1ère Chambre
ARRÊT N°151
N° RG 21/04023
N° Portalis
DBVL-V-B7F-RZLY
(Réf 1ère instance : 18/02251)
M. [Y] [T]
C/
Commune [Localité 27]
Copie exécutoire délivrée
le :
à :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE RENNES
ARRÊT DU 22 MAI 2024
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :
Président : Madame Véronique VEILLARD, Présidente de chambre,
Assesseur : Monsieur Philippe BRICOGNE, Président de chambre,
Assesseur : Madame Caroline BRISSIAUD, Conseillère,
GREFFIER :
Madame Marie-Claude COURQUIN, lors des débats et lors du prononcé
DÉBATS :
A l'audience publique du 22 janvier 2024 devant Monsieur Philippe BRICOGNE, magistrat rapporteur, tenant seul l'audience, sans opposition des représentants des parties et qui a rendu compte au délibéré collégial
ARRÊT :
Contradictoire, prononcé publiquement le 22 mai 2024 par mise à disposition au greffe après prorogation du délibéré annoncé au 26 mars 2024 à l'issue des débats
****
APPELANT :
Monsieur [Y] [T]
né le 26 Juillet 1938 à [Localité 27] (29)
[Adresse 7]
[Localité 22]
Représenté par Me Gilles DAUGAN de la SCP DEPASSE, DAUGAN, QUESNEL, DEMAY, avocat au barreau de RENNES
INTIMÉE :
La commune de [Localité 27] prise en la personne de son maire en exercice dûment habilité
[Adresse 1]
[Adresse 1]
[Localité 27]
Représentée par Me Loïg GOURVENNEC de la SELARL LE ROY-GOURVENNEC-PRIEUR, Postulant, avocat au barreau de BREST
Représentée par Me Claudia MASSA de la SCP LEHMAN & ASSOCIES, Plaidant, avocat au barreau de PARIS
EXPOSÉ DU LITIGE
1. M. [Y] [T] est propriétaire d'une parcelle de terre sur laquelle est érigée une maison d'habitation située au lieudit [Localité 24] à [Localité 27], cadastrée section AS sous le n° [Cadastre 17], acquise par donation de ses parents, suivant acte authentique du 29 mai 1985.
2. Suivant acte authentique du 15 février 2018, les consorts [E] ont cédé la parcelle contiguë au nord-est de la propriété de M. [T], cadastrée AS [Cadastre 16], à la commune de [Localité 27], à titre gratuit.
3. Par ordonnance du 27 août 2018, le juge des référés du tribunal de grande instance de Brest, suivant assignation du 18 juin 2018 délivrée par la commune de [Localité 27], a condamné les époux [T] à rétablir un passage à usage piétonnier en limite nord-est de leur propriété, en précisant qu'ils devront supprimer tout obstacle de nature à interdire ou limiter l'usage de ce chemin pour piétons et ce sous astreinte de 50 € par jour de retard.
4. Par acte d'huissier du 9 octobre 2018, M. [T] a fait assigner la commune de [Localité 27] devant le tribunal de grande instance de Brest, au visa des articles L. 162-1 et suivants du code rural et des articles 637 et suivants du code civil en interdiction de l'usage du passage litigieux.
5. Par jugement du 20 mai 2021, le tribunal a :
- constaté l'existence d'une servitude conventionnelle de passage consistant en un sentier à piétons sur toute la limite nord-est et jusqu'à la mer de la parcelle cadastrée section AS [Cadastre 17] située au lieu-dit [Localité 24] à [Localité 27] appartenant à M. [T],
- condamné M. [T] à rétablir un passage à usage piétonnier en limite de sa propriété cadastrée section AS [Cadastre 17] et sur celle-ci au nord-est et par conséquent, à supprimer tout obstacle de nature à l'interdire ou à le limiter, sous astreinte de 80 € par jour de retard pendant trois mois passé un délai d'un mois après la signification de la décision,
- débouté M. [T] de l'ensemble de ses demandes,
- condamné M. [T] à payer à la commune de [Localité 27] la somme de 1.500 € en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné M. [T] aux dépens.
6. Pour statuer ainsi, le tribunal a retenu que les deux actes authentiques des 31 octobre 1959 et 27 janvier 1960 sont particulièrement clairs sur la distinction à faire entre le sentier pour piétons et le chemin d'exploitation par ailleurs existant, M. [T] ayant, en entretenant une confusion qui ne résiste pas à l'analyse des titres, déjà été à plusieurs reprises condamné à rétablir le passage, l'extinction de la servitude par non usage n'étant pas établie.
7. Par déclaration au greffe de la cour d'appel de Rennes du 1er juillet 2021, M. [T] a interjeté appel de cette décision.
* * * * *
8. Dans ses dernières conclusions régulièrement notifiées déposées au greffe via RPVA le 18 décembre 2023, M. [T] demande à la cour de :
- réformer en toutes ses dispositions le jugement entrepris,
- au visa des dispositions des article 637 et 2262 du code civil,
- décider que la parcelle cadastrée section AS n° [Cadastre 17] devenue AS n° [Cadastre 8], [Cadastre 9] et [Cadastre 10] sise à [Localité 27] lui appartenant n'est grevée dans sa partie nord d'aucune servitude conventionnelle de passage sur le sentier à piétons formant la limite nord-est de cette parcelle, au profit de la parcelle cadastrée section AS n° [Cadastre 16], appartenant à la commune de [Localité 27], jusqu'à la mer,
- au visa des articles 682 et 684 du code civil,
- décider que la parcelle cadastrée section AS n° [Cadastre 16] appartenant à la commune de [Localité 27] n'est pas enclavée,
- à titre subsidiaire et pour le cas impossible où la cour estimerait que la parcelle cadastrée section AS n° [Cadastre 17] devenue AS n° [Cadastre 8], [Cadastre 9] et [Cadastre 10] sise à [Localité 27] lui appartenant est grevée d'une servitude conventionnelle au profit de la parcelle cadastrée section AS n° [Cadastre 16] appartenant à la commune de [Localité 27],
- décider que cette servitude conventionnelle de passage serait éteinte par non-usage plus que trentenaire, en vertu des dispositions de l'article 706 du code civil,
- à titre infiniment subsidiaire et dans l'hypothèse impossible où la cour estimerait que la parcelle cadastrée section AS n° [Cadastre 17] devenue AS n° [Cadastre 8], [Cadastre 9] et [Cadastre 10] sise à [Localité 27] lui appartenant est grevée d'une servitude de passage effective au profit de la parcelle cadastrée section AS n° [Cadastre 16], appartenant à la commune de [Localité 27],
- décider que ce droit de passage, qui serait dans ce cas d'utilité privée, ne pourrait être exercé par le public et en particulier les promeneurs,
- dans cette même hypothèse et pour le cas où la cour estimerait que la servitude de passage n'est pas éteinte par non-usage, décider qu'elle s'exercerait uniquement sur la partie ouest du sentier à piétons implanté sur le fonds cadastré section AS n° [Cadastre 17] devenue AS n° [Cadastre 8], [Cadastre 9] et [Cadastre 10] pour l'accès à la parcelle cadastrée section AS n° [Cadastre 16] par son angle nord-ouest, à l'exclusion de la partie nord-est du sentier,
- décider que la partie nord-est du sentier implanté sur la parcelle cadastrée section AS n° [Cadastre 17] devenue AS n° [Cadastre 8], [Cadastre 9] et [Cadastre 10] n'est grevée d'aucun droit de passage au profit de la parcelle cadastrée section AS n° [Cadastre 16],
- débouter la commune de [Localité 27] de toutes ses prétentions, fins et conclusions à son encontre,
- en tout état de cause, dire n'y avoir lieu à prononcer à son encontre une condamnation sous astreinte à rétablir un passage à usage piétonnier en limite de sa propriété cadastrée section AS n° [Cadastre 17] devenue AS n° [Cadastre 8], [Cadastre 9] et [Cadastre 10] et sur celle-ci au nord-est et à supprimer tout obstacle de nature à l'interdire ou à le limiter,
- débouter la commune de [Localité 27] de son appel incident,
- dire n'y avoir lieu à fixer à son encontre une astreinte de 200 € par jour de retard,
- condamner la commune de [Localité 27] à lui verser une indemnité de 6.000 € en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner la commune de [Localité 27] aux entiers dépens de première instance et d'appel, qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile, aux offres de droit, par la SCP Depasse Daugan Quesnel Demay.
9. À l'appui de ses prétentions, M. [T] fait en effet valoir :
- qu'il n'a jamais prétendu que le chemin litigieux, qui est intégralement compris dans sa propriété, pouvait être qualifié de sentier ou de chemin d'exploitation, dès lors qu'il n'assure pas la communication entre plusieurs propriétés et n'est pas destiné à permettre l'exploitation de ces dernières,
- que le tribunal a fait une interprétation erronée des titres, les deux actes qu'il cite ne précisant pas que le sentier pour piétons constitue l'assiette d'une charge réelle de passage et aucun d'entre eux ne désignant la ou les propriétés qui bénéficieraient d'un accès par le sentier situé sur le talus,
- que les actes de simple tolérance ne peuvent donner naissance à un droit, puisqu'ils ne fondent ni possession ni prescription,
- qu'aucune conclusion ne peut être tirée du jugement du tribunal d'instance de Brest du 10 juin 2014, au sujet de l'existence d'une éventuelle servitude de passage, lequel n'avait d'ailleurs pas compétence pour se prononcer sur ce point,
- que le terrain cadastré section AS n° [Cadastre 16], propriété de la commune de [Localité 27], ne peut pas être considéré comme enclavé, situation d'enclave dont il n'est de toute façon pas établi qu'elle serait le résultat de la division d'un héritage ayant appartenu à un auteur commun aux parties,
- que M. [E], auteur de la commune intimée, qui a laissé sa parcelle en friche pendant une cinquantaine d'années, n'a pas exercé de faits de passage pour y accéder pendant la période durant laquelle il en a été propriétaire, la commune de [Localité 27] ayant pareillement laissé cette parcelle en friche à sa suite, l'utilisation du passage par des tiers et par simple tolérance n'ayant pas pu interrompre la prescription,
- que l'utilisation d'une servitude de passage ne peut avoir qu'une vocation privée,
- qu'en toute hypothèse, la servitude de passage ne pourrait s'exercer que sur la partie ouest,
- que la servitude de passage des piétons le long du littoral n'a pas été instaurée,
- qu'il a pris toutes les mesures nécessaires pour que l'assiette du sentier soit libre de tout obstacle, ce qui ne permettait pas au tribunal de prononcer la condamnation en nature ainsi qu'il l'a fait.
* * * * *
10. Dans ses dernières conclusions régulièrement notifiées déposées au greffe via RPVA le 15 décembre 2023, la commune de [Localité 27] demande à la cour de :
- à titre principal,
- confirmer le jugement dont appel en ce qu'il a :
* constaté l'existence d'une servitude conventionnelle de passage consistant en un sentier à piétons sur toute la limite nord-est et jusqu'à la mer de la parcelle AS [Cadastre 17] située au lieudit [Adresse 25] à [Localité 27] appartenant à M. [T],
* condamné M. [T] à rétablir un passage à usage piétonnier en limite de sa propriété cadastrée AS [Cadastre 17] et sur celle-ci au nord-est et par conséquent, supprimer tout obstacle de nature à l'interdire ou à le limiter,
* débouté M. [T] de l'ensemble de ses demandes,
* condamné M. [T] à lui payer la somme de 1.500 € en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens,
- infirmer le jugement dont appel en ce qu'il a fixé à 80 € par jour de retard pendant trois mois passé un délai d'un mois après la signification du jugement, l'astreinte en cas de non-rétablissement d'un passage à usage piétonnier en limite de la propriété cadastrée AS [Cadastre 17] et sur celle-ci au nord-est ou de non-suppression de tout obstacle de nature à l'interdire ou à le limiter,
- en conséquence,
- condamner M. [T] à laisser un passage à usage piétonnier en limite de sa propriété cadastrée AS [Cadastre 17] et sur celle-ci au nord-est et par conséquent, supprimer tout obstacle de nature à l'interdire ou à le limiter sous astreinte de 200 € par jour de retard à compter de la signification du jugement,
- à titre subsidiaire,
- condamner M. [T] à laisser un passage à usage piétonnier en limite de sa propriété cadastrée AS [Cadastre 17] et sur celle-ci au nord-est et par conséquent, supprimer tout obstacle de nature à l'interdire ou à le limiter sous astreinte de 200 € par jour de retard,
- en tout état de cause et y ajoutant,
- débouter M. [T] de l'ensemble de ses demandes,
- condamner M. [T] à lui payer la somme de 5.000 € en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens dont distraction au profit de la SELARL Le Roy Gourvennec Prieur.
11. À l'appui de ses prétentions, la commune de [Localité 27] fait en effet valoir :
- qu'il résulte de deux actes notariés des 31 octobre 1959 et 27 janvier 1960 qu'une servitude de passage pour piétons jusqu'à la plage du Bassinic a toujours existé sur le fonds de M. [T], un rappel de cette servitude étant fait dans son propre titre du 15 février 2018,
- que le sentier pour aller à la grève, qui préexistait à l'institution de la servitude au profit du fonds cadastré [Cadastre 21] (renuméroté [Cadastre 2] puis [Cadastre 16]), constituait également un chemin d'exploitation, de sorte que les deux qualifications - chemin d'exploitation et servitude conventionnelle de passage - coexistent, ce qui est juridiquement possible,
- que les deux passages se font sur le talus et non l'un à côté de l'autre,
- que le passage imposé sur le fonds de M. [T] sert à desservir les autres fonds qui appartenaient auparavant à une même personne (M. [D] [C]) et qui se sont retrouvés enclavés du fait des divisions des terrains,
- que la servitude de passage a bien été établie par un titre (actes de vente du 2 août 1932, du 28 juillet 1958, du 27 janvier 1959, du 31 octobre 1959 et du 27 janvier 1960) et résulte encore de décisions de justice (arrêt de la cour d'appel de Rennes du 8 mars 2011, jugement du tribunal d'instance de Brest du 10 juin 2014),
- que M. [T] a lui-même reconnu l'existence d'une servitude de passage,
- que la servitude de passage n'a jamais cessé d'être exercée,
- que, si M. [T] a déféré à l'ordonnance de référé, compte tenu du risque de nouvelle entrave au passage, qu'elle soit volontaire ou résulte du défaut d'entretien, elle a maintenu sa demande relative à la suppression de tout obstacle au passage à usage piétonnier compte tenu de l'attitude persistante et malveillante de l'appelant,
- que, sans cette servitude de passage, son fonds serait enclavé, cette enclave résultant de la division du terrain qui recouvrait la parcelle [Cadastre 17].
* * * * *
12. L'ordonnance de clôture a été rendue le 9 janvier 2024.
13. Pour plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, il convient de se reporter à leurs écritures ci-dessus visées figurant au dossier de la procédure.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur l'existence d'une servitude de passage conventionnelle
14. L'article 691 du code civil dispose que 'les servitudes continues non apparentes, et les servitudes discontinues apparentes ou non apparentes, ne peuvent s'établir que par titres'. Tel est le cas d'une servitude de passage, servitude discontinue apparente.
15. L'article L. 162-1 du code rural et de la pêche maritime prévoit que 'les chemins et sentiers d'exploitation sont ceux qui servent exclusivement à la communication entre divers fonds, ou à leur exploitation. Ils sont, en l'absence de titre, présumés appartenir aux propriétaires riverains, chacun en droit soi, mais l'usage en est commun à tous les intéressés. L'usage de ces chemins peut être interdit au public'.
16. Si les chemins d'exploitation sont des chemins privés qui sont soumis à l'usage commun des propriétaires riverains comme servant essentiellement à la communication entre les fonds ou à leur exploitation, l'ouverture d'un chemin au public ne suffit pas à exclure la qualification de chemin d'exploitation.
17. De même, l'existence d'une servitude de passage n'exclut pas en soi la qualification de chemin d'exploitation, les deux régimes pouvant cohabiter sur une même assiette.
18. En l'espèce, M. [T] est propriétaire, en vertu d'un acte de donation-partage du 29 mai 1985 dressé par Me [G], notaire à [Localité 23], d'un ensemble immobilier bâti, situé au lieudit [Localité 24], à [Localité 27], précédemment cadastré section AS n° [Cadastre 17] et actuellement cadastré section AS n° [Cadastre 8], [Cadastre 9] et [Cadastre 10].
19. La parcelle AS n° [Cadastre 17] était auparavant constituée de la réunion des parcelles anciennement cadastrées section B n° [Cadastre 3], B n° [Cadastre 15] (partie de l'ex [Cadastre 20]), B n° [Cadastre 6] (autre partie de l'ex [Cadastre 20] et petite partie de l'ancienne parcelle B n° [Cadastre 13], ex [Cadastre 19]), acquises par les parents de M. [T] de M. [D] [C], selon acte reçu par Me [K], notaire à [Localité 27], le 31 octobre 1959 et des parcelles cadastrées section B n° [Cadastre 12] (partie de l'ex [Cadastre 18]), [Cadastre 4] (partie de l'ex [Cadastre 18]), [Cadastre 5] (partie restante de [Cadastre 13], ex [Cadastre 19]), également achetées par ses parents à M. [D] [C], suivant acte reçu par Me [K] le 27 janvier 1960.
20. L'acte de propriété du 31 octobre 1959 mentionne le sentier menant à la mer : 'Il existe sur le fossé nord des n°[Cadastre 6] et [Cadastre 15] présentement vendus, un sentier pour piétons aboutissant à la mer'. Par ailleurs, l'acte crée une servitude de passage afin de permettre à l'acquéreur d'accéder à ses parcelles avec un véhicule ou un engin, ainsi rédigé : 'il est ici expressément convenu entre les parties d'accord entre elles que l'acquéreur aux présentes jouira en tous temps pour la fréquentation du terrain présentement acquis par lui, d'un droit de passage de trois mètres de largueur, par les immeubles sis au couchant, restant appartenir au vendeur, soit par la pièce de terre figurant précédemment sous le n°[Cadastre 11] de la section B ['] Etant ici bien spécifié que ce passage longera le 2ème talus nord du n°[Cadastre 12] pour se diriger ensuite vers le n°[Cadastre 6] en passant par le milieu du [Cadastre 5]'. Cette dernière mention, qui évoque un tracé plus au sud, ne concerne pas le passage en litige.
21. L'acte de propriété du 27 janvier 1960 rappelle ainsi les deux accès : 'Observation étant faite ici : Que les pièces de terre présentement vendues et cadastrées sous les n° [Cadastre 4] et [Cadastre 5], de la section B, sont grevées d'un droit de passage de trois mètres de largeur, longeant le talus nord du n°[Cadastre 12] et passant par le milieu du n°[Cadastre 5] au profit de celles cadastrée sous les [Cadastre 6]-[Cadastre 15] et [Cadastre 3] de la même section B, appartenant également à l'acquéreur aux présentes ainsi qu'il est spécifié dans le contrat de vente aux rapport notaire soussigné du trente et un octobre 1959 (...) et qu'il existe en outre sur le fossé nord du [Cadastre 5] présentement vendu, un sentier pour piétons, aboutissant à la mer'.
22.L'acte de propriété de la commune de [Localité 27] du 15 février 2018 (cession [E] à titre gratuit de la parcelle aujourd'hui numérotée AS [Cadastre 16]) mentionne ainsi un 'rappel de servitude' :
'Il résulte d'un acte sous signatures privées en date du 2 août 1932, enregistré à [Localité 26], le 18 août 1932, transcrit au bureau des hypothèques de [Localité 22], le 6 septembre 1932, contenant vente par M. [D] [C] au profit de M. [L] [F], de la parcelle objet des présentes, ce qui suit ci-après littéralement rapporté par extraits : La portion de terrain vendu se trouve au nord-est de Parc-Tréas au vendeur dont un passage de trois mètres reste réservé sur le talus séparant les deux propriétés du vendeur et de l'acquéreur. Elle est portée au cadastre à la section B faisant partie du n° [Cadastre 21] pour une contenance d'environ quatre ares. (...) L'acquéreur prendra ladite portion de terrain vendu dans l'état où elle se trouve et devra faire son passage par le sentier à piéton sis sur un talus se dirigeant vers le couchant et se trouvant entre la propriété du vendeur et celle de M. [X] [C]'.
23. Suivant acte authentique du 28 juillet 1958, M. [F] avait cédé à M. [E] la parcelle n° [Cadastre 14] devenue AS [Cadastre 16], renumérotée [Cadastre 2] suite à une division réalisée par un document d'arpentage cadastral le 9 juillet 1958. Aucune mention de servitude spéciale, notamment celle créée dans l'acte du 2 août 1932, n'y est portée autre que la charge habituelle de profiter des servitudes actives.
24. Quoi qu'il en soit, M. [D] [C], anciennement propriétaire des fonds actuellement détenus par M. [T] et la commune de [Localité 27], a manifestement entendu, d'une part, se réserver un accès à la mer sur l'actuelle parcelle AS n° [Cadastre 16], propriété de l'intimée, et, d'autre part, signaler l'existence d'un simple accès par la voie du sentier piétonnier séparant la parcelle AS n° [Cadastre 17], propriété de l'appelant, et les parcelles situées au nord, permettant la desserte de la parcelle AS n° [Cadastre 16].
25. Il ressort d'un jugement de bornage du tribunal d'instance de Brest du 10 juin 2014 (au contradictoire notamment de M. [E], auteur de la commune de [Localité 27]) confirmé par un arrêt de la cour d'appel de Rennes du 12 janvier 2016 que l'assiette de l'ensemble du chemin a été intégré au fonds de M. [T]. En cette occasion, le tribunal mentionne que 'l'expert judiciaire a rappelé que la propriété [T] était bordée au nord par un talus privatif mais grevé d'une servitude de passage'.
26. Par ailleurs, dans un courrier du 25 juin 1966 adressé à M. [E], la commune de [Localité 27] indique que 'le passage pour piétons qui permet d'accéder à la grève de 'Basinic' en empruntant un talus n'est pas propriété communale (mais) est néanmoins public et comme il existe depuis plus de trente ans, il n'est pas possible de le supprimer'.
27. Bien que la mention de ce chemin piétonnier (clairement figuré au cadastre) comme simple aboutissant ou encore comme se situant entre deux fonds interroge, la question de sa qualification en chemin d'exploitation ou en chemin rural n'est pas posée à la cour, les parties s'accordant à considérer qu'il est la propriété de M. [T].
28. À partir du moment où le sentier piétonnier est bien la propriété de M. [T], il peut se déduire de l'acte du 2 août 1932 que M. [D] [C], propriétaire unique des fonds en litige, a entendu concéder à la parcelle AS n° [Cadastre 16] un droit de passage sur son fonds, conscient qu'il était alors de la situation d'enclave de cette parcelle qui n'avait qu'un accès à la grève.
29. Le jugement sera donc confirmé en ce qu'il a constaté l'existence d'une servitude conventionnelle de passage consistant en un sentier à piétons sur toute la limite nord-est et jusqu'à la mer de la parcelle cadastrée section AS [Cadastre 17] située au lieudit [Localité 24] à [Localité 27] appartenant à M. [T].
Sur l'extinction de la servitude de passage conventionnelle
30. L'article 706 du code civil dispose que 'la servitude est éteinte par le non-usage pendant trente ans'.
31. Cette règle ne s'applique toutefois pas aux servitudes légales pour cause d'enclave tant que cet état demeure.
32. En l'espèce, il a été vu (supra n° 28) que la situation d'enclave de la parcelle AS n° [Cadastre 16] est à l'origine de la concession, sur la parcelle AS n° [Cadastre 17], du droit de passage sur le sentier piétonnier. Or, cet état perdure, du moins M. [T] n'en rapporte-t-il pas la preuve contraire.
33. Par ailleurs, dans un courrier en date du 1er juillet 2009 adressé à la commune de [Localité 27], M. [T] a reconnu l'existence pour les riverains d'un droit de passage pour aller à la grève, en ces termes, particulièrement non équivoques :
'À l'occasion du remaniement du cadastre de [Localité 27] nous avons dû faire confirmer, actes à l'appui, notre propriété sur le talus sis au nord de notre parcelle n° [Cadastre 5] sur lequel il y a pour les riverains un droit de passage pour aller à la grève.
Nous respectons toujours ce passage mais avons dû poser une clôture en deçà, à l'intérieur même de notre terrain pour limiter les nombreuses divagations (pique-niques, feux de camp, câlins, ainsi qu'autres déjections humaines et animales etc....) qui de plus engageraient notre responsabilité civile. De même, pour protéger notre vie privée, nous avons dû planter une haie encore plus à l'intérieur de notre propriété et donc de cette clôture. Dès lors, c'est un bien propre et, en allant pour l'entretenir fin juin, nous avons constaté que, sans droit ni autorisation, cette haie venait d'être taillée : c'est une voie de fait et nous nous réservons la possibilité de porter plainte pour violation de domicile'.
34. M. [T] est donc réputé avoir renoncé à se prévaloir d'une quelconque extinction, reconnaissant un usage continu sur ce passage, sans qu'il soit possible de distinguer celui pratiqué par les riverains, en ce compris la commune de [Localité 27], et celui pratiqué par le public depuis plusieurs dizaines d'années.
35. Le jugement sera donc confirmé en ce qu'il a débouté M. [T] de sa demande tendant à voir constater l'extinction de la servitude de passage par non-usage trentenaire.
Sur la restriction d'usage
36. M. [T] demande à la cour, le cas échéant, de :
- décider que le droit de passage, serait dans ce cas d'utilité privée et qu'il ne pourrait donc pas être exercé par le public et en particulier les promeneurs,
- décider que la servitude s'exercerait uniquement sur la partie ouest du sentier à piétons implanté sur le fonds cadastré section AS n° [Cadastre 17] devenue AS n° [Cadastre 8], [Cadastre 9] et [Cadastre 10] pour l'accès à la parcelle cadastrée section AS n° [Cadastre 16] par son angle nord-ouest, à l'exclusion de la partie nord-est du sentier,
- décider que la partie nord-est du sentier implanté sur la parcelle cadastrée section AS n° [Cadastre 17] devenue AS n° [Cadastre 8], [Cadastre 9] et [Cadastre 10] n'est grevée d'aucun droit de passage au profit de la parcelle cadastrée section AS n° [Cadastre 16].
37. Le chemin litigieux n'ayant pas été élevé au rang de chemin rural par la commune de [Localité 27] et appartenant en propre à M. [T], seule son utilisation privative est envisageable. Par ailleurs, la servitude conventionnelle cesse nécessairement à son débouché sur la parcelle cadastrée section AS n° [Cadastre 16] (angle nord-ouest de cette parcelle) et n'a pas vocation à s'exercer sur la suite du chemin dont l'assiette se trouve sur la partie nord-est de la parcelle cadastrée section AS n° [Cadastre 17].
38. Ce point n'ayant pas été abordé dans le jugement entrepris, il conviendra, en tant que de besoin, y ajoutant, de mentionner les précisions qui précèdent.
Sur le rétablissement du passage
39. M. [T] s'est manifesté à plusieurs reprises par des obstructions sur le sentier piétonnier, en témoignent :
- le courrier adressé par M. [A] le 22 novembre 2021 à la commune de [Localité 27],
- la procédure initiée par la commune de [Localité 27] ayant abouti à une ordonnance de référé du 27 août 2018 ayant condamné les époux [T] à 'supprimer tout obstacle de nature à interdire ou limiter l'usage de ce chemin pour piétons sous astreinte de 50 € par jour de retard',
- un courrier adressé par la commune de [Localité 27] le 26 juin 2014 à M. [T] lui demandant de supprimer les plantations gênant le passage,
- la procédure initiée par M. [V], riverain, ayant abouti à une ordonnance de référé du 2 août 2010 ayant condamné les époux [T] 'à rétablir un passage exclusivement piétonnier en limite de leur propriété cadastrale AS n° [Cadastre 17] et sur celle-ci au nord-est et par conséquent à supprimer tout obstacle de nature à l'interdire ou à le limiter sous astreinte de 50 € par jour de retard' (il s'agissait d'ouvrages et de plantations), confirmée par un arrêt de la cour d'appel de Rennes du 8 mars 2011,
- le courrier adressé par la commune de [Localité 27] le 17 septembre 2009 à M. [T] lui demandant de procéder régulièrement au débroussaillement de son terrain afin 'd'éviter la prolifération des espèces végétales et animales nuisibles' sur le chemin.
40. Pour autant, M. [T] produit un procès-verbal de constat d'huissier établi le 3 octobre 2018 mentionnant, photographies à l'appui, 'que, depuis la naissance du talus jusqu'à la plage, le passage constitué par les talus puis par la zone herbeuse et le chemin creux dans la dune permet à une personne de marcher de front sans obstacle au sol ni de part et d'autre au niveau des haies et des arbres'. Ce libre passage est encore confirmé par un procès-verbal de constat d'huissier établi le 4 mars 2022.
41. Les doléances de M. [A] faites le 22 novembre 2021 auprès de la commune de [Localité 27] (pose de poteaux en bois avec un macaron cerclé de rouge sur fond blanc avec l'inscription privé) n'ont donné lieu à aucune constatation. Par ailleurs, cette signalisation n'est pas contraire à l'utilisation privée de ce chemin tel que rappelé plus haut.
42. La commune de [Localité 27] ne justifie pas de nouveaux troubles commis par l'appelant sur le chemin, de sorte que le jugement sera infirmé en ce qu'il a condamné M. [T] à rétablir un passage à usage piétonnier en limite de sa propriété cadastrée section AS [Cadastre 17] et sur celle-ci au nord-est et par conséquent, à supprimer tout obstacle de nature à l'interdire ou à le limiter, sous astreinte de 80 € par jour de retard pendant trois mois passé un délai d'un mois après la signification de la décision.
43. Statuant à nouveau, la cour déboutera la commune de [Localité 27] de ce chef de demande.
Sur les dépens
44. Chaque partie conservera la charge des dépens d'appel qu'elle aura personnellement exposés.
Sur l'article 700 du code de procédure civile
45. Aucune considération d'équité ne commande de faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement, contradictoirement, en matière civile et en dernier ressort, par mise à disposition au greffe conformément à l'article 451 alinéa 2 du code de procédure civile,
Confirme le jugement du tribunal judiciaire de Brest du 20 mai 2021, sauf en ce qu'il a condamné M. [T] à rétablir un passage à usage piétonnier en limite de sa propriété cadastrée section AS [Cadastre 17] et sur celle-ci au nord-est et par conséquent, à supprimer tout obstacle de nature à l'interdire ou à le limiter, sous astreinte de 80 € par jour de retard pendant trois mois passé un délai d'un mois après la signification de la décision,
Statuant à nouveau et y ajoutant,
Déboute la commune de [Localité 27] de ce chef de demande,
Dit que :
- le droit de passage, d'utilité privée, ne peut pas être exercé par le public et en particulier les promeneurs,
- la servitude s'exerce uniquement sur la partie ouest du sentier à piétons implanté sur le fonds cadastré section AS n° [Cadastre 17] devenue AS n° [Cadastre 8], [Cadastre 9] et [Cadastre 10] pour l'accès à la parcelle cadastrée section AS n° [Cadastre 16] par son angle nord-ouest, à l'exclusion de la partie nord-est du sentier,
- la partie nord-est du sentier implanté sur la parcelle cadastrée section AS n° [Cadastre 17] devenue AS n° [Cadastre 8], [Cadastre 9] et [Cadastre 10] n'est grevée d'aucun droit de passage au profit de la parcelle cadastrée section AS n° [Cadastre 16],
Dit que chaque partie conservera la charge des dépens d'appel qu'elle aura personnellement exposés,
Dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE