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28/05/2024 | FRANCE | N°21/04484

France | France, Cour d'appel de Rennes, 1ère chambre, 28 mai 2024, 21/04484


1ère Chambre





ARRÊT N°164



N° RG 21/04484

N° Portalis DBVL-V-B7F-R3BH



(Réf 1ère instance : 17/01636)









M. [A] [W]



C/



M. [I] [W]

Mme [V] [W]

M. [L] [W]

M. [O] [W]

Mme [F] [W]

















Copie exécutoire délivrée



le :



à :











RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



COUR

D'APPEL DE RENNES

ARRÊT DU 28 MAI 2024





COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :



Président : Madame Véronique VEILLARD, Présidente de chambre,

Assesseur : Monsieur Philippe BRICOGNE, Président de chambre entendu en son rapport,

Assesseur : Madame Caroline BRISSIAUD, Conseillère,



GREFFIER :
...

1ère Chambre

ARRÊT N°164

N° RG 21/04484

N° Portalis DBVL-V-B7F-R3BH

(Réf 1ère instance : 17/01636)

M. [A] [W]

C/

M. [I] [W]

Mme [V] [W]

M. [L] [W]

M. [O] [W]

Mme [F] [W]

Copie exécutoire délivrée

le :

à :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE RENNES

ARRÊT DU 28 MAI 2024

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :

Président : Madame Véronique VEILLARD, Présidente de chambre,

Assesseur : Monsieur Philippe BRICOGNE, Président de chambre entendu en son rapport,

Assesseur : Madame Caroline BRISSIAUD, Conseillère,

GREFFIER :

Madame Marie-Claude COURQUIN, lors des débats et lors du prononcé

DÉBATS :

A l'audience publique du 16 janvier 2024

ARRÊT :

Contradictoire, prononcé publiquement le 28 mai 2024 par mise à disposition au greffe après prorogation du délibéré annoncé au 19 mars 2024 à l'issue des débats

****

APPELANT :

Monsieur [A] [W]

né le [Date naissance 1] 1942 à [Localité 26] (22)

chez M. et Mme [H]

[Adresse 21]

[Localité 2] (ESPAGNE)

Représenté par Me Daniel LE FUR, avocat au barreau de BREST

INTIMÉS :

Monsieur [I] [W]

né le [Date naissance 13] 1940 à [Localité 26] (22)

[Adresse 12]

[Localité 14]

Madame [V] [W]

née le [Date naissance 15] 1964 à [Localité 23] (29)

[Adresse 8]

[Localité 17]

Monsieur [L] [W]

né le [Date naissance 7] 1965 à [Localité 23] (29)

Le [Adresse 29]

[Localité 19]

Monsieur [O] [W]

né le [Date naissance 9] 1980 à [Localité 23] (29)

[Adresse 20]

[Localité 18]

Madame [F] [W]

née le [Date naissance 6] 1965 à [Localité 23] (29)

[Adresse 5]

[Localité 16]

Représentés par Me René GLOAGUEN de la SCP GLOAGUEN & PHILY, avocat au barreau de BREST

EXPOSÉ DU LITIGE

1. Le 30 décembre 1993, feu [B] [W] a consenti à son fils, M. [A] [W], une donation en avancement d'hoirie constituée des 350 parts sociales de la SARL [W] Père et Fils pour une valeur de 39.591 €.

2. Le 10 juillet 1995, [B] [W], en compagnie de son épouse, ont également effectué au bénéfice de leurs deux fils la donation à titre de partage anticipé de la nue-propriété d'un ensemble immobilier situé au [Adresse 4] à [Localité 23] composé d'une maison d'habitation, d'un immeuble et de garages, ainsi que d'un hangar dont l'entrée se situe au [Adresse 10] à [Localité 23], biens dépendant de la communauté. Les valeurs de ces donations s'élevaient à 27.440 € au profit de M. [A] [W] et à 50.765 € au profit de M. [I] [W].

3. [B] [W] avait également consenti au profit de son petit-fils, [O] [W], plusieurs chèques respectivement d'une valeur de 4.000 € le 26 août 2009, de 7.530 € le 16 mai 2013 et de 1.500 € le 2 novembre 2015, que ce dernier ne conteste pas avoir perçus.

4. [B] [W], veuf de [N] [T] épouse [W], est décédé à [Localité 23] le [Date décès 11] 2015, laissant pour lui succéder, en vertu d'un testament du 28 novembre 2006 :

- M. [I] [W], héritier réservataire à hauteur de 34 % de la succession et légataire à titre universel à hauteur de 16 % de la succession,

- M. [A] [W], héritier réservataire à hauteur de 34 % de la succession,

- ses petits-enfants à concurrence d'un quart chacun, à savoir Mme [F] [W], fille de M. [A] [W], Mme [V] [W], M. [L] [W] et M. [O] [W], enfants de M. [I] [W], légataires à titre universel conjointement à hauteur de 16 %.

5. En 2017, M. [A] [W] a découvert que le défunt était titulaire de plusieurs contrats d'assurances-vie dont notamment :

- les contrats Ecureuil Projet n° 94042799516 et n° 940428028 auprès de la [24] Bretagne et Pays-de-la-Loire,

- les contrats Dynalto n°132751/29007959 et CEM n°132751/29007959 auprès de la [28].

6. Il ressortait de ces contrats que :

- Mme [V] [W] était bénéficiaire du contrat d'assurance-vie Ecureuil Projet n°11094042799516 souscrit auprès de la [24] Bretagne et Pays-de-la-Loire par M. [B] [W] et dont le montant s'élevait à plus de 38.000 €,

- M. [L] [W] était bénéficiaire du contrat d'assurance-vie Ecureuil Projet n° 11094042802803 souscrit auprès de la [24] Bretagne et Pays-de-la-Loire par M. [B] [W] et dont le montant s'élevait à plus de 38.000 €,

- M. [L] [W] et Mme [V] [W] étaient bénéficiaires à hauteur de 39% et M. [O] [W] de 22% du contrat d'assurance-vie [28] Dynalto n° 1103013221/29007959 souscrit par [B] [W] et dont le montant s'élevait à hauteur de 67.712 €,

- M. [I] [W] était bénéficiaire du contrat d'assurance-vie [28] CEM n° 132751/29007959 souscrit par [B] [W] et dont le montant s'élevait à hauteur de 187.161,65 €.

7. Malgré des tentatives, les parties ne sont pas parvenues à un partage amiable de la succession.

8. M. [I] [W], Mme [V] [W], M. [L] [W], M. [O] [W] et Mme [F] [W] (les consorts [W]) ont, par acte d'huissier du 2 juin 2017, fait assigner M. [A] [W] devant le tribunal de grande instance de Brest pour voir ordonner les opérations de compte, liquidation et partage de la succession de [B] [W], veuf non remarié de [N] [T].

9. Par jugement du 14 janvier 2021, le tribunal a :

- ordonné les opérations de compte, liquidation et partage de la succession de [B] [W],

- commis pour y procéder Me [K] [C], notaire à [Localité 22],

- désigné la vice-présidente en charge de la coordination de la chambre civile, avec faculté de délégation, en qualité de juge chargée du contrôle des opérations de liquidation et partage,

- rappelé que, dans le délai d'un an suivant sa désignation, le notaire doit dresser un état liquidatif qui établit les comptes entre copartageants, la masse partageable, les droits des parties et la composition des lots à répartir, ce délai étant suspendu pendant la procédure d'adjudication jusqu'au jour de réalisation définitive de celle-ci,

- rappelé qu'en raison de la complexité des opérations, une prorogation du délai, ne pouvant excéder un an, peut être accordée par le juge commis saisi sur demande du notaire ou sur requête d'un copartageant,

- débouté les parties du surplus de leurs demandes,

- ordonné l'exécution provisoire,

- dit que les dépens seront employés en frais privilégiés de partage.

10. Pour débouter M. [A] [W] de sa demande de rapport à succession, le tribunal retient qu'aucun élément probant ne permet de constater que M. [I] [W] aurait détourné des biens meubles dépendant de la succession et que les primes versées dans le cadre des assurances vie ne présentent pas un caractère manifestement exagéré. Pour le débouter de ses demandes de réduction, le tribunal retient que les sommes consenties à M. [O] [W] ne dépassent pas la valeur de présents d'usage.

11. Par déclaration au greffe de la cour d'appel de Rennes du 19 juillet 2021, M. [A] [W] a interjeté appel de cette décision.

* * * * *

12. Dans ses dernières conclusions régulièrement notifiées déposées au greffe via RPVA le 14 décembre 2023, M. [A] [W] demande à la cour de :

- le déclarer recevable et bien fondé en son appel,

- infirmer le jugement,

- statuant à nouveau,

- concernant les rapports à succession,

- ordonner à M. [I] [W] de rapporter à la succession de feu [B] [W] les meubles meublant la maison familiale sise [Adresse 3] à [Localité 27] dont la montre Tissot et le manteau de vison,

- dire que ces objets ont été recelés par M. [I] [W],

- fixer à la somme de 16.000 € la valeur de ces biens,

- exclure M. [I] [W] du partage de cette somme,

- concernant les réductions,

- ordonner que les libéralités suivantes consenties à M. [O] [W] soient réduites le cas échéant à la quotité disponible :

* 4.000,00 € au titre d'un chèque du 26 août 2009,

* 7.530,33 € au titre d'un chèque du 16 mai 2013,

* 1.500,00 € au titre d'un chèque du 2 novembre 2015,

- concernant la réintégration des primes des contrats d'assurance-vie,

- dire que les primes des contrats suivants sont manifestement excessives :

* contrat Ecureuil Projet n° 940427995 d'un montant de 38.419,06 €,

* contrat Ecureuil Projet n° 940428028, d'un montant de 38.419,06 €,

* contrat [28] n° 3013221/29007959, d'un montant de 67.712 €,

* contrat [28] n° 132751/29007959, d'un montant de 187.161,65 €,

- ordonner de réintégrer à la succession les primes des contrats susmentionnés,

- sur l'appel incident,

- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté en première instance les consorts [W] de leur demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- en tout état de cause,

- condamner solidairement les consorts [W] à lui payer la somme de 10.000 € chacun sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner solidairement les consorts [W] aux entiers dépens.

13. À l'appui de ses prétentions, M. [A] [W] fait en effet valoir :

- que les meubles de la maison familiale située au [Adresse 3] à [Localité 27] ont été évalués à un montant très dérisoire dans le projet de déclaration de succession du 4 février 2016, en l'espèce 1.465 €, alors même que les éléments d'évaluation et les déclarations d'impôt sur la fortune (ISF) postérieurs à cette date démontrent que cette évaluation est insuffisante,

- que les sommes versées par chèque par le défunt à M. [O] [W] excèdent celles d'un présent d'usage, eu égard au train de vie du défunt et aux revenus perçus par lui, encore que le dernier chèque émis en novembre 2015, alors que le défunt était sous tutelle, devrait être annulé, les facultés mentales de ce dernier étant altérées à cette époque,

- que les versements effectués par [B] [W] de son vivant sur les deux contrats d'assurance-vie [28] et [24] Bretagne Pays-de-la-Loire étaient manifestement exagérés eu égard aux liquidités et revenus que détenait le défunt.

* * * * *

14. Dans leurs dernières conclusions régulièrement notifiées déposées au greffe via RPVA le 14 janvier 2022, les consorts [W] demandent à la cour de :

- réformer le jugement en ce qu'il les a déboutés de leur demande tendant à voir condamner M. [A] [W] au paiement de la somme de 5.000 € par application de l'article 700 du code de procédure civile,

- confirmer la décision entreprise pour le surplus,

- statuant à nouveau,

- débouter M. [A] [W] de l'ensemble de ses demandes,

- condamner M. [A] [W] au paiement de la somme de 5.000 € au titre des frais irrépétibles exposés devant les premiers juges,

- condamner M. [A] [W] au paiement de la somme de 5.000 € titre des frais irrépétibles exposés devant la cour,

- condamner M. [A] [W] au paiement des entiers dépens exposés devant la cour.

15. À l'appui de leurs prétentions, les consorts [W] font en effet valoir :

- que tous les meubles de la maison familiale située à la maison familiale sise [Adresse 3] à [Localité 27], à l'exception de quelques affaires, ont été inventoriés par le notaire à l'occasion de la vente de cette maison et vidés à cette même occasion, procédure à laquelle M. [A] [W] a été convié, d'où il suit que ce dernier ne saurait affirmer qu'une partie de ces meubles lui a été cachée,

- que les sommes perçues par chèque par M. [O] [W] constituent des présents d'usage non rapportables à succession, dans la mesure où elles étaient relativement dérisoires et destinées à aider ce dernier très ponctuellement dans sa vie maritale,

- que, pour apprécier le caractère manifestement exagéré des primes d'assurance-vie, il convient de se placer à la date de versement de la prime, ce qui, en l'espèce, correspond à une période étendue et progressive durant laquelle le défunt a cherché à faire fructifier son épargne, et non à une opération unique et démesurée compte tenu des revenus du défunt.

* * * * *

16. L'ordonnance de clôture a été rendue le 19 décembre 2023.

17. Pour plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, il convient de se reporter à leurs écritures ci-dessus visées figurant au dossier de la procédure.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur la demande de rapport à succession

1 - les meubles et effets :

18. L'article 843 du code civil dispose que 'tout héritier, même ayant accepté à concurrence de l'actif, venant à une succession, doit rapporter à ses cohéritiers tout ce qu'il a reçu du défunt, par donations entre vifs, directement ou indirectement ; il ne peut retenir les dons à lui faits par le défunt, à moins qu'ils ne lui aient été faits expressément hors part successorale.

Les legs faits à un héritier sont réputés faits hors part successorale, à moins que le testateur n'ait exprimé la volonté contraire, auquel cas le légataire ne peut réclamer son legs qu'en moins prenant'.

19. L'article 860 prévoit que 'le rapport est dû de la valeur du bien donné à l'époque du partage, d'après son état à l'époque de la donation.

Si le bien a été aliéné avant le partage, on tient compte de la valeur qu'il avait à l'époque de l'aliénation. Si un nouveau bien a été subrogé au bien aliéné, on tient compte de la valeur de ce nouveau bien à l'époque du partage, d'après son état à l'époque de l'acquisition. Toutefois, si la dépréciation du nouveau bien était, en raison de sa nature, inéluctable au jour de son acquisition, il n'est pas tenu compte de la subrogation.

Le tout sauf stipulation contraire dans l'acte de donation.

S'il résulte d'une telle stipulation que la valeur sujette à rapport est inférieure à la valeur du bien déterminé selon les règles d'évaluation prévues par l'article 922 ci-dessous, cette différence forme un avantage indirect acquis au donataire hors part successorale'.

20. Aux termes de l'article 778, 'sans préjudice de dommages et intérêts, l'héritier qui a recelé des biens ou des droits d'une succession ou dissimulé l'existence d'un cohéritier est réputé accepter purement et simplement la succession, nonobstant toute renonciation ou acceptation à concurrence de l'actif net, sans pouvoir prétendre à aucune part dans les biens ou les droits détournés ou recelés. Les droits revenant à l'héritier dissimulé et qui ont ou auraient pu augmenter ceux de l'auteur de la dissimulation sont réputés avoir été recelés par ce dernier.

Lorsque le recel a porté sur une donation rapportable ou réductible, l'héritier doit le rapport ou la réduction de cette donation sans pouvoir y prétendre à aucune part.

L'héritier receleur est tenu de rendre tous les fruits et revenus produits par les biens recelés dont il a eu la jouissance depuis l'ouverture de la succession'.

21. Ces dispositions ne s'appliquent qu'à la dissimulation d'effets de la succession et non à l'omission d'un héritier. Elles visent toutes les fraudes au moyen desquelles un héritier cherche, au détriment de ses cohéritiers, à rompre l'égalité du partage soit qu'il divertisse des effets de la succession en se les appropriant indûment, soit qu'il les recèle en dissimulant sa possession. Le recel peut prendre la forme d'une soustraction de biens immobiliers dépendant de la succession par une vente. Il appartient au demandeur de rapporter la preuve de l'intention frauduleuse de l'héritier.

22. En l'espèce, M. [A] [W] demande à la cour d'ordonner le rapport en valeur (16.000 €) à la succession, par son frère M. [I] [W], 'des meubles meublants de la maison familiale sise [Adresse 3] à [Localité 27], dont la montre Tissot et le manteau de vison', avec cette circonstance que l'intéressé, coupable de recel successoral, serait privé de tous droits sur les biens à rapporter.

23. Concernant 'les meubles meublants', M. [A] [W] n'en fournit aucun inventaire détaillé. Il ne verse aux débats aucun élément tangible concernant le manteau de vison et se contente de produire une photographie, inexploitable, concernant la montre Tissot. Il allègue enfin 'une cave à vin' sans davantage de précision, affirmant que ces éléments ont été prélevés par son frère alors que leur père avait intégré la maison de retraite et qu'il se trouvait démuni comme ayant été placé sous la tutelle de M. [I] [W].

24. Les meubles meublant la maison familiale ont fait l'objet d'un inventaire (non daté, mais que les consorts [W] datent du 4 février 2012), joint à l'acte notarié dressé le 4 février 2016 par Me [S], notaire à [Localité 25] (Finistère) contenant prisée du mobilier, par ailleurs estimé à 1.465 €. Il n'y est fait état d'aucune montre ni d'un quelconque manteau de vison.

25. M. [A] [W] avait donné procuration à Mme [Y] [M], clerc de notaire, au moment de l'établissement par Me [S] de l'acte authentique de vente de la maison familiale des 17 et 19 septembre 2016 ayant nécessité la vidange des lieux. M. [I] [W] avait informé, sans suite, l'avocat de son frère par mail du 4 août 2016 de ce que la maison allait être vidée aux fins de vente, au cas où il souhaiterait 'conserver quelque chose'.

26. La maison a par la suite été débarrassée de tout son contenu par M. [E] [Z], antiquaire, courant septembre 2016, moyennant le prix de 500 €, à l'exception du salon en rotin estimé à 20 € destiné à M. [O] [W], du service à café en faïence estimé à 50 € destiné à M. [L] [W], de la statuette de la vierge en bois polychrome estimé à 20 € destiné à M. [L] [W], de la tondeuse électrique estimée à 20 € destinée à M. [I] [W] et de l'établi avec étau et ensemble d'outils de bricolage estimés à 30 € destiné à M. [L] [W], selon les propositions d'attribution figurant dans le projet de partage établi par Me [S] (pages 5 et 6).

27. M. [A] [W] produit un inventaire établi par Me [J], notaire à [Localité 23], le 10 mars 1997, à la suite du décès de l'épouse de [B] [W], portant sur le mobilier se trouvant au [Adresse 4] à [Localité 23], constituant le domicile de la défunte, estimé à 12.930 francs (1.971,16 €). On retrouve plus ou moins le même mobilier d'usage que celui qui est mentionné dans l'inventaire 15 ans plus tard pour un prix exprimé en moins-value d'environ 400 €. [B] [W] lui-même, qui a continué à vivre parmi son mobilier et ses effets personnels jusqu'à son entrée en Ehpad en novembre 2014 a aussi pu disposer d'une partie de ces derniers.

28. M. [A] [W] ne précise pas quels meubles auraient disparu d'un inventaire à l'autre et ne rapporte pas la preuve que cette éventuelle disparition serait le fait de son frère. Par ailleurs, l'inventaire de 1997 n'évoque aucunement une cave à vin, un manteau de vison et une montre Tissot.

29. Le fait que la déclaration de succession effectuée à l'époque (23 juin 1997) mentionne une somme de 37.730 francs (5.751,90 €) au titre de 'la prisée d'inventaire', soit environ trois fois la valeur de l'inventaire effectué le 10 mars 1997, ne permet pas davantage ni de définir les objets ou meubles qui auraient été dissipés, ni d'en imputer l'éventuelle responsabilité à M. [I] [W], dont M. [A] [W] se contente d'affirmer qu'il a pu avoir accès au mobilier et aux effets personnels lorsque leur père a quitté le domicile familial, a fortiori à compter de sa mise sous tutelle.

30. Enfin, la somme de 16.000 € mentionnée pour les meubles en 2010 au titre de la déclaration d'impôt de solidarité sur la fortune est le fait de [B] [W] et n'a pas davantage de valeur probante au regard de la prétention émise par M. [A] [W].

31. Le chef du jugement ayant débouté M. [A] [W] de sa demande de rapport à succession avec la qualification de recel sera donc confirmé.

2 - les primes d'assurance vie :

32. L'article L. 132-13 du code des assurances relatif aux contrats d'assurance vie dispose que 'le capital ou la rente payables au décès du contractant à un bénéficiaire déterminé ne sont soumis ni aux règles du rapport à succession, ni à celles de la réduction pour atteinte à la réserve des héritiers du contractant.

Ces règles ne s'appliquent pas non plus aux sommes versées par le contractant à titre de primes, à moins que celles-ci n'aient été manifestement exagérées eu égard à ses facultés'.

33. Le caractère manifestement exagéré s'apprécie au moment du versement, au regard de l'âge ainsi que des situations patrimoniale et familiale du souscripteur, de ses habitudes d'épargne et de l'utilité du contrat pour celui-ci. Chaque prime doit être prise individuellement et non globalement.

34. En l'espèce, M. [A] [W] souhaite la réintégration comme étant manifestement exagérées au regard de la situation patrimoniale de [B] [W], des sommes suivantes :

- 38.419,06 € au titre du contrat Ecureuil Projet n° 940427995,

- 38.419,06 € au titre du contrat Ecureuil Projet n° 940428028,

- 67.712 € au titre du contrat [28] n° 3013221/29007959,

- 187.161,65 € au titre du contrat [28] n° 132751/29007959.

a) le contrat Ecureuil Projet n° 940427995 :

35. Ce contrat a été ouvert le 26 février 1994, alors que [B] [W] était âgé de 74 ans. Selon M. [A] [W], 'le 28 mai 2014, le montant de ce contrat s'élevait à 19.829,45 €. Deux mois après, le 18 juillet 2014, le montant de ce contrat s'est élevé à 38.419,06 euros, soit un versement de 18.589,61 €. Or, en 2014, le revenu imposable du défunt s'élevait à 17.494 €. La disproportion du versement est bien manifeste'.

36. D'abord, le caractère manifestement exagéré ne peut porter que sur le montant de la prime, c'est-à-dire 18.589,61 € et non la totalité du placement, fruit d'une épargne accumulée depuis 1994 (38.419,06 €).

37. Ensuite, ce placement, initié vingt ans avant le mouvement suspect, offrait plusieurs avantages en termes de rendement et de fiscalité tout en octroyant une certaine souplesse puisqu'il permettait des rachats partiels, faculté que M. [I] [W] a d'ailleurs utilisée pour financer l'Ehpad, lieu d'accueil de [B] [W] à la fin de ses jours (au moins 2.500 €).

38. Par ailleurs, le revenu de [B] [W], constitué essentiellement de sa retraite, était à ce moment-là de 20.736 € (avis d'imposition 2015). Surtout, il était doté d'une épargne conséquente, indépendamment des seuls contrats d'assurance vie (livret A, LDD, LEP, PEA, compte titres, SCPI, comptes de dépôt) représentant encore environ 55.000 € dans la déclaration de succession (pour rappel, [B] [W] est décédé le [Date décès 11] 2015).

39. Enfin, le patrimoine immobilier et financier de [B] [W] l'a conduit à être assujetti à l'impôt de solidarité sur la fortune au moins entre 2007 et 2010 (patrimoine global valorisé à 855.610 € en 2010, même s'il n'était plus qu'usufruitier de son patrimoine immobilier valorisé 531.000 €).

40. La cour observe en tant que de besoin que [B] [W] n'était pas, au moment du mouvement suspect, placé sous un régime de protection juridique puisque le jugement de curatelle n'est intervenu que le 16 mars 2015. Le régime de protection a ensuite été transformé à la requête de M. [I] [W] en tutelle le 14 septembre 2015, soit six mois plus tard seulement, ce qui caractérise la volonté de celui-ci, curateur, puis tuteur, d'être au plus près des besoins de son père. La production des relevés de compte entre 2011 et 2014 fait apparaître diverses annotations de la part de [B] [W] qui témoignent de ce qu'il suivait scrupuleusement ses comptes avant sa mise sa curatelle.

41. Il s'infère de ce qui précède que le montant de la prime (18.589,61 €) ne peut pas être qualifié de manifestement exagéré au sens des dispositions de l'article L. 132-13 du code des assurances.

b) le contrat Ecureuil Projet n° 940428028 :

42. Les explications qui précèdent peuvent être utilement reconduites s'agissant de cette assurance vie pour laquelle M. [A] [W] suspecte le même mouvement au même moment.

c) le contrat [28] n° 3013221/29007959 :

43. Ce contrat a été souscrit le 27 janvier 1999, alors que [B] [W] était âgé de 79 ans. M. [A] [W] estime suspectes, au regard des seuls revenus de son père, les primes suivantes :

- le 9 juillet 2010 : 6.000 €,

- le 27 août 2010 : 10.000 €,

- le 18 février 2013 : 8.000 €,

- le 9 août 2013 : 200 €,

- le 14 août 2013 : 6.000 €.

44. Outre le fait que le total de ces primes aboutit à un chiffre de 30.200 €, ce qui n'autorise pas M. [A] [W] à solliciter la réintégration de l'ensemble des sommes placées dans ce contrat en 15 ans d'existence (67.712 €), chaque prime prise isolément ne présente pas de caractère manifestement exagéré au regard du train de vie de [B] [W] et de sa capacité d'épargne, à un moment où il n'a pas encore intégré l'Ehpad (novembre 2014).

d) le contrat [28] n° 132751/29007959 :

45. Ce contrat a été souscrit par [B] [W] le 31 décembre 1986, alors qu'il était âgé de 67 ans. M. [A] [W] estime suspectes, au regard des seuls revenus de son père, les primes suivantes :

- 3.048, 98 € en 1996

- 8.384,70 € en 1997

- 3.811 23 € en 2001

- 4.500 € en 2002

- 24.500 € en 2004

- 6.000 € en 2006

- 2.000 € en 2007

- 25.000 € en 2008

- 4.000 € en 2009

- 9.800 € en 2010

- 10.000 € en 2011

- 500 € en 2013.

46. Outre le fait que le total de ces primes aboutit à un chiffre de 101'544,91 €, ce qui n'autorise pas M. [A] [W] à solliciter la réintégration de l'ensemble des sommes placées dans ce contrat en 29 ans d'existence (187.161,65 €), chaque prime prise isolément ne présente pas de caractère manifestement exagéré au regard du train de vie de [B] [W] et de la capacité d'épargne qu'il a manifestée sa vie durant, en privilégiant des placements sûrs, rentables, souples et peu fiscalisés. Concernant les deux primes les plus importantes (24.500 € en 2004 et 25.000 € en 2008), il convient de relever que [B] [W] avait déclaré des revenus, toutes sources confondues (retraite, revenus fonciers, revenus d'épargne), à hauteur de 41.418 € en 2008 mais que la cour ne dispose d'aucune donnée pour l'année 2004, encore que sa situation économique et financière variait en toute hypothèse très peu d'une année sur l'autre.

47. Enfin, la déclaration de succession, qui dégage un actif brut de 355.865,65 € (dont 300.000 € d'immobilier), démontre à elle seule que [B] [W], en gestionnaire prudent, n'a jamais entendu se dépouiller de son patrimoine, malgré les donations consenties à ses fils en 1993 et 1995.

48. Le jugement sera donc confirmé en ce qu'il a débouté M. [A] [W] de sa demande de réintégration à la succession des primes versées dans le cadre des contrats d'assurance vie.

Sur la demande de réduction

49. L'article 912 du code civil dispose que 'la réserve héréditaire est la part des biens et droits successoraux dont la loi assure la dévolution libre de charges à certains héritiers dits réservataires, s'ils sont appelés à la succession et s'ils l'acceptent.

La quotité disponible est la part des biens et droits successoraux qui n'est pas réservée par la loi et dont le défunt a pu disposer librement par des libéralités'.

50. L'article 913 prévoit, en son 1er alinéa, que 'les libéralités, soit par actes entre vifs, soit par testament, ne pourront excéder la moitié des biens du disposant, s'il ne laisse à son décès qu'un enfant ; le tiers, s'il laisse deux enfants ; le quart, s'il en laisse trois ou un plus grand nombre'.

51. Aux termes de l'article 920, 'les libéralités, directes ou indirectes, qui portent atteinte à la réserve d'un ou plusieurs héritiers, sont réductibles à la quotité disponible lors de l'ouverture de la succession'.

52. L'article 924 précise en son 1er alinéa que, 'lorsque la libéralité excède la quotité disponible, le gratifié, successible ou non successible, doit indemniser les héritiers réservataires à concurrence de la portion excessive de la libéralité, quel que soit cet excédent'.

53. L'article 852 exclut 'les présents d'usage (de rapport), sauf volonté contraire du disposant.

Le caractère de présent d'usage s'apprécie à la date où il est consenti et compte tenu de la fortune du disposant'.

54. En l'espèce, M. [A] [W] demande le rapport à la succession des donations faites au petit-fils de [B] [W], M. [O] [W], comme dépassant la valeur de présents d'usage des sommes suivantes :

- 4.000 € au titre d'un chèque du 26 août 2009,

- 7.530,33 € au titre d'un chèque du 16 mai 2013,

- 1.500,00 € au titre d'un chèque du 2 novembre 2015, avec cette circonstance que ce dernier chèque n'a pu être émis que par M. [I] [W] qui était à ce moment-là tuteur de [B] [W] (jugement du 14 septembre 2015).

55. Les consorts [W] apportent à cet égard les précisions suivantes :

- la somme de 1.500 € correspond au mariage de M. [O] [W], étant précisé que le versement de cette somme a été dûment autorisé par le juge des tutelles,

- la somme de 7.530,33 € correspond aux frais d'acquisition de la cuisine dans le premier logement commun de M. [O] [W] et de sa compagne,

- la somme de 4.000 € versée en 2009 correspond à une aide à un moment où M. [O] [W] connaissait un besoin ponctuel de trésorerie.

56. Les différents chèques versés aux débats démontrent que les gratifications usuelles que faisait [B] [W] à ses petits-enfants se situaient entre 70 et 120 €.

57. Outre le fait que le versement de 1.500 € du 2 novembre 2015 n'est justifié que par la production d'une ordonnance du juge des tutelles ne permettant pas d'en identifier la cause faute de comporter la requête censément annexée, les montants concernés dépassent de plus de dix fois les sommes habituellement allouées, ce qui ne permet pas de les qualifier de présents d'usage.

58. Pour autant, la somme totale de ces chèques représente 13.030,33 €. Or, M. [A] [W] ne fait pas la démonstration d'un dépassement de la quotité disponible, au regard de l'actif net de succession de 352.919,65 € indiqué dans la déclaration de succession et du calcul de la quotité disponible de 148.957,85 € dans le projet de partage établi par Me [S].

59. Par substitution de motif, le jugement sera également confirmé sur ce point.

Sur les dépens

60. Le chef du jugement relatif aux dépens de première instance sera confirmé. M. [A] [W], partie perdante, sera condamné aux dépens d'appel.

Sur l'article 700 du code de procédure civile

61. Le chef du jugement relatif aux frais irrépétibles de première instance sera confirmé. L'équité commande de faire bénéficier les consorts [W] des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile à hauteur de 3.000 €.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement, contradictoirement, en matière civile et en dernier ressort, par mise à disposition au greffe conformément à l'article 451 alinéa 2 du code de procédure civile,

Confirme le jugement du tribunal judiciaire de Brest du 14 janvier 2021 en toutes ses dispositions,

Y ajoutant,

Condamne M. [A] [W] aux dépens d'appel,

Condamne M. [A] [W] à payer à M. [I] [W], Mme [V] [W], M. [L] [W], M. [O] [W] et Mme [F] [W] ensemble la somme de 3.000 € en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Rennes
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 21/04484
Date de la décision : 28/05/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 04/06/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-05-28;21.04484 ?
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