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28/05/2024 | FRANCE | N°21/04124

France | France, Cour d'appel de Rennes, 1ère chambre, 28 mai 2024, 21/04124


1ère Chambre





ARRÊT N°162



N° RG 21/04124

N° Portalis

DBVL-V-B7F-RZZE



(Réf 1ère instance : 1121000029)









Mme [Y] [F] [D] [H] veuve [W]



C/



M. [S] [X]





















Copie exécutoire délivrée



le :



à :







RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



COUR D'APPEL DE RENNES

ARRÊT DU 28 MAI 2024







COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :



Président : Madame Véronique VEILLARD, Présidente de chambre,

Assesseur : Monsieur Philippe BRICOGNE, Président de chambre,

Assesseur : Madame Caroline BRISSIAUD, Conseillère,





GREFFIER :



Madame Marie-Claude COURQUIN, lors des débats et lors du pro...

1ère Chambre

ARRÊT N°162

N° RG 21/04124

N° Portalis

DBVL-V-B7F-RZZE

(Réf 1ère instance : 1121000029)

Mme [Y] [F] [D] [H] veuve [W]

C/

M. [S] [X]

Copie exécutoire délivrée

le :

à :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE RENNES

ARRÊT DU 28 MAI 2024

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :

Président : Madame Véronique VEILLARD, Présidente de chambre,

Assesseur : Monsieur Philippe BRICOGNE, Président de chambre,

Assesseur : Madame Caroline BRISSIAUD, Conseillère,

GREFFIER :

Madame Marie-Claude COURQUIN, lors des débats et lors du prononcé

DÉBATS :

A l'audience publique du 22 janvier 2024 devant Monsieur Philippe BRICOGNE, magistrat rapporteur, tenant seul l'audience, sans opposition des représentants des parties et qui a rendu compte au délibéré collégial

ARRÊT :

Contradictoire, prononcé publiquement le 28 mai 2024 par mise à disposition au greffe après prorogation du délibéré annoncé au 26 mars 2023 l'issue des débats

****

APPELANTE :

Madame [Y] [F] [D] [H] veuve [W]

née le [Date naissance 2] 1949 à [Localité 14] (35)

[Adresse 4]

[Localité 14]

Représentée par Me Cédric BERNE de LA CALLE de la SELARL CABINET de LA CALLE, avocat au barreau de VANNES

INTIMÉ :

Monsieur [S] [X]

né le [Date naissance 1] 1953 à [Localité 13] (35)

[Adresse 3]

[Localité 14]

Représenté par Me Anne TREMOUREUX de la SELAS GUERIN TREMOUREUX MARTIN, avocat au barreau de RENNES

EXPOSÉ DU LITIGE

1. Par acte authentique du 30 décembre 1996, M. [S] [X] est propriétaire d'une maison d'habitation et de différentes parcelles cadastrées section ZD n° [Cadastre 7], [Cadastre 8], [Cadastre 9], [Cadastre 10] et [Cadastre 11] à [Localité 14].

2. Mme [Y] [W] née [H] est propriétaire voisine de la parcelle cadastrée section ZD n° [Cadastre 6], dont elle a hérité de sa tante par acte authentique portant attestation après décès du 18 janvier 1974.

3. Un constat d'huissier de justice a été dressé les 30 janvier et 8 février 2015 relatif à des plantations et des recherches de bornes.

4. Par jugement du 14 décembre 2017, le juge d'instance du tribunal d'instance de Redon a homologué le rapport d'expertise de M. [E], déposé le 4 mai 2017, et ordonné la pose des bornes.

5. M. [X] a saisi le juge des référés du tribunal de grande instance de Rennes qui a d'abord ordonné une réouverture des débats puis a déclaré les demandes recevables, a enjoint Mme [H] de mettre fin à l'empiétement et s'est déclaré incompétent au profit du juge d'instance de Rennes pour le surplus des demandes.

6. Par ordonnance du 18 octobre 2019, le juge des référés du tribunal d'instance de Rennes a rejeté l'exception d'incompétence et a enjoint Mme [H] d'arracher ou faire arracher les arbustes de type lauriers palmes plantés sur son fonds à moins de 50 cm de la ligne séparative d'avec M. [X], sous astreinte de 30 € par jour à compter de l'expiration d'un délai de deux mois à compter de la signification de la décision, de maintenir sous astreinte à moins de deux mètres de hauteur les lauriers palmes situés sur son fonds entre 50 cm et deux mètres de la ligne séparative et enjoint M.[X] d'arracher ou de faire arracher sous astreinte des souches situées à moins de 50 cm de la ligne séparative.

7. Par arrêt du 1er décembre 2020, la cour d'appel de Rennes a confirmé la décision du 18 décembre 2019 sauf en ce qu'elle a enjoint Mme [H] d'arracher ou faire arracher les arbustes de type lauriers palmes plantés sur son fonds à moins de 50 cm de la ligne séparative d'avec M. [X] sous astreinte de 30 € par jour à compter de l'expiration d'un délai de deux mois à compter de la signification de la décision.

8. Par acte d'huissier du 19 février 2021, M. [X] a fait assigner Mme [H] devant le tribunal de proximité de Redon aux fins de constater la violation des articles 671 et 672 du code civil et notamment de l'enjoindre d'arracher ou faire arracher les arbustes qui ne respectent pas la distance prévue.

9. Par jugement du 17 juin 2021, le tribunal :

- a rejeté la demande d'expertise judiciaire,

- a dit n'y avoir lieu à prescription trentenaire acquisitive,

- a ordonné à Mme [H] :

*d'arracher ou faire arracher les arbustes de type laurier palme plantés sur son fonds à moins de 50 cm de la ligne séparative d'avec le fonds de M. [X],

* de maintenir à moins de deux mètres de hauteur les lauriers palmes situés sur son fonds entre 50 cm et deux mètres de la ligne séparative,

* de faire cesser l'effondrement de gravois,

ce dans un délai de trois mois à compter de la signification de la décision,

- a dit qu'en l'absence de réalisation des travaux susmentionnés par Mme [H], elle sera redevable, passé ce délai, d'une astreinte dont le montant est provisoirement fixé à la somme de 40 € par jour de retard et ce pendant trois mois,

- s'est réservé la liquidation de l'astreinte,

- a condamné Mme [H] à verser à M. [X] la somme de 500 € au titre du préjudice pour trouble du voisinage,

- a débouté M. [X] du surplus de ses demandes,

- a débouté Mme [H] de ses demandes reconventionnelles,

- a condamné Mme [H] à verser à M. [X] la somme de 800 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- a condamné Mme [H] aux entiers dépens,

- a rappelé que l'exécution provisoire est de droit.

10. Pour statuer ainsi, le tribunal, qui refuse de considérer l'expertise amiable produite par Mme [H] comme déterminante, retient que la prescription trentenaire concernant la hauteur de la haie n'est pas acquise dès lors qu'elle est contestée depuis 2015, M. [X] étant fondé à réclamer, sans abus de sa part, une mise en conformité. Par ailleurs, la présence de pieds de cette haie sur le fonds de M. [X] l'empêche de poser sa clôture et d'établir un abri de jardin, ce qui est constitutif d'un trouble anormal du voisinage.

11. Par déclaration au greffe de la cour d'appel de Rennes du 5 juillet 2021, Mme [H] a interjeté appel de cette décision.

* * * * *

12. Dans ses dernières conclusions régulièrement notifiées déposées au greffe via RPVA le 29 mars 2022, Mme [H] demande à la cour de :

- à titre principal,

- constater l'absence de démonstration d'une prise de possession originelle au moyen de voies de fait accompagnées de violences matérielles ou morales,

- constater l'exercice d'une possession publique, continue, paisible, non équivoque et à titre de propriétaire par elle depuis plus de trente ans, soit depuis l'année 1986,

- par conséquent,

- dire y avoir lieu a prescription acquisitive trentenaire faisant obstacle à l'arrachage de la haie de type lauriers-palmes, située en ligne divisoire des fonds cadastrés sections ZD [Cadastre 6] et [Cadastre 5] conformément aux articles 672 et 2261 du code civil,

- dire et juger irrecevable l'action en arrachage de haie introduite le 19 février 2021 par M. [X], et ce pour défaut de droit d'agir tiré de la prescription acquisitive trentenaire conformément à l'article 122 du code de procédure civile,

- réformer le jugement entrepris en ce qu'il a dit n'y avoir lieu à prescription acquisitive trentenaire,

- réformer le jugement entrepris en ce qu'il lui a ordonné :

* d'arracher ou de faire arracher les arbustes de type laurier palme plantés sur son fonds à moins de 50 cm de la ligne séparative d'avec le fonds de M. [X],

* de maintenir à moins de 2 mètres de hauteur les lauriers palmes situés sur son fonds entre 50 cm et 2 mètres de la ligne séparative,

* de faire cesser l'effondrement de gravois,

ce dans un délai de trois mois à compter de la signification du jugement,

- réformer le jugement entrepris en ce qu'il a dit qu'en l'absence de réalisation des travaux susmentionnés, elle sera redevable, passé ce délai, d'une astreinte dont le montant sera provisoirement fixé à la somme de 40 euros par jour de retard et ce pendant trois mois,

- réformer le jugement entrepris en ce qu'il s'est réservé la liquidation de l'astreinte,

- réformer le jugement entrepris en ce qu'il l'a déboutée de ses demandes reconventionnelles principales tendant à :

* l'octroi de la somme de 9.000 € à titre de dommages et intérêts pour le préjudice moral subi du fait d'une action abusive et dilatoire, en application de l'article 1240 du code civil,

* voir condamner M. [X] à une amende civile de 10.000 €, en application de l'article 32-1 du code de procédure civile,

- réformer le jugement rendu le 17 juin 2021 entrepris en ce qu'il l'a déboutée de sa demande reconventionnelle subsidiaire tendant à l'octroi de la somme de 6.000 € à titre de dommages et intérêts pour le préjudice moral subi du fait de l'exercice abusif du droit de propriété de M. [X],

- réformer le jugement entrepris en ce qu'il l'a condamnée à verser à M. [X] la somme de 500 € au titre du préjudice pour trouble du voisinage,

- réformer le jugement entrepris en ce qu'il l'a condamnée à verser à M. [X] la somme de 800 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- réformer le jugement entrepris en ce qu'il l'a condamnée aux entiers dépens de l'instance,

- statuant de nouveau de ces chefs,

- principalement à titre reconventionnel,

- débouter M. [X] de ses demandes, fins et conclusions,

- condamner M. [X] à lui verser la somme de 9.000 € à titre de dommages et intérêts pour le préjudice moral subi du fait d'une action abusive et dilatoire, en application de l'article 1240 du code civil,

- condamner M. [X] à une amende civile de 10.000 €, conformément à l'article 32-1 du code de procédure civile,

- subsidiairement, si les précédents moyens ne satisfaisaient pas,

- débouter M. [X] de ses demandes, fins et conclusions,

- constater l'inutilité de la demande en arrachage de haie formulée par M. [X] qui intervient vingt-cinq ans après l'acquisition de sa parcelle cadastrée ZD [Cadastre 5],

- constater l'intention nocive de M. [X] par l'exercice abusif de son droit tiré des articles 671 et 672 du code civil,

- condamner M. [X] à lui verser la somme de 6.000 € à titre de dommages et intérêts pour le préjudice moral subi du fait de l'exercice abusif du droit de propriété de l'intimé,

- y ajoutant,

- condamner M. [X] à lui verser la somme de 4.851,11 € au titre des honoraires et frais d'avocat de première instance en application de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner M. [X] à lui verser la somme provisoire de 6.334 € au titre des honoraires et frais d'avocat d'appel, et ce en application de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner M. [X] aux entiers dépens de première instance et d'appel, conformément aux dispositions de l'article 696 du code de procédure civile, comprenant entre autres les frais de signification de l'arrêt à intervenir, les droits de plaidoirie de première instance et d'appel et le timbre fiscal appelant.

13. À l'appui de ses prétentions, Mme [H] fait en effet valoir :

- que le caractère contradictoire de l'expertise amiable réalisée le 10 juin 2020 est incontestable,

- que M. [X] tente vainement de ramener l'ancienneté de la haie à moins de trente ans, contre les conclusions claires de l'expert,

- que l'occupation de la haie pendant trente ans est publique, paisible et non équivoque, sa résistance aux récriminations de M. [X] n'étant pas constitutive de violence, aucune interruption de sa jouissance pendant plus d'un an n'étant démontrée,

- que l'action en référé menée par M. [X], finalement rejetée par la cour d'appel de Rennes, n'a pu avoir aucun effet interruptif,

- que M. [X] ne produit aucun élément permettant de justifier d'un préjudice de jouissance tiré d'un prétendu trouble excédant les inconvénients normaux de voisinage,

- que M. [X], qui a acheté dix ans après la plantation de la haie litigieuse, abuse manifestement de son droit de propriété, entraînant une atteinte disproportionnée à son droit propre.

* * * * *

14. Dans ses dernières conclusions régulièrement notifiées déposées au greffe via RPVA le 18 décembre 2023, M. [X] demande à la cour de :

- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a :

* a dit n'y avoir lieu à prescription trentenaire acquisitive,

* a ordonné à Mme [H] :

' d'arracher ou faire arracher les arbustes de type laurier palme plantés sur son fonds à moins de 50 cm de la ligne séparative d'avec son fonds,

' de maintenir à moins de deux mètres de hauteur les lauriers palmes situés sur son fonds entre 50 cm et deux mètres de la ligne séparative,

' de faire cesser l'effondrement de gravois,

ce dans un délai de trois mois à compter de la signification de la décision,

* a dit qu'en l'absence de réalisation des travaux susmentionnés par Mme [H], elle sera redevable, passé ce délai, d'une astreinte dont le montant est provisoirement fixé à la somme de 40 euros par jour de retard et ce pendant trois mois,

* s'est réservé la liquidation de l'astreinte,

* a débouté Mme [H] de ses demandes reconventionnelles tendant à :

' le voir condamner à lui verser la somme de 9.000 € en réparation du préjudice moral subi du fait d'une action abusive et dilatoire,

' le voir condamner à une amende civile de 10.000 € au titre de l'article 32-1 du code de procédure civile,

' le voir condamner à lui verser la somme de 6.000 € à titre de dommages et intérêts pour le préjudice moral subi du fait de l'exercice abusif du droit de propriété,

* a condamné Mme [H] aux entiers dépens,

- réformer le jugement entrepris en ce qu'il :

* a condamné Mme [H] à lui verser la somme de 500 € au titre du préjudice pour trouble du voisinage,

* l'a débouté du surplus de ses demandes,

* a condamné Mme [H] à lui verser la somme de 800 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- statuant de nouveau,

- débouter Mme [H] de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions présentes et à venir,

- condamner Mme [H] à lui verser la somme de 9.000 € au titre du préjudice pour trouble du voisinage,

- condamner Mme [H] à lui verser la somme de 4.000 € au titre des frais irrépétibles exposés en première instance et 7.000 € au titre de ceux exposés à hauteur d'appel,

- condamner Mme [H] aux entiers dépens de première instance et d'appel.

15. À l'appui de ses prétentions, M. [X] fait en effet valoir :

- qu'il a été constaté par huissier que l'empiétement illégal de la haie de Mme [H] persistait, qu'elle n'était pas taillée conformément aux prescriptions de l'article 671, mais aussi que certains troncs de lauriers empiètent sur sa propriété,

- que cette situation l'empêche de procéder à certains aménagements sur son fonds,

- que Mme [H] ne conteste d'ailleurs pas la violation des distances,

- que l'appelante ne démontre pas que cette situation existerait depuis plus de trente ans, le rapport d'expertise qu'elle produit n'ayant aucun caractère contradictoire, malgré un déplacement ponctuel sur son fonds auquel il a consenti,

- que ce rapport ne peut donc servir de seul fondement à une décision de justice,

- que le nombre d'échantillons pratiqué par l'expert est trop faible et révèle des écarts, ce qui ne peut pas lui permettre de conclure sans réserve,

- que ce n'est pas tant l'âge de l'arbuste qui compte que la date de plantation de la haie, dont les plants sont en général achetés par les pépinières à l'âge de deux ou trois ans, avant d'être revendus deux années plus tard environ,

- qu'il a fait constater dès début 2015 l'infraction au regard des distances, de sorte que la possession revendiquée par Mme [H] n'était plus paisible à compter de ce moment-là,

- que le trouble anormal de voisinage est caractérisé dès lors qu'il ne peut pas installer de clôture en l'état, son tracé étant perturbé par certains troncs d'arbres (lauriers) appartenant à Mme [H] et qui empiètent sur son terrain.

- qu'en outre, le remblai de gravois et les lauriers détérioreront l'abri pour voitures qu'il veut construire chez lui en limite de propriété,

- qu'il ne peut pas avoir commis des abus de droit quand plusieurs juridictions lui ont donné raison.

* * * * *

16. L'ordonnance de clôture a été rendue le 19 décembre 2023.

17. Pour plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, il convient de se reporter à leurs écritures ci-dessus visées figurant au dossier de la procédure.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur la prescription

1 - la portée du rapport d'expertise :

18. Une condamnation ne peut être prononcée à l'encontre d'une partie sur le seul fondement d'une expertise réalisée à la demande de l'une des parties quand bien même ledit rapport d'expertise amiable a été soumis à la discussion contradictoire.

19. En l'espèce, le rapport établi par M. [P] le 9 septembre 2020 procède d'une initiative unilatérale de Mme [H], ainsi que le reconnaît l'expert dans un courrier électronique du 11 mai 2020 adressé à M. [X] dans lequel il note la confirmation de sa présence aux opérations d'expertise du 10 juin 2020.

20. En cette occasion, l'expert indique à M. [X] qu'il interviendra au préalable du côté de Mme [H] 'qui m'a missionné et nous verrons sur place comment je dois procéder pour le plus de simplicité et d'efficacité en circulant éventuellement chez vous'. L'objet de la 'convocation' du 6 mai 2020 adressée en recommandée est essentiellement de s'assurer de la présence de M. [X] afin de pouvoir, le cas échéant, accéder à son fonds.

21. D'ailleurs, si le rapport de l'expert note des 'échanges avec M. [X] et Maître [V]' et contient quelques photographies confirmant la présence sur place de l'intimé, M. [X] n'a pas signé la feuille d'émargement malgré la mention contraire portée dans le rapport. L'avis de déplacement de l'expert ne contient aucune recommandation sur la possibilité de se faire assister par un avocat.

22. Faisant suite à l'envoi, par l'expert, de son pré-rapport qualifié de 'contradictoire' par mail du 28 juillet 2020, M. [X] a répondu par courrier du 24 août 2020 en déniant à ces opérations tout caractère contradictoire et en précisant qu'il a 'été incapable de dater in situ la haie de lauriers et que je n'ai donc pas participé à cette datation', se réservant la possibilité de demander une contre-expertise des éléments prélevés. Cet envoi ne peut pas constituer un 'dire' ainsi que le qualifie l'expert.

23. Il s'ensuit que le rapport amiable produit par Mme [H] ne saurait avoir la force probante d'une expertise judiciaire et doit être pris en compte, comme d'autres éléments, dans la discussion.

2 - les éléments de possession trentenaire :

24. L'article 672 du code civil prévoit en son 1er alinéa que 'le voisin peut exiger que les arbres, arbrisseaux et arbustes, plantés à une distance moindre que la distance légale, soient arrachés ou réduits à la hauteur déterminée dans l'article précédent, à moins qu'il n'y ait titre, destination du père de famille ou prescription trentenaire'.

25. L'article 2261 dispose que, 'pour pouvoir prescrire, il faut une possession continue et non interrompue, paisible, publique, non équivoque, et à titre de propriétaire'.

26. La prescription acquisitive n'a ni pour objet ni pour effet de priver une personne de son droit de propriété ou d'en limiter l'exercice mais confère au possesseur, sous certaines conditions, et par l'écoulement du temps, un titre de propriété correspondant à la situation de fait qui n'a pas été contestée dans un certain délai, cette institution répondant à un motif d'intérêt général de sécurité juridique en faisant correspondre le droit de propriété à une situation de fait durable, caractérisée par une possession continue et non interrompue, paisible, publique, non équivoque et à titre de propriétaire.

27. En l'espèce, il ressort du rapport d'expertise de M. [P] établi le 9 septembre 2020 que 'l'âge d'un arbre peut être déterminé à partir des cernes d'accroissement annuel' suivant trois hypothèses, l'expert ayant privilégié une coupe au ras du sol avec 'des prises d'échantillons à la tarière de Pressler sur différents sujets disposés sur le linéaire et représentatif de la haie'. Sur la base notamment d'un échantillon totalisant 35 à 40 cernes d'accroissement, l'expert conclut ainsi : 'L'examen global de la haie permet de conclure qu'il s'agit d'un alignement homogène et sans doute planté à la même période. La légère variation des diamètres est induite par les empattements naturels (insertion de branche ou création de fourches et insertion du système racinaire) et la croissance variable des arbustes (conditions stationnelles variables...). Les prospections par tronçonnage et avec la tarière de Pressler mettent en évidence un faible écart de quelques années sur la datation des échantillons. Ceci peut être expliqué par la difficulté de lecture des échantillons, la hauteur de prélèvement' Nous en concluons que la haie a été plantée il y a plus de trente années et que les arbustes qui la composent ont au moins 34 ans'.

28. Le point de départ de la prescription acquisitive trentenaire est la date de plantation de la haie litigieuse, dès lors qu'elle est située dans la zone des cinquante centimètres de la ligne séparative, où toute plantation est illicite.

29. Or, le rapport d'expertise de M. [P], par ailleurs péremptoire et peu explicatif sur ses conclusions, ne permet pas pour autant de dater la plantation de la haie vers 1986 puisqu'il se contente de donner un âge probable des arbustes la composant, alors que les haies divisoires, créées par l'homme, consistent généralement en la mise en terre de plants déjà âgés de plusieurs années (les jeunes plants de lauriers palmes sont mis en terre lorsqu'ils ont atteint une hauteur variant entre 15 et 25 cm, mais ces plants peuvent être vendus lorsqu'ils ont atteint jusqu'à 1,20 m).

30. Compte tenu de son installation sur place depuis 1974, Mme [H], qui ne donne elle-même aucune indication sur l'année de plantation de la haie litigieuse, en est nécessairement à l'origine (le rapport d'expertise judiciaire dressé le 2 mai 2018 par M. [E] dans le cadre de l'action en bornage indique d'ailleurs que la haie aurait été plantée par son époux, aujourd'hui décédé). Une production des factures des plants, voire d'attestations de témoins, aurait permis de se rapprocher plus sûrement de la date de la plantation. Or, Mme [H] ne verse aux débats que l'expertise querellée.

31. S'agissant d'une prescription acquisitive, la possession alléguée par Mme [H] ne peut plus être considérée comme paisible depuis les constats d'huissier qu'a fait réaliser M. [X] les 30 janvier et 8 février 2015 avant d'assigner sa voisine par acte d'huissier du 18 septembre 2015 devant le juge des référés du tribunal d'instance de Redon, peu important que la cour d'appel de Rennes l'ait finalement débouté de ses demandes par arrêt du 1er décembre 2020, les dispositions de l'article 2243 du code civil aux termes desquelles 'l'interruption est non avenue si le demandeur se désiste de sa demande ou laisse périmer l'instance, ou si sa demande est définitivement rejetée' ne trouvant à s'appliquer que pour les prescriptions extinctives.

32. Même si Mme [H] n'a pas été privée 'pendant plus d'un an de la jouissance de ce bien soit par le propriétaire, soit même par un tiers', ainsi que l'indique l'article 2271 du code civil comme motif d'interruption de la prescription acquisitive, sa possession a été contestée par M. [X] dès le début de l'année 2015.

33. Il faudrait donc que Mme [H] rapporte la preuve d'une plantation de la haie avant 1985, ce que ne parvient pas à faire à lui seul le rapport d'expertise de M. [P] de 2020 lorsqu'il se contente d'affirmer que l'âge des arbustes qui la composent serait 'd'au moins 34 ans'.

34. La cour observe pour le surplus que l'expertise judiciaire subsidiairement sollicitée par Mme [H] en première instance n'est plus soutenue en cause d'appel.

35. Le jugement entrepris sera donc confirmé en ce qu'il a dit n'y avoir lieu à prescription trentenaire acquisitive.

Sur la haie

36. L'article 671 du code civil dispose en son 1er alinéa qu' 'il n'est permis d'avoir des arbres, arbrisseaux et arbustes près de la limite de la propriété voisine qu'à la distance prescrite par les règlements particuliers actuellement existants, ou par des usages constants et reconnus et, à défaut de règlements et usages, qu'à la distance de deux mètres de la ligne séparative des deux héritages pour les plantations dont la hauteur dépasse deux mètres, et à la distance d'un demi-mètre pour les autres plantations'.

37. En l'espèce, il ressort du procès-verbal de constat d'huissier établi le 19 septembre 2019 par Me [I], huissier de justice à [Localité 12], que la haie de lauriers de Mme [H] amène 'la présence de ronces débordant (...) et tombant sur le fonds de M. [X]' et qu'elle 'est implantée à moins de 50 centimètres de la limite séparative des fonds'. Cette situation perdure à la lecture d'un autre procès-verbal de constat d'huissier établi le 7 avril 2021, à partir d'un cordon reliant les deux bornes divisoires : 'les branches de lauriers n'ont pas été taillées récemment et débordent sur le fonds de M. [X]'. Certains pieds sont même plantés sur le fonds de l'intimé.

38. Cette situation n'est d'ailleurs pas contestée par Mme [H] qui se contente d'opposer vainement la prescription trentenaire. Celle-ci ne dit pas en quoi la sanction de l'arrachage serait pour elle insurmontable, par exemple d'un point de vue financier ou matériel. Cette sanction n'apparaît en toute hypothèse pas disproportionnée au regard de l'atteinte à la propriété de M. [X].

39. Le jugement sera donc confirmé en ce qu'il a ordonné à Mme [H], sous astreinte :

- d'arracher ou faire arracher les arbustes de type laurier palme plantés sur son fonds à moins de 50 cm de la ligne séparative d'avec le fonds de M. [X],

- de maintenir à moins de deux mètres de hauteur les lauriers palmes situés sur son fonds entre 50 cm et deux mètres de la ligne séparative.

Sur le remblai

40. Un procès-verbal de constat d'huissier également établi le 7 avril 2021 témoigne de la présence de gravats et de déchets enchevêtrés avec la terre sur le fonds de M. [X] au pied de la palissade posée par Mme [H] en limite de propriété, en raison du dénivelé entre les deux terrains et de poteaux mal ancrés au sol.

41. Cette situation n'a pas été contestée par l'appelante.

42. Le jugement sera confirmé en ce qu'il a ordonné à Mme [H], sous astreinte, de faire cesser l'effondrement de gravois

Sur le trouble anormal du voisinage

43. L'article 544 du code civil dispose que 'la propriété est le droit de jouir et disposer des choses de la manière la plus absolue, pourvu qu'on n'en fasse pas un usage prohibé par les lois ou par les règlements'.

44. La théorie moderne du trouble anormal du voisinage doit être regardée, plutôt qu'une limitation au droit de propriété, comme un régime spécial de responsabilité civile de plein droit, exonéré de toute notion de faute, ayant essentiellement un rôle de concept dans la protection contre les pollutions et nuisances de toutes sortes.

45. Le trouble anormal du voisinage se définit comme un dommage causé à un voisin qui, lorsqu'il excède les inconvénients ordinaires du voisinage, est jugé anormal et oblige l'auteur du trouble à dédommager la victime, quand bien même ce trouble, employé dans un sens amphibologique en ce qu'il concerne aussi bien l'action que son résultat, serait inhérent à une activité licite et qu'aucune faute ne pourrait être reprochée à celui qui le cause.

46. En l'espèce, M. [X] motive sa demande de dommages et intérêts (9.000 €) par le fait qu'il ne peut pas installer de clôture en l'état, son tracé étant perturbé par certains troncs d'arbres (lauriers) appartenant à Mme [H] qui empiètent sur son terrain, ainsi que par la présence du remblai de gravois et les lauriers de l'appelante qui détérioreront l'abri pour voitures qu'il veut construire chez lui en limite de propriété.

47. Le tribunal a relativisé le préjudice subi par M. [X] (500 €) en indiquant que la situation de la haie était ancienne et existait lors de l'acquisition du bien immobilier par l'intimé.

48. S'il est vrai que la présence de pieds de la haie litigieuse sur son fonds l'a conduit à reporter les projets d'aménagement dont il justifie (clôture et abri pour voiture), il convient également de prendre en compte la faible atteinte portée à la propriété de M. [X].

49. Le tribunal a justement apprécié le préjudice subi par M. [X], ce chef du jugement étant également confirmé.

Sur l'abus de droit

50. La protection du droit de propriété de M. [X] ayant triomphé, il ne peut pas être considéré que son action présente un quelconque caractère abusif.

51. Il sera observé l'effort de médiation préalablement entrepris par M. [X] mais aussi le fait que les relations de voisinage ont commencé à se dégrader en 2013 à la faveur des diverses nuisances occasionnées, selon lui, par l'élevage de volailles et de lapins pratiqué par Mme [H].

52. Le jugement sera donc confirmé en ce qu'il a rejeté les demandes de Mme [H] au titre de l'abus de droit.

Sur les dépens

[Cadastre 5]. Le jugement sera confirmé concernant les dépens de première instance. Mme [H], partie perdante, sera condamnée aux dépens d'appel.

Sur l'article 700 du code de procédure civile

[Cadastre 6]. Le jugement sera confirmé concernant les frais irrépétibles de première instance. L'équité commande de faire bénéficier M. [X] des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile à hauteur de 2.000 €.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement, contradictoirement, en matière civile et en dernier ressort, par mise à disposition au greffe conformément à l'article 451 alinéa 2 du code de procédure civile,

Confirme le jugement du tribunal de proximité de Redon du 17 juin 2021 en toutes ses dispositions,

Y ajoutant,

Condamne Mme [Y] [W] née [H] aux dépens d'appel,

Condamne Mme [Y] [W] née [H] à payer à M. [S] [X] la somme de 2.000 € en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Rennes
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 21/04124
Date de la décision : 28/05/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 03/06/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-05-28;21.04124 ?
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