1ère Chambre
ARRÊT N°159
N° RG 24/00318 - N° Portalis DBVL-V-B7I-UNZM
SCI DE [Adresse 4]
C/
SCI FLOBER
Copie exécutoire délivrée
le :
à :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE RENNES
ARRÊT DU 24 MAI 2024
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :
Président : Monsieur Fabrice ADAM, Premier Président de chambre,
Assesseur : Monsieur Alexis CONTAMINE, Président de chambre,
Assesseur : Monsieur Hervé BALLEREAU, Président de chambre entendu en son rapport,
GREFFIER :
Madame Françoise BERNARD, lors des débats, et Madame Marie-Claude COURQUIN, lors du prononcé,
DÉBATS :
A l'audience publique du 19 avril 2024
ARRÊT :
Contradictoire, prononcé publiquement le 24 mai 2024 par mise à disposition au greffe comme indiqué à l'issue des débats
****
APPELANTE :
La société DE [Adresse 4], SCI immatriculée au registre du commerce et des sociétés de Quimper sous le n°402.614.556, agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité au siège
[Adresse 4]
[Localité 3]
Représentée par Me Simon AUBIN de la SELARL SIMON AUBIN, avocat au barreau de RENNES
INTIMÉE :
La société FLOBER, SCI immatriculée au registre du commerce et des sociétés de Quimper sous le n°901.416.396, agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité au siège
[Adresse 1]
[Localité 2]
Représentée par Me Laëtitia DEBUYSER de la SCP DEBUYSER/PLOUX, Postulant, avocat au barreau de QUIMPER
Représentée par Me Emmanuel CHRETIENNOT, Plaidant, avocat au barreau de PARIS
EXPOSÉ DU LITIGE
La société civile immobilière Flober a adressé le 5 novembre 2020 une offre d'achat à la société de [Adresse 4], portant sur un local commercial sis à [Localité 3]) avec atelier attenant et station de lavage automobile, l'ensemble étant loué par l'effet d'un bail commercial consenti à la société Norauto.
Le dirigeant de la société [Adresse 4], M. [V], a signé le document et apposé la formule manuscrite «'bon pour vente pour un prix de 1'100'000 €'», puis a reçu un courrier émanant du dirigeant de la société [Adresse 4], M. [F], daté du 2 janvier 2021, aux termes duquel il notifiait sa décision de se «'rétracter de l'avant contrat régularisé le 5 novembre 2020 (')'».
En réponse, le 8 janvier 2021, M. [F] se prévalait du caractère parfait de la vente et de son droit d'en solliciter la réalisation forcée.
Une sommation de comparaître devant notaire le 1er septembre 2021 à 15 heures était délivrée à la SCI de [Adresse 4] suivant exploit d'huissier en date du 16 août 2021.
La SCI de [Adresse 4] ne déférait pas à cette sommation.
La société Flober a fait assigner la société de [Adresse 4] par exploit du 9 novembre 2021 devant le tribunal judiciaire de Quimper afin de voir dire et juger que l'acte sous seing privé du 5 novembre 2020 vaut vente et de désigner tel notaire aux fins de recueillir la signature des parties dans les termes du projet d'acte de vente dressé par l'étude Consilium Notaires.
Il était sollicité la condamnation de la SCI de [Adresse 4] à payer la somme de 7.508 euros par mois à titre de dommages-intérêts jusqu'à la date du jugement à intervenir et sa condamnation au paiement de la somme de 10.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Il était fait état en cours de procédure du fait que la SCI de [Adresse 4] avait vendu le bien le 18 août 2021 à un tiers, la SAS du Cèdre, moyennant le prix de 1'400'000 euros.
La SCI Flober renonçait alors à poursuivre l'exécution forcée de la vente et se bornait à solliciter le paiement de dommages-intérêts sur le fondement de l'article 1217 du code civil.
Par jugement du 18 octobre 2022, le tribunal judiciaire de Quimper a :
- déclaré irrecevable la fin de non-recevoir tirée du défaut de publication de l'assignation,
- débouté les parties de leurs demandes de dommages-intérêts respectives,
- condamné la société de [Adresse 4] à verser la somme de 3'000 euros à la société Flober au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
La société Flober a interjeté appel de cette décision par déclaration du 9 novembre 2022.
L'appelante a notifié ses conclusions au fond le 16 janvier 2023.
Par conclusions d'incident notifiée le 5 mai 2023, la société de [Adresse 4] a soulevé la caducité de la déclaration d'appel.
L'intimée relevait que le dispositif des conclusions de l'appelante ne contenait aucune demande d'infirmation, de réformation ou d'annulation du jugement entrepris, au mépris des articles 954 et 908 du code de procédure civile.
Le conseiller de la mise en état a, par ordonnance du 29 août 2023, notamment déclaré irrecevables les conclusions d'incident de la société de [Adresse 4], lesquelles ne lui ont pas été transmises par conclusions spécialement adressées.
Par conclusions d'incident du 7 septembre 2023, la société de [Adresse 4] a réitéré sa demande de caducité de déclaration d'appel.
Par ordonnance du 8 janvier 2024, le conseiller de la mise en état a rejeté la demande de caducité formée par la société de [Adresse 4].
Au soutien de cette décision, le conseiller de la mise en état a considéré que c'est par suite d'une omission matérielle que la demande d'infirmation n'a pas été portée au dispositif des conclusions du 16 janvier 2023 de la SCI Flober et ce, sans que cette omission ait eu une incidence sur la bonne compréhension de l'étendue de la saisine de la cour et que sanctionner cette omission par la caducité de la déclaration d'appel constituerait une atteinte disproportionnée à l'exercice effectif du droit d'appel de la SCI Flober.
La société de [Adresse 4] a déféré cette ordonnance par requête en date du 17 janvier 2024, sollicitant de :
- réformer l'ordonnance du conseiller de la mise en état,
- constater la caducité à la date du 9 février 2023,
- prononcer la caducité de la déclaration d'appel du 9 novembre 2022,
- condamner la société Flober à lui verser la somme de 2'000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Dans ses dernières conclusions sur déféré signifiées le 1er mars 2024, la société de [Adresse 4] fait valoir en substance l'argumentation suivante':
- L'appelant n'ayant pas transmis de conclusions conformes dans le délai prévu par l'article 908 du code de procédure civile, l'appel est caduc';
- En violation de la jurisprudence de la Cour de cassation, le dispositif des conclusions au fond de l'appelante ne précise pas l'objet de l'appel, lequel porte soit sur l'annulation, soit sur l'infirmation du jugement. Cette erreur procédurale ne peut faire l'objet d'aucune régularisation';
- La déclaration d'appel saisit la cour et fixe la dévolution'; elle ne contient pas de prétentions et est en cela distincte des conclusions dont l'objet est de saisir la juridiction de prétentions'; seul le dispositif des conclusions contient les prétentions de l'appelant'; il ne s'agit pas deviner ce qu'il demande mais de savoir précisément si son appel tend à la réformation, à l'annulation, voire à la nullité du jugement';
- L'appel datant du 9 novembre 2022, l'appelant pouvait saisir la cour d'une demande d'infirmation jusqu'au 9 février 2023, ce qu'il n'a pas fait'; peu importe que l'acte d'appel permette de comprendre que l'appelant demande l'infirmation du jugement'; la Cour de cassation exige une demande expresse et non implicite d'infirmation'; peu importe également la mention d'une demande d'infirmation dans les motifs des conclusions';
- L'erreur matérielle doit être distinguée de l'omission matérielle'; en l'espèce, les conclusions ne sont pas affectées d'une erreur mais d'une omission matérielle assimilée à une omission de former la demande d'infirmation dans le dispositif des conclusions'; l'erreur purement matérielle ne peut résulter d'une omission complète de l'une des mentions du dispositif'; l'omission matérielle est une omission de statuer qui, appliquée à des conclusions, revient à considérer que la partie a omis de former une demande.
Dans ses dernières écritures (26 février 2024), la société civile immobilière Flober sollicite la confirmation de l'ordonnance de mise en état du 8 janvier 2024.
La SCI Flober fait valoir en substance que':
- La caducité de la déclaration d'appel doit être rejetée dès lors qu'elle procède d'une simple erreur matérielle';
- Le conseiller de la mise en état peut parfaitement écarter une irrecevabilité ou une caducité dès lors que le manquement invoqué dans les conclusions procède d'une simple erreur matérielle';
- Deux arrêts récents de la cour d'appel de Paris confirment que la demande de caducité de l'appel doit être appréciée selon la rédaction des conclusions d'appel'; l'absence de mention expresse de la demande d'infirmation ne procède pas systématiquement d'une carence dans le respect des règles procédurales et peut procéder d'une simple omission matérielle qui n'a pas d'incidence pour la bonne compréhension de l'étendue de la saisine de la cour'; sanctionner une telle omission constituerait une atteinte disproportionnée à l'exercice effectif du droit d'appel qui résulte de l'article 6§1 de la CEDH';
- Un arrêt de la CEDH du 9 juin 2022 rappelle que les tribunaux français doivent éviter, dans l'application des règles de procédure, un excès de formalisme qui porterait atteinte à l'équité du procès'(Lucas C/ France ' n°15567/20) ;
- Une demande de confirmation du jugement est contenue au dispositif des conclusions, s'agissant de l'indemnité allouée au titre de l'article 700 du code de procédure civile'; il n'y a pas le moindre doute sur la volonté de l'appelante de voir infirmer les autres dispositions du jugement';
- La déclaration d'appel du 9 novembre 2022 sollicite bien la réformation du jugement concernant le débouté de la demande de dommages-intérêts'; de même, les demandes de confirmation et de réformation du jugement figurent expressément dans les premières conclusions d'appelant du 16 janvier 2023 en pages 2, 8, 9, 14, 22, 23 et 27, de sorte que l'on comprend parfaitement l'étendue de la saisine de la cour';
- Le conseiller de la mise en état a donc parfaitement analysé le dispositif des conclusions d'appelant comme étant affecté d'une simple omission matérielle.
SUR CE, LA COUR':
Il résulte de l'application combinée des articles 4 alinéa 1er et 954 alinéa 3 du code de procédure civile que l'objet du litige est déterminé par les prétentions des parties et qu'en cause d'appel, dans les procédures avec représentation obligatoire, ces prétentions ainsi que les moyens sur lesquels elles sont fondées doivent être expressément formulés dans les conclusions, la cour d'appel ne statuant que sur les prétentions énoncées au dispositif et n'examinant les moyens au soutien de ces prétentions que s'ils sont invoqués dans la discussion.
Il résulte en outre des articles 542 et 954 du code de procédure civile que l'appelant doit, dans le dispositif de ses conclusions, mentionner qu'il demande l'infirmation des chefs du dispositif du jugement dont il recherche l'anéantissement ou l'annulation. En cas de non-respect de cette règle, la cour d'appel ne peut que confirmer le jugement, sauf la faculté qui lui est reconnue à l'article 914 du code de procédure civile de relever d'office la caducité de l'appel. Lorsque l'incident est soulevé par une partie ou relevé d'office par le conseiller de la mise en état, ce dernier ou, le cas échéant, la cour d'appel statuant sur déféré, prononce la caducité de la déclaration d'appel si les conditions en sont réunies.
Il est constant que cette règle, énoncée pour la première fois par la Cour de cassation le 17 septembre 2020 dans un arrêt publié (2e Civ., 17 septembre 2020, pourvoi n° 18-23.626, Bull. 2020) qui a instauré une charge procédurale nouvelle pour les parties à la procédure d'appel, est applicable pour toutes les procédures introduites devant la cour par une déclaration d'appel postérieure au 17 septembre 2020.
En l'espèce, la déclaration d'appel date du 9 novembre 2022.
Le dispositif des conclusions d'appelante notifiées le 16 janvier 2023 est ainsi libellé':
«'PAR CES MOTIFS,
Vu l'article 1583 du Code civil,
Vu l'article 1304-4 du Code civil,
Vu l'article 1198, alinéa 2 du Code civil,
Vu l'article 1217 du Code civil,
Vu l'article 1231-1 du Code civil,
Il est demandé à la Cour de :
JUGER l'acte sous seing privé en date du 5 novembre 2020 vaut vente par la SCI DE [Adresse 4] du bien immobilier visé à celui-ci au profit de la SCI FLOBER pour le prix de 1 100 000 € net vendeur,
CONDAMNER, en conséquence, la SCI DE [Adresse 4] à payer à la SCI FLOBER, à titre de dommages et intérêts, la somme de 458 090 €,
CONDAMNER la SCI DE [Adresse 4] à payer à la SCI FLOBER à la somme de un euro au titre de sa déloyauté,
CONFIRMER le jugement entrepris en ce qu'il a condamné la SCI DE [Adresse 4] à lui payer la somme de 3 000 € au titre des dispositions de l'article 700 du CPC et des dépens de première instance, et en sus, de CONDAMNER la SCI DE [Adresse 4] à payer à la SCI FLOBER la somme 5 000 € au titre des dispositions de l'article 700 du CPC ainsi qu'aux entiers dépens qui comprendront le coût de la sommation à comparaître.
SOUS TOUTES RÉSERVES».
Force est de constater que ce dispositif ne contient aucune demande de réformation, d'infirmation ou d'annulation du jugement querellé.
Le fait allégué que le dispositif des conclusions d'appelante contienne une demande de confirmation d'une condamnation prononcée au titre de l'article 700 du code de procédure civile, n'est pas de nature à satisfaire à l'exigence susvisée, dès lors qu'il n'appartient pas au juge d'appel de se livrer à un raisonnement hypothétique sur ce qu'il conviendrait de déduire d'une telle prétention isolée quant à la volonté réelle ou supposée de l'appelante de ne pas demander la confirmation du jugement en toutes ses dispositions, mais de vérifier que la cour est saisie d'une demande clairement et distinctement exprimée au dispositif quant à l'infirmation, la réformation ou l'annulation du jugement dont appel.
Tel n'est assurément pas le cas en l'espèce.
De même, il importe peu que les motifs des conclusions évoquent l'infirmation du jugement attaqué dès lors que la demande n'en est pas reprise au dispositif des conclusions qui seul saisit la cour en application de l'article 954 alinéa 3 susvisé du code de procédure civile.
La carence résultant de l'absence de demande d'infirmation, de réformation ou d'annulation du jugement formulée au dispositif des conclusions d'appelant ne constitue pas une omission matérielle qu'il appartiendrait au juge d'appel de réparer en se livrant à une interprétation distributive des motifs et du dispositif des écritures dont il est saisi, mais la violation d'une règle de procédure sanctionnée au stade de la mise en état par la caducité de l'appel, sauf la faculté pour l'intimé de demander à la cour la confirmation pure et simple du jugement entrepris.
L'exigence instituée par cette règle de procédure résulte des textes susvisés éclairés par une jurisprudence constante depuis le 17 septembre 2020.
Elle ne conduit pas à faire supporter à l'appelant une charge excessive et n'est pas empreinte d'un formalisme excessif, dès lors qu'il est mis en mesure de procéder aux diligences nécessaires dans le délai de trois mois prescrit par l'article 908 du code de procédure civile.
Au résultat de l'ensemble de ces éléments, il convient d'infirmer l'ordonnance entreprise et de prononcer la caducité de la déclaration d'appel.
Il n'est pas inéquitable de laisser la SCI de [Adresse 4] supporter la charge de ses frais irrépétibles et il convient dès lors de la débouter de sa demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile.
La SCI Flober, partie perdante, sera condamnée aux dépens.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Infirme l'ordonnance rendue par le conseiller de la mise en état le 8 janvier 2024';
Prononce la caducité de la déclaration d'appel en date du 9 novembre 2022';
Déboute la SCI de [Adresse 4] de sa demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile';
Condamne la SCI Flober aux dépens de l'incident et du déféré.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT
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