1ère Chambre
ARRÊT N°174
N° RG 23/04834
N° Portalis
DBVL-V-B7H-UAM3
(Réf 1ère instance : 22/01787)
Mme [I] [J] veuve [R]
M. [E] [R]
C/
M. [G] [P]
M. [M] [P]
S.C.O.P. S.A.R.L. INGENIEURIE EN SECOND OEUVRE CONCEPTION RENOVATION AMÉNAGEMENT TECHNIQUES - ISOCRATE
S.C.O.P. S.A.RL. INGÉNIEURS CONSEILS EN SECOND OEUVRE - ISCO
Copie exécutoire délivrée
le :
à :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE RENNES
ARRÊT DU 4 JUIN 2024
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :
Président : Madame Véronique VEILLARD, Présidente de chambre,
Assesseur : Monsieur Philippe BRICOGNE, Président de chambre,
Assesseur : Madame Caroline BRISSIAUD, Conseillère,
GREFFIER :
Madame Marie-Claude COURQUIN, lors des débats et lors du prononcé
DÉBATS :
A l'audience publique du 19 février 2024 devant Monsieur Philippe BRICOGNE, magistrat rapporteur, tenant seul l'audience, sans opposition des représentants des parties et qui a rendu compte au délibéré collégial
ARRÊT :
Contradictoire, prononcé publiquement le 4 juin 2024 par mise à disposition au greffe après prorogation du délibéré annoncé au 7 mai 2024 à l'issue des débats
****
APPELANTS :
Madame [I] [J] veuve [R]
[Adresse 33]
[Adresse 13]
[Localité 18]
Monsieur [E] [R]
né le 15 juillet 1971 à [Localité 34] (44)
[Adresse 14]
[Localité 18]
Représentés par Me Christophe LHERMITTE de la SELEURL GAUVAIN, DEMIDOFF & LHERMITTE, Postulant, avocat au barreau de RENNES
Représentés par Me Claudine SCOTTO D'APOLLONIA, Plaidant, avocat au barreau de PARIS
INTIMÉS :
Monsieur [G] [P]
né le 22 décembre 1947
[Adresse 16]
[Localité 23]
Monsieur [M] [P]
né le 21 avril 1976
[Adresse 28]
[Localité 12]
Représentés par Me Jean-Louis VIGNERON de la SELARL ASKE 3, Postulant, avocat au barreau de NANTES
Représentés par Me Etienne de MASCUREAU de la SCP ACR AVOCATS, Plaidant, avocat au barreau d'ANGERS
La société coopérative ouvrière de production à forme anonyme Ingénierie Second-Oeuvre Conception Rénovations Aménagements Techniques Environnement (ISOCRATE), immatriculée au registre du commerce et des sociétés de Nantes sous le n°313.873.473, agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité au siège
[Adresse 24]
[Localité 34]
La société coopérative ouvrière de production à responsabilité limitée 'Ingénieurs Conseils de second oeuvre' (ICSO), immatriculée au registre du commerce et des sociétés de La Roche sur Yon sous le n°304.971.989,
agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité au siège
[Adresse 17]
[Localité 29]
Représentées par Me Thibaud HUC de la SELARL CONSEIL ASSISTANCE DÉFENSE C.A.D., avocat au barreau de NANTES
EXPOSÉ DU LITIGE
1. Par jugement d'adjudication du 25 janvier 2019, M. [G] [P] et son fils, M. [M] [P] (les consorts [P]), sont devenus propriétaires, à hauteur de 50 % chacun, d'un bien immobilier situé [Adresse 13], [Adresse 33], à [Localité 18], composé d'une maison de maître d'une superficie habitable totale de 322,70 m², avec parc boisé et clos, et de dépendances constituées de deux petites maisons, le tout cadastré section AB n° [Cadastre 1], n° [Cadastre 2], n° [Cadastre 19], n° [Cadastre 20], n° [Cadastre 25], n° [Cadastre 26], n° [Cadastre 27], section XV n° [Cadastre 3] et section ZM n° [Cadastre 22].
2. Les parcelles [Cadastre 1], [Cadastre 2], [Cadastre 19], [Cadastre 20], [Cadastre 25], [Cadastre 26] et [Cadastre 27] sont désormais cadastrées [Cadastre 4], [Cadastre 5], [Cadastre 6], [Cadastre 7], [Cadastre 8] et [Cadastre 9] suivant procès-verbal du cadastre n° [Cadastre 15] publiée le 3 septembre 2020.
3. Mme [I] [J] veuve [R] est l'ancienne propriétaire du bien immobilier et des parcelles afférentes.
4. Depuis le jugement d'adjudication du 25 janvier 2019, elle occupe la maison de maître de 322,70 m² ainsi que le parc boisé entourant la maison en qualité de locataire en vertu d'un bail verbal d'habitation, avec en contrepartie le paiement d'un loyer mensuel de 1.000 €, outre le paiement de la taxe foncière.
5. Par actes d'huissier des 28 mars, 1er, 4 et 8 avril 2022, Mme [J], arguant de ce qu'elle n'était qu'usufruitière de ce bien dont son fils est nu-propriétaire, a fait assigner devant le tribunal judiciaire de Nantes la société Ingénieurs Conseils de Second Oeuvre (Icso), la société Ingénierie Second-oeuvre Conception Rénovation Aménagements Techniques Environnement (Isocrate), créancières à l'origine de la vente sur adjudication, et les consorts [P], adjudicataires, aux fins de voir, au visa de l'article 114 du code de procédure civile :
- dire nul le jugement d'adjudication du 25 janvier 2019,
- dire et juger que les sociétés Icso et Isocrate ont procédé à un commandement de payer valant saisie irrégulier,
- dire et juger que les préjudices économiques et autres dommages et intérêts s'élèvent à 188.000 €.
6. Par conclusions d'incident notifiées par voie électronique le 7 novembre 2022, les sociétés Icso et Isocrate ont saisi le juge de la mise en état de diverses exceptions de procédure et fins de non-recevoir et lui ont demandé de :
- déclarer nulles et de nul effet les assignations délivrées le 8 mars 2022 à la société Icso et le 8 avril 2022 à la société Isocrate,
- déclarer Mme [J] dépourvue de qualité et intérêt à agir,
- déclarer prescrite la demande de nullité de la vente sur adjudication et irrecevable comme portant atteinte à l'autorité de la chose jugée,
- débouter en conséquence Mme [J] de toutes ses prétentions,
- condamner Mme [J] à leur payer la somme de 5.000 € à chacune d'elles pour leurs frais de défense,
- condamner Mme [J] aux dépens.
7. Par ordonnance du 25 mai 2023, le juge de la mise en état a :
- déclaré irrecevables devant le juge de la mise en état les conclusions notifiées par Mme [J] et M. [E] [R], intervenant volontaire, le 22 mars 2023,
- écarté les pièces n° 1, 2 et 3 produites par Mme [J] à l'appui de son assignation, non notifiées aux défendeurs pour l'audience d'incident du 23 mars 2023,
- débouté les sociétés Icso et Isocrate de leurs exceptions de procédure tendant à voir dire nulles les assignations délivrées les 28 mars et 8 avril 2022,
- déclaré irrecevables les demandes formées par Mme [J] faute de publication de l'assignation au service de la publicité foncière,
- débouté les consorts [P] de leur demande de dommages et intérêts pour procédure abusive,
- condamné Mme [J] à verser au titre de l'article 700 du code de procédure civile :
* la somme de 2.000 € aux consorts [P],
* la somme de 1.000 € à chacune des sociétés Icso et Isocrate,
- condamné Mme [J] aux dépens qui pourront être recouvrés par Me Jean Vigneron - ASKE Avocats, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
8. Pour statuer ainsi, le juge de la mise en état a retenu qu'il n'était pas tenu de répondre à des conclusions ne respectant pas les dispositions de l'article 791 du code de procédure civile, que, malgré les imperfections de l'exploit introductif d'instance, les sociétés Icso et Isocrate n'établissaient pas un grief puisqu'elles ont pu constituer avocat et se défendre utilement, que Mme [J] ne rapportait pas la preuve d'une publication de l'assignation en bonne et due forme et que le caractère abusif d'une action doit être apprécié par le juge du fond.
9. Par déclaration parvenue au greffe de la cour d'appel de Rennes le 7 août 2023, Mme [J] et M. [R] (les consorts [R]) ont interjeté appel de cette décision.
10. Le 11 septembre 2023, le greffe a adressé un avis de fixation à bref délai, avec une audience de plaidoiries prévue le 19 février 2024.
* * * * *
11. Dans leurs dernières conclusions régulièrement notifiées déposées au greffe via RPVA le 16 janvier 2024, les consorts [R] demandent à la cour de :
- déclarer recevables les conclusions du 22 mars 2023 ainsi que les pièces 1, 2 et 3 afin de permettre la poursuite de l'action en nullité de la vente,
- déclarer recevables le certificat de publicité foncière produit,
- dire et juger bien fondée la demande d'annulation de la vente intervenue par jugement d'adjudication du 25 janvier 2019 sur saisie d'un ensemble immobilier sis [Adresse 13] lieux-dits [Adresse 33], [Adresse 32], [Adresse 35], [Adresse 31], [Adresse 36] à [Localité 18] dont M. [R] est le seul propriétaire,
- rejeter les condamnations aux dépens et au titre des frais irrépétibles,
- rejeter l'ensemble des demandes des consorts [P] ainsi que des sociétés Icso et Isocrate,
- condamner les consorts [P] ainsi que les sociétés Icso et Isocrate à leur payer la somme de 5.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
12. À l'appui de leurs prétentions, les consorts [R] font en effet valoir :
- que le service de la publicité foncière a régularisé et publié une nouvelle fois l'action en nullité initiée par Mme [J] afin que M. [R] y soit inclus comme partie,
- que M. [R], à qui aucune prescription ne peut être opposé, est parfaitement recevable à agir en nullité de la vente,
- que M. [R] a accepté la succession de son père le 27 septembre 2017, mais les consorts [P] ne se sont acquittés du prix de vente que le 25 janvier 2019, point de départ de la prescription,
- que M. [R], qui est intervenu volontairement à l'instance, justifie d'un intérêt à agir pour remédier à la fraude à ses droits.
* * * * *
13. Dans leurs dernières conclusions régulièrement notifiées déposées au greffe via RPVA le 22 janvier 2024, les sociétés Icso et Isocrate demandent à la cour de :
- confirmer l'ordonnance entreprise en toutes ses dispositions et notamment en ce qu'il a déclaré irrecevables les demandes formées par Mme [J] faute de publication de l'assignation au service de la publicité foncière,
- en conséquence,
- débouter les consorts [R] de l'ensemble de leurs demandes,
- à défaut,
- déclarer Mme [J] dépourvue de qualité et intérêt à agir,
- déclarer prescrite la demande de nullité de la vente sur adjudication et irrecevable comme portant atteinte à l'autorité de la chose jugée,
- débouter les consorts [R] de l'ensemble de leurs demandes,
- en tout état de cause,
- condamner in solidum les consorts [R] à leur régler chacune la somme de 3.000 €,
- condamner les consorts [R] aux dépens.
14. À l'appui de leurs prétentions, les sociétés Icso et Isocrate font en effet valoir :
- qu'elles ont été victimes d'importants détournement commis par Mme [J] lorsqu'elle était leur comptable et associée,
- que l'immeuble en cause a enfin pu être vendu à la suite d'un long chemin procédural (42 procédures intentées),
- que les pièces ont été justement écartées faute d'avoir été communiquées,
- qu'il n'est toujours pas justifié d'une publication de l'assignation en bonne et due forme en cause d'appel, seul M. [R] qui prétend maintenant être propriétaire pouvant effectuer cette publication, cette carence n'étant de toute façon pas régularisable,
- que Mme [J] est dépourvue de qualité lorsqu'elle demande la nullité de la vente d'un bien dont elle dit maintenant ne plus être propriétaire,
- que M. [R] avait clairement annoncé qu'il renonçait à la succession de son père le 22 juin 2016, de sorte que la prescription était acquise le 23 juin 2021,
- que l'action en annulation du jugement se heurte à la chose jugée attachée au jugement du 25 janvier 2019.
* * * * *
15. Dans leurs dernières conclusions régulièrement notifiées déposées au greffe via RPVA le 10 novembre 2023, les consorts [P] demandent à la cour de :
- juger les consorts [R] non fondés en leur appel, ainsi qu'en leurs demandes, fins et conclusions,
- les en débouter,
- confirmer, si besoin par substitution de motifs, l'ordonnance entreprise en ce qu'elle a déclaré irrecevables les demandes des consorts [R],
- confirmer l'ordonnance entreprise pour le surplus,
- condamner in solidum les consorts [R] à leur payer la somme de 10.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens, lesquels seront recouvrés conformément à l'article 699 du code de procédure civile.
16. À l'appui de leurs prétentions, les consorts [P] font en effet valoir :
- que les conclusions de première instance ne respectent pas les dispositions de l'article 791 du code de procédure civile,
- que les consorts [R] ne justifient pas avoir communiqué trois pièces,
- que les appelants ne justifient toujours pas d'un certificat de dépôt du service de la publicité foncière,
- que l'assignation n'a pu être délivrée qu'à la seule requête de Mme [J] puisque M. [R] est intervenu à l'instance, l'intéressée ne pouvant donc pas la régulariser puisqu'elle serait dépourvue d'intérêt,
- que la contestation portant sur une erreur sur le propriétaire a été purgée par le jugement d'orientation intervenu le 30 octobre 2017, qui n'a fait l'objet d'aucun appel.
* * * * *
17. L'instruction de l'affaire a été déclarée close le 23 janvier 2024.
18. Pour plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, il convient de se reporter à leurs écritures ci-dessus visées figurant au dossier de la procédure.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur le rejet des conclusions et pièces
19. Ce n'est que sur le fondement des dispositions de l'article 791 du code de procédure civile que le juge de la mise en état a rejeté 'les conclusions notifiées le 22 mars 2023" au motif notamment qu'elles n'identifiaient pas clairement leur destinataire, ce que reconnaissent les appelants dans leurs conclusions d'appel lorsqu'ils évoquent une 'confusion'.
20. Par ailleurs, le juge de la mise en état a écarté les pièces n° 1, 2 et 3 dont il n'était pas justifié de la communication aux parties, ce que là encore les appelants ont admis dans leurs conclusions d'appel en page 6, évoquant 'une faute grave reconnue par notre postulante dans cette affaire'.
21. Les conclusions et les pièces ont donc été justement écartées, mais uniquement pour les besoins de l'incident.
21. Aucune violation du principe de la contradiction n'étant par ailleurs alléguée, ce chef de l'ordonnance sera donc, en tant que de besoin, confirmé.
Sur la nullité des assignations pour vice de forme
22. Cette exception, rejetée par le juge de la mise en état faute de grief avéré, n'est plus soutenue en cause d'appel par les sociétés Icso et Isocrate.
Sur la fin de non-recevoir
1 - tirée de l'irrecevabilité de l'action pour défaut de publication de l'assignation :
23. Aux termes de l'article 28 du décret n° 55-22 du 4 janvier 1955 portant réforme de la publicité foncière, 'sont obligatoirement publiés au service chargé de la publicité foncière de la situation des immeubles :
1° Tous actes, même assortis d'une condition suspensive, et toutes décisions judiciaires, portant ou constatant entre vifs :
a) Mutation ou constitution de droits réels immobiliers, y compris les obligations réelles définies à l'article L. 132-3 du code de l'environnement, autres que les privilèges et hypothèques, qui sont conservés suivant les modalités prévues au code civil ;
b) Bail pour une durée de plus de douze années, et, même pour un bail de moindre durée, quittance ou cession d'une somme équivalente à trois années de loyers ou fermages non échus ;
c) Titre d'occupation du domaine public de l'Etat ou d'un de ses établissements publics constitutif d'un droit réel immobilier délivré en application des articles L. 34-1 à L. 34-9 du code du domaine de l'Etat et de l'article 3 de la loi n° 94-631 du 25 juillet 1994 ainsi que cession, transmission ou retrait de ce titre.
2° Les actes entre vifs dressés distinctement pour constater des clauses d'inaliénabilité temporaire et toutes autres restrictions au droit de disposer, ainsi que des clauses susceptibles d'entraîner la résolution ou la révocation d'actes soumis à publicité en vertu du 1° ; de même, les décisions judiciaires constatant l'existence de telles clauses ;
Les décisions judiciaires arrêtant ou modifiant le plan de redressement de l'entreprise rendu en application des chapitres II ou III de la loi n° 85-98 du 25 janvier 1985 relative au redressement et à la liquidation judiciaires des entreprises qui prononcent en application des articles 70 ou 89-1 de la loi précitée l'inaliénabilité temporaire d'un bien immobilier compris dans le plan.
3° Les attestations notariées, établies en exécution de l'article 29 en vue de constater la transmission ou la constitution par décès de droits réels immobiliers ;
4° Les actes et décisions judiciaires, énumérés ci-après, lorsqu'ils portent sur des droits soumis à publicité en vertu du 1° :
a) Les actes confirmatifs de conventions entachées de causes de nullité ou rescision ;
b) Les actes constatant l'accomplissement d'une condition suspensive ;
c) Les demandes en justice tendant à obtenir, et les actes et décisions constatant, la résolution, la révocation, l'annulation ou la rescision d'une convention ou d'une disposition à cause de mort ;
d) Les décisions rejetant les demandes visées à l'alinéa précédent et les désistements d'action et d'instance ;
e) Les actes et décisions déclaratifs ;
5° (abrogé) ;
6° Les conventions d'indivision immobilière ;
7° (abrogé) ;
8° Les actes qui interrompent la prescription acquisitive conformément aux articles 2244 et 2248 du code civil, et les actes de renonciation à la prescription acquise ;
9° Les documents, dont la forme et le contenu seront fixés par décret, destinés à constater tout changement ou modification du nom ou des prénoms des personnes physiques, et les changements de dénomination, de forme juridique ou de siège des sociétés, associations, syndicats et autres personnes morales, lorsque ces changements intéressent des personnes physiques ou morales au nom desquelles une formalité de publicité a été faite depuis le 1erjanvier 1956".
24. L'article 30 prévoit que 'les demandes tendant à faire prononcer la résolution, la révocation, l'annulation ou la rescision de droits résultant d'actes soumis à publicité ne sont recevables devant les tribunaux que si elles ont été elles-mêmes publiées conformément aux dispositions de l'article 28-4°, c, et s'il est justifié de cette publication par un certificat du service chargé de la publicité foncière ou la production d'une copie de la demande revêtue de la mention de publicité'.
25. En l'espèce, le premier juge a considéré que les formalités dont Mme [J] et M. [R] (désormais intervenant volontaire à l'instance) justifiaient ne suffisaient pas dès lors que seul un mail du 17 mars 2023 par lequel le service de la publicité foncière de [Localité 34] 2 à la direction générale des finances publiques indique au conseil des demandeurs que 'l'assignation déposée par votre client M. [R] a été publiée sous la réf. du 15/03/23 vol 2023 P 7860" était produit, alors que cette indication, sans la production de l'assignation déposée, n'est pas de nature à régulariser l'omission constatée puisque M. [R] n'est à l'origine d'aucune assignation, seule Mme [J] ayant fait délivrer les actes introductifs d'instance saisissant le tribunal judiciaire de Nantes en mars et avril 2022, de sorte que l'on ignore quel acte a été publié.
26. Le titulaire de l'action comme celui de la publication importe toutefois peu dès lors, ainsi que le rappelle le premier juge, que l'obligation de publication, qui peut être régularisée à tout moment, a essentiellement vocation à encadrer les conditions d'exercice de l'action dans le but légitime d'informer les tiers et d'assurer la sécurité juridique des mutations immobilières.
27. En cause d'appel, les consorts [R] produisent un 'relevé des formalités publiées' qui équivaut au certificat exigé par l'article 30 du décret n° 55-22 du 4 janvier 1955. Il fait état de la publication :
- le 15 mars 2023, d'une 'assignation en nullité de la vente', cette formalité étant 'en attente',
- le 12 mai 2023, d'une 'attestation rectificative valant reprise pour ordre de la formalité initiale du 15/03/2023", au nom de Mme [J] ('assignation du 08/04/2022 en nullité de vente') concernant les parcelles AB [Cadastre 5] à AB [Cadastre 9], AB [Cadastre 10] à AB [Cadastre 11], XV [Cadastre 3] et ZM [Cadastre 22],
- le 15 décembre 2023, d'une 'assignation devant la cour d'appel' au nom de Mme [J] et de M. [R] concernant les mêmes parcelles.
28. Les parcelles en litige sont parfaitement identifiées comme telles par le service de la publicité foncière, aucun rejet de la formalité n'étant mentionné par ce dernier.
29. La formalité exigée doit être considérée comme remplie.
30. C'est donc à tort que l'ordonnance entreprise a déclaré irrecevables les demandes formées par Mme [J] faute de publication de l'assignation au service de la publicité foncière.
2 - tirée du défaut de qualité et d'intérêt à agir :
31. Aux termes de l'article 31 du code de procédure civile, 'l'action est ouverte à tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès ou au rejet d'une prétention, sous réserve des cas dans lesquels la loi attribue le droit d'agir aux seules personnes qu'elle qualifie pour élever ou combattre une prétention, ou pour défendre un intérêt déterminé'.
32. En l'espèce, les sociétés Icso et Isocrate dénient à Mme [J] tout intérêt à agir sur un bien dont elle ne se dit pas elle-même propriétaire.
33. Toutefois, Mme [J] indique dans ses conclusions (page 3) que 'les époux [R] étaient propriétaires ensemble de plusieurs parcelles agricoles (AB [Cadastre 19] AB [Cadastre 20] AB [Cadastre 21], AB [Cadastre 25], AB [Cadastre 26], AB [Cadastre 27], XV [Cadastre 3] et ZM [Cadastre 22], AB [Cadastre 2] AB [Cadastre 2] ) sur lesquelles sont édifiées une maison d'habitation, des bâtiments agricoles ainsi que de terrains sur lesquels ils cultivaient des céréales'.
34. C'est d'ailleurs bien à raison de la qualité de propriétaire de Mme [J] que les sociétés Icso et Isocrate ont pratiqué la saisie immobilière en cause sur un bien appartenant à leur débitrice.
35. Par ailleurs, elle a intérêt à voir prospérer l'action en nullité également engagée par son fils M. [R] à la faveur de son intervention volontaire, l'interdiction absolue posée par l'article 815-17 alinéa 2 du code civil ('les créanciers personnels d'un indivisaire ne peuvent saisir sa part dans les biens indivis, meubles ou immeubles') étant susceptible de lui profiter.
36. Concernant M. [R], bien que l'ordonnance querellée n'en fasse pas cas, son intérêt à agir est remis en cause au stade de l'appel par les sociétés Icso et Isocrate qui affirment que l'intéressé, sommé le 22 juin 2016 d'avoir à prendre parti sur le sort de la succession de son père, aurait indiqué qu'il entendait renoncer à cette succession.
37. Si cette sommation n'est pas produite (elle n'obéit d'ailleurs pas aux formalités de la renonciation à succession prévues à l'article 804 du code civil dans sa version applicable au litige et l'héritier peut toujours révoquer cette renonciation par application des dispositions de l'article 807), M. [R], de son côté, verse aux débats une attestation de propriété immobilière établie le 27 septembre 2017 par Me [D], notaire à [Localité 30] (44) le mentionnant en qualité d'héritier en tant que fils unique de feu [U] [R], décédé le 30 décembre 2013, avec la désignation des biens litigieux, attestation qui a fait l'objet d'une publication au service de la publicité foncière le 24 octobre 2017 (vol n° 2017P, n° 2818).
38. Cette situation de conflit explique le premier rejet de la publication de l'adjudication du 25 janvier 2019, constaté le 26 novembre 2019, qui a conduit l'avocat des adjudicataires, les consorts [P], à déposer auprès du juge de l'exécution du tribunal de grande instance de Nantes, le 12 décembre 2019, une requête en vue de déclarer inopposable cette publication, requête à laquelle il a été fait droit le 13 décembre 2019, en application des dispositions de l'article L. 321-5 du code des procédures civiles d'exécution.
39. Toutefois, si cette ordonnance a finalement permis la publication de l'adjudication le 6 février 2020, elle ne retire aucune qualité à M. [R] pour agir en nullité de l'adjudication dès lors que, selon lui, la procédure de saisie immobilière aurait nié ses droits légitimes de propriétaire sur les biens saisis.
40. Les consorts [R] ont donc bien qualité et intérêt à agir.
3 - tirée de la prescription :
41. L'article 2224 du code civil dispose que 'les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer'.
42. En l'espèce, les sociétés Icso et Isocrate soulèvent la prescription de l'action au motif que 'M. [R] a officiellement renoncé à la succession de son père le 22 juin 2016 et il n'a donc jamais eu la qualité de nu-propriétaire'.
43. Ce faisant, les sociétés Icso et Isocrate semblent n'opposer la prescription qu'à l'encontre de M. [R] et font partir le départ du délai du jour où il aurait officiellement renoncé à la succession de son père.
44. S'agissant d'une action tendant à la nullité d'une adjudication réalisée le 25 janvier 2019, il ne peut être envisagé de faire courir le délai de prescription avant cette date, de sorte que tant l'action de Mme [J], initiée dès le 28 mars 2022, que l'intervention volontaire de M. [R] du 22 mars 2023, intervenues dans le délai de cinq ans suivant la vente contestée, doivent être considérées comme n'étant pas atteintes par la prescription quinquennale de droit commun (et non quadriennale comme l'indiquent à tort les sociétés Icso et Isocrate).
4 - tirée de la chose jugée :
45. Aux termes de l'article 1355 du code civil, 'l'autorité de la chose jugée n'a lieu qu'à l'égard de ce qui a fait l'objet du jugement. Il faut que la chose demandée soit la même ; que la demande soit fondée sur la même cause ; que la demande soit entre les mêmes parties, et formée par elles et contre elles en la même qualité'.
46. L'article R. 322-60 du code des procédures civiles d'exécution (et non du code de l'organisation judiciaire, ainsi que le suggèrent les sociétés Icso et Isocrate) dispose que 'le jugement d'adjudication est notifié par le créancier poursuivant, au débiteur, aux créanciers inscrits, à l'adjudicataire ainsi qu'à toute personne ayant élevé une contestation tranchée par la décision.
Seul le jugement d'adjudication qui statue sur une contestation est susceptible d'appel de ce chef dans un délai de quinze jours à compter de sa notification'.
47. En l'espèce, Mme [J] était partie à la procédure de saisie immobilière qui s'est soldée par le jugement d'adjudication du 25 janvier 2019. Bien qu'elle évoque une 'fraude' dont son fils M. [R] aurait été victime, ce moyen ne lui est pas propre et Mme [J] n'a, en toute hypothèse, pas entendu utiliser la voie de l'action en révision.
48. Concernant M. [R], bien qu'il n'apparaisse pas en tant que partie dans le jugement d'adjudication du 25 janvier 2019 (rôle n° 17/00003), il est intervenu volontairement à l'instance au côté de sa mère Mme [J] en qualité de 'nu-propriétaire' et a conclu aux fins d' 'autorisation de vente amiable', juste avant l'audience d'adjudication, ces conclusions faisant référence au RG 17/00003.
49. L'autorité de la chose jugée attachée au jugement du 25 janvier 2019, qui n'était pas susceptible d'appel pour ne trancher aucune contestation, peut dès lors valablement être opposée à M. [R] qui, bien qu'évoquant une fraude, n'a pas utilisé la voie de l'action en révision, seul recours dont il disposait comme ayant été partie à l'instance d'adjudication.
50. Par substitution de motif, il conviendra de confirmer l'ordonnance en ce qu'elle a déclaré Mme [J] irrecevable en ses demandes et, y ajoutant, il conviendra également de déclarer M. [R] irrecevable.
Sur les dépens
51. Les consorts [R], partie perdante, seront condamnés in solidum aux dépens, lesquels seront recouvrés conformément à l'article 699 du code de procédure civile.
Sur l'article 700 du code de procédure civile
52. L'équité commande de faire bénéficier les sociétés Icso et Isocrate d'une part et les consorts [P] d'autre part des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile à hauteur de 3.000 €.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement, contradictoirement, en matière civile et en dernier ressort, par arrêt mis à disposition au greffe conformément à l'article 451 alinéa 2 du code de procédure civile,
Confirme l'ordonnance du juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Nantes du 25 mai 2023 en toutes ses dispositions,
Y ajoutant,
Déclare M. [E] [R] irrecevable en son action,
Condamne in solidum Mme [I] [J] veuve [R] et M. [E] [R] aux dépens d'appel, lesquels seront recouvrés conformément à l'article 699 du code de procédure civile,
Condamne in solidum Mme [I] [J] veuve [R] et M. [E] [R] à payer, en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile :
- la somme de 3.000 € aux sociétés Icso et Isocrate,
- la somme de 3.000 € à M. [G] [P] et M. [M] [P].
LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE