La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

11/06/2024 | FRANCE | N°23/04280

France | France, Cour d'appel de Rennes, 1ère chambre, 11 juin 2024, 23/04280


1ère Chambre





ARRÊT N°179



N° RG 23/04280

N° Portalis

DBVL-V-B7H-T6ES



(Réf 1ère instance : 23/00072)









Mme [F] [R] [I] [K] veuve [E]



C/



Mme [X] [J] [C] [E]













Copie exécutoire délivrée



le :



à :







RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



COUR D'APPEL DE RENNES

ARRÊT DU 11 JUIN 2024





C

OMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :



Président : Madame Véronique VEILLARD, Présidente de chambre,

Assesseur : Monsieur Philippe BRICOGNE, Président de chambre,

Assesseur : Madame Caroline BRISSIAUD, Conseillère,



GREFFIER :



Madame Marie-Claude COURQUIN, lors des débats et lors du pronon...

1ère Chambre

ARRÊT N°179

N° RG 23/04280

N° Portalis

DBVL-V-B7H-T6ES

(Réf 1ère instance : 23/00072)

Mme [F] [R] [I] [K] veuve [E]

C/

Mme [X] [J] [C] [E]

Copie exécutoire délivrée

le :

à :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE RENNES

ARRÊT DU 11 JUIN 2024

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :

Président : Madame Véronique VEILLARD, Présidente de chambre,

Assesseur : Monsieur Philippe BRICOGNE, Président de chambre,

Assesseur : Madame Caroline BRISSIAUD, Conseillère,

GREFFIER :

Madame Marie-Claude COURQUIN, lors des débats et lors du prononcé

DÉBATS :

A l'audience publique du 12 février 2024 devant Madame Caroline BRISSIAUD, magistrat rapporteur, tenant seul l'audience, sans opposition des représentants des parties et qui a rendu compte au délibéré collégial

ARRÊT :

Contradictoire, prononcé publiquement le 11 juin 2024 par mise à disposition au greffe après prorogation du délibéré annoncé au 14 mai 2024 à l'issue des débats

****

APPELANTE :

Madame [F] [R] [I] [K] veuve [E]

née le [Date naissance 1] 1949 à [Localité 10]

[Adresse 3]

[Localité 5]

Représentée par Me Dominique LE COULS-BOUVET de la SCP PHILIPPE COLLEU, DOMINIQUE LE COULS-BOUVET, Postulant, avocat au barreau de RENNES

Représentée par Me Christophe LOMBARD de la SCP SCP LOMBARD - LECARPENTIER, Plaidant, avocat au barreau de LORIENT

INTIMÉE :

Madame [X] [J] [C] [E]

née le [Date naissance 2] 1971 à [Localité 9]

[Adresse 6]

[Localité 7]

Représentée par Me Gaëlle YHUEL-LE GARREC de la SELARL YHUEL-LE GARREC, avocat au barreau de LORIENT

EXPOSÉ DU LITIGE

M. [D] [E] est décédé le [Date décès 4] 2021 laissant pour lui succéder :

- son conjoint survivant, Mme [F] [K],

- sa fille, Mme [X] [E] née d'une précédente union.

Les époux se sont consentis le 15 juillet 1997 une donation entre époux reçue par Me [Y], notaire, aux termes de laquelle il est précisé qu''à l'égard des biens soumis à l'usufruit auxquels il pourrait y avoir droit, le donataire sera dispensé de fournir caution mais il restera assujetti à toutes les charges de droit.'

M. [D] [E] avait souscrit auprès de la [11] un contrat d'assurance-vie dont le montant s'élevait au 5 novembre 2019 à la somme de 279.496 €. Il avait désigné comme bénéficiaire 'mon conjoint marié non séparé de corps/partenaire de PACS, à défaut mes enfants nés/à naître, vivants ou représentés, par parts égales.'

Suivant acte reçu par Me [G] le 22 mars 2021, M. [D] [E] a établi un testament modifiant la clause bénéficiaire du contrat d'assurance-vie en ces termes :

'Ceci est mon testament.

Le maintiens l'intégralité des droits de mon conjoint survivant dans ma succession.

J'apporte les précisions suivantes au sujet du contrat d'assurance-vie suivant :

Contrat EBENE numéro 00742/51525400 souscrit à la société générale.

Je souhaite modifier la clause bénéficiaire de la manière suivante :

Pour l'usufruit, le conjoint de l'assuré décédé, non divorcé et non séparé de corps au jour du décès.

Pour la nue-propriété, la fille de l'assuré, vivante ou représentée (si le conjoint perdait sa qualité de bénéficiaire, la prestation lui serait versée en totalité et en pleine propriété).

Conformément aux dispositions de l'article 587 du code civil, l'assureur versera l'intégralité de la prestation à l'usufruitière exclusivement en numéraire contre quittance du paiement de la somme nette perçue. Le règlement aura pour conséquence de constituer un droit de créance de la nue-propriétaire à l'égard de l'usufruitière à hauteur de la somme reçue par celui-ci.

L'assureur informera la nue-propriétaire par écrit du droit constitué en lui précisant la date et le montant du règlement effectué à l'usufruitière.

2) A défaut les héritiers de l'assuré.'

Mme [F] [K] veuve [E] expose qu'elle n'a pas pu obtenir le versement des capitaux de l'assurance-vie, la [11] lui ayant indiqué qu'elle ne pouvait effectuer aucun règlement au profit de l'usufruitière tant que la nue-propriétaire, Mme [X] [E] ne lui aurait pas restitué l'attestation sur l'honneur destinée à effectuer le calcul de l'imposition fiscale conformément aux disposions de l'article 990-1 du code général des impôts.

Par courrier recommandé avec accusé de réception en date du 16 décembre 2022, Mme [F] [K] veuve [E] a mise en demeure Mme [X] [E] de régulariser l'attestation sur l'honneur, de la renvoyer à la [11] et d'en justifier.

Par courriel du 19 décembre 2022, Mme [X] [E] a répondu qu'elle souhaitait que Mme [F] [K] veuve [E] constitue des garanties à son profit afin qu'elle puisse s'assurer de pouvoir recouvrer le montant correspondant à la valeur du contrat d'assurance-vie à la fin de l'usufruit.

Suivant acte de commissaire de justice du 23 février 2023, Mme [F] [K] veuve [E] a fait assigner en référé Mme [X] [E] devant la présidente du tribunal judiciaire de Lorient afin notamment que lui soit ordonné de renvoyer au cabinet de Me Lombard et Lecarpentier l'attestation sur l'honneur de la [11] du 18 octobre 2022, complétée, et ce sous astreinte provisoire de 500 € par jour de retard qui commencera à courir passé un délai de 10 jours à compter de la signification de l'ordonnance à intervenir.

Par ordonnance du 27 juin 2023, le juge des référés a :

- dit n'y avoir lieu référé,

- rejeté l'ensemble des demandes,

- rappelé que la décision est exécutoire de plein droit,

- condamné Mme [K] veuve [E] aux dépens.

Pour statuer ainsi, le juge des référés a considéré que la question de savoir si les dispositions de la donation entre époux consentie le 15 juillet 1997 prévoyant une dispense de caution sont applicables aux modifications de la clause bénéficiaire du contrat d'assurance-vie souscrit par M. [D] [E], modifications établies par testament reçu par Me [G] en date du 22 mars 2021, excède manifestement la compétence du juge des référés et relève de la compétence du juge du fond. De même, il a considéré que l'examen de la responsabilité de Mme [F] [K] veuve [E] et la demande subséquente de dommages et intérêts relevait de la compétence des juges du fond.

Par déclaration du 13 juillet 2023, Mme [F] [K] veuve [E] a interjeté appel partiel du chef de l'ordonnance ayant dit n'y avoir lieu à référé, ayant rejeté ses demandes et l'ayant condamnée aux dépens.

EXPOSÉ DES PRÉTENTIONS ET MOYENS

Mme [F] [K] veuve [E] expose ses prétentions et moyens dans ses dernières conclusions transmises au greffe et notifiées le 7 décembre 2023, auxquelles il est renvoyé pour l'exposé détaillé des moyens et prétentions.

Elle demande à la cour de :

- la juger recevable et bien fondée en son appel,

- in'rmer la décision du premier juge et statut à nouveau,

- ordonner à Mme [X] [E] de renvoyer au cabinet de Me Lombard et Lecarpentier l'attestation sur l'honneur de la [11] du 18 octobre 2022 complétée et ce sous astreinte provisoire de 500 € par jour de retard qui commencera à courir passé un délai de 10 jours à compter de la décision à intervenir,

- condamner Mme [X] [E] à verser à Mme [F] veuve [E] la somme de 2.000 € à titre de dommages et intérêts,

- débouter Mme [X] [E] de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,

- condamner Mme [X] [E] à verser à Mme [F] veuve [E] la somme de 2.500 € par application de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner Mme [X] [E] aux entiers dépens.

Mme [F] [K] veuve [E] fonde sa demande sur l'existence d'un trouble manifestement illicite et rappelle que le juge des référés peut prendre toutes mesures propres à le faire cesser, même en présence d'une contestation sérieuse sur le fond du droit.

Elle expose que M. et Mme [E] se sont consentis mutuellement le 15 juillet 1997 une donation entre époux reçue par Me [Y], notaire associé à [Localité 8], aux termes de laquelle il est précisé qu' 'à l'égard des biens soumis à l'usufruit auxquels il pourrait y avoir droit, le donataire sera dispensé de fournir caution, mais il restera assujetti à toutes les charges de droit.' Elle fait valoir que la Cour de cassation considère que l'époux survivant, donataire de l'usufruit, ne peut se voir imposer le placement des sommes d'argent dépendant de la succession sur un compte démembré si la donation entre époux le dispense de fournir une caution. (1ère civ, 29 sept. 2021, n° 20-19.243).

Elle ajoute que Mme [X] [E] ne saurait sérieusement prétendre que les fonds issus du contrat d'assurance-vie sont hors champ successoral et que par voie de conséquence, la donation entre époux consentie le 15 juillet 1997 n'aurait pas vocation à s'appliquer, dans la mesure où elle s'appuie elle-même sur les termes d'un testament postérieur pour s'opposer à ses demandes.

Elle fait en outre valoir que M. [D] [E] a lui-même renvoyé pour une plus ample description des droits de chacun aux dispositions prises antérieurement en insérant la mention 'Je maintiens l'intégralité des droits de mon conjoint survivant dans ma succession' dans son testament du 22 mars 2021.

Elle en conclut que par ses prétentions, Mme [X] [E] tente de s'arroger plus de droits que ceux que la loi et la convention lui prêtent et que celle-ci ne peut préjuger du comportement de sa belle-mère ni demander à la juridiction de céans de statuer par anticipation sur ses seules prédictions infondées.

Sur la demande de dommages et intérêts, elle entend souligner que Mme [X] [E] s'oppose à la libération des fonds issus du contrat d'assurance vie depuis près de deux ans et que cette opposition n'est motivée en réalité que par son aversion pour elle, pourtant compagne de son père pendant 35 ans et épouse durant plus de 26 ans.

Enfin, elle considère que l'abus de droit est caractérisé dès lors que Mme [X] [E] a été sommée plusieurs fois à l'amiable de procéder à la régularisation de l'attestation sur l'honneur et que son refus injustifié n'a que pour objectif de retarder la libération des fonds et de gagner du temps à son détriment.

*****

Mme [X] [E] expose ses prétentions et moyens dans ses dernières conclusions transmises au greffe et notifiées le 10 novembre 2023, auxquelles il est renvoyé pour l'exposé détaillé des moyens et prétentions.

Elle demande à la cour de :

- confirmer l'ordonnance dont appel en ce qu'elle a débouté Mme [F] [K] veuve [E] des fins de son assignation, disant n'y avoir lieu à référé,

Subsidiairement et incidemment, au cas de réformation de l'ordonnance entreprise, statuant à nouveau :

- condamner Mme [F] [K] veuve [E] à fournir caution, ou à défaut, de placer les fonds sur un compte en démembrement la privant de la libre disposition des sommes mais lui permettant d'en percevoir les fruits, sous astreinte de 500 € par jour de retard, passé 10 jours après la signification de l'ordonnance à intervenir, pour une durée de 30 jours, délai passé lequel le Juge des référés se réservera la liquidation de l'astreinte et le prononcé d'une astreinte définitive,

- dire et juger que Mme [X] [E] ne sera condamnée à servir l'attestation [11] que passé le délai de 10 jours à compter de la signification qui lui sera faite de la notification de la garantie fournie par Mme [F] [K] veuve [E],

Vu l'article 32-1 du code de procédure civile,

- confirmer l'ordonnance entreprise en ce qu'elle a débouté Mme [F] [K] veuve [E] de sa prétention à octroi d'une somme de 2.000 €,

Incidemment,

- réformer l'ordonnance entreprise ne ce qu'elle a débouté Mme [X] [E] de sa demande indemnitaire, et statuant à nouveau :

- condamner Mme [F] [K] veuve [E] au règlement d'une somme de 1.000  € au titre de dommages et intérêts sans préjudice d'amende civile,

Vu l'article 700 du code de procédure civile,

- confirmer l'ordonnance entreprise en ce qu'elle a débouté Mme [F] [K] veuve [E] de sa prétention à octroi d'une indemnité au titre de ses frais irrépétible de justice,

Incidemment,

- réformer l'ordonnance entreprise ne ce qu'elle a débouté Mme [X] [E] de sa demande indemnitaire au titre de ses frais irrépétibles de justice, et statuant à nouveau :

- condamner Mme [F] [K] veuve [E] au règlement d'une somme de 2.000 € au titre des frais irrépétibles de justice de 1ère instance,

- condamner Mme [F] [K] veuve [E] au règlement d'une somme de 2.500 € au titre des frais irrépétibles d'appel outre dépens.

Mme [X] [E] indique qu'elle n'est pas débitrice envers sa belle-mère d'une obligation non sérieusement contestable, dès lors qu'elle peut, à ce stade encore, imaginer de renoncer à la clause bénéficiaire l'instituant nue-propriétaire des fonds, au bénéfice de ses enfants.

Surtout, elle fait valoir que Mme [F] [E] ne démontre pas l'existence d'un trouble manifestement illicite.

Elle invoque les dispositions des articles 601 et 602 du code civil qui ont vocation à s'appliquer toutes les fois où l'usufruitier n'est pas dispensé de donner caution par stipulation expresse de l'acte constitutif.

Elle expose qu'en l'espèce Mme [F] [E] est usufruitière à deux titres :

- de l'actif successoral en vertu de la donation entre époux du 15 juillet 1997, et du testament du 2 décembre 1988, lesquels comportent expresse dispense pour l'usufruitier de fournir caution.

- des sommes placées en assurance-vie en vertu du testament authentique du 22 mars 2021, qui ne comporte nulle dispense de donner caution.

Elle estime que Mme [K] ne peut se prévaloir de la dispense de caution résultant de la donation entre époux du 15 juillet 1997, dès lors que cette clause ne concerne que l'usufruit constitué sur l'actif présent à la succession, et objet de la libéralité et qu'elle ne peut concerner un contrat d'assurance-vie hors champ successoral, en application de l'article L. 132-12 du code des assurances. Elle étaye cette interprétation en invoquant une jurisprudence prise en application de l'article 1094-3 du code civil.

Elle ajoute que pour le cas de modification par testament d'une clause bénéficiaire d'un contrat d'assurance vie, établissant un quasi usufruit, ledit testament doit expressément reprendre la dispense de caution pour que l'usufruitier n'y soit pas tenu, ce qui n'est nullement le cas en l'espèce.

Ainsi, contrairement à ce qu'elle soutient, Mme [F] [E] ne saurait se soustraire à la caution au motif que le de cujus n'aurait pas subordonné l'usufruit de la clause bénéficiaire à la constitution d'une garantie, puisque dans cette hypothèse l'article 601 du code civil s'impose.

Elle précise enfin que même en cas de clause expresse de dispense de caution, il est de jurisprudence constante que celle-ci n'est jamais définitive et peut être remise en cause judiciairement, lorsque les droits du nu-propriétaire sont en péril du fait de l'insolvabilité présente ou imminente de l'usufruitier. Tel est bien le cas en l'espèce, Mme [K] veuve [E] n'ayant aucun patrimoine immobilier ni ressources suffisamment conséquentes pour que la nue-propriétaire puisse escompter, à défaut de caution, une représentation de la créance dont elle deviendra bénéficiaire au versement des fonds.

Elle conclut donc qu'en considération du démembrement de la clause bénéficiaire du contrat d'assurance vie, et à défaut de dispense de constituer caution dans le testament instituant Mme [F] [E], la circonstance qu'elle subordonne le versement des fonds à la constitution préalable de garanties par l'usufruitière, ne constitue nullement un trouble manifestement illicite.

Subsidiairement, le testament ne comportant pas de dispense de fournir caution claire et dépourvue de toute ambiguïté, elle sollicite au visa de l'article 835 du code de procédure civile et par application de l'article 602 du code civil, et faute pour Mme [E] de fournir caution, le placement par cette dernière des fonds de l'assurance sur un compte en démembrement la privant de la libre disposition des sommes mais lui permettant d'en percevoir les fruits.

Par ailleurs, elle sollicite que l'ordonnance entreprise soit confirmée en ce qu'elle a débouté Mme [F] [K] Veuve [E] de sa demande de dommages et intérêts.

Enfin, elle considère que la demande de sa belle-mère à son égard n'est pas exempte de l'abus de droit visé à l'article 32-1 du code de procédure civile, dans la mesure où Mme [F] [K] veuve [E] se soustrait quant à elle, de longue date, au règlement de la succession de son époux en ne prenant pas position sur son option de conjoint survivant. Elle sollicite donc à titre incident, la réformation de l'ordonnance en ce qu'elle a rejeté sa demande indemnitaire et statuant de nouveau, la condamnation de Mme [K] à lui régler la somme de 1.000 € à titre de dommages et intérêts.

MOTIVATION DE LA COUR

1°/ Sur la demande de restitution sous astreinte de l'attestation sur l'honneur

Aux termes de l'article 835 alinéa 1 du code de procédure civile, le président du tribunal judiciaire, dans les limites de sa compétence, peut, même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite (référé conservatoire).

L'existence d'un trouble manifestement illicite suppose la violation évidente de la règle de droit ou l'atteinte manifeste aux droits d'autrui.

En l'espèce, il appartient à Mme [F] [K] de rapporter la preuve du trouble manifestement illicite invoqué.

Aux termes de l'article 601 du code civil, l'usufruitier donne caution de jouir raisonnablement, s'il n'en est dispensé par l'acte constitutif de l'usufruit.

Aux termes de l'article 602 du même code, si l'usufruitier ne trouve pas de caution, les sommes comprises dans l'usufruit sont placées, les intérêts produits revenant à l'usufruitier.

Selon le droit commun de l'usufruit, l'usufruitier n'est donc dispensé de donner caution que par stipulation expresse de l'acte constitutif.

Il est exact que suivant acte du 15 juillet 1997 reçu par Me [Y], [D] [E] a consenti à Mme [F] [K] une donation entre époux aux termes de laquelle il est mentionné qu' ''à l'égard des biens soumis à l'usufruit auxquels il pourrait y avoir droit, le donataire sera dispensé de fournir caution, mais il restera assujetti à toutes les charges de droit'.

Il ne fait donc aucun doute que l'usufruit dont disposera Mme [K] dans l'actif de la succession (sous réserve de la régularisation de l'acte authentique relatif à son option successorale) sera conformément à cette donation soumis à dispense de fournir caution.

Toutefois, les fonds placés sur un contrat d'assurance-vie ne font pas partie de l'actif successoral. Ils sont hors du champ de la succession, en vertu des dispositions de l'article L. 132-12 du code des assurances.

Par ailleurs, l'assurance-vie repose sur le mécanisme de la stipulation pour autrui et n'est pas assimilable à une libéralité. Le fait que la clause bénéficiaire soit instituée par voie testamentaire ne change pas cette nature.

Enfin, l'acte constitutif de l'usufruit portant sur le capital du contrat d'assurance-vie n'est pas l'acte de donation du 15 juillet 1997 mais le testament reçu par maître [G] le 22 mars 2021, par lequel [D] [E] a entendu démembrer la clause bénéficiaire du contrat d'assurance-vie.

Le testament est rédigé en ces termes :

'Ceci est mon testament.

Je maintiens l'intégralité des droits de mon conjoint survivant dans ma succession.

J'apporte les précisions suivantes au sujet du contrat d'assurance-vie suivant :

Contrat EBENE numéro 00742/51525400 souscrit à la société générale.

Je souhaite modifier la clause bénéficiaire de la manière suivante :

Pour l'usufruit, le conjoint de l'assuré décédé, non divorcé et non séparé de corps au jour du décès.

Pour la nue-propriété, la fille de l'assuré, vivante ou représentée (si le conjoint perdait sa qualité de bénéficiaire, la prestation lui serait versée en totalité et en pleine propriété).

Conformément aux dispositions de l'article 587 du code civil, l'assureur versera l'intégralité de la prestation à l'usufruitière exclusivement en numéraire contre quittance du paiement de la somme nette perçue. Le règlement aura pour conséquence de constituer un droit de créance de la nue-propriétaire à l'égard de l'usufruitière à hauteur de la somme reçue par celui-ci.

L'assureur informera la nue-propriétaire par écrit du droit constitué en lui précisant la date et le montant du règlement effectué à l'usufruitière.

2) A défaut les héritiers de l'assuré'.

L'acte constitutif de l'usufruit ne comporte donc en lui-même aucune dispense de donner caution à l'usufruitier, alors qu'une telle clause figurait expressément dans les actes de dispositions antérieurs du de cujus, à savoir le testament du 2 décembre 1988 et l'acte de donation du 15 juillet 1997.

Par ailleurs, il ne peut être tiré aucun enseignement de la clause du testament précisant : 'Je maintiens l'intégralité des droits de mon conjoint survivant dans ma succession' quant à l'application de la clause de dispense de fournir caution insérée dans l'acte de donation du 15 juillet 1997 au contrat d'assurance-vie, dès lors que le défunt précise bien que ses précédentes dispositions, qu'il n'entend pas remettre en cause, ne concernent que les droits de son conjoint dans 'sa succession', ce qui exclut le contrat d'assurance-vie litigieux, lequel est hors succession, comme précédemment indiqué.

Au bénéfice de ces observations, il ne se dégage pas avec l'évidence requise en référé que les dispositions de la donation entre époux consentie le 15 juillet 1997 prévoyant une dispense de caution, seraient applicables à la clause bénéficiaire du contrat d'assurance-vie souscrit par feu [D] [E], telle que modifiée par le testament reçu par Me [G] le 22 mars 2021.

Dès lors que la question du périmètre d'application de la clause de dispense de caution figurant dans l'acte du 15 juillet 1997 n'est pas tranchée et que, comme l'a justement retenu le premier juge, cette question relève de l'appréciation du juge du fond, Mme [K] échoue à démontrer avec certitude la réalité de son droit.

Or, faute pour Mme [K] de démontrer qu'elle bénéficie, aux termes de la donation entre époux consentie le 15 juillet 1997, d'une dispense de caution s'étendant à l'usufruit constitué sur les sommes issues du contrat d'assurance-vie, les dispositions du code civil relatives au droit commun de l'usufruit sont censées s'appliquer.

Il en résulte que Mme [E] serait donc parfaitement en droit d'exiger de l'appelante de fournir les garanties prévues aux articles 601 et 602 du code civil précités.

En définitive, il y a lieu de considérer que compte tenu du démembrement de la clause d'assurance-vie, le fait pour Mme [X] [E] d'exiger préalablement à la restitution du document nécessaire au déblocage des fonds en faveur de Mme [F] [K] la fourniture d'une caution ou à défaut le placement des capitaux sur un compte en démembrement dont elle ne pourra percevoir que les fruits, n'est pas constitutif d'un trouble manifestement illicite.

Au surplus, la demande formée par Mme [K], dès lors qu'elle tend à la libération des fonds à son profit, ne saurait s'analyser comme une simple mesure conservatoire, puisqu'elle reviendrait en réalité à lui attribuer définitivement les fonds, sans aucune garantie de représentation de ceux-ci à la nue-propriétaire.

Il convient de confirmer, par substitution de motifs, l'ordonnance entreprise en ce qu'elle a dit n'y avoir lieu à référé et en ce qu'elle a rejeté la demande formée à l'encontre de Mme [X] [E] de restitution sous astreinte, de l'attestation sur l'honneur complétée, à la [11].

2°/ Sur la demande de dommages et intérêts pour résistance abusive

a. En droit

Aux termes de l'article 835 alinéa 2 du code de procédure civile, dans le cas où l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable, le président du tribunal judiciaire peut accorder une provision au créancier ou ordonner l'exécution d'une obligation même s'il s'agit d'une obligation de faire (référé provision).

Il est constant que l'octroi de dommages et intérêts excède les pouvoirs du juge des référés (Cass. 2ème civ.11 décembre 2008, n° 7-20.255) mais qu'il peut en revanche accorder une provision sur dommages-intérêts.

L'article 32-1 du code de procédure civile énonce que 'Celui qui agit en justice de manière dilatoire ou abusive peut être condamné à une amende civile d'un maximum de 10.000 euros, sans préjudice des dommages-intérêts qui seraient réclamés.'

Il est admis que cet article peut être appliqué par toute juridiction y compris celle des référés (Cass. 1ère civ.16 décembre 1986, n° 85-13.716) de sorte que la juridiction des référés a le pouvoir de statuer sur le dommage causé par le comportement abusif des parties à la procédure dont elle est saisie dès lors que le caractère abusif n'est pas sérieusement contestable (Cass. Civ. 1ère, 4 févr. 1992, n° 89-12. 725, Civ. 2ème, 8 février 2018, n° 17-10.456).

b. Sur la demande de Mme [F] [K] veuve [E]

Mme [F] [K] veuve [E] demande la somme 2.000 € de dommages et intérêts en estimant que Mme [X] [E] a abusivement résisté à sa demande.

Il a été jugé que Mme [K] ne démontre pas l'existence d'un trouble manifestement illicite.

Compte tenu du démembrement de la clause d'assurance-vie, Mme [X] [E] ne pourra prétendre qu'à une créance de restitution, égale au montant des capitaux du contrat d'assurance-vie versés à sa belle-mère en vertu de son quasi-usufruit.

Par ailleurs, au décès de Mme [K] avec laquelle elle entretient des relations conflictuelles, elle n'aura que le statut de créancier chirographaire dans la succession de cette dernière.

Le fait de subordonner la remise de cette attestation à la constitution par la quasi-usufruitière de garanties, conformément au droit commun de l'usufruit, ne peut donc être considéré comme abusif ou fautif.

Par conséquent, la résistance abusive n'étant pas caractérisée, l'obligation est sérieusement contestable, ce qui justifie le rejet de cette demande.

L'ordonnance sera confirmée en ce qu'elle a débouté Mme [K] de cette demande.

c. Sur la demande de Mme [X] [E]

Mme [X] [E] estime que la demande de Mme [K] présente un caractère abusif dès lors que cette dernière bloque le règlement de la succession en ne prenant pas position sur son option, nonobstant la lettre recommandée qui lui a été adressée en ce sens. Elle sollicite la somme de 1.000 € à titre de dommages et intérêts.

L'imputation du retard dans le règlement de la succession à Mme [K] ne résulte pas suffisamment des pièces produites. L'intention dilatoire de Mme [K] dans l'objectif de nuire à l'intimée n'est pas avérée, de sorte que le caractère abusif de la demande formée dans le cadre du litige intéressant la libération de l'assurance-vie ne peut être retenu.

L'obligation est sérieusement contestable, ce qui justifie le rejet de cette demande.

L'ordonnance sera confirmée en ce qu'elle a débouté Mme [E] de cette demande.

3°/ Sur les frais irrépétibles et les dépens

Les dispositions de l'ordonnance relative aux dépens et aux frais irrépétibles seront confirmées.

Succombant en appel, Mme [F] [K] veuve [E] sera condamnée aux dépens d'appel.

En équité, il ne sera pas fait application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile. Chaque partie sera donc déboutée de sa demande sur ce fondement.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Confirme par substitution de motifs l'ordonnance de référé rendue le 27 juin 2023 par la présidente du tribunal judiciaire de Lorient,

Y ajoutant,

Condamne Mme [F] [K] veuve [E] aux dépens d'appel,

Déboute Mme [F] [K] veuve [E] de sa demande sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

Déboute Mme [X] [E] de sa demande sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Rennes
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 23/04280
Date de la décision : 11/06/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 17/06/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-06-11;23.04280 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award