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06/06/2024 | FRANCE | N°22/06662

France | France, Cour d'appel de Rennes, Chambre des baux ruraux, 06 juin 2024, 22/06662


Chambre des Baux Ruraux





ARRÊT N° 12



N° RG 22/06662 - N° Portalis DBVL-V-B7G-TIYL

(Réf 1ère instance : 22/00001)











M. [A] [B]

Mme [L] [W] épouse [B]



C/



M. [G] [J]

Mme [H] [J] épouse [R]

Mme [C] [J] épouse [Z]

Mme [P] [J]

M. [E] [J]

















Confirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours





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Copie exécutoire délivrée

le :



à : Me Maupetit

Me de Guerry de Beauregard





REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



COUR D'APPEL DE RENNES

ARRÊT DU 06 JUIN 2024





COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :

Présiden...

Chambre des Baux Ruraux

ARRÊT N° 12

N° RG 22/06662 - N° Portalis DBVL-V-B7G-TIYL

(Réf 1ère instance : 22/00001)

M. [A] [B]

Mme [L] [W] épouse [B]

C/

M. [G] [J]

Mme [H] [J] épouse [R]

Mme [C] [J] épouse [Z]

Mme [P] [J]

M. [E] [J]

Confirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours

Copie exécutoire délivrée

le :

à : Me Maupetit

Me de Guerry de Beauregard

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE RENNES

ARRÊT DU 06 JUIN 2024

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :

Président : Monsieur Philippe BRICOGNE, Président, rapporteur

Assesseur : Madame Véronique VEILLARD, Présidente de chambre,

Assesseur : Madame Caroline BRISSIAUD, Conseillère,

GREFFIER :

Madame OMNES, lors des débats et lors du prononcé

DÉBATS :

A l'audience publique du 07 Mars 2024

ARRÊT :

contradictoire, prononcé publiquement le 06 Juin 2024 par mise à disposition au greffe comme indiqué à l'issue des débats

****

APPELANTS :

Monsieur [A] [B]

né le 23 février 1965 à [Localité 21], de nationalité française, agriculteur

[Adresse 5]

[Localité 14]

Madame [L] [W] épouse [B]

née le 26 janvier 1962 à [Localité 21], de nationalité française, agricultrice

[Adresse 5]

[Localité 14]

comparants en personne, assistés de Me Antoine MAUPETIT de la SARL CHROME AVOCATS, substitué par Me Nastassia GALLAIS COGNEE, avocats au barreau de NANTES

INTIMES :

Monsieur [G] [J]

né le 15 septembre 1939 à [Localité 15], de nationalité française, retraité

[Adresse 10]

[Localité 7]

comparant en personne, assisté de Me Antoine DE GUERRY DE BEAUREGARD, avocat au barreau de LA ROCHE-SUR-YON

Madame [H] [J] épouse [R]

née le 23 avril 1969 à [Localité 17], de nationalité française, psychologue

[Adresse 19]

[Localité 14]

Madame [C] [J] épouse [Z]

née le 13 décembre 1971 à [Localité 13], de nationalité française, ingénieure informatique

[Adresse 3]

[Localité 9]

Madame [P] [J]

née le 4 octobre 1985 à [Localité 22], de nationalité française,

[Adresse 11]

[Localité 1]

Monsieur [E] [J], majeur placé sous le régime de la tutelle de l'ATIMP 44

né le 4 mars 1975 à [Localité 12] (Pérou), de nationalité française, sans profession

ATIMP 44, Pôle de Service du [20]

[Adresse 2]

[Localité 6]

représentés par Me Antoine DE GUERRY DE BEAUREGARD, avocat au barreau de LA ROCHE-SUR-YON

EXPOSÉ DU LITIGE

1. M. [G] [J] et Mme [K] [T] épouse [J] étaient propriétaires d'une parcelle cadastrée section XH [Cadastre 8] pour une contenance de 2 ha 93 a 70 ca sur la commune de [Localité 14], secteur de [Localité 16], lieu-dit "[Localité 18]".

2. Mme [K] [T] épouse [J] est décédée le 20 octobre 2003. Par effet de l'option successorale du conjoint survivant, la parcelle est détenue depuis cette date par M. [G] [J] et ses quatre enfants.

3. Dans le courant de l'année 2003, la parcelle XH [Cadastre 8] a été mise à disposition de M. [A] [B] qui, en contrepartie, s'engageait à entretenir le terrain et à prendre soin de deux poneys et d'un âne.

4. Les deux poneys sont morts en 2004 et 2016.

5. Par courrier recommandé du 28 février 2019, M. [G] [J] a demandé à M. [A] [B] et Mme [L] [B] (les époux [B]) de libérer la parcelle avant le 1er mars 2020, indiquant vouloir la vendre à l'une de ses filles et précisant avoir accepté par tolérance de laisser leurs animaux sur la parcelle sans aucun paiement.

6. Par courrier adressé à M. [G] [J] le 8 janvier 2020, la Confédération Paysanne 44, saisie par les époux [B], a indiqué à ce dernier qu'ils se considéraient comme titulaires d'un bail rural sur la parcelle litigieuse et qu'en conséquence il ne pouvait y être mis un terme par le simple envoi d'un courrier recommandé mais qu'ils n'étaient pas opposés à un règlement amiable du différend.

7. Par courrier du 27 janvier 2020 à l'attention de la Confédération Paysanne 44, M. [G] [J] a indiqué avoir conclu une entente verbale en 2003 avec M. [A] [B] à propos de la jouissance de la parcelle litigieuse en contrepartie de l'engagement par ce dernier d'entretenir le terrain et de prendre soin de deux poneys et d'un âne. Il a demandé à connaître les modalités qui pourraient être proposées dans le cadre d'un accord amiable.

8. Par courrier adressé à M. [G] [J] le 12 février 2020, la Confédération Paysanne 44 a proposé la finalisation d'un bail rural sur la parcelle litigieuse avec un prix du fermage à 100 €/ha.

9. Par courrier du 14 février 2020 adressé aux époux [B], M. [G] [J] a renouvelé sa demande de voir libérer la parcelle pour le 1er mars 2020, rappelant que l'accord de mise à disposition précaire de ladite parcelle venait à échéance à cette date.

10. Le 18 février 2020, M. [G] [J] a cédé à titre gratuit l'âne Nerhsuz au centre éducatif et psychothérapeutique de [Localité 16].

11. L'indivision [J] a fait établir un procès-verbal de constat par huissier de justice du 19 février 2020 décrivant l'état de la parcelle litigieuse à cette date.

12. Par courrier recommandé du 11 mars 2021, les époux [B] ont saisi le tribunal paritaire des baux ruraux de Saint-Nazaire.

13. L'affaire a été radiée du rôle pour défaut de diligences des parties.

14. Par courrier recommandé du 13 janvier 2022, M. [G] [J] et ses quatre enfants (les consorts [J]), intervenants volontaires à la procédure, ont sollicité la réinscription de l'affaire.

15. Par jugement du 21 octobre 2022, le tribunal a :

- constaté les interventions volontaires de Mme [H] [J] épouse [R], de Mme [C] [J] épouse [Z], de Mme [P] [J] et de M. [E] [J] à l'instance,

- rejeté l'ensemble des demandes formulées par les époux [B],

- condamné in solidum les époux [B] à payer aux consorts [J] la somme de 1.500 € au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- rejeté le surplus des demandes formulées par les consorts [J],

- rappelé que l'exécution provisoire de la décision est de droit,

- condamné in solidum les époux [B] aux entiers dépens.

16. Pour statuer ainsi, le tribunal a considéré que les époux [B] ne justifiaient pas avoir réalisé un entretien régulier et continu de la parcelle pouvant être retenu comme un service ou des travaux susceptibles de caractériser une contrepartie onéreuse à la mise à disposition de la parcelle litigieuse et qu'ils ne justifiaient pas d'un refus de remboursement des frais vétérinaires par ailleurs exposés, toutes choses ne permettant pas de caractériser leur occupation de bail rural.

17. Par déclaration au greffe de la cour d'appel de Rennes du 18 novembre 2022, les époux [B] ont interjeté appel de cette décision.

* * * * *

18. Dans leurs dernières conclusions régulièrement notifiées déposées au greffe via RPVA le 3 octobre 2023 et soutenues à l'audience, les époux [B] demandent à la cour de :

- infirmer le jugement du tribunal paritaire des baux ruraux de Saint-Nazaire du 21 octobre 2022 en ce qu'il a rejeté l'ensemble de leurs demandes,

- statuant de nouveau,

- constater l'existence d'un bail rural verbal à leur profit depuis 2003 sur un terrain cadastré section XH n° [Cadastre 8], situé sur le territoire de la commune de [Localité 16] ([Localité 14]), au lieu-dit [Localité 18] d'une surface de 2 ha 93 a 70 ca,

- dire et juger que le congé délivré par M. [G] [J] le 28 février 2019 est nul et de nul effet,

- débouter les consorts [J] de l'ensemble de leurs demandes, fins et conclusions,

- condamner in solidum les consorts [J] à leur payer la somme de 5.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner in solidum les consorts [J] aux entiers frais et dépens.

19. À l'appui de leurs prétentions, les époux [B] font en effet valoir :

- que le caractère onéreux de la mise à disposition est justifié par l'entretien demandé et les soins apportés aux animaux du propriétaire, ce qui constitue une contrepartie en nature, mais aussi en numéraires, puisque cette obligation a engendré des frais non négligeables, cet accord ayant été passé du temps du vivant de Mme [K] [T] épouse [J],

- qu'ils exploitent cette parcelle en vue de l'entretenir et y réalisent une activité agricole,

- que le courrier adressé par M. [G] [J] le 27 janvier 2020 constitue de ce point de vue un véritable aveu extra-judiciaire, corroboré par plusieurs autres éléments (attestations, élagage des arbres, établissement d'une clôture de qualité, soins vétérinaires),

- que les procès-verbaux de constat d'huissier établis de façon non contradictoire par les consorts [J] ne peuvent caractériser le défaut d'entretien allégué, pas plus que les photographies versées aux débats, non datées et non localisées,

- que le congé délivré par lettre recommandée avec accusé de réception par M. [G] [J] ne respecte ni l'échéance du contrat, ni la motivation du congé, ni le formalisme imposé par les dispositions du statut du fermage,

- qu'à ce jour, M. [A] [B] est chef d'exploitation et Mme [L] [B] conjointe collaboratrice, de sorte qu'il ne peut être allégué aucune cession prohibée,

- qu'ils ont toujours eu la jouissance exclusive de la parcelle,

- que M. [G] [J] ne leur a jamais rien reproché sur l'entretien de la parcelle comme sur les soins apportés aux animaux confiés, les chevaux étant morts de vieillesse,

- que la convention passée ne saurait en toute hypothèse s'analyser en un commodat.

* * * * *

20. Dans leurs dernières conclusions régulièrement notifiées déposées au greffe le 6 mars 2024 et soutenues à l'audience, les consorts [J] demandent à la cour de :

- confirmer le jugement dont appel,

- subsidiairement, en cas de reconnaissance d'un bail rural, sur appel incident,

- prononcer la nullité du bail,

- encore plus subsidiairement,

- prononcer la résiliation du bail pour mauvais entretien,

- condamner les époux [B] à restituer la parcelle XH n° [Cadastre 8] au lieu-dit [Localité 18], d'une superficie de 2,9370 ha, en bon état de débroussaillage et pourvue d'une clôture l'entourant intégralement et ce dans les 15 jours de la décision à intervenir et sous astreinte de 100 € par jour de retard au-delà,

- dans tous les cas, condamner les époux [B] à leur payer, sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, la somme de 4.800 €.

21. À l'appui de leurs prétentions, les consorts [J] font en effet valoir :

- que la parcelle, qui contient une vieille bâtisse, un ancien lavoir, un puits et des bois, n'a été laissée qu'en vue d'y laisser vivre trois équidés leur appartenant et non de l'exploiter de façon exclusive, en témoigne le retour sur place de l'âne donné au centre psycho-thérapeutique,

- que la parcelle n'est pas entretenue, en dehors des espaces herbeux où les époux [B] ont installé leur troupeau,

- que la mission de simple surveillance des équidés a pris fin à la suite de la mort de deux d'entre eux et de la cession du dernier au centre psycho-thérapeutique,

- que les contreparties alléguées sont soit pour le profit personnel des époux [B] (récolte du foin pour leurs propres animaux), soit n'ont jamais été exigées (élagage des arbres),

- que les frais vétérinaires avancés ont toujours été remboursés à première demande,

- qu'à supposer qu'un bail rural ait existé, il n'a pas été valablement consenti par la totalité des indivisaires puisqu'il est alors postérieur au décès de l'épouse de M. [G] [J], qui n'a eu affaire qu'à M. [A] [B] et non à son épouse qui est la seule exploitante et qui aurait donc bénéficié d'une cession prohibée comme non autorisée,

- que l'état d'abandon de la parcelle constituerait un autre motif de résiliation du bail, ainsi qu'en témoignent différents procès-verbaux de constat d'huissier, fussent-ils établis de façon non contradictoire,

- que les époux [B] ne sauraient tirer du courrier adressé par M. [G] [J] le 28 février 2019 l'expression d'un congé qui viendrait corroborer l'existence d'un bail rural.

* * * * *

22. Pour plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, il convient de se reporter à leurs écritures ci-dessus visées figurant au dossier de la procédure.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur l'existence d'un bail rural

23. Aux termes de l'article L. 411-1 du code rural et de la pêche maritime, 'toute mise à disposition à titre onéreux d'un immeuble à usage agricole en vue de l'exploiter pour y exercer une activité agricole définie à l'article L. 311-1 est régie par les dispositions du présent titre, sous les réserves énumérées à l'article L. 411-2. Cette disposition est d'ordre public.

Il en est de même, sous réserve que le cédant ou le propriétaire ne démontre que le contrat n'a pas été conclu en vue d'une utilisation continue ou répétée des biens et dans l'intention de faire obstacle à l'application du présent titre :

- de toute cession exclusive des fruits de l'exploitation lorsqu'il appartient à l'acquéreur de les recueillir ou de les faire recueillir ;

- des contrats conclus en vue de la prise en pension d'animaux par le propriétaire d'un fonds à usage agricole lorsque les obligations qui incombent normalement au propriétaire du fonds en application des dispositions du présent titre sont mises à la charge du propriétaire des animaux.

La preuve de l'existence des contrats visés dans le présent article peut être apportée par tous moyens'.

24. La mise à disposition est considérée comme étant consentie à titre onéreux dès lorsqu'il existe une contrepartie versée par l'occupant, peu important la nature de celle-ci, la charge de la preuve de la contrepartie incombant au preneur présumé. Cette preuve peut s'inférer des indications résultant d'une correspondance échangée entre les parties. La contrepartie est réputée faite à titre onéreux lorsqu'elle consiste, pour le preneur, à assumer tout ou partie des obligations habituellement à la charge du propriétaire.

25. Inversement, une déclaration d'exploitation faite à la MSA ne confère aucun titre valant bail à ferme à l'intéressé. La seule exploitation par un agriculteur d'une parcelle de terre n'est pas suffisante lorsque le titre en vertu duquel cette exploitation intervient peut s'expliquer par une situation autre que celle de l'existence d'un bail. Il a ainsi été jugé que deux paiements effectués sur une période de 11 ans ne suffisent pas à établir que l'occupation de la parcelle avait une contrepartie onéreuse (cour d'appel de Pau, chambre sociale, 7 juin 2010, n° 08/04968).

26. L'article 1383 du code civil définit 'l'aveu (comme étant) la déclaration par laquelle une personne reconnaît pour vrai un fait de nature à produire contre elle des conséquences juridiques'.

26. En l'espèce, les époux [B] voient dans un courrier adressé le 27 janvier 2020 à la Confédération Paysanne 44, mandatée par eux, l'expression d'un aveu extra-judiciaire de l'existence d'un bail rural.

27. Ce courrier est ainsi rédigé : 'en 2003, j'ai conclu une entente verbale avec M. [A] [B] à propos de la jouissance d'un terrain situé à [Localité 18], d'une superficie de 2 ha 93 a 70 ca. En contrepartie, M. [B] s'engageait à entretenir le terrain et à prendre soin de 2 poneys, morts à ce jour, et d'un âne que je compte donner à l'Association Jeunesse et Avenir [Adresse 4]. Dans votre courrier, vous me signalez que cette entente verbale équivaut à un bail signé et vous me proposez de trouver un accord amiable avec M. [B] pour récupérer mon terrain. Auriez-vous l'obligeance de me faire connaître les modalités de cet accord amiable ''.

28. La mise à disposition du terrain est certes clairement identifiée et comporte bien une forme de contrepartie qui a commencé, au moment de la rédaction de cette lettre, au moins 16 ans plus tôt. Il est constant que l'âne se trouvait encore sur place à ce moment-là et que les deux chevaux sont morts successivement en 2004 et 2016. Si l'obligation imposée aux époux [B] s'est allégée au fil des ans avec la perte progressive des animaux, ils ont apporté à ces derniers, durant ces années, des soins, de la nourriture et de la surveillance, toutes choses théoriquement à la charge du propriétaire gardien.

29. À cette fin, les époux [B] produisent trois factures d'un vétérinaire, du 7 mai 2014 (88,53 € pour le cheval Turgy), du 23 août 2016 (111,46 € pour le cheval Turgy, suite à une ordonnance établie la veille) et du 28 décembre 2016 120 € pour un poney), en guise de soins apportés aux animaux des consorts [J]. Mais les époux [B] n'ont pas entendu contester le fait que M. [G] [J] leur ait remboursé une facture vétérinaire du 1er juillet 2008 de 113,69 € pour la jument, de sorte qu'il existe une équivoque sur cette obligation qui pouvait consister uniquement à nourrir et surveiller les animaux, présents sur place au même titre que le troupeau. Les époux [B] ne produisent ainsi aucun refus de remboursement de la part des consorts [J] qui aurait permis de confirmer que la charge de soins figurait bien dans le périmètre du contrat. Au demeurant, la somme totale consacrée aux soins (319,99 €) doit être mise en perspective d'une occupation de 20 ans, de sorte qu'elle représente moins de 16 € par an.

30. Certes, la jouissance de la parcelle a été utilisée à des fins agricoles puisqu'elle permettait aux époux [B] d'y faire pâturer leur troupeau. L'exploitation de la parcelle XH [Cadastre 8], qui se trouvait toujours en secteur à vocation agricole le 17 mars 2022 (certificat d'urbanisme à l'appui) est attestée notamment par M. [V] (qui a 'participé à l'édification de clôture sur cette parcelle', une photographie illustrant cette clôture), M. [N] (qui a 'participé à son entretien') et M. [X] (à qui il est arrivé d'aider les époux [B] 'à bouger les vaches de parc'). Elle figure au relevé d'exploitation édité en dernier lieu le 16 décembre 2020 au nom de Mme [L] [B], M. [A] [B] ayant eu la qualité de chef d'exploitation du 6 mars 1998 au 31 mai 2010 avant d'avoir un statut de conjoint collaborateur jusqu'au 31 octobre 2021.

31.Il existe d'ailleurs plusieurs photographies de ces équidés, ferrés et/ou nourris par M. [A] [B]. M. [V] atteste ainsi 'avoir aidé lors de l'été sec et caniculaire de 2003 M. [A] [B] à abreuver les animaux, deux chevaux (une jument et un mâle) ainsi qu'un âne dont les époux [B] avaient la charge, nous prenions l'eau à la ferme des époux [B] pour la transporter avec une tonne à eau jusqu'à la parcelle XH [Cadastre 8]'.

31. Mais la prise en charge de ces équidés a pu constituer une difficulté pour M. [G] [J], notamment au décès de son épouse, l'ayant finalement conduit à céder l'âne Nerzus au centre médico-social de [Localité 16] à la faveur du litige né avec les époux [B], ainsi qu'en atteste M. [D], éducateur spécialisé : 'nous nous baladions régulièrement avec les ânes du centre et un groupe d'enfants aux alentours de l'IME. Lors de ces promenades, j'ai régulièrement pu apercevoir l'âne Nerzus pâturer dans différentes parcelles. Du fait du conflit qui oppose M. [J] à M. [B], nous avons du réaccueillir Nerzus au centre de [Localité 16] au début de l'année 2020. Ce dernier était en bonne santé et était accueilli sur la parcelle au sein du centre de [Localité 16], cependant il ne pensait qu'à repartir et forcer les clôtures pour retourner chez les [B]. Le centre ne pouvant pas gérer un animal dans la fuite permanente, il a été décidé de rendre cet âne aux [B] où il avait été accueilli pendant 17 ans'. Cette situation de détresse a pu conduire M. [G] [J] à prévoir un échange de bons procédés avec M. [A] [B] à titre d'usage, sans imaginer s'engager dans un bail rural avec toutes les contraintes que cela entraîne.

32. Au titre de la contrepartie d''entretien', les époux [B] produisent uniquement une facture d'élagage du 26 juillet 2013 (227,24 €) concernant 'des branches qui se dirigent dans les fils électriques sur 4 chênes, 3 châtaigniers' pouvant concerner la zone très boisée de la parcelle en cause, mais sans certitude. En outre, rapportée sur 20 ans de présence, cela représenterait une dépense de 11 € par an.

33. Pour dénier à cette mise à disposition le caractère de bail rural, les consorts [J] invoquent le défaut d'entretien par les époux [B] dont l'occupation se rapprocherait davantage du prêt à usage de l'article 1875, c'est-à-dire 'un contrat par lequel l'une des parties livre une chose à l'autre pour s'en servir, à la charge par le preneur de la rendre après s'en être servi', par référence à l'article 1884 qui prévoit que, 'si la chose se détériore par le seul effet de l'usage pour lequel elle a été empruntée, et sans aucune faute de la part de l'emprunteur, il n'est pas tenu de la détérioration'.

34. Ils produisent à cette fin un procès-verbal de constat d'huissier dressé le 19 février 2020 par Me [O] dont il importe peu qu'il n'ait pas été établi contradictoirement puisqu'il constitue alors un mode de preuve comme un autre, duquel il ressort essentiellement que l'ancienne clôture en lisière du bois se trouve entremêlée avec des ronces pour devenir à peine visible à certains endroits. Ce procès-verbal relève qu'une nouvelle clôture a été installée afin d'exploiter au mieux la partie prairies permettant le pâturage de leur troupeau par les époux [B]. Il s'en évince que ces derniers n'ont entretenu la parcelle que pour leurs seuls besoins (pacage et sécurisation du troupeau), l'abandonnant totalement aux ronces et à la végétation pour le surplus.

35. Le procès-verbal de constat d'huissier établi le 28 avril 2023 fait sensiblement la même description, à savoir une végétation fournie et sauvage sur la partie boisée, en mentionnant aussi la présence de bouses de vaches encore fraîches sur la partie prairies, en infraction avec le caractère exécutoire du jugement.

36. Sans qu'il soit besoin de qualifier l'occupation de la parcelle par les appelants comme procédant d'un prêt à usage, mais s'agissant d'un échange de bons procédés proche de l'entraide comme il s'en pratique en milieu rural, la contrepartie, incertaine, irrégulière et peu contraignante (qui aura au pire représenté pour les époux [B] une dépense de 27 € par an, soit 10 fois moins que la proposition amiable faite par la Confédération Paysanne 44, ce qui peut être jugé dérisoire) ne peut pas, dans ces conditions, être qualifiée d'onéreuse et permettre la qualification de la convention passée en bail rural.

37. Le jugement sera donc confirmé en ce qu'il a rejeté la demande des époux [B] tendant à voir qualifier la convention litigieuse de bail rural.

Sur les dépens

38. Les époux [B], partie perdante, seront condamnés aux dépens d'appel.

Sur l'article 700 du code de procédure civile

39. L'équité commande de faire bénéficier les consorts [J] des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile à hauteur de 2.000 €.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement, contradictoirement, en matière civile et en dernier ressort, par mise à disposition au greffe conformément à l'article 451 alinéa 2 du code de procédure civile,

Confirme en toutes ses dispositions le jugement du tribunal paritaire des baux ruraux de Saint-Nazaire du 21 octobre 2022,

Y ajoutant,

Condamne in solidum M. [A] [B] et Mme [L] [B] aux dépens d'appel,

Condamne in solidum M. [A] [B] et Mme [L] [B] à payer à M. [G] [J], Mme [H] [J] épouse [R], Mme [C] [J] épouse [Z], Mme [P] [J] et M. [E] [J], pris en la personne de son tuteur l'ATIMP 44, ensemble la somme de 2.000 € en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

Le greffier, Le président,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Rennes
Formation : Chambre des baux ruraux
Numéro d'arrêt : 22/06662
Date de la décision : 06/06/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 13/06/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-06-06;22.06662 ?
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