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05/06/2024 | FRANCE | N°22/05255

France | France, Cour d'appel de Rennes, 9ème ch sécurité sociale, 05 juin 2024, 22/05255


9ème Ch Sécurité Sociale





ARRÊT N°



N° RG 22/05255 - N° Portalis DBVL-V-B7G-TB4Y













[E] [P]



C/



CPAM LOIRE ATLANTIQUE

S.E.L.A.R.L. [10]

[11]























Copie exécutoire délivrée

le :



à :











Copie certifiée conforme délivrée

le:



à:

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEU

PLE FRANÇAIS



COUR D'APPEL DE RENNES

ARRÊT DU 05 JUIN 2024



COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :



Président : Madame Elisabeth SERRIN, Présidente de chambre

Assesseur : Madame Véronique PUJES, Conseillère

Assesseur : Madame Anne-Emmanuelle PRUAL, Conseillère



GREFFIER :



Monsieur Philippe LE BOUDEC lors des d...

9ème Ch Sécurité Sociale

ARRÊT N°

N° RG 22/05255 - N° Portalis DBVL-V-B7G-TB4Y

[E] [P]

C/

CPAM LOIRE ATLANTIQUE

S.E.L.A.R.L. [10]

[11]

Copie exécutoire délivrée

le :

à :

Copie certifiée conforme délivrée

le:

à:

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE RENNES

ARRÊT DU 05 JUIN 2024

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :

Président : Madame Elisabeth SERRIN, Présidente de chambre

Assesseur : Madame Véronique PUJES, Conseillère

Assesseur : Madame Anne-Emmanuelle PRUAL, Conseillère

GREFFIER :

Monsieur Philippe LE BOUDEC lors des débats et lors du prononcé

DÉBATS :

A l'audience publique du 26 Mars 2024

devant Madame Anne-Emmanuelle PRUAL, magistrat chargé d'instruire l'affaire, tenant seule l'audience, sans opposition des représentants des parties et qui a rendu compte au délibéré collégial

ARRÊT :

Réputé contradictoire, prononcé publiquement le 05 Juin 2024 par mise à disposition au greffe comme indiqué à l'issue des débats

DÉCISION DÉFÉRÉE A LA COUR:

Date de la décision attaquée : 01 Juillet 2022

Décision attaquée : Jugement

Juridiction : Tribunal Judiciaire de NANTES - Pôle Social

Références : 19/01603

****

APPELANT :

Monsieur [E] [P]

[Adresse 6]

[Localité 4]

représenté par Me Julia GARCIA-DUBRAY de la SCP ESTUAIRE AVOCATS, avocat au barreau de SAINT-NAZAIRE substituée par Me Etienne BOITTIN de la SELARL AVOCATLANTIC, avocat au barreau de SAINT-NAZAIRE

INTIMÉES :

LA CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DE LOIRE ATLANTIQUE

[Adresse 7]

Pôle juridique et contentieux

[Localité 5]

représentée par Madame [H] [S] en vertu d'un pouvoir spécial

LA SELARL [10] ès qualités de mandataire ad'hoc de la Société [9]

[Adresse 2]

[Localité 3]

non comparante, non représentée

LA SOCIÉTÉ [11]

[Adresse 1]

[Localité 8]

représentée par Me Caroline RIEFFEL de la SCP BG ASSOCIÉS, avocat au barreau de RENNES substituée par Me Myléna FONTAINE, avocat au barreau de RENNES

******

EXPOSÉ DU LITIGE :

Le 26 juin 2009, M. [E] [P], salarié de la société [9] (la société), représentée par la SELARL [10] mandataire ad hoc, embauché pour travailler au sein de la société [12] en tant que peintre sableur, a été victime d'un accident pris en charge par la caisse primaire d'assurance maladie de Loire-Atlantique (la caisse) au titre de la législation professionnelle.

La date de sa consolidation a été fixée au 3 juillet 2011 et la caisse lui a attribué un taux d'incapacité permanente de 26 % pour les séquelles suivantes : 'Raideur de la cheville gauche en dorsiflexion. Séquelles graves de brûlures des 2 membres inférieurs, maximum au niveau du membre inférieur gauche'.

Par jugement du 16 avril 2013, le tribunal correctionnel de Saint-Nazaire a notamment reconnu la société [9] et la société [12] coupables de blessures involontaires ayant entraîné une ITT supérieure à trois mois dans le cadre du travail et les a déclarées responsables du préjudice de M. [P].

Le 21 avril 2015, M. [P] a saisi le tribunal des affaires de sécurité sociale de Nantes aux fins de voir reconnaître la faute inexcusable de son employeur.

Par jugement du 31 juillet 2020, ce tribunal, devenu pôle social du tribunal judiciaire de Nantes, a :

- mis hors de cause la société [12] ;

- dit que l'accident du travail de M. [P] survenu le 26 juin 2009 est dû à la faute inexcusable de la société [9] ;

- fixé au maximum la majoration de la rente allouée à M. [P] ;

- dit que cette indemnité sera directement versée par la caisse à M. [P] ;

Avant dire droit,

- ordonné une expertise judiciaire de droit commun ;

- commis à cet effet le docteur [G] aux fins d'évaluer l'ensemble des préjudices décrits au dispositif du jugement ;

- fixé à 10 000 euros le montant de la provision à valoir sur l'indemnisation des préjudices définitifs de M. [P] ;

- déclaré opposable à la société [11] (assureur de la société) la présente décision ;

- débouté la caisse de sa demande visant à condamner la société [9], prise en la personne de son représentant la société [10], à lui rembourser l'intégralité des sommes qu'elle sera amenée à verser à M. [P] au titre de sa faute inexcusable ;

- condamné l'assureur de la société aux entiers dépens de l'instance ;

- condamné l'assureur de la société à verser à M. [P] la somme de 1.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Le rapport du docteur [G] ayant été établi le 16 juin 2021, par jugement du 1er juillet 2022, le tribunal a :

- déclaré recevables les demandes indemnitaires formées par M. [P] ;

- fixé l'indemnisation complémentaire de M. [P] comme suit :

* 35 000 euros au titre des souffrances endurées ;

* 6 000 euros au titre du préjudice esthétique temporaire ;

* 8 000 euros au titre du préjudice esthétique permanent ;

* 6 993,75 euros au titre du déficit fonctionnel temporaire ;

* 876 euros au titre de l'assistance par une tierce personne ;

- débouté M. [P] de sa demande d'indemnisation au titre de la perte de gains professionnels actuelle, des frais de véhicule adapté et du préjudice sexuel ;

- dit que la caisse versera directement à M. [P] les sommes dues au titre de l'indemnisation complémentaire, après avoir déduit la provision de 10.000 euros allouée par jugement du 31 juillet 2020 ;

- déclaré le présent jugement opposable à l'assureur de la société ;

- condamné la société [11] aux entiers dépens ;

- condamné la société [11] à verser à M. [P] la somme de 1 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Par déclaration adressée le 23 août 2022 par communication électronique, M. [P] a interjeté appel de ce jugement qui lui avait été notifié le 29 juillet 2022, d'une part en ce que le tribunal a fixé ses préjudices comme suit :

* 35 000 euros au titre des souffrances endurées ;

* 6 000 euros au titre du préjudice esthétique temporaire ;

* 8 000 euros au titre du préjudice esthétique permanent ;

* 876 euros au titre de l'assistance par une tierce personne ;

et d'autre part en ce qu'il a été débouté de ses demandes au titre des frais de véhicule adapté et de réparation du préjudice sexuel.

Par ses écritures parvenues au greffe le 30 novembre 2023, auxquelles s'est référée et qu'a développées son conseil à l'audience, M. [P] demande à la cour de :

- le déclarer [recevable] en ses demandes, fins et conclusions ;

- débouter la compagnie [11] et la caisse de toutes leurs demandes, fins et conclusions ;

- réformer le jugement du 1er juillet 2022 rendu par le pôle social du tribunal judiciaire de Nantes s'agissant du quantum des indemnisations et en ce qu'il l'a débouté de sa demande d'indemnisation au titre des frais de véhicule adapté et du préjudice sexuel ;

Statuant à nouveau et à titre principal,

- lui allouer les sommes suivantes, en deniers ou quittances, en réparation de ses préjudices :

* 1 314 euros au titre de l'assistance tierce personne avant consolidation ;

* 8 212,80 euros au titre des frais de véhicule adapté ;

* 45 000 euros au titre des souffrances endurées ;

* 12 000 euros au titre du préjudice esthétique temporaire ;

* 18 000 euros au titre du préjudice esthétique permanent ;

* 108 199,90 euros au titre du déficit fonctionnel permanent ;

* 5 000 euros au titre du préjudice sexuel ;

- dire que les sommes allouées en réparation de ces différents chefs de préjudice seront versées directement par la caisse ;

A titre subsidiaire et avant dire droit,

- ordonner une consultation confiée au docteur [G] dans les termes suivants :

* indiquer si, après la consolidation, la victime conserve des douleurs physiques ou psychiques en précisant leur nature, fréquence et intensité ;

* indiquer si après la consolidation, la victime déplore une atteinte à sa qualité de vie et en décrire à la nature ;

- dire que le médecin commis devra transmettre son projet de consultation aux parties, recueillir leurs observations éventuelles dans le délai d'un mois,

annexer lesdites observations et y répondre dans sa consultation ;

- sursoir à statuer sur l'indemnisation du déficit fonctionnel permanent ;

En tout état de cause,

- condamner la compagnie [11], prise en sa qualité d'assureur de la société [9], à lui verser une somme de 4 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, en cause d'appel.

Par ses écritures n°2 parvenues au greffe le 28 février 2024 par le RPVA, auxquelles s'est référé et qu'a développées son conseil à l'audience, la société [11] demande à la cour de :

- confirmer le jugement déféré en ce qu'il a :

' fixé l'indemnisation complémentaire de M. [P] comme suit :

* 35 000 euros au titre des souffrances endurées ;

* 8 000 euros au titre du préjudice esthétique permanent ;

* 6 993,75 euros au titre du déficit fonctionnel temporaire ;

* 876 euros au titre de l'assistance par une tierce personne ;

' débouté M. [P] de sa demande d'indemnisation au titre de la perte de gains professionnels actuelle, des frais de véhicule adapté et du préjudice sexuel ;

' dit que la caisse versera directement à M. [P] les sommes dues au titre de l'indemnisation complémentaire, après avoir déduit la provision de 10 000 euros allouée par jugement du 31 juillet 2020 ;

' déclaré le présent jugement opposable à l'assureur de la société ;

- réformer le jugement rendu par le pôle social du tribunal judiciaire de Nantes le 1er juillet 2022 en ce qu'il a fixé à 6 000 euros l'indemnisation du préjudice esthétique temporaire et l'a condamné aux dépens et à régler à M. [P] une somme de 1 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

- se déclarer incompétent pour statuer sur sa garantie à l'égard de la société au profit des juridictions de droit commun ;

- débouter par conséquent la caisse, M. [P] et tous autres, de toutes leurs demandes tendant à sa condamnation, en ce compris sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et au titre des dépens ;

- fixer à 4 000 euros l'indemnisation complémentaire de M. [P] au titre du préjudice esthétique temporaire ;

- débouter M. [P] de toute demande plus ample ou contraire pour ce chef de préjudice ;

- débouter en tout état de cause M. [P] de ses prétentions à paiement des sommes qu'il réclame ;

- ordonner, avant dire droit sur l'indemnisation du déficit fonctionnel permanent, un complément d'expertise judiciaire et impartir à l'expert judiciaire les missions figurant à son dispositif ;

- débouter M. [P] de toute demande plus ample et contraire à ce dernier titre ;

- sursoir à statuer sur l'indemnisation du déficit fonctionnel permanent, et ce, dans l'attente du dépôt du rapport d'expertise judiciaire ;

- juger que l'arrêt à intervenir ne pourra que lui être déclaré opposable ;

- condamner M. [P] à lui régler une somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamner M. [P] aux dépens.

Par ses écritures n°3 parvenues au greffe le 5 mars 2024 auxquelles s'est référée et qu'a développées sa représentante à l'audience, la caisse demande à la cour de :

- rejeter les demandes de M. [P] tendant à la réévaluation des indemnités dues au titre de l'assistance d'une tierce personne, des souffrances endurées, du préjudice esthétique temporaire et permanent mais également celles faites au titre des frais de véhicule adapté et du préjudice sexuel ;

- ordonner, avant dire droit, un complément d'expertise confié au docteur [G] aux fins de fixer par référence au barème de droit commun le taux de déficit fonctionnel permanent applicable au cas de M. [P] et donner une description des trois composantes de ce déficit en référence au diagnostic séquellaire retenu ;

- condamner la société [10], mandataire ad litem de la société [9], à lui rembourser l'intégralité des sommes qu'elle sera amenée à verser à M. [P].

Par courrier du 4 septembre 2023, le représentant de la société a indiqué qu'il ne sera pas présent ni représenté à l'audience et qu'il s'en remet à la décision du tribunal (sic). L'arrêt sera en conséquence qualifié de réputé contradictoire.

Pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, la cour, conformément à l'article 455 du code de procédure civile, renvoie aux conclusions susvisées.

MOTIFS DE LA DÉCISION :

1 - Sur la réparation des préjudices :

Alors qu'il était en charge de travaux sur le navire 'Maria M' dans la forme Joubert du port de [Localité 4] pour des travaux de carénage, le solvant qu'il utilisait, positionné à côté de ses jambes, a pris feu.

Transporté par hélicoptère, il a été admis aux urgences du CHU de [Localité 13].

Le certificat médical initial mentionne :

'Brûlures thermiques survenues au travail.

L'examen clinique révèle une lésion de brûlures graves de 3è degré circulaire de l'ensemble du membre inférieur gauche, ainsi qu'une incision de décharges du membre inférieur gauche et une excision cutanée'.

Il a été hospitalisé dans le service de réanimation du 26 juin 2009 au 15 juillet 2009 puis jusqu'au 3 août 2009 dans le service des brûlés.

Il a subi plusieurs interventions chirurgicales notamment pour des greffes les 3 juillet 2009, 9 juillet 2009 et 22 juillet 2009.

Le 3 août 2009, il a été transféré au centre de rééducation de Kerpape où il a séjourné jusqu'au 30 octobre 2009.

A la sortie du centre de rééducation, il se déplaçait avec une canne anglaise.

Un travail de rééducation a été poursuivi avec le port de vêtements compressifs pendant plusieurs mois.

Il a été déclaré consolidé au 3 juillet 2011. A cette date, il était âgé de 45 ans.

Il a subi une nouvelle greffe de peau en juin 2012.

Lors de l'examen du 29 avril 2021, le médecin expert a constaté que :

- la marche est effectuée avec une canne et une botte amovible gauche ;

- l'examen des téguments a mis en évidence :

' un grand champ cicatriciel de tout le membre inférieur gauche, intéressant toute la hauteur de la cuisse et le segment crural, de manière circulaire, associant des zones en rétraction et des zones greffées, d'aspect irrégulier, infructueux, rosées par endroit. Il existe parallèlement une inflammation de la cheville responsable d'un oedème en raison d'une intervention récente ;

' le champ cicatriciel s'étend également sur la face dorsale du pied gauche ;

' sur le membre inférieur droit, on retrouve des champs cicatriciels essentiellement sur la partie postérieure de la cuisse, la face postéro-médiale du genou et la face postérieure et médiale du tiers moyen du segment crural ;

' sur les zones de prises de greffes, la peau apparaît dépigmentée, provoquant des zones cicatricielles rectangulaires, de presque toute la région dorsale. On retrouve également des zones de prises de greffes avec un aspect dépigmenté sur toute la face antérieure de la cuisse droite et sur la face postérieure du mollet droit ;

' une cicatrice sur la face radiale du tiers proximal de l'avant-bras gauche, d'aspect en légère dépression, de 6 cm x 3 cm, oblongue.

- une raideur de la cheville gauche majorée par les phénomènes inflammatoires récents, secondaires aux suites opératoires de la fracture de mars 2021. Il persiste un aspect en équin, la flexion dorsale n'est pas possible ;

- le genou gauche a une extension complète et une flexion jusqu'à 125°. La palpation de la face latérale de la cuisse gauche est douloureuse essentiellement à la jonction tiers moyen/tiers supérieur. Il n'y a pas de douleur à la palpation de la région trochantérienne gauche ;

- il existe une raideur de la hanche gauche avec une flexion diminuée par rapport au côté droit. La flexion à 100° reste possible.

L'expert a indiqué que l'ensemble des lésions décrites est en relation directe et certaine avec l'accident.

Il a conclu ainsi :

- déficit fonctionnel temporaire :

° total : du 26 juin 2009 au 30 octobre 2009,

° partiel de classe II : du 31 octobre 2019 au 3 juillet 2011,

- souffrances endurées : 5,5/7

- préjudice esthétique temporaire : 4/7 pendant toute la phase de soins,

- préjudice esthétique permanent : 4/7

- assistance tierce personne :

° 2 heures/semaine du 31 octobre 2009 au 1er mai 2010

° 1 heure/semaine du 2 mai 2010 au 23 septembre 2010,

- dépense de santé future : crème pour protection solaire,

- frais de logement : non

- pas de préjudice de l'appareil sexuel et expression d'un retentissement sur la libido,

- pas de préjudice d'établissement.

Il sera indiqué que ne sont pas déférés à la cour l'évaluation faite par les premiers juges du déficit fonctionnel temporaire et le débouté de M.[P] de sa demande au titre de la perte de gains professionnels actuelle.

I - Préjudices patrimoniaux

A - Préjudices temporaires

1) assistance tierce personne

La victime d'un accident du travail est recevable à demander une indemnité destinée à réparer le préjudice résultant du besoin d'assistance avant consolidation (2e Civ., 20 juin 2013, n° 12-21.548).

Le montant de l'indemnité allouée au titre de cette assistance ne saurait être subordonné à la production de justifications des dépenses effectives (même arrêt), ni réduit en cas d'assistance d'un membre de la famille (2e Civ., 7 mai 2014, n° 13-16.204).

Cette jurisprudence constante est réaffirmée régulièrement (2e Civ., 17 décembre 2020, pourvoi n° 19-15.969).

La victime a droit à une indemnité correspondant à ce qu'elle aurait payé si elle avait fait appel à un salarié prestataire et cette indemnité doit être calculée sur une base horaire, charges comprises.

Il s'agit d'indemniser un besoin et non de rembourser une dépense.

C'est à ce titre qu'il convient d'évaluer l'aide humaine dont l'expert a donné le détail comme suit :

- 2 heures par semaine du 31 octobre 2009 au 1er mai 2010,

- 1 heure par semaine du 2 mai 2010 au 23 septembre 2010,

Soit 73 heures.

Sur la base d'un taux horaire de 18 euros sollicité par M. [P], l'indemnité s'établit comme suit :

73 heures x 18 euros = 1 314 euros.

Dans ces conditions, il convient d'allouer à M. [P] la somme de 1 314 euros, le jugement entrepris étant ainsi infirmé.

B - Préjudices permanents

1) frais de véhicule adapté

Lorsque l'accident est un accident du travail dû à la faute inexcusable de l'employeur, la victime peut obtenir la réparation de ce poste de préjudice dès lors qu'il n'est pas couvert par le livre IV du code de la sécurité sociale et que la décision du 18 juin 2010 du Conseil constitutionnel en impose alors la réparation intégrale (Civ., 2ème, 30 juin 2011, n° 10-19.475).

L'expert note que les difficultés de mobilisation du membre inférieur gauche justifie l'usage d'une boîte automatique pour la conduite des véhicules.

Avec une durée d'amortissement qu'il convient de fixer à 5 ans, le premier renouvellement du véhicule doit être fixé en juillet 2016.

Il s'agit d'indemniser un besoin et non une dépense.

Ce besoin étant viager, il faut donc capitaliser les sommes à allouer en réparation de ce chef de préjudice, étant rappelé que c'est dans l'exercice de son pouvoir souverain que la cour d'appel, tenue d'assurer la réparation intégrale du dommage actuel et certain de la victime sans perte ni profit, fait application du barème de capitalisation qui lui paraît le plus adapté à assurer les modalités de cette réparation pour le futur, sans avoir à recueillir préalablement les observations des parties sur cette méthode de calcul (2e Civ., 12 septembre 2019, pourvois n° 18-14.724 et 18-13.791).

Il sera fait application du barème publié par la Gazette du Palais le 31 octobre 2022, avec un taux de capitalisation à 0 %, ce barème étant le plus adapté à assurer les modalités de cette réparation pour le futur. Pour un sujet masculin âgé de 60 ans au troisième renouvellement à venir en 2026 (2011, 2016, 2021, 2026), le taux de capitalisation viager est de 22,772.

Le besoin permanent en véhicule adapté est lié au surcoût consécutif à l'acquisition d'un véhicule avec boîte automatique : il convient de retenir une valeur moyenne de 2 000 euros, sans avoir à se placer au jour où les véhicules thermiques pourraient être interdits à la vente, mais au jour du présent arrêt.

Soit pour un surcoût de 2 000 euros, exposé tous les 5 ans, avec un taux de capitalisation de 22,772 au troisième renouvellement à venir, le préjudice s'établit à 6 000 + [ 2000/5] x 22,772] euros, soit à un total de 15 108,80 euros.

Il est dès lors justifié d'allouer dans la limite de la demande la somme de 8 212,80 euros.

II - Préjudices extra-patrimoniaux

A - Préjudices temporaires

1) préjudice esthétique avant consolidation

L'expert rapporte une importante modification de présentation en raison des zones brûlées d'une part, des zones de prélèvements de peau pour permettre les greffes, des pansements et l'usage d'une canne anglaise d'autre part.

Cette altération de l'apparence physique justifie que pour un préjudice évalué 4/7 par l'expert il lui soit alloué la somme de 12 000 euros, le jugement étant infirmé de ce chef.

2) souffrances endurées

Ce dommage est estimé 5,5/7 par l'expert qui a pris en compte les souffrances lors de l'accident, les lésions multiples de brûlures, les soins imposant un séjour en réanimation, les nombreuses interventions chirurgicales, une rééducation prolongée avec le port de vêtements compressifs et un retentissement psychologique.

La cour trouve dans la cause les éléments suffisants pour évaluer, par voie d'infirmation du jugement, ce préjudice à la somme de 40 000 euros.

B - Préjudices permanents

1) déficit fonctionnel permanent

Sont réparables en application de l'article L. 452-3 du code de la sécurité sociale les souffrances physiques et morales non indemnisées au titre du déficit fonctionnel permanent, soit les souffrances physiques et morales antérieures à la consolidation (2e Civ., 8 octobre 2020, pourvoi n°19-13.126) et subies à compter de la première constatation médicale de la maladie.

Comme l'a jugé la Cour de cassation (Ass. plén., 20 janvier 2023, pourvoi n° 20-23.673 et pourvoi n° 21-23.947) eu égard à son mode de calcul appliquant au salaire de référence de la victime le taux d'incapacité permanente défini à l'article L. 434-2 du code de la sécurité sociale, la rente versée à la victime d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle ne répare pas le déficit fonctionnel permanent.

Au sens de la nomenclature 'Dintilhac', le déficit fonctionnel permanent indemnise la réduction définitive du potentiel physique, psychosensoriel, ou intellectuel résultant de l'atteinte à l'intégrité anatomo-physiologique médicalement constatable, à laquelle s'ajoutent les phénomènes douloureux et les répercussions psychologiques, normalement liées à l'atteinte séquellaire décrite ainsi que les conséquences habituellement et objectivement liées à cette atteinte dans la vie de tous les jours.

Ce poste de préjudice permet donc, pour la période postérieure à la consolidation, d'indemniser non seulement l'atteinte objective à l'intégrité physique et psychique, mais également les douleurs physiques et psychologiques, ainsi que la perte de qualité de vie et les troubles ressentis dans les conditions d'existence personnelles, familiales et sociales.

Il s'en déduit que la victime d'une faute inexcusable de l'employeur peut obtenir une réparation complémentaire à ce titre.

Au cas particulier, il résulte de la décision relative à l'attribution de la rente accident du travail qu'il est reconnu à M. [P] une IPP évaluée à 26 % pour les séquelles suivantes : 'Raideur de la cheville gauche en dorsiflexion. Séquelles graves de brûlures des 2 membres inférieurs, maximum au niveau du membre inférieur gauche'. Il n'est pas fait mention de ce que ce taux intègre un coefficient professionnel, étant du reste observé que le rapport d'évaluation des séquelles ne décrit que les séquelles physiques et est taisant sur ce point.

Il convient pour le surplus de la description des séquelles de renvoyer au rapport de l'expertise judiciaire réalisée par le docteur [G] déjà repris dans le précédent arrêt.

Ce taux, comme la date de consolidation (3 juillet 2011), sont irrévocablement fixés par la caisse.

Or, dans l'instance qui ne porte que sur la liquidation des préjudices subis par la victime après reconnaissance la faute inexcusable de son employeur, le juge ne saurait remettre en cause, en fait ou en droit, les décisions prises par la caisse dans ses relations avec l'assuré ou l'employeur en ce qu'elles ont définitivement fixé dans leurs rapports respectifs la date de consolidation et le taux de l'incapacité permanente (au sens de 2e Civ., 15 février 2018, pourvoi n° 16-20.467).

Quoiqu'il en soit, la méthode consistant, en droit commun, à réparer l'atteinte à l'intégrité physique et psychique en multipliant le taux du déficit fonctionnel évalué selon les barèmes d'évaluation médico-légale publiés, par une valeur du point, laquelle est fonction du taux et de l'âge de la victime à la consolidation, est dépourvue de valeur normative, tout comme le «référentiel Mornet » revendiqué par les parties.

Au regard de son âge à la date de la consolidation (45 ans) et des séquelles qu'il conserve énoncées ci-dessus, étant rappelé que M. [P] a été brûlé sur 29 % de son corps au 3ème degré, des douleurs persistantes, de la perte de qualité de vie et des troubles ressentis dans les conditions d'existence, le tout non sérieusement contestable, la cour trouve dans la cause les éléments suffisants pour retenir une indemnisation de 500 euros par mois qu'il convient de capitaliser.

C'est dans l'exercice de son pouvoir souverain que la cour d'appel, tenue d'assurer la réparation intégrale du dommage actuel et certain de la victime sans perte ni profit, fait application du barème de capitalisation qui lui paraît le plus adapté à assurer les modalités de cette réparation pour le futur, sans avoir à recueillir préalablement les observations des parties sur cette méthode de calcul (2e Civ., 12 septembre 2019, pourvois n° 18-14.724 et 18-13.791).

L'indemnité sera calculée sur la base du barème publié par la gazette du palais dans son numéro du 31 octobre 2022, au taux de 0,00% qui paraît le plus adapté à assurer les modalités de la réparation pour le futur. Pour un sujet masculin âgé de 45 ans à la date de consolidation, le taux de capitalisation viager est de 35,739.

Ce préjudice, nécessairement viager, s'établit à la somme de 214 434 euros [500 x 12 x 35,739], justifiant d'allouer à M. [P], dans la limite de sa demande, la somme de 108 199,90 euros en réparation de son préjudice.

2) préjudice esthétique permanent

L'expert a évalué le préjudice esthétique permanent à 4/7 en tenant compte des cicatrices de brûlures irrégulièrement réparties sur toute la surface du membre inférieur gauche et sur une partie du membre inférieur droit, des cicatrices sur l'avant-bras gauche, des zones dépigmentées sur toute la surface dorsale et le membre inférieur droit en raison des prises de greffes, d'une déformation du membre inférieur gauche.

Il sera alloué à ce titre à M. [P], par voie d'infirmation du jugement, la somme de 15 000 euros en réparation de son préjudice.

3) préjudice sexuel

Ce préjudice recouvre trois aspects pouvant être altérés séparément ou cumulativement, partiellement ou totalement : l'aspect morphologique lié à l'atteinte aux organes sexuels, le préjudice lié à l'acte sexuel (libido, perte de capacité physique, frigidité) et la fertilité (fonction de reproduction) (Civ., 2ème, 17 juin 2010, n° 09-15.842).

Le préjudice sexuel comprend l'ensemble des préjudices touchant à la sphère

sexuelle (2e Civ., 4 avril 2019, pourvoi n° 18-13.704).

L'expert note qu'il n'y a pas d'atteinte de la fonction sexuelle ni de la fonction de procréation mais que la victime déclare une gêne pour les relations sexuelles en raison des modifications de présentation.

M. [P] expose que son apparence constitue un frein à l'accomplissement d'une relation intime et entraîne une baisse de la libido, une raréfaction des relations sexuelles et une contrariété dans le plaisir tiré de cette relation.

Il produit l'attestation d'une ancienne compagne, Mme [R], laquelle indique :

'Avoir eu plusieurs disputes car M. [E] [P] ne supporte pas le regard sur ses cicatrices et ses brûlures. Il se cache et refuse d'avoir des relations intimes en pleine lumière ou même en lumière tamisée. Au fil du temps, cela devenait très compliqué pour lui de montrer son corps'.

M. [P] justifie ainsi d'un préjudice sexuel lequel sera réparé par l'allocation d'une somme de 5 000 euros comme sollicité, le jugement étant infirmé en ce qu'il l'a débouté de cette demande.

2 - Sur l'action récursoire de la caisse :

La caisse sollicite la condamnation de la société [10], mandataire ad litem de la société [9], à lui rembourser l'intégralité des sommes qu'elle sera amenée à verser à M. [P].

Or, par jugement du 31 juillet 2020, le pôle social du tribunal judiciaire de Nantes a débouté la caisse de sa demande visant à condamner la société [9], prise en la personne de son représentant la société [10], à lui rembourser l'intégralité des sommes qu'elle sera amenée à verser à M. [P] au titre de sa faute inexcusable.

Il n'apparaît pas que ce jugement a été frappé d'appel de sorte que cette disposition est désormais irrévocable.

La demande de la caisse réitérée sur ce point est par conséquent irrecevable.

3 - Sur les frais irrépétibles et les dépens :

Il y a lieu d'infirmer jugement en ce qu'il a condamné la société [11] aux entiers dépens de l'instance et à verser à M. [P] la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

S'il n'apparaît pas équitable de laisser à la charge de M. [P] ses frais irrépétibles, c'est à tort que sa demande a été dirigée contre la société [11] et non contre l'employeur de sorte qu'il sera débouté de cette demande.

La société [11] sera également déboutée de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

S'agissant des dépens, l'article R.144-10 du code de la sécurité sociale disposant que la procédure est gratuite et sans frais en matière de sécurité sociale est abrogé depuis le 1er janvier 2019.

Il s'ensuit que l'article R.144-10 précité reste applicable aux procédures en cours jusqu'à la date du 31 décembre 2018 et qu'à partir du 1er janvier 2019 s'appliquent les dispositions des articles 695 et 696 du code de procédure civile relatives à la charge des dépens.

En conséquence, les dépens de la présente procédure de première instance et d'appel exposés postérieurement au 31 décembre 2018 seront laissés à la charge de la société [9] qui succombe à l'instance.

PAR CES MOTIFS :

La COUR, statuant publiquement, dans les limites de l'appel, par arrêt réputé contradictoire mis à disposition au greffe,

INFIRME le jugement en ce qu'il a :

- fixé l'indemnisation complémentaire de M. [P] comme suit :

* 35 000 euros au titre des souffrances endurées ;

* 6 000 euros au titre du préjudice esthétique temporaire ;

* 8 000 euros au titre du préjudice esthétique permanent ;

* 876 euros au titre de l'assistance par une tierce personne ;

- débouté M. [P] de sa demande d'indemnisation au titre des frais de véhicule adapté et du préjudice sexuel ;

- condamné la société [11] aux entiers dépens ;

- condamné la société [11] à verser à M. [P] la somme de 1 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

Statuant à nouveau sur les chefs infirmés et y ajoutant :

FIXE l'indemnisation des préjudices subis par M. [P] comme suit :

* 1 314 euros au titre de l'assistance par une tierce personne ;

* 8 212,80 euros au titre des frais de véhicule adapté ;

* 12 000 euros au titre du préjudice esthétique temporaire ;

* 40 000 euros au titre des souffrances endurées ;

*108 199,90 euros au titre du déficit fonctionnel permanent ; * 15 000 euros au titre du préjudice esthétique permanent ;

* 5 000 euros au titre du préjudice sexuel ;

RAPPELLE que ces sommes seront avancées par la caisse primaire d'assurance maladie de Loire-Atlantique ;

DÉCLARE irrecevable la demande de la caisse primaire d'assurance maladie de Loire-Atlantique tendant à la condamnation de la société [10], mandataire ad litem de la société [9], à lui rembourser l'intégralité des sommes qu'elle sera amenée à verser à M. [P] ;

DÉBOUTE M. [P] et la société [11] de leur demande d'indemnité sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

CONDAMNE la société [9] aux dépens, pour ceux exposés postérieurement au 31 décembre 2018 ;

DÉCLARE le présent arrêt opposable à la société [11].

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Rennes
Formation : 9ème ch sécurité sociale
Numéro d'arrêt : 22/05255
Date de la décision : 05/06/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 13/06/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-06-05;22.05255 ?
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