821, 22 novembre 2005, 03-20885, 25 avril 2006, 03-20709).

89. Ainsi, du fait même qu'ils contreviennent à ces principes, une société et son dirigeant compromettent la liquidité de la créance du Trésor et créent les conditions d'un recouvrement impossible, en aggravant la situation de l'entreprise au regard de son passif fiscal (Cass. Com.26 novembre 2003, n°1665 FS-D, Cass. Com.21 janvier 2004 n° 165 F-D, Cass. Com.25 avril 2006, n° 504 F-D, Cass. Com.4 mai 2010, n°0914054).

90. Lorsque les conditions d'une responsabilité solidaire sont réunies, le juge ne peut se dispenser de tirer les conséquences légales de ses constatations et de prononcer la condamnation prévue par ce texte, qui n'édicte pas, à cet égard, une simple faculté, mais une obligation (Cass. Com. 11 janvier 2005, pourvoi n° 02-16597).

91. En l'espèce, il n'est pas contesté que M. [M] avait la qualité de gérant de la sarl BTC, ce qui ressort également de l'extrait Kbis en date du 1er avril 2019 fourni par le PRS (pièce 2 du PRS).

92. Le PRS a procédé à une vérification de la comptabilité de la société du 23 février au 27 mars 2015, portant sur la période du 1er septembre 2011 au 31 août 2014, suivie d'une proposition de rectification en date du 31 mars 2015 (pièce 4 du PRS).

93. Ce contrôle a notamment permis de mettre à jour un abandon volontaire de deux créances de compte courant d'associé au bénéfice des sarl Batelec et Jeclia dans lesquelles la sarl BTC détenait des parts. Le fait pour la société d'avoir consenti à abandonner le recouvrement des sommes déposées sur ces comptes s'analyse en un encaissement suivi d'une libéralité envers le débiteur qui rend quand même exigible le montant de la TVA en application de l'article 269, 2-c du CGI.

94 Si M. [M] a, par la suite, procédé à la régularisation comptable de la TVA affectée à ces prestations de services, les considérant comme réglées, il n'en a pas tiré toutes les conséquences sur le plan fiscal en ne s'acquittant pas du paiement dû à ce titre.

95. Sur ce point, il convient de relever que la gravité découle aussi du fait que les deux sociétés concernées par les abandons de créances sont associées à la sarl BTC, cette dernière assurant leur gestion comptable et administrative. Le PRS a pu constater, grâce au droit de vérification diligenté par l'agent vérificateur, que la sarl Batelec a déduit la TVA correspondant sur sa déclaration de décembre 2014, et n'a donc pas non plus régularisé la situation de son côté. Or, dans le cadre de sa mission de gérant d'une société dont l'objet était précisément la gestion administrative et comptable des sociétés associés, M. [M] avait la charge du dépôt des déclarations de TVA, et ne pouvait ignorer que la TVA n'avait pas été payée sur ces sommes dont il a lui-même orchestré le sort. Cette 'double casquette' renforce donc la gravité des manquements reprochés.

96. Également, à la clôture de l'exercice 2014, il a été constaté par M. [M] une dépréciation des comptes courants des sarl Jeclia à hauteur de 59.454 € et Bâtisseurs Bretons à hauteur de 65.348 €. M. [M] a indiqué dans une réponse au PRS du 5 mars 2015 qu'il s'agissait de 'provisions collectées par application d'un principe de prudence au regard de la situation financière dégradée de deux sociétés rendant improbable le recouvrement des créances'. Or, non seulement les difficultés financières rencontrées par la société (ou ses filiales) ne sont pas de nature à exonérer le dirigeant qui commet des agissements de nature à éluder le paiement de l'impôt et à rendre impossible le recouvrement de l'administration fiscale, mais encore, M. [M] n'a pas été en mesure de justifier ni des prétendues difficultés financières justifiant la constitution de ces provisions, ni des moyens envisagés par la sarl BTC pour le recouvrement des sommes abandonnées.

97. En outre, les manquements du dirigeant se sont répétés dans le temps puisqu'en plus de la minoration de TVA à l'exercice clos échu au mois d'août 2014, M. [M] a déclaré des créances de TVA de la société au titre pour les mois d'avril, juin, juillet, août, octobre et novembre 2015 sans en honorer les paiements par la suite.

98. C'est ainsi que pour la période de gérance de M. [M], la sarl BTC s'est trouvée redevable d'une somme de 65.353 €, montant qui n'est pas sans souligner la gravité des manquements et sera détaillé ci- après.

99. Ainsi, en minorant une partie de la TVA due par la sarl BTC, et en ne restituant pas spontanément au trésor les paiements pour les déclarations faites, la société s'est donnée les moyens d'une survie artificielle qui ne pouvait qu'entraîner l'accumulation d'une dette fiscale très importante. Il découle de cette situation que le Trésor ne peut espérer être désintéressé s'agissant de ces créances.

100. Le jugement du 9 septembre 2021 sera confirmé en ce qu'il a retenu la validité du recouvrement engagé auprès de M. [M].

4) Sur le cantonnement des sommes dues

101. M. [M] soutient que seules les six déclarations de TVA au titre des mois d'avril, juin, juillet, août octobre et novembre 2015 déposées sans paiement pourraient en l'espèce caractériser l'inobservation des obligations fiscales sanctionnables par l'article L. 267 du LPF. Ainsi, le recouvrement qui lui est opposé devrait être cantonné à la somme de 13.173 € correspondante.

102. Le PRS estime que la responsabilité solidaire de M. [M] doit être engagée du fait de ses manquements pour l'ensemble des créances de TVA, ce qui justifie un recouvrement à hauteur de 65.970 €.

103. Pour mémoire, l'alinéa 1er de l'article 1353 du code civil énonce que 'Celui qui réclame l'exécution d'une obligation doit la prouver'.

104. En l'espèce, il s'évince des constatations précédemment développées que M. [M] s'est livré à divers manquements portant à la fois sur la minoration de créances de TVA pour l'exercice clos de 2014 et sur des créances déclarées sans paiements en 2015.

105. A défaut pour le PRS d'avoir transmis un bordereau de situation fiscale, il est nécessaire de se reporter aux bordereaux de mise en recouvrement fournis, afin de déterminer si les sommes réclamées par ce dernier dans la présente procédure correspondent bien à des créances valablement poursuivies, non prescrites et justifiées eu égard aux conditions juridiques du présent recours (comparaison faite avec les montants figurant dans la proposition de rectification en page 17 et dans le courrier de confirmation du 24 juillet 2015 adressé à la société ' pièces 4 et 9 du PRS).

106. Il ressort des pièces versées que les créances détaillées ci-dessous constituent l'assiette du recouvrement :

107. Il en résulte que la créance fiscale dont le PRS fournit la preuve dans la présente procédure, et qui peut donc être retenue, majorations et intérêts compris, correspond à une somme de 65.353 €.

108. Le jugement du 9 septembre 2021 sera infirmé en ce qu'il a condamné M. [M] solidairement avec la sarl BTC à régler la somme de 65.970 €.

5) Sur les dépens et les frais irrépétibles

109. Succombant principalement, M. [M] supportera les dépens de première instance et d'appel.

110. Le jugement du 9 septembre 2021 sera confirmé s'agissant des dépens de première instance.

111. Enfin, eu égard aux circonstances de l'affaire, il n'est pas inéquitable de condamner M. [M] à payer la somme de 2.500 € au PRS au titre des frais irrépétibles exposés par lui en appel et qui ne sont pas compris dans les dépens.

112. Le jugement sera confirmé s'agissant des frais irrépétibles de première instance, tandis que les demandes de M. [M] de ce chef seront rejetées.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Confirme en toutes ses dispositions le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Brest le 18 novembre 2020,

Confirme le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Rennes le 9 septembre 2021 sauf en ce qu'il a :

- déclaré M. [M] solidairement responsable avec la société BTC du paiement au comptable du Pôle de Recouvrement Spécialisé du Finistère de la somme de 65.970 €,

- condamné M. [M] à payer au comptable du Pôle de Recouvrement Spécialisé du Finistère la somme de 65.970 €,

Statuant à nouveau,

- déclare M. [U] [M] solidairement responsable avec la société BTC du paiement au comptable du Pôle de Recouvrement Spécialisé du Finistère de la somme de 65.353 €,

- condamne M. [U] [M] à payer au comptable du Pôle de Recouvrement Spécialisé du Finistère la somme de 65.353 €,

Y ajoutant,

Condamne M. [U] [M] aux dépens d'appel,

Condamne M. [U] [M] à payer la somme de 2.500 € au comptable de la direction régionale des finances publiques du Finistère au titre des frais irrépétibles d'appel non compris dans les dépens,

Rejette le surplus des demandes.

LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Rennes
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 21/06629
Date de la décision : 18/06/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 24/06/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-06-18;21.06629 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award