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05/06/2024 | FRANCE | N°21/07911

France | France, Cour d'appel de Rennes, 9ème ch sécurité sociale, 05 juin 2024, 21/07911


9ème Ch Sécurité Sociale





ARRÊT N°



N° RG 21/07911 - N° Portalis DBVL-V-B7F-SKBI













Mme [D] [H]



C/



CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DE [Localité 4]

S.A. [2]























Copie exécutoire délivrée

le :



à :











Copie certifiée conforme délivrée

le:



à:

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
>AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



COUR D'APPEL DE RENNES

ARRÊT DU 05 JUIN 2024



COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :



Président : Madame Elisabeth SERRIN, Présidente de chambre

Assesseur : Madame Véronique PUJES, Conseillère

Assesseur : Madame Anne-Emmanuelle PRUAL, Conseillère



GREFFIER :



Monsieur Philippe L...

9ème Ch Sécurité Sociale

ARRÊT N°

N° RG 21/07911 - N° Portalis DBVL-V-B7F-SKBI

Mme [D] [H]

C/

CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DE [Localité 4]

S.A. [2]

Copie exécutoire délivrée

le :

à :

Copie certifiée conforme délivrée

le:

à:

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE RENNES

ARRÊT DU 05 JUIN 2024

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :

Président : Madame Elisabeth SERRIN, Présidente de chambre

Assesseur : Madame Véronique PUJES, Conseillère

Assesseur : Madame Anne-Emmanuelle PRUAL, Conseillère

GREFFIER :

Monsieur Philippe LE BOUDEC lors des débats et Mme Adeline TIREL lors du prononcé

DÉBATS :

A l'audience publique du 26 Mars 2024

devant Madame Anne-Emmanuelle PRUAL, magistrat chargé d'instruire l'affaire, tenant seul l'audience, sans opposition des représentants des parties et qui a rendu compte au délibéré collégial

ARRÊT :

Contradictoire, prononcé publiquement le 05 Juin 2024 par mise à disposition au greffe comme indiqué à l'issue des débats

DÉCISION DÉFÉRÉE A LA COUR:

Date de la décision attaquée : 19 Novembre 2021

Décision attaquée : Jugement

Juridiction : Pole social du TJ de NANTES

Références : 19/04017

****

APPELANTE :

Madame [D] [H]

[Adresse 3]

[Adresse 3]

représentée par Me Laurence SCETBON-DIDI, avocat au barreau de SAINT-NAZAIRE

INTIMÉES :

CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DE [Localité 4]

Service contentieux

[Adresse 1]

[Adresse 1]

représentée par Mme [K] [O], en vertu d'un pouvoir spécial

S.A. [2] (appelant incident)

[Adresse 6]

[Adresse 6]

représentée par Me Samuel DE LOGIVIERE, avocat au barreau d'ANGERS

EXPOSÉ DU LITIGE

Le 27 mars 2014, Mme [D] [H] salariée de la société [2] (la société) en tant que noyauteuse, a été heurtée au niveau du tibia gauche par les fourches d'un chariot élévateur.

Le certificat médical initial établi par le CHU de [Localité 5] fait état d'un 'décantage face antérieure de jambe gauche, fracture malléole interne', avec prescription d'un arrêt de travail jusqu'au 31 mai 2015.

Le 30 juillet 2014, la caisse primaire d'assurance maladie de [Localité 4] (la caisse) a pris en charge l'accident au titre de la législation professionnelle.

La caisse a attribué à Mme [H] un taux d'incapacité permanente partielle (IPP) de 12 % à compter de la date de consolidation du 31 mai 2015. Par jugement du 24 novembre 2016, le tribunal du contentieux de l'incapacité de Nantes a ramené ce taux à 7% dans les rapports entre la caisse et la société.

Le 13 mai 2015, Mme [H] a subi un examen de pré-reprise indiquant 'inaptitude définitive au poste de noyautage ainsi qu'à tout poste en production ; serait apte à un poste hors ateliers ne nécessitant pas le port de chaussures de sécurité et permettant de s'asseoir de temps en temps'.

Par courrier du 20 juillet 2015, Mme [H] a fait l'objet d'un licenciement pour inaptitude physique et impossibilité de reclassement, requalifié en licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse par le conseil des prud'hommes. La société a interjeté appel de ce jugement, lequel a été confirmé par arrêt de cette cour du 18 janvier 2019.

S'agissant de l'action pénale, la cour d'appel de Rennes, par arrêt en date du 14 novembre 2019, a :

- constaté l'extinction de l'action publique par effet de la prescription du chef de la contravention de blessures involontaires ;

- confirmé le jugement sur les déclarations de culpabilité pour le surplus, et condamné la société et M. [T] pour les infractions de mise à disposition de lieux de travail sans respect des règles relatives à l'éclairage et l'éclairement et de mise à disposition de travailleurs d'établissement, local, poste ou zone de travail n'assumant pas la sécurité.

En parallèle, le 4 mars 2016, la caisse a établi un procès-verbal de non conciliation suite à la demande de reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur formulée par Mme [H].

Mme [H] a saisi le tribunal des affaires de sécurité sociale de Nantes par courrier du 30 mars 2016.

Par jugement du 10 juillet 2020, ce tribunal devenu le pôle social du tribunal judiciaire de Nantes, a :

- dit que l'accident du travail dont a été victime Mme [H] le 27 mars 2014 est dû à la faute inexcusable de la société ;

- fixé à son maximum la majoration de la rente allouée à Mme [H] ;

- dit que cette majoration de rente suivra l'évolution du taux d'incapacité de Mme [H] en cas d'aggravation de son état de santé ;

- dit que cette majoration sera directement versée par la caisse à Mme [H] ;

- avant dire droit sur l'indemnisation des préjudices subis par Mme [H], ordonné une expertise médicale aux frais de la caisse ;

- désigné pour y procéder le docteur [B], ayant pour missions celles figurant au dispositif du jugement ;

- sursis à statuer sur l'évaluation des préjudices personnels de Mme [H] ;

- dit que les sommes allouées à la victime lui seront avancées par la caisse ;

- condamné la société à rembourser à la caisse toutes les sommes qu'elle aura dû verser à Mme [H] en exécution du jugement ;

- ordonné l'exécution provisoire ;

- condamné la société à verser à Mme [H] la somme de 1 200 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamné la société aux dépens.

Le docteur [B] a établi son rapport le 21 mai 2021.

Par jugement du 19 novembre 2021, le tribunal précité a :

- déclaré recevables les demandes indemnitaires formées par Mme [H] ;

- fixé l'indemnisation complémentaire de celle-ci comme suit :

* 15 000 euros au titre des souffrances endurées ;

* 2 000 euros au titre du préjudice esthétique temporaire ;

* 2 500 euros au titre du préjudice esthétique permanent ;

* 3 145 euros au titre du déficit fonctionnel temporaire ;

* 2 718 euros au titre de l'assistance par une tierce personne ;

- dit que les sommes porteront intérêts au taux légal à compter du jugement ;

- débouté Mme [H] de sa demande d'indemnisation d'un préjudice d'agrément et d'un préjudice résultant de la perte ou diminution de promotion professionnelle ;

- dit que la caisse versera directement à Mme [H] les sommes dues au titre de l'indemnisation complémentaire ;

- condamné la société à rembourser à la caisse les sommes avancées au titre de l'indemnisation complémentaire ;

- rappelé que la caisse pourra recouvrer le montant de l'indemnisation complémentaire et majorations accordées à Mme [H] à l'encontre de la société, qui est condamnée à ce titre, ainsi qu'au remboursement du coût de l'expertise ;

- condamné la société aux dépens ;

- condamné la société à payer à Mme [H] la somme de 800 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Par déclaration adressée le 20 décembre 2021 par communication électronique, Mme [H] a interjeté appel de ce jugement qui lui avait été notifié le 27 novembre 2021.

Par ses écritures n° 4 parvenues au greffe par le RPVA le 25 mars 2024, auxquelles s'est référé et qu'a développées son conseil à l'audience, elle demande à la cour de :

- réformer le jugement entrepris en ce qu'il a fixé son indemnisation complémentaire et l'a déboutée de sa demande d'indemnisation d'un préjudice d'agrément et d'un préjudice résultant de la perte ou diminution de promotion professionnelle ;

- fixer son indemnité complémentaire comme suit :

* 35 000 euros au titre des souffrances endurées ;

* 4 500 euros au titre du préjudice esthétique temporaire ;

* 4 000 euros au titre du préjudice esthétique permanent ;

* 4 154,40 euros au titre du déficit fonctionnel temporaire ;

* 8 400 euros au titre du déficit fonctionnel permanent ;

* 3 880,75 euros au titre de l'assistance par une tierce personne avant consolidation ;

* 9 000 euros au titre du préjudice d'agrément ;

* 5 000 euros au titre du préjudice professionnel ;

- condamner la société à lui payer la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, incluant la somme de 1 000 euros du coût d'assistance à l'expertise judiciaire par un expert médical ;

En tout état de cause,

- confirmer le jugement pour le surplus.

Par ses écritures n° 3 parvenues au greffe par le RPVA le 25 mars 2024 auxquelles s'est référé et qu'a développées son conseil à l'audience, la société demande à la cour de :

- déclarer irrecevable les demandes nouvelles formulées devant la cour au titre du déficit fonctionnel permanent ;

A titre subsidiaire,

- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a fixé le préjudice esthétique temporaire à la somme de 2 000 euros et débouté Mme [H] de sa demande d'indemnisation d'un préjudice d'agrément et d'un préjudice résultant de la perte ou diminution de promotion professionnelle ;

- déclarer Mme [H] mal fondée et rejeter l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;

- recevoir son appel incident et la déclarer fondée ;

- infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a fixé l'indemnisation complémentaire de Mme [H] comme suit :

* 15 000 euros au titre des souffrances endurées ;

* 2 500 euros au titre du préjudice esthétique permanent ;

* 3 145 euros au titre du déficit fonctionnel temporaire ;

* 2 718 euros au titre de l'assistance par une tierce personne ;

Statuant à nouveau,

- rapporter à de plus justes proportions les demandes formulées au titre de la fixation :

* du déficit fonctionnel temporaire, dans la limite de 2 893,40 euros ;

* de l'assistance d'une tierce personne, dans la limite de 2 707,50 euros ;

* des souffrances physiques et morales, dans la limite de 12 000 euros ;

* du préjudice esthétique permanent, dans la limite de 2 500 euros ;

- débouter Mme [H] de sa demande au titre du déficit fonctionnel permanent ;

En tout état de cause,

- rejeter les demandes complémentaires formulées sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

Par ses écritures parvenues au greffe le 7 mars 2023 auxquelles s'est référée et qu'a développées sa représentante à l'audience, la caisse, appelée à la cause, demande à la cour de :

- condamner la société à lui rembourser l'intégralité des sommes versées à Mme [H], ainsi que les frais d'expertise, soit la somme totale de 29 005,41 euros, quand bien même un accord interviendrait entre les parties relativement au montant de l'indemnisation des préjudices.

Dans l'hypothèse où la cour viendrait à revoir à la hausse l'indemnisation des préjudices de Mme [H] et la condamnerait à faire l'avance de la différence, la caisse demande de condamner la société à lui rembourser ces sommes.

Pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, la cour, conformément à l'article 455 du code de procédure civile, renvoie aux conclusions susvisées.

MOTIFS DE LA DÉCISION

I - Préjudices patrimoniaux

A - Préjudices temporaires (besoin en aide humaine)

La victime d'un accident du travail est recevable à demander une indemnité destinée à réparer le préjudice résultant du besoin d'assistance avant consolidation (2e Civ., 20 juin 2013, n° 12-21.548).

Le montant de l'indemnité allouée au titre de cette assistance ne saurait être subordonné à la production de justifications des dépenses effectives (même arrêt), ni réduit en cas d'assistance d'un membre de la famille (2e Civ., 7 mai 2014, n° 13-16.204).

Cette jurisprudence constante est réaffirmée régulièrement (2e Civ., 17 décembre 2020, pourvoi n° 19-15.969).

La victime a droit à une indemnité correspondant à ce qu'elle aurait payé si elle avait fait appel à un salarié extérieur et cette indemnité doit être calculée sur une base horaire, charges comprises.

Il s'agit d'indemniser un besoin et non de rembourser une dépense.

C'est à ce titre qu'il convient d'évaluer l'aide humaine dont l'expert a donné le détail comme suit :

- 2 heures par jour du 7 mai au 7 juin 2014 ;

- 1h30 par jour du 8 juin au 8 juillet 2014 ;

- 3 heures par semaine du 9 juillet au 1er octobre 2014 (utilisation d'une cane anglaise) ;

- 1 heure par semaine du 2 octobre 2014 au 30 mai 2015.

Sur la base d'un taux horaire de 27 euros, l'indemnité selon l'estimation de l'expert s'établit comme suit :

- 2 heures par jour du 7 mai au 7 juin 2014, soit 32 jours x 2, soit 64 heures x 27 = 1 728 euros ;

- 1h30 par jour du 8 juin au 8 juillet 2014 soit 31 jours x 1,5, soit 46,5 heures x 27 = 1 255,50 euros ;

- 3 heures par semaine du 9 juillet au 1er octobre 2014, soit 12 semaines x 3 soit 36 heures x 27 = 972 euros ;

- 1 heure par semaine du 2 octobre 2014 au 30 mai 2015, soit 34 semaines x 1, soit 34 heures x 27 = 918 euros,

soit un total de 4 873,50 euros.

Dans ces conditions il convient d'allouer à Mme [H] la somme de 3 880,75 euros dans les limites de la demande, le jugement entrepris étant ainsi infirmé.

B - Préjudices permanents (la perte de chance de promotion professionnelle)

Au soutien de sa demande d'allocation de la somme de 5 000 euros en réparation de sa perte de chance de promotion professionnelle, Mme [H] fait valoir qu'elle a fait l'objet d'un licenciement pour inaptitude physique et impossibilité de reclassement.

Pour s'opposer à cette demande, la société fait valoir que Mme [H] a déjà été indemnisée dans le cadre du litige prud'homal en lien avec son licenciement ; qu'en outre, elle n'a pas été déclarée inapte à tous postes, le médecin du travail ayant même retenu qu'elle pouvait occuper un poste hors atelier ne nécessitant pas le port de chaussures de sécurité et permettant de rester en position assise de temps en temps ; qu'elle ne démontre pas quoiqu'il en soit qu'elle avait, avant l'accident, des chances sérieuses de promotion professionnelle ; qu'elle était, de plus, atteinte d'une pathologie de l'appareil locomoteur touchant principalement le rachis qui avait permis la reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé.

Sur ce :

La Cour de cassation juge que le préjudice résultant de la perte ou de la diminution des possibilités de promotion professionnelle est distinct du préjudice résultant du déclassement professionnel (2e Civ., 20 septembre 2005, pourvoi n° 04-30.278, Bull civ II, n° 225), ainsi que de celui résultant de la perte de gains professionnels futurs (2ème Civ., 31 mars 2016, pourvoi

n° 15-14.265).

La perte ou la diminution des possibilités de promotion professionnelle suppose, au-delà du déclassement professionnel, une possibilité de progression dont l'intéressé a été en tout ou partie privé du fait de l'accident.

L'indemnisation du préjudice professionnel implique que la victime ait amorcé un cursus de qualification professionnelle laissant supposer que, sans l'accident, ce cursus se serait poursuivi. Il lui incombe donc de démontrer qu'au jour de l'accident, elle aurait eu des chances sérieuses de promotion professionnelle (2è Civ., 8 avril 2010, pourvoi n°09-11.634).

Il est de jurisprudence constante que seule est réparable, au titre de la perte de chance, la disparition actuelle et certaine d'une éventualité favorable à la mesure de la probabilité du choix ou de l'événement souhaitable ou souhaité.

La réparation de la perte de chance doit être mesurée à la chance perdue et ne peut être égale à l'avantage qu'aurait procuré cette chance si elle s'était réalisée.

Or, force est de constater qu'en l'espèce, Mme [H], née le 1er avril 1955, employée au sein de la société depuis 1998 comme noyauteuse, ne justifie d'aucun élément établissant qu'elle avait, avant l'accident, des chances sérieuses de promotion professionnelle.

Le jugement entrepris l'ayant déboutée de sa demande présentée à ce titre sera en conséquence confirmé.

II - Préjudices extra-patrimoniaux

A - Préjudices temporaires

1 - Déficit fonctionnel temporaire

La réparation du déficit fonctionnel temporaire inclut, pour la période antérieure à la consolidation, l'incapacité fonctionnelle totale ou partielle ainsi que les temps d'hospitalisation et les pertes de qualité de vie et des joies usuelles de la vie courante durant la maladie traumatique.

Mme [H] a été hospitalisée du 27 mars au 6 mai 2014 et a subi trois interventions chirurgicales en trois mois.

L'expert a en l'espèce évalué comme suit les périodes de déficit fonctionnel temporaire :

- total du 27 mars au 6 mai 2014 ;

- partiel de classe 4 du 7 mai au 7 juin 2014 ;

- partiel de classe 3 du 8 juin au 8 juillet 2014 ;

- partiel de classe 2 du 9 juillet au 30 septembre 2014 ;

- partiel de classe 1 du 1er octobre 2014 au 31 mai 2015.

Sur la base d'un taux journalier de 30 euros, l'indemnité s'établit à la somme de 3 774 euros justifiant, par voie d'infirmation, de faire droit à la demande à hauteur de ce montant.

2- Souffrances endurées

Comme rappelé par les premiers juges, Mme [H] a subi l'écrasement de sa jambe gauche avec perte de substance ayant nécessité un parage des plaies et une greffe de peau secondaire ; sa cheville gauche a été fracturée au niveau de la malléole (fracture non déplacée), ayant nécessité une ostéosynthèse. La consolidation a été fixée au 31 mai 2015 avec un taux d'IPP de 12%.

Ce dommage est estimé 4,5/7 par l'expert qui a pris en compte les souffrances lors de l'accident, les différentes opérations (trois rapprochées au printemps 2014), les soins infirmiers à domicile jusqu'en octobre 2014 et les soins de kinésithérapie.

La cour trouve dans la cause les éléments suffisants pour évaluer, par voie d'infirmation, ce préjudice la somme de 30 000 euros compte tenu des blessures initiales et des interventions chirurgicales itératives.

3 - Préjudice esthétique

L'altération de l'apparence physique rapportée par l'expert (cicatrices post-opératoires, fauteuil roulant puis cannes anglaises) justifie que pour un préjudice évalué 3/7 par l'expert il soit fait droit à la demande et alloué 4 500 euros à Mme [H].

B - Préjudices permanents

1 - Déficit fonctionnel permanent

Sont réparables en application de l'article L. 452-3 du code de la sécurité sociale les souffrances physiques et morales non indemnisées au titre du déficit fonctionnel permanent, soit les souffrances physiques et morales antérieures à la consolidation (2e Civ., 8 octobre 2020, pourvoi n° 19-13.126) et subies à compter de la première constatation médicale de la maladie.

Comme l'a jugé la Cour de cassation (Ass. plén., 20 janvier 2023, pourvoi n° 20-23.673 et pourvoi n° 21-23.947) eu égard à son mode de calcul appliquant au salaire de référence de la victime le taux d'incapacité permanente défini à l'article L. 434-2 du code de la sécurité sociale, la rente versée à la victime d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle ne répare pas le déficit fonctionnel permanent.

Au sens de la nomenclature 'Dintilhac', le déficit fonctionnel permanent indemnise la réduction définitive du potentiel physique, psychosensoriel, ou intellectuel résultant de l'atteinte à l'intégrité anatomo-physiologique médicalement constatable, à laquelle s'ajoutent les phénomènes douloureux et les répercussions psychologiques, normalement liées à l'atteinte séquellaire décrite ainsi que les conséquences habituellement et objectivement liées à cette atteinte dans la vie de tous les jours.

Ce poste de préjudice permet donc, pour la période postérieure à la consolidation, d'indemniser non seulement l'atteinte objective à l'intégrité physique et psychique, mais également les douleurs physiques et psychologiques, ainsi que la perte de qualité de vie et les troubles ressentis dans les conditions d'existence personnelles, familiales et sociales.

Il s'en déduit que la victime d'une faute inexcusable de l'employeur peut obtenir une réparation complémentaire à ce titre.

Pour s'opposer à la demande présentée à ce titre, la société fait valoir que cette dernière est nouvelle et qu'elle est comme telle irrecevable.

Or, force est de constater que la demande tendant à la liquidation du déficit fonctionnel permanent tend aux mêmes fins de réparation du préjudice corporel et n'est donc pas irrecevable.

Au cas particulier, il résulte de la décision relative à l'attribution de la rente accident du travail qu'il est reconnu à Mme [H], consolidée à l'âge de 60 ans, une IPP évaluée à 12 % pour des séquelles à type de zones cicatricielles étendues au niveau de la jambe et de la cheville gauches nécessitant une protection et l'usage de topiques hydratants et pour une limitation de la flexion dorsale de la cheville gauche.

Ce taux, comme la date de consolidation, sont irrévocablement fixés par la caisse.

Or, dans l'instance qui ne porte que sur la liquidation des préjudices subis par la victime après reconnaissance la faute inexcusable de son employeur, le juge ne saurait remettre en cause, en fait ou en droit, les décisions prises par la caisse dans ses relations avec l'assuré ou l'employeur en ce qu'elles ont définitivement fixé dans leurs rapports respectifs la date de consolidation et le taux de l'incapacité permanente (au sens de 2e Civ., 15 février 2018, pourvoi n° 16-20.467).

Quoiqu'il en soit, la méthode consistant, en droit commun, à réparer l'atteinte à l'intégrité physique et psychique en multipliant le taux du déficit fonctionnel par une valeur du point, laquelle est fonction du taux et de l'âge de la victime à la consolidation, est dépourvue de valeur normative et n'a pas d'autre objet, s'agissant d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle, que de calculer le montant de la rente (ou du capital) à servir à l'assuré en l'appliquant à son salaire de référence.

Mme [H] sollicite à ce titre la somme de 8 400 euros.

Tenant compte des séquelles à la consolidation et de son âge à cette date, la cour trouve dans la cause les éléments suffisants pour faire droit à la demande de Mme [H].

2 - Préjudice d'agrément

Ce poste de préjudice, réparable en application de l'article L. 452-3 du code de la sécurité sociale, est constitué par l'impossibilité pour la victime de continuer à pratiquer régulièrement une activité spécifique sportive ou de loisirs et inclut la limitation de la pratique antérieure.

Il appartient à la victime (ou à ses ayants droit) de rapporter la preuve de la pratique régulière, antérieure à l'accident du travail ou à la maladie, d'une telle activité.

Mme [H] fait valoir en l'espèce qu'avant l'accident elle pratiquait régulièrement la randonnée, la danse et le vélo.

Elle verse à cet effet deux attestations :

- l'une de M. [Z] [H] indiquant qu'elle 'faisait bien de la randonnée et du vélo sans aucun problème avant son accident' et 'allait régulièrement à des soirées dansantes, mais que malheureusement elle ne peut plus rien faire' ;

- l'autre de M. [F], certifiant qu'elle 'faisait bien de la randonnée sans aucun problème ainsi que du vélo' mais que 'malheureusement ses activités sont réduites suite à cet accident'.

Ces témoignages attestent de la pratique régulière d'activités sportives ou de loisir, justifiant l'allocation de la somme de 3 500 euros.

3 - Préjudice esthétique

L'expert a évalué le préjudice esthétique permanent à 2,5/7 tenant compte des cicatrices disgracieuses de la jambe gauche s'étendant de la cuisse à la cheville, nécessitant une protection permanente.

Il sera alloué à ce titre à Mme [H] la somme de 4 000 euros en réparation de son préjudice.

L'ensemble des sommes susvisées portera intérêts au taux légal à compter du présent arrêt dans les limites de la demande.

III - L'action récursoire de la caisse

Par application des dispositions de l'article L. 452-3 du code de la sécurité sociale, la caisse dispose à l'encontre de la société d'une action récursoire au titre de l'ensemble des sommes dont celle-ci est tenue de faire l'avance, dans les limites du taux d'IPP opposable à la société.

La société devra également supporter le coût de l'expertise et rembourser à la caisse la somme y afférente, le jugement entrepris étant confirmé sur ce point.

IV - Les frais irrépétibles et les dépens

Il n'apparaît pas équitable de laisser à la charge de Mme [H] ses frais irrépétibles.

La société sera en conséquence condamnée à lui verser à ce titre la somme de 4 500 euros en sus de la somme allouée en première instance, en ce compris, comme demandé, les frais d'assistance médicale lors des opérations d'expertise dont Mme [H] justifie en pièce N°16 pour un montant facturé de 1 000 euros.

S'agissant des dépens, l'article R.144-10 du code de la sécurité sociale disposant que la procédure est gratuite et sans frais en matière de sécurité sociale est abrogé depuis le 1er janvier 2019.

En conséquence, les dépens de la présente procédure exposés postérieurement au 31 décembre 2018 seront laissés à la charge de la société qui succombe à l'instance.

PAR CES MOTIFS :

La COUR, statuant publiquement par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe,

Déclare recevable la demande de Mme [H] présentée au titre du déficit fonctionnel permanent ;

Confirme le jugement entrepris sauf en ce qu'il a :

- débouté Mme [H] de sa demande présentée au titre du préjudice d'agrément ;

- fixé comme suit les préjudices de Mme [H] :

* assistance tierce personne avant consolidation : 2 718 euros

* déficit fonctionnel temporaire : 4 500 euros

* souffrances endurées : 15 000 euros

* préjudice esthétique temporaire : 3 145 euros

* préjudice esthétique permanent : 2 500 euros

Statuant à nouveau des chefs infirmés :

Fixe le préjudice de Mme [H] comme suit :

- Préjudices patrimoniaux temporaires :

* besoin en aide humaine : 3 880,75 euros

- Préjudices extra-patrimoniaux temporaires :

* déficit fonctionnel temporaire : 3 774 euros

* souffrances endurées : 30 000 euros

* préjudice esthétique : 4 500 euros

- Préjudices extra-patrimoniaux permanents :

* préjudice d'agrément : 3 500 euros

* préjudice esthétique : 4 000 euros

Y ajoutant :

Fixe à 1 000 euros le préjudice de Mme [H] au titre des frais d'assistance à expertise médicale ;

Fixe le déficit fonctionnel permanent à la somme de 8 400 euros ;

Dit que l'ensemble de ces sommes seront versées par la caisse primaire d'assurance maladie de [Localité 4] à Mme [H] ;

Dit que les sommes allouées porteront intérêts au taux légal à compter du présent arrêt ;

Dit que la caisse primaire d'assurance maladie de [Localité 4] dispose à l'encontre de la société [2] d'une action récursoire au titre des sommes allouées à Mme [H] dont elle est tenue de faire l'avance, dans les limites du taux d'incapacité permanente partielle opposable à l'employeur ;

Condamne la société [2] à verser à Mme [H] une indemnité de 4 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile en ce compris les frais d'assistance médicale lors des opérations d'expertise ;

Condamne la société [2] aux dépens, pour ceux exposés postérieurement au 31 décembre 2018.

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Rennes
Formation : 9ème ch sécurité sociale
Numéro d'arrêt : 21/07911
Date de la décision : 05/06/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 13/06/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-06-05;21.07911 ?
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