1ère Chambre
ARRÊT N°138
N° RG 21/04795
N° Portalis
DBVL-V-B7F-R4AG
M. [L] [O]
Mme [N] [O]
C/
M. [E] [G]
Mme [P] [H] épouse [G]
Copie exécutoire délivrée
le :
à :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE RENNES
ARRÊT DU 7 MAI 2024
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :
Président : Madame Véronique VEILLARD, Présidente de chambre,
Assesseur : Monsieur Philippe BRICOGNE, Président de chambre,
Assesseur : Madame Caroline BRISSIAUD, Conseillère,
GREFFIER :
Madame Marie-Claude COURQUIN, lors des débats et lors du prononcé
DÉBATS :
A l'audience publique du 15 janvier 2024 devant Madame Caroline BRISSIAUD, magistrat rapporteur, tenant seul l'audience, sans opposition des représentants des parties et qui a rendu compte au délibéré collégial
ARRÊT :
Contradictoire, prononcé publiquement le 7 mai 2024 par mise à disposition au greffe après prorogation du délibéré annoncé au 19 mars 2024 à l'issue des débats
****
APPELANTS :
Monsieur [L] [O]
né le [Date naissance 1] 1967 à [Localité 12] (64)
[Adresse 4]
[Localité 14]
Madame [N] [O]
née le [Date naissance 5] 1966 à [Localité 13] (29)
[Adresse 4]
[Localité 14]
Représentés par Me Jean-François MUNOS de la SCP OGHMA, avocat au barreau de BREST
INTIMÉS :
Monsieur [E] [G]
né le [Date naissance 2] 1960 à [Localité 13] (29)
[Adresse 3]
[Localité 14]
Madame [P] [H] épouse [G]
née le [Date naissance 6] 1959 à [Localité 13] (29)
[Adresse 3]
[Localité 14]
Représentés par Me Yann PAILLER de la SELARL BRITANNIA, avocat au barreau de BREST
FAITS ET PROCÉDURE
M. [E] [G] et Mme [P] [G] sont propriétaires au [Adresse 3] à [Localité 14] (29) d'une maison d'habitation édifiée sur des parcelles cadastrées AW[Cadastre 7], AW[Cadastre 10] et AW[Cadastre 11].
M. [L] [O] et Mme [N] [O] sont propriétaires au [Adresse 4], sur la même commune, d'une maison d'habitation édifiée sur des parcelles cadastrées AW[Cadastre 8] et AW[Cadastre 9].
La limite séparative entre leurs propriétés a été fixée par un bornage amiable du 6 octobre 2008 réalisé par M. [X] [V], géomètre-expert, à la demande de M. et Mme [O] et au contradictoire de M. et Mme [G].
M. et Mme [O] ont entrepris de construire une extension en béton avec enduit remplaçant leur garage situé au nord-ouest de leur propriété. Ce projet a été autorisé par un permis de construire délivré le 24 juillet 2012.
Par jugement du 22 novembre 2012, le tribunal administratif de Rennes a rejeté le recours formé par M. et Mme [G] qui se plaignaient de la création de vues sur leur fonds depuis la nouvelle extension.
Le 24 janvier 2013, M. et Mme [O] ont écrit à M. et Mme [G] pour leur demander l'autorisation d'accéder à leur propriété afin de pouvoir réaliser les travaux d'extension envisagés, en s'engageant à remettre en état 'tout élément ayant été altéré pendant la réalisation des travaux'.
En réponse, par courrier du 26 janvier 2013, M. et Mme [G] ont refusé d'autoriser l'accès à leur propriété, faisant état de conflits de voisinage récurrents avec M. et Mme [O].
En cours d'exécution des travaux, M. et Mme [G] ont saisi le juge des référés du tribunal de grande instance de Brest aux fins d'expertise judiciaire sur le fondement de l'article 145 du Code de procédure civile, en invoquant des dégradations sur leur haie, l'empiétement sur leur fonds que causera inévitablement la pose d'un enduit sur le mur pignon de l'extension implantée en limite de propriété ainsi que diverses non-conformités au permis de construire rectificatif du 2 juillet 2013. Suivant ordonnance du 12 novembre 2013, le juge des référés a rejeté cette demande considérant l'absence de motif légitime.
Souhaitant acter les désordres occasionnés par les travaux litigieux, M. et Mme [G] ont fait dresser un premier constat d'huissier les 11, 20 et 22 février 2014 et un second constat d'huissier le 18 juin 2014.
A leur tour, M. et Mme [O] ont saisi le juge des référés le 4 décembre 2014 sur le fondement des articles 808 et 809 du Code de procédure civile afin d'être autorisés à réaliser les travaux d'enduisage du mur de leur extension, en passant sur le fonds [G], à permettre éventuellement l'utilisation d'un échafaudage pour accéder au pignon et à autoriser toute dépose ou repose d'éléments de clôture/plantation sur le fonds [G].
Par ordonnance du 18 mai 2015, le président du tribunal de grande instance de Brest a prononcé la radiation administrative de l'affaire à la demande des époux [O].
M. et Mme [G] ont sollicité l'intervention d'un architecte et paysagiste, M. [I] [J], lequel a établi un rapport technique le 6 mai 2015 indiquant une absence de coffrage au niveau des fondations de l'extension générant des empiétements sur le fonds [G].
Le 18 juin 2015, le géomètre-expert, M. [V], est à nouveau intervenu à la demande de M. et Mme [O] pour effectuer un état des lieux.
Dans l'état des lieux établi le 12 octobre 2015, M. [V] a constaté que :
- le nu du mur de l'extension de M. et Mme [O] n'empiète pas sur la propriété de M. et Mme [G],
- les terrassements situés au nord empiètent sur la parcelle AW[Cadastre 7] de 0,007 mètre,
- la membrane plastique (étanchéité) recouvrant les fondations de l'extension réalisées en partie sur la parcelle cadastrée AW[Cadastre 7] empiète au plus de 0,08 mètre.
L'affaire a été réenrôlée.
Par ordonnance du 5 septembre 2016, le juge des référés a autorisé M. et Mme [O] à exécuter les travaux d'enduisage du mur de leur construction à partir du fonds de M. et Mme [G] dans un délai maximal de 5 jours, le cas échéant avec dépose et repose d'éléments de clôture ou plantations, a dit que M. et Mme [O] devront informer M. et Mme [G] de l'intervention de l'entreprise 15 jours au plus tard avant le début des travaux. Les demandeurs ont également été enjoints d'établir à leurs frais un constat d'état des lieux de la propriété [G] avant le début des travaux et après leur achèvement, de même qu'ils devront indemniser M. et Mme [G] des dégradations éventuelles résultant des travaux.
A été également ordonnée une expertise judiciaire confiée à M. [K] [A], aux fins de rechercher la limite divisoire de propriété, dire s'il existe un quelconque empiétement de la propriété [O] sur le fonds [G], décrire les travaux nécessaires à la remise en état de leur fonds et d'établir les divers préjudices subis par M. et Mme [G].
M. et Mme [O] ont établi des constats d'huissier des 23 octobre et 2 novembre 2017. Les travaux d'enduisage ont débuté le lundi 23 octobre 2017.
Le 29 janvier 2018, M. [A] a déposé son rapport définitif.
Par acte d'huissier de justice du 12 mars 2019, M. et Mme [G] ont fait citer M. et Mme [O] devant le tribunal d'instance de Brest aux fins d'obtenir réparation des préjudices qu'ils estiment avoir subi dans les suites des travaux réalisés par M. et Mme [O].
Par jugement du 7 juin 2021, le tribunal judiciaire de Brest a :
- condamné M. et Mme [O] à payer à M. et Mme [G] la somme de 6.819,20 € au titre des troubles anormaux du voisinage subis du fait et dans les suites de l'édification d'une extension sur la propriété de M. et Mme [O], préjudices autres que moral, somme arrêtée au 7 juin 2021,
- condamné les mêmes à payer à M. [G], la somme de 500 € en réparation de son préjudice moral, arrêtée au 7 juin 2021, résultant des troubles anormaux du voisinage,
- condamné les mêmes à payer à Mme [G], la somme de 1.000 € en réparation de son préjudice moral, arrêtée au 7 juin 2021, résultant des troubles anormaux du voisinage,
- condamné in solidum M. et Mme [G] à payer à M. et Mme [O] la somme de 500 € en réparation des troubles anormaux du voisinage, préjudice arrêté au 7 juin 2021,
- débouté les parties de toute demande plus ample ou contraire,
- condamné M. et Mme [O] à payer à M. et Mme [G] la somme de 3.000 € par application de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné M. et Mme [O] aux dépens, y compris ceux de référé, d'expertise et d'exécution de la présente décision,
- dit que les indemnités dues au titre de la présente décision produiront intérêts au taux légal à compter de la signification de celle-ci, conformément aux dispositions de l'article 1231-7 du code civil,
- rappelé qu'en application de l'article L.313-3 du code monétaire et financier, ce taux est majoré de cinq points à l'expiration délai de deux mois à compter du jour où la décision de justice est devenue exécutoire,
- ordonné l'exécution provisoire sur le tout, y compris les frais irrépétibles et les dépens.
M. et Mme [O] ont interjeté appel de tous les chefs de jugement par déclaration du 23 juillet 2021.
PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
M. et Mme [O] exposent leurs prétentions et moyens dans leurs dernières conclusions remises au greffe et notifiées le 1er décembre 2023.
Ils demandent à la cour de :
- infirmer le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Brest le 7 juin 2021,
Statuant à nouveau,
- fixer le préjudice matériel de M. et Mme [G] à la somme de 100 € (remplacement des orangers du Mexique),
- fixer le préjudice de jouissance de M. et Mme [G] à la somme de 300 € (110 € pour les 5,5 jours de travaux et 190 € pour l'empiétement sous le fonds),
- débouter M. et Mme [G] de leur demande au titre du préjudice visuel,
Subsidiairement,
- réduire à plus amples proportions leur demande à ce titre,
- débouter M. et Mme [G] de leur demande au titre du préjudice moral,
Subsidiairement,
- déduire à plus amples proportions leur demande à ce titre,
S'agissant de la demande reconventionnelle,
- confirmer l'existence d'un trouble anormal de voisinage et d'une faute de la part de M. et Mme [G],
- fixer la réparation de leur préjudice à la somme de 1.500 €,
- condamner in solidum M. et Mme [G] à la somme de 1.500 € en réparation des troubles anormaux de voisinage,
- infirmer le jugement sur leur condamnation à une somme de 3.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
Statuant de nouveau,
- débouter M. et Mme [G] de leur demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
Subsidiairement,
- réduire à plus amples proportions leur demande à ce titre,
- infirmer la décision du tribunal en ce qu'il a inclus les frais d'expertise dans les dépens,
Statuant de nouveau,
- laisser à la charge M. et Mme [G] le coût de l'expertise, compte tenu de son inutilité,
- partager par moitié, pour le surplus, les dépens ne comprenant pas les frais d'expertise,
Subsidiairement,
- dire et juger que les dépens, comprenant les frais d'expertise, seront partagés par moitié,
- condamner M. et Mme [G] in solidum à une somme de 3.500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel, ainsi qu'aux entiers dépens d'appel.
*****
M. et Mme [G] exposent leurs prétentions et moyens dans leurs dernières conclusions remises au greffe et notifiées le 4 décembre 2023.
Ils demandent à la cour de :
- confirmer en toutes ses dispositions le jugement dont appel,
- condamner M. et Mme [O] à leur verser la somme de 3.500 € par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles d'appel,
- condamner M. et Mme [O] à leur régler les entiers dépens.
L'instruction de l'affaire a été déclarée close le 5 décembre 2023.
Pour plus ample exposé des prétentions et moyens des parties, il convient de se reporter à leurs écritures ci-dessus visées figurant au dossier de la procédure.
MOTIFS DE L'ARRÊT
L'article 544 du code civil dispose que 'La propriété est le droit de jouir et disposer des choses de la manière la plus absolue, pourvu qu'on n'en fasse pas un usage prohibé par les lois ou par les règlements'.
L'article 1240 prévoit que 'Tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.'
Il se déduit de ces dispositions combinées que le droit pour un propriétaire de jouir de sa chose de la manière la plus absolue, sauf usage prohibé par la loi ou les règlements, est limité par l'obligation qu'il a de ne causer à la propriété d'autrui aucun dommage dépassant les inconvénients normaux de voisinage.
En application de l'article 9 du code de procédure civile, 'Il incombe à chaque partie de prouver conformément à la loi les faits nécessaires au succès de sa prétention.'
1) Sur le préjudice matériel
M. et Mme [O] estiment que la somme de 919,20 € en remplacement des deux orangers du Mexique endommagés lors de la dépose de la haie est exagérée au regard du coût habituel d'un tel arbuste, leurs recherches sur internet les ayant conduits à estimer un coût global de remplacement à hauteur de 100 € maximum.
M et Mme [G] soutiennent que ce chiffrage ressort d'un devis retenu par l'expert judiciaire, d'où il suit que le montant de 919,20 € ne saurait être contesté.
En l'espèce, le constat d'huissier effectué le 23 octobre 2017 par Me [B] [Y] à la demande de M. et Mme [G], juste avant le déplacement de la haie, décrit la présence de deux orangers du Mexique ayant la taille d'arbustes. Les photographies annexées montrent qu'il s'agissait de deux beaux et volumineux sujets.
Lors de son passage le 26 octobre 2017, l'expert judiciaire a relevé la dégradation des deux orangers du Mexique qui intégraient la haie plantée en limite de propriété.
M. et Mme [O] ne contestent pas le principe de l'indemnisation de ces deux arbres qui n'ont pu être replantés.
L'expert judiciaire a retenu le devis de l'entreprise Minou Paysage à hauteur de 919,20 € pour le remplacement des deux orangers du Mexique, en précisant que si ce prix paraissait élevé, il s'expliquait par 'la taille inhabituelle de ces arbustes adultes'.
M. et Mme [G] sont en droit d'exiger le remplacement des arbustes perdus par des sujets d'espèce et d'envergure équivalentes, dont les prix ne sauraient correspondre à ceux suggérés par les époux [O] qui concernent de jeunes arbustes, bien plus petits en taille et en volume.
Le jugement sera donc confirmé en ce qu'il a retenu la somme de 919,20 € en indemnisation du préjudice matériel subi par M. et Mme [G] correspondant au remplacement des orangers du Mexique perdus.
2) Sur le préjudice de jouissance résultant de l'accès au fonds [G] et de l'empiétement
M. et Mme [O] font grief au tribunal d'avoir injustement majoré l'indemnisation du préjudice de jouissance des époux [G], au motif que les travaux litigieux procédaient d'une construction neuve et non de la nécessité de préserver un édifice existant.
M. et Mme [G] invoquent au titre de leur préjudice de jouissance causé par les travaux avoir subi pendant sept jours (au lieu des cinq jours autorisés par le juge des référés) les allées et venues des artisans, les nuisances sonores du chantier qui ont privé Mme [G] de la possibilité d'utiliser son espace de travail, la dépose de leur haie de clôture et l'impossibilité de pouvoir profiter de leur jardin sur un espace de 140 m² au total, et ce jusqu'à la repousse de la pelouse dont la date a été fixée au mois d'avril 2018 par l'expert judiciaire.
En droit, il est d'usage d'indemniser le tour d'échelle accordé sur le fonds voisin du seul fait de l'occupation de la propriété d'autrui et compte tenu des nuisances habituelles provoquées par un chantier, sans préjudice de l'indemnisation des dégradations que les travaux pourraient causer sur le fonds voisin.
Dès lors que la construction en limite de propriété n'est pas fautive et résulte parfois même de contraintes urbanistiques, il n'y a pas lieu de distinguer entre le tour d'échelle sollicité pour les besoins de finitions d'une construction neuve et celui rendu nécessaire pour l'entretien ou la réparation d'une construction pré-existante.
En l'espèce, la cour retient à l'instar du tribunal que les travaux litigieux se sont déroulés du 23 octobre 2017 après-midi jusqu'au 31 octobre 2017 inclus, soit sur cinq jours et demi et non sept jours comme le soutiennent les époux [G] qui comptabilisent à tort la durée des constats d'huissier.
Ces travaux ont nécessité l'intervention d'ouvriers passant par le fonds [G] notamment pour la dépose et la repose de la haie mitoyenne et la suppression de l'empiétement en béton, ce qui a nécessairement généré des nuisances sonores. Ces travaux se sont déployés sur 140 m² de pelouse dans le jardin de M. et Mme [G]. Selon l'expertise judiciaire, cette partie a été inutilisable le temps des travaux puis de la repousse de l'herbe.
Comme l'a cependant relevé l'expert judiciaire, cette privation partielle de leur extérieur n'a concerné qu'un 'jardin d'agrément sans perte de production'. La cour observe au surplus que l'agrément tiré d'un jardin en Bretagne entre octobre et avril est des plus limité.
Enfin, si des empiétements au niveau des fondations (coulures de béton) ont bien existé, ceux-ci ont été supprimés au cours de l'expertise. L'expert judiciaire note dans son rapport définitif en date du 29 janvier 2018 que 'les empiétements irréguliers des fondations ont été supprimés à ce jour par l'entreprise de maçonnerie et aux frais de cette entreprise'.
Au demeurant, M. et Mme [G] n'exposent pas la gêne qu'ils ont pu subir du fait de ces empiétements minimes, si ce n'est le principe d'une atteinte à leur droit de propriété.
Eu égard à ces différentes constatations, il y a lieu d'accorder à M. et Mme [G] la somme de 150 € x 5,5 jours soit la somme de 825 € en réparation du préjudice de jouissance causé par le tour d'échelle.
3) Sur le préjudice visuel
M. et Mme [O] ne contestent pas que le pignon du mur de leur extension est resté brut de parpaings recouverts d'une bâche, entre juillet 2013 (fin du gros 'uvre) et octobre 2017 (finalisation des travaux d'enduisage), soit pendant 52 mois. Ils font cependant grief au tribunal de leur avoir imputé l'entière responsabilité de la durée excessive de cette situation en leur reprochant d'avoir eu la croyance erronée d'un droit d'accès au fonds voisin avant d'entamer leurs travaux, d'avoir mis fin à la conciliation et d'avoir tardé à saisir le tribunal d'une demande d'autorisation judiciaire pour finaliser les travaux. Ils estiment au contraire que le retard pris dans l'exécution des travaux résulte de l'attitude opposante et procédurière des époux [G].
M et Mme [G] estiment que le tribunal a fait une juste appréciation du préjudice visuel qu'ils ont subi pendant plus de quatre ans en raison du pignon inachevé et particulièrement inesthétique de la construction voisine. Ils soutiennent que le trouble anormal du voisinage est parfaitement caractérisé et que celui-ci est exclusivement imputable aux époux [O] qui ont :
- débuté leurs travaux sans s'assurer de l'accord de leurs voisins,
- mis fin à la conciliation,
- contesté un empiétement qui s'est avéré réel en s'opposant à la mesure d'expertise judiciaire initialement sollicitée par les époux [G] puis en refusant de leur remettre le rapport d'expertise amiable réalisée par M. [V] (qui constatait déjà l'empiétement).
En l'espèce, il n'est pas contesté que les époux [G] ont subi un préjudice visuel compte tenu de la durée excessive d'achèvement des travaux voisins, ce qui les a obligés à supporter pendant 52 mois une vue directe sur un mur particulièrement inesthétique, brut de parpaings et recouvert d'une bâche, ainsi qu'il résulte des constats d'huissier versés aux débats.
Se pose donc la question de l'imputabilité du retard pris dans les travaux.
Sur ce point, la cour relève les éléments suivants :
- le préjudice visuel est la conséquence d'une construction des époux [O] en limite de propriété,
- les époux [O] ont débuté leurs travaux alors qu'ils connaissaient le refus catégorique de leurs voisins de leur consentir amiablement un tour d'échelle,
- ils ressort des correspondances entre les parties et le conciliateur que les époux [O] ont mis fin à la conciliation. Ils ne peuvent utilement expliquer cette décision par la déloyauté des époux [G] dans le cadre de la procédure administrative introduite le 17 octobre 2012 puisque l'ordonnance du tribunal administratif rejetant le recours de ces derniers a été rendue le 22 novembre 2022. Or, en janvier 2013, les époux [O] étaient encore engagés dans la conciliation,
- les époux [G] ont certes vu leur première demande d'expertise rejetée par le juge des référés pour absence de motif légitime mais l'expertise judiciaire qu'ils sollicitaient a finalement été ordonnée parallèlement au tour d'échelle accordé. Il ne peut donc être retenu aucune faute de leur part à ce titre,
- la construction des époux [O] empiétait bien sur la propriété [G], même de manière minime,
- cet empiétement a été connue des époux [O] dès le 12 octobre 2015 ainsi qu'il ressort de l'état des lieux amiable et contradictoire dressé par M. [V],
- les époux [O] ont refusé de communiquer aux époux [G] ce rapport ainsi qu'il ressort du courriel daté du 24 mars 2016 dans lequel l'expert-géomètre [V] leur indique qu'il lui semble 'inapproprié de bloquer la communication de ce document',
- ce rapport n'a été communiqué qu'en avril 2016 aux époux [G] et la suppression des empiétements qui était la condition préalable posée par ces derniers pour accorder un droit d'échelle à leurs voisins n'a été obtenue qu'au cours et sous la contrainte de l'expertise judiciaire,
- le recours administratif a été rejeté le 22 novembre 2012. Il peut être considéré que le permis de construire était donc purgé de tout recours en janvier 2013, par ailleurs, les époux [G] ont été déboutés de leur demande d'expertise judiciaire par ordonnance de référé du 12 novembre 2013 et suivant lettre officielle du 2 décembre 2013, leur conseil indiquait au conseil des époux [O] qu'ils n'interjetteraient pas appel de cette décision , à compter de cette date, les époux [O] pouvaient donc sans crainte, saisir le juge des référés aux fins d'être autorisés à réaliser les travaux d'enduisage de leur mur en passant sur le fonds [G], ce qu'ils n'ont fait qu'un an plus tard, par assignation du 4 décembre 2014 , ils n'expliquent pas ce délai,
- les époux [O] ont ensuite demandé la radiation de l'affaire à la faveur d'un accord des parties pour faire intervenir un géomètre-expert (M. [V]), répondant ainsi à la demande formée par les époux [G] à l'occasion de leur assignation en référé de 2013, à laquelle ils s'étaient opposés.
Au total, le préjudice visuel est avéré et découle des travaux de construction mis en oeuvre par M. et Mme [O]. La durée de la gêne visuelle induite par ce pignon inachevé et inesthétique est excessive sans que cette durée ne puisse être imputée aux époux [G] dont les actions tendaient essentiellement à la conservation de leur droit de propriété.
Le trouble anormal de voisinage est donc caractérisé et justifie l'indemnisation des époux [G].
Le jugement sera donc confirmé en ce qu'il a indemnisé M. et Mme [G] du préjudice visuel subi pendant 52 mois pour un montant de 4.400 € du fait du mur en travaux.
4) Sur le préjudice moral
Pour s'opposer à la demande d'indemnisation au titre du préjudice moral, M. et Mme [O] soutiennent que M. et Mme [G] ne démontrent pas avoir subi un trouble moral indemnisable, le certificat médical produit aux débats étant insuffisant pour corroborer l'état de stress dont souffrait Mme [G] en juin 2017. Ils exposent d'autre part, que la longueur du litige et la dureté des échanges à l'occasion de cette procédure ne sont que la conséquence de l'attitude de M. et Mme [G].
M et Mme [G] indiquent que les tracas consécutifs à ce litige les ont profondément affectés, en particulier Mme [G], qui a été sujette à un état d'anxiété intense à compter du mois d'octobre 2016, nécessitant la mise en place d'un suivi médical régulier ainsi que d'un traitement au long cours.
En l'espèce, il a été précédemment admis une indemnisation des préjudices de jouissance et visuel.
S'agissant du préjudice moral allégué, l'état d'anxiété intense de Mme [G] à compter du mois d'octobre 2016 dont il est fait mention dans le certificat médical du Dr [S], ne peut être relié de manière directe et certaine à la mise en 'uvre de la présente procédure.
Ce d'autant que ce litige s'inscrit dans une relation de voisinage conflictuelle ancienne, dont l'imputabilité aux seuls époux [O] n'est pas établie.
Aucune pièce n'est produite afin d'étayer le préjudice moral de M. [G].
Compte tenu de ce qui précède, M. et Mme [G] ne justifient pas du préjudice moral allégué. Ils seront donc déboutés de leur demande à ce titre.
Le jugement sera infirmé en ce qu'il a alloué une somme de 1.000 € à Mme [G] et de 500 € à M. [G] au titre de l'indemnisation de leur préjudice moral.
5) Sur les demandes reconventionnelles de M. et Mme [O]
Pour solliciter des dommages-intérêts à hauteur de 1.500 € sur le fondement de l'article 1240 du code civil, M. et Mme [O] rappellent que non seulement les intimés leur ont refusé une autorisation amiable de circuler sur leur propriété pour la réalisation des travaux, mais aussi que ces derniers ont tout fait pour en retarder et contrarier le bon déroulement. De ce fait, il a été impossible de faire enduire leur mur, et donc d'assurer son étanchéité pendant plus de 4 ans, ce qui leur ouvre un droit à indemnisation.
En l'espèce, il a été retenu par la cour que le retard pris dans l'exécution des travaux n'était pas imputable aux époux [G]. Leur faute n'est donc pas caractérisée de ce chef.
Si M. et Mme [O] justifient par des attestations émanant des artisans intervenus sur le chantier, que les époux [G] ont pu adopter des comportements inappropriés (interpellations, projections de produit phytosanitaire, photographies'), les époux [O] ne démontrent pas l'existence d'un préjudice en lien avec ce comportement, lequel n'est pas à l'origine de la durée excessive des travaux.
Les appelants n'apportent pas la preuve d'un préjudice autre que le retard des travaux, et qui découlerait du comportement de leurs voisins.
Le jugement sera infirmé en ce qu'il a accordé une indemnisation au titre des demandes reconventionnelles de M. et Mme [O].
6) Sur les dépens et les frais irrépétibles
Les dispositions du jugement relatives aux frais irrépétibles et aux dépens seront confirmées.
Succombant partiellement, M. et Mme [O] supporteront les dépens d'appel.
Les parties, le tribunal et la cour se sont appuyés sur le rapport d'expertise. Les frais d'expertise suivront donc le sort des autres dépens, sans qu'il y ait lieu de les laisser à la charge des époux [G].
Enfin, eu égard aux circonstances de l'affaire, il n'est pas inéquitable de condamner M. et Mme [O] à payer à M. et Mme [G] la somme de 3.500 € au titre des frais irrépétibles exposés par eux en appel et qui ne sont pas compris dans les dépens.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Infirme le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Brest en date du 7 juin 2021 en ce qu'il a :
- condamné M. [L] [O] et Mme [N] [O] à verser à Mme [P] [G] la somme de 6.819,20 € au titre des troubles anormaux du voisinage subis du fait et dans les suites de l'édification d'une extension sur la propriété de M. et Mme [O], préjudices autres que moral, arrêtée au 7 juin 2021,
- condamné M. [L] [O] et Mme [N] [O] à verser à M. [E] [G] la somme de 500 € en réparation de son préjudice moral,
- condamné M. [L] [O] et Mme [N] [O] à verser à Mme [P] [G] la somme de 1.000 € en réparation de son préjudice moral,
- condamné M. [E] [G] et Mme [P] [G] à verser à M. [L] [O] et Mme [N] [O] la somme de 500 € en réparation des troubles anormaux du voisinage, préjudice arrêté au 07 juin 2021,
Statuant à nouveau,
Condamne in solidum M. [L] [O] et Mme [N] [O] à verser à Mme [P] [G] la somme de 6.144,20 € au titre des troubles anormaux du voisinage subis du fait et dans les suites de l'édification d'une extension sur la propriété de M. et Mme [O], préjudices autres que moral, arrêtée au 7 juin 2021,
Déboute M. [E] [G] de sa demande en réparation de son préjudice moral,
Déboute Mme [P] [G] de sa demande en réparation de son préjudice moral,
Déboute M. [L] [O] et Mme [N] [O] de leur demande reconventionnelle,
Y ajoutant,
Condamne in solidum M. [L] [O] et Mme [N] [O] aux dépens d'appel,
Condamne in solidum M. [L] [O] et Mme [N] [O] à verser à M. et Mme [E] et [P] [G] la somme de 3.500 € au titre des frais irrépétibles d'appel non compris dans les dépens,
Rejette le surplus des demandes.
LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE