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17/04/2024 | FRANCE | N°21/01608

France | France, Cour d'appel de Rennes, 8ème ch prud'homale, 17 avril 2024, 21/01608


8ème Ch Prud'homale





ARRÊT N°127



N° RG 21/01608 -

N° Portalis DBVL-V-B7F-RN2T













S.A.S. COVED (COLLECTES VALORISATION ENERGIE DECHETS)



C/



M. [Z] [W]

















Réformation partielle













Copie exécutoire délivrée

le :



à :

- Me Etienne DELATTRE

-Me Jean-David CHAUDET





RÉPUBLIQUE FRANÇAISEr>
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



COUR D'APPEL DE RENNES

ARRÊT DU 17 AVRIL 2024





COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :



Madame Nadège BOSSARD, Présidente,

Monsieur Philippe BELLOIR, Conseiller,

Madame Anne-Cécile MERIC, Conseillère,



GREFFIER :



Monsieur Philippe RENAULT, lors d...

8ème Ch Prud'homale

ARRÊT N°127

N° RG 21/01608 -

N° Portalis DBVL-V-B7F-RN2T

S.A.S. COVED (COLLECTES VALORISATION ENERGIE DECHETS)

C/

M. [Z] [W]

Réformation partielle

Copie exécutoire délivrée

le :

à :

- Me Etienne DELATTRE

-Me Jean-David CHAUDET

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE RENNES

ARRÊT DU 17 AVRIL 2024

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :

Madame Nadège BOSSARD, Présidente,

Monsieur Philippe BELLOIR, Conseiller,

Madame Anne-Cécile MERIC, Conseillère,

GREFFIER :

Monsieur Philippe RENAULT, lors des débats et lors du prononcé

DÉBATS :

A l'audience publique du 22 Février 2024

En présence de Madame [Y] [S], médiatrice judiciaire,

ARRÊT :

Contradictoire, prononcé publiquement le 17 Avril 2024 par mise à disposition au greffe comme indiqué à l'issue des débats

****

APPELANTE et intimée à titre incident :

La S.A.S. COVED (COLLECTES VALORISATION ENERGIE DECHETS) prise en la personne de son représentant légal et ayant son siège social :

[Adresse 3]

[Localité 4]

Représentée par Me Etienne DELATTRE de la SARL HAROLD AVOCATS II, Avocat au Barreau de NANTES

INTIMÉ et appelant à titre incident :

Monsieur [Z] [W]

né le 24 Janvier 1962 à [Localité 5] (44)

demeurant [Adresse 2]

[Localité 1]

Ayant Me Jean-David CHAUDET de la SCP JEAN-DAVID CHAUDET, Avocat au Barreau de RENNES, pour postulant et représenté à l'audience par Me Isabelle GUIMARAES, Avocat plaidant du Barreau de NANTES

Le 1er avril 2004, M. [Z] [W] a été engagé par la société Coved en qualité d'équipier de collecte, statut compagnon, coefficient 100.

La société Coved est une entreprise spécialisée dans la collecte, le traitement et la valorisation des déchets.

Elle emploie plus de 10 salariés.

Elle applique la convention collective des activités du déchet.

Au dernier état de la relation contractuelle, M.[W] occupait le poste d'équipier de collecte, statut ouvrier, coefficient 107.

Le 15 octobre 2020, M. [W] a été convoqué à un entretien préalable à un éventuel licenciement et mis à pied à titre conservatoire.

L'entretien a eu lieu le 25 octobre 2018, au cours duquel M. [W] était assisté de Mme [G], déléguée du personnel.

Par lettre recommandée avec avis de réception du 30 octobre 2018, la société Coved a notifié à M. [W] son licenciement pour faute grave au motif d'une imprégnation alcoolique sur le lieu de travail.

Le 29 octobre 2019, M. [W] a saisi le conseil de prud'hommes de Nantes aux fins de :

' Dire et juger que :

- le licenciement était dénué de cause réelle et sérieuse,

- le plafond de l'article L.1235-3 du code du travail ne saurait recevoir application en raison de son inconventionnalité,

' Condamner la SAS Coved à lui verser :

- 1.154,22 € bruts de rappel de salaire sur la rémunération due pour la période du 1er au 14 octobre 2018,

- 115,42 € bruts de congés payés afférents,

- 76.000 € nets, à titre principal, de dommages et intérêts pour licenciement dénué de cause réelle et sérieuse,

- 46.000 € nets, à titre subsidiaire, de dommages et intérêts pour licenciement dénué de cause réelle et sérieuse,

- 20.837,51 € nets d'indemnité légale de licenciement,

- 4.616,90 € bruts d'indemnité compensatrice de préavis,

- 461,69 € bruts de congés payés afférents,

- 327,32 € bruts de rappel de salaires sur la mise à pied conservatoire,

- 32,73 € bruts de congés payés afférents,

- 2.400 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

' Remise des documents conformes a la décision à intervenir (bulletins de salaire, certificat de travail et attestation Pôle Emploi)

' Remise des documents ci-dessus sous astreinte de 100 € par jour de retard,

' Le Conseil se réservant compétence pour liquider cette astreinte,

' Intérêts de droit à compter de l'introduction de l'instance pour les sommes ayant un caractère de salaire et a compter de la décision a intervenir pour les autres sommes,

' Capitalisation des intérêts (article 1343-2 du code civil),

' Fixer la moyenne mensuelle brute des salaires a la somme de 2.308,45 €,

' Exécution provisoire de la décision à intervenir pour toutes les sommes pour lesquelles cette dernière n'est pas de droit en application des articles 514 et 515 du code de procédure civile,

' Dire qu'à défaut de règlement spontané des condamnations prononcées par la décision à intervenir, et en cas d'exécution par voie extrajudiciaire, les sommes retenues par l'huissier instrumentaire devront être supportées par la société défenderesse,

' Condamner la partie défenderesse aux entiers dépens.

Par jugement du 2 mars 2021, le conseil de prud'hommes de Nantes a :

' Dit que le licenciement notifié à M. [W] par la SAS Coved le 30 octobre 2018 était dépourvu de cause reelle et sérieuse,

' Condamné en conséquence la SAS Coved à payer à M. [W] les sommes suivantes :

- 43.677,20 € nets à titre de dommages et intérêts pour licenciement dénué de cause réelle et sérieuse,

- 19.712,98 € nets à titre d'indemnité légale de licenciement,

- 4.363,72 € bruts à titre d'indemnité compensatrice de préavis,

- 436,77 € bruts au titre des congés payés afférents,

- 327,32 € bruts à titre de rappel de salaire sur la mise à pied conservatoire,

- 32,73 € bruts à titre des congés payés afférents,

- 1.200 € nets à titre de l'article 700 du code de procédure civile,

' Lesdites sommes étant assorties des intérêts au taux légal à compter du 29 octobre 2019, date de la saisine du conseil pour les sommes à caractère salarial et à compter de la date du prononcé du présent jugement pour les sommes à caractère indemnitaire, avec capitalisation en application des articles 1343-1 et 1343-2 du code civil,

' Débouté M. [W] de sa demande de paiement de salaire pour le mois d'octobre 2018,

' Ordonné à la SAS Coved de remettre à M. [W] ses documents sociaux rectifiés et conformes à la décision (bulletin de salaire, certificat de travail et attestation Pôle Emploi), sous astreinte de 30 € par jour de retard a compter du 15ème jour suivant la notification du présent jugement et jusqu'au 45ème jour, le conseil se réservant la compétence pour liquider cette astreinte,

' Ordonné l'exécution de droit sur la totalite des sommes alloués et fixé à ce titre le salaire de référence de M. [W] à la somme mensuelle de 2.183,86 € bruts,

' Dit qu'à défaut de règlement spontané des condamnations de la présente décision, et en cas d'exécution par voie extrajudiciaire, les sommes retenues par l'huissier instrumentaire devront être supportées par la société défenderesse,

' Ordonné le remboursement par la SAS Coved aux organismes intéressés des indemnités de chômage versées au salarié licencié, du jour de son licenciement au jour du jugement prononcé, dans la limite de six mois d'indemnité de chômage,

' Débouté les parties de leurs autres demandes,

' Condamné la SAS Coved aux dépens.

La SAS Coved a interjeté appel le 11 mars 2021.

Vu les écritures notifiées par voie électronique le 6 février 2024 suivant lesquelles la SAS Coved demande à la cour de :

A titre principal,

' Infirmer le jugement rendu par le conseil de prud'hommes de Nantes le 2 mars 2021 en ce qu'il a :

- jugé que le licenciement pour faute grave de M. [W] était dénué de cause réelle et sérieuse,

- condamné en conséquence la SAS Coved à payer à M. [W] les sommes suivantes :

- 43.677,20 € nets à titre de dommages et intérêts pour licenciement dénué de cause réelle et sérieuse,

- 19.712,98 € nets à titre d'indemnité légale de licenciement,

- 4.363,72 € bruts à titre d'indemnité compensatrice de préavis,

- 436,77 € bruts au titre des congés payés afférents,

- 327,32 € bruts à titre de rappel de salaire sur la mise à pied conservatoire,

- 32,73 € bruts à titre des congés payés afférents,

- 1.200 € nets à titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné la SAS Coved à rembourser aux organismes intéressés des indemnités de chômage versées au salarie licencié, du jour de son licenciement au jour du jugement prononcé,

Rejugeant,

' Débouter M. [W] de l'ensemble de ses demandes,

A titre subsidiaire,

' Confirmer le jugement rendu par le Conseil de prud'hommes de Nantes le 2 mars 2021 en ce qu'il a fait application du barème prévu par l'article L.1235-3 du code du travail,

' Réformer le jugement rendu par le Conseil de prud'hommes de Nantes le 2 mars 2021 en ce qu'il a condamné la SAS Coved à payer à M. [W] la somme de 43.677,20 € nets à titre de dommages et intérêts pour licenciement dénué de cause réelle et sérieuse,

' Infirmer le jugement rendu par le Conseil de prud'hommes de Nantes le 2 mars 2021 quant à la condamnation de la SAS Coved à rembourser aux organismes intéressés les indemnités de chômage versées au salarié du jour de son licenciement au jour du jugement prononcé,

Rejugeant,

' Condamner la SAS Coved à une indemnisation de M. [W] ramenée à de plus justes proportions,

En tout état de cause,

' Infirmer le jugement rendu par le Conseil de prud'hommes de Nantes le 2 mars 2021 en ce qu'il a condamné la SAS Coved à verser à M. [W] 1.200 € nets au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Rejugeant,

' Condamner M. [W] à payer la somme de 3.000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile,

Sur l'appel incident,

' Confirmer le jugement rendu par le Conseil de prud'hommes de Nantes le 2 mars 2021 en ce qu'il a débouté M. [W] de sa demande de rappel de salaire au titre du mois d'octobre 2018.

Vu les écritures notifiées par voie électronique le 7 février 2024, suivant lesquelles M. [W] demande à la cour de :

' Recevoir M. [W] en ses écritures,

' Y faire droit,

' Recevoir M. [W] en son appel incident,

' Réformer le jugement du Conseil de prud'hommes de Nantes du 2 mars 2021en ce qu'il a débouté M. [W] de sa demande de rappel de salaire relatif au mois d'octobre 2018,

' Confirmer le jugement du Conseil de prud'hommes de Nantes du 2 mars 2021 en ce qu'il a :

- jugé le licenciement de M. [W] dénué de cause reelle et sérieuse,

- alloué à M. [W] la somme de 1.200 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile pour les frais générés par la procédure de première instance,

' Le réformer sur les sommes allouées au titre de la rupture du contrat de travail sauf en ce qui concerne l'indemnité compensatrice de préavis,

Ce faisant,

' Juger que :

- la SAS Coved prise en la personne de ses représentants légaux n'a pas rempli M. [W] de ses droits en matière de rémunération,

- le licenciement de M. [W] est dénué de cause réelle et sérieuse,

- à titre principal, que le plafond de l'article L.1235-3 du code du travail ne saurait recevoir application en raison de son conventionalité,

' Condamner la SAS Coved, prise en la personne de ses représentants légaux, à verser à M. [W] les sommes suivantes :

- 1.154,22 € bruts à titre de rappel de salaire sur la rémunération due pour la période du 1er au 14 octobre 2018,

- 115,42 € bruts au titre des congés payés afférents,

- 76.000 € nets, à titre principal, de dommages et intéréts pour licenciement dénué de cause réelle et sérieuse,

- 46.000 € nets, à titre subsidiaire, de dommages et intéréts pour licenciement dénué de cause réelle et sérieuse,

- 20.837,51 € nets d'indemnité légale de licenciement,

- 4.616,90 € bruts d'indemnité compensatrice de préavis,

- 461,69 € bruts de congés payés afférents,

- 1.063,80 € bruts de rappel de salaires sur la mise à pied conservatoire,

- 106,38 € bruts de congés payés afférents,

- 3.000 € à titre d'indemnité sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- 1.200 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile pour les frais générés par la procédure de première instance,

' Juger que :

- ces sommes porteront intérêts de droit à compter de l'introduction de l'instance pour celles ayant le caractère de salaire, et à compter de la décision à intervenir pour les autres sommes,

- les intérêts se capitaliseront en application de l'article 1343-2 du code civil,

- à défaut de règlement spontané des condamnations prononcées par la décision à intervenir, et en cas d'exécution par voie extrajudiciaire, les sommes retenues par l'huissier instrumentaire en application des dispositions de l'article 10 du décret du 8 mars 2001, portant modification du décret du 12 décembre 1996, devront être supportées par la société défenderesse,

' Condamner la SAS Coved prise en la personne de ses représentants légaux aux entiers dépens.

L'ordonnance de clôture a été prononcée le 15 février 2024.

Par application de l'article 455 du code de procédure civile, la cour se réfère, pour un plus ample exposé des prétentions et des moyens des parties à leurs dernières conclusions sus-visées.

MOTIFS :

Sur la faute grave :

La faute grave est celle qui résulte d'un fait ou d'un ensemble de faits imputables au salarié qui constituent une violation des obligations résultant du contrat de travail ou des relations de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise.

L'employeur qui invoque la faute grave pour licencier doit en rapporter la preuve.

Sur le fondement des articles L. 1232-1 et L. 1235-3 du code du travail dans leur rédaction applicable à l'espèce, la cour, à qui il appartient de qualifier les faits invoqués et qui constate l'absence de faute grave, doit vérifier s'ils ne sont pas tout au moins constitutifs d'une faute de nature à conférer une cause réelle et sérieuse au licenciement.

Par courrier du 30 octobre 2018, la société Coved a notifié à M. [W] son licenciement en ces termes :

« [ ' ] Le samedi 13 octobre 2018, vous étiez affecté sur la déchèterie de [Localité 6]. Ce même jour, Mme [V] [L] a procédé à des contrôles d'alcoolémie sur l'exploitation. Vous y avez été soumis en présence de Mme [R] [K], Responsable d'exploitation.

Mme [V] [L] a procédé à un premier test d'alcoolémie à 15h00. Ce test s'est avéré positif. Il vous a alors été interdit de reprendre votre poste de travail et vous a été demandé d'attendre, dans le but de préserver votre sécurité. Conformément à la procédure en vigueur, un second test d'alcoolémie a été effectué une heure après le premier, soit à 16h00. Ce dernier s'est de nouveau révélé positif. Elle vous a proposé de bénéficier d'une contre-expertise de votre état par un professionnel. Vous avez refusé.

Lors de l'entretien, vous n'avez apporté aucune explication aux faits qui vous ont été reprochés.

Nous vous avons rappelé, conformément à notre règlement intérieur dont vous avez connaissance, qu'aucun salarié de Coved ne pouvait se présenter à son poste de travail avec un taux d'alcoolémie supérieur à celui que prévoit la règlementation. Il est interdit de pénétrer ou de demeurer dans l'entreprise en état d'ébriété. Cette situation est caractérisée dans le règlement intérieur comme étant un comportement fautif. Le règlement intérieur vous avait d'ailleurs été remis en main propre le 13 août 2018 après que votre responsable hiérarchique, Mme [V] [L], vous l'ait lu et commenté.

La sécurité de ses collaborateurs est une priorité pour Coved. Votre fonction requiert que vous soyez en pleine possession de vos moyens dans l'exercice de vos missions, notamment eu égard aux véhicules qui circulent sur le site.

Votre comportement est inacceptable, en contradiction avec notre règlement intérieur et les conséquences de vos actes auraient pu être catastrophiques. Vous vous êtes présenté à votre poste de travail sous imprégnation alcoolique en ayant une parfaite connaissance de cette interdiction ainsi que des risques très importants associés.

Votre comportement délibérément contraire aux règles de l'entreprise nous contraint à vous notifier par la présente votre licenciement pour faute grave, entraînant la rupture immédiate, à la date d'envoi de la présente, de votre contrat de travail, sans indemnité ni préavis. Aussi, vous voudrez bien remettre à votre responsable hiérarchique l'ensemble des éléments mis à votre disposition par l'entreprise.

Nous vous rappelons par ailleurs que vous avez fait l'objet d'une mesure de mise à pied à titre conservatoire par notre courrier de convocation à entretien préalable du 15 octobre 2018. Vous ne serez dès lors pas rémunéré pour la période correspondant à votre mise à pied à titre conservatoire, celle-ci courant jusqu'à la date de la présente notification. [ ']»

L'article R.4228-21 du code du travail dispose : « Il est interdit de laisser entrer ou séjourner dans les lieux de travail des personnes en état d'ivresse. »

L'employeur ne peut apporter aux libertés individuelles ou collectives des salariés que des restrictions justifiées par la nature de la tâche à accomplir et proportionnées au but recherché. Ainsi, il ne peut, sauf circonstances exceptionnelles, ouvrir les sacs appartenant aux salariés pour en vérifier le contenu qu'avec leur accord et à la condition de les avoir avertis de leur droit de s'y opposer et d'exiger la présence d'un témoin.

De même, les dispositions d'un règlement intérieur permettant d'établir sur le lieu de travail l'état d'ébriété d'un salarié en recourant à un contrôle de son alcoolémie sont licites dès lors, d'une part, que les modalités de ce contrôle en permettent la contestation, d'autre part, qu'eu égard à la nature du travail confié à ce salarié, un tel état d'ébriété est de nature à exposer les personnes ou les biens à un danger, de sorte qu'il peut constituer une faute grave.

En l'espèce, le règlement intérieur du site stipule que ' ll est interdit de pénétrer ou de demeurer dans l'entreprise en état d'ébriété ou sous l'emprise de stupéfiants.

La Direction ou ses représentants pourra imposer l'alcootest ou l'éthylomètre aux salariés,

notamment

- à ceux qui conduisent des engins ou des véhicules,

- à ceux qui travaillent à proximité d'engins ou de véhicules

- à ceux qui travaillent à proximité de machines présentant des organes mobiles

- à ceux amenés à utiliser un véhicule dans le cadre de leurs fonctions

et dont l'état d'imprégnation alcoolique constituerait une menace pour eux-mêmes ou leur entourage. Le salarié contrôlé pourra exiger la présence d'un tiers lors de l'alcootest. Le salarié

contrôlé pourra solliciter une contre-expertise de son état réalisé par un professionnel. Cette contre-expertise sera à la charge de l'entreprise'

L'employeur fait valoir qu'il a été procédé à quatre contrôles, l'un à 15H qui s'est révélé positif, un deuxième à 15H50 qui est resté une tentative, le salarié n'ayant pas réussi à souffler, un troisième à 16 heures qui s'est révélé positif et un quatrième à 17 heures qui s'est révélé négatif permettant le départ de M. [W].

Il soutient que les deux salariés présentes ont constaté des émanations d'alcool provenant d'une bouteille d'eau gazeuse situé à côté du sac de M. [W].

M. [W] considère que l'employeur a procédé à la fouille de son sac de manière illicite et soutient avoir été le seul salarié à voir son état d'imprégnation alcoolique être contrôlé, sans motif légitime ni existence d'un danger, et à avoir été soumis à 3 tests.

La société produit la photographie de quatre tests, portant une signature mentionnant le nom de [W] à l'exception du second sur lequel elle n'est pas visible sur le cliché. Les deux premiers tests ne portent pas la mention de leur heure de réalisation, seul un post-it le mentionne. Les deux autres tests mentionnent les heures de 16H50 et 17H. Le résultat desdits tests n'est pas identifiable sur les clichés.

Un procès-verbal de constat a été établi le 21 septembre 2021 par huissier de justice, lequel a examiné les quatre éthylostests photographiés ainsi que les post-it qui y étaient apposés. Le procès-verbal mentionne que chacun des quatre tests est positif.

Le compte rendu du contrôle d'alcoolémie établi le 13 octobre 2018 par Mme [L] et signé par M. [W] et Mme [K], salariée de la société, mentionne quant à lui trois tests : l'un à 15H qui s'est révélé positif, un deuxième à 15H50 qui est resté une tentative, le salarié n'ayant pas réussi à souffler, un troisième à 16 heures qui s'est révélé positif. Le numéro de série de chaque test et sa date de péremption en juin 2019 sont mentionnés.

L'attestation de Mme [K] se limite à indiquer que M. [W] a signé le compte rendu après lecture de celui-ci sans apporter de précision sur le déroulé des constatations litigieuses.

Ces pièces révèlent des contradictions entre les heures de contrôle mentionnées sur les tests eux-même, sur le procès-verbal de constat et sur le compte rendu.

La société produit également un échange de SMS du 13 octobre 2018, Mme [K], témoin des tests, indique à 15 heures 06 à son supérieur hiérarchique, M. [T] :

'Bonjour [U], Nous avons trouvé une bouteille de Perrier qui sentait le vin blanc et avons fait 2 contrôles. Premier test Positif pour monsieur [W].'

A 15 heures 45, M. [T] l'interroge sur l'existence d'un deuxième test positif.

Mme [K] répond à 15 heures 47 : 'On le fait là'.

Une minute plus tard, Mme [K] interroge son supérieur hiérarchique en ces termes :

'Pour le vin je dis quelque chose ' Car c'est dans son sac dans une bouteille de perrier mais sur le lieu de travail.'

Elle ajoute à 15 heures 51 : 'il sent l'alcool'.

Il résulte de ces éléments que ce n'est qu'après avoir constaté une odeur d'alcool issue d'une bouteille présente dans un sac de M. [W] que l'employeur a procédé au contrôle de son imprégnation alcoolique.

Le constat de la présence dans le sac du salarié d'une bouteille d'eau gazeuse dont aurait émanée une odeur de vin s'analyse comme une fouille du sac intervenue avant le contrôle d'alcoolémie. Il résulte des éléments produits que cette fouille été effectuée hors la présence de M. [W] et sans son accord, ce qui est illicite.

Cette fouille ne peut servir de fondement au contrôle de l'imprégnation alcoolique de M. [W] dont les résultats ont fait l'objet de constatations contradictoires, les heures de contrôle et leur résultat mentionnés sur les tests eux-même et sur le compte rendu n'étant pas identiques.

Par ailleurs, il n'est pas démontré que la nature du travail confié à M. [W] rendait nécessaire le contrôle d'un état d'ébriété en ce qu'il aurait été de nature à exposer les personnes ou les biens à un danger.

Il en résulte que le contrôle n'a pas été effectué dans les conditions de licéité requises à savoir un risque pour les personnes ou les biens au regard de la nature de l'activité laquelle n'est en l'espèce pas détaillée par l'employeur.

Le contrôle de l'imprégnation alcoolique auquel a procédé l'employeur était illicite et ne peut constituer un moyen de preuve de l'état d'alcoolémie qui est reproché à M. [W].

Aucun autre moyen de preuve n'est produit.

En l'absence de preuve licite d'une telle imprégnation alcoolique, le licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse.

Le jugement sera confirmé de ce chef.

Sur le rappel de salaire au titre du mois d'octobre 2018:

M. [W] soutient ne pas avoir été payé pour la période du 1er au 14 octobre au cours de laquelle il a travaillé.

L'employeur, qui conteste être redevable d'une quelconque somme, verse aux débats un bulletin de paie ne mentionnant aucun solde à payer.

La charge de la preuve du paiement du salaire incombe à l'employeur.

Si l'attestation destinée à Pôle Emploi mentionne en page 4 une somme de 1886,59 euros pour la période du mois d'octobre 2018, le reçu pour solde de tout compte ne mentionne pas le paiement d'un salaire au titre du mois d'octobre 2018 mais seulement les sommes suivantes :

- Heures supplémentaires : 646,99 euros,

- Autre primes/indemnités : 61,05 euros,

- Liquidation du CET : 926,50 euros,

- Ind. Compensatrice CP : 2 183,86 euros,

- Absences non payées : - 327, 32 euros,

soit un solde total de 3 491,08 € bruts.

L'employeur ne verse pas d'extrait de ses comptes ni de ses opérations bancaires, seuls de nature à caractériser que le paiement du salaire a été réalisé.

En l'absence d'une telle preuve, il y a lieu de condamner la société Coved à payer à M. [W] la somme de 1 154,22 € bruts et 115,42 € afférents.

Le jugement sera infirmé en ce qu'il a rejeté cette demande.

Sur le rappel de salaire sur mise à pied conservatoire :

Le licenciement étant dénué de cause réelle et sérieuse, la mise à pied à titre conservatoire est elle-même injustifiée de sorte que M. [W] est bien fondé à en solliciter le paiement de son salaire sur cette période.

M. [W] a été mis à pied du 15 octobre au 30 octobre 2018, date de licenciement.

Au regard du salaire brut de base applicable au cours de ce mois, la créance de salaire de M. [W] sur cette période s'élève à 1042,53 euros bruts.

La société Coved est condamnée à payer à M. [W] la somme de 1 042,53 euros à ce titre outre 104,25 euros de congés payés afférents.

Le jugement entrepris sera infirmé de ce chef.

Sur l'indemnité compensatrice de préavis :

Selon l'article L1234-1 : Lorsque le licenciement n'est pas motivé par une faute grave, le salarié a droit :

1° S'il justifie chez le même employeur d'une ancienneté de services continus inférieure à six mois, à un préavis dont la durée est déterminée par la loi, la convention ou l'accord collectif de travail ou, à défaut, par les usages pratiqués dans la localité et la profession ;

2° S'il justifie chez le même employeur d'une ancienneté de services continus comprise entre six mois et moins de deux ans, à un préavis d'un mois ;

3° S'il justifie chez le même employeur d'une ancienneté de services continus d'au moins deux ans, à un préavis de deux mois.

Toutefois, les dispositions des 2° et 3° ne sont applicables que si la loi, la convention ou l'accord collectif de travail, le contrat de travail ou les usages ne prévoient pas un préavis ou une condition d'ancienneté de services plus favorable pour le salarié.

L'indemnité due au salarié pendant la durée du préavis est égale au salaire brut que le salarié aurait reçu s'il avait travaillé pendant la durée du délai-congé.

Au regard de son ancienneté, M. [W] était soumis à un délai de préavis de deux mois.

En l'espèce, les heures supplémentaires n'étant pas un élément constant de la rémunération, elles n'ont pas à être prises en compte pour déterminer le salaire que le salarié aurait reçu s'il avait travaillé pendant la durée du délai-congé. Il convient en revanche de tenir compte de la prime de 13ème mois. Au regard de ces éléments, le salaire auquel pouvait prétendre M. [W] pendant la durée du préavis s'élève en conséquence à 2 151,38 euros bruts.

L'indemnité compensatrice de préavis qui lui est due s'élève à 4 302,76 euros bruts et 430,27 euros de congés payés afférents.

Le jugement sera infirmé en son quantum.

Sur l'indemnité de licenciement :

En vertu de l'article L1234-9 du code du travail, le salarié titulaire d'un contrat de travail à durée indéterminée, licencié alors qu'il compte 8 mois d'ancienneté ininterrompus au service du même employeur, a droit, sauf en cas de faute grave, à une indemnité de licenciement.

Les modalités de calcul de cette indemnité sont fonction de la rémunération brute dont le salarié bénéficiait antérieurement à la rupture du contrat de travail. Ce taux et ces modalités sont déterminés par voie réglementaire.

L'article R1234-2 prévoit que l'indemnité de licenciement ne peut être inférieure aux montants suivants :

1° Un quart de mois de salaire par année d'ancienneté pour les années jusqu'à dix ans ;

2° Un tiers de mois de salaire par année d'ancienneté pour les années à partir de dix ans.

Selon l'article R1234-4, le salaire à prendre en considération pour le calcul de l'indemnité de licenciement est, selon la formule la plus avantageuse pour le salarié :

1° Soit la moyenne mensuelle des douze derniers mois précédant le licenciement, ou lorsque la durée de service du salarié est inférieure à douze mois, la moyenne mensuelle de la rémunération de l'ensemble des mois précédant le licenciement ;

2° Soit le tiers des trois derniers mois. Dans ce cas, toute prime ou gratification de caractère annuel ou exceptionnel, versée au salarié pendant cette période, n'est prise en compte que dans la limite d'un montant calculé à due proportion.

Au regard de ces éléments, M. [W] qui justifie d'une ancienneté de 19 ans et sept mois, d'un salaire des trois derniers mois de 2 146,29 euros bruts, a droit à une indemnité de licenciement de 19 373,83 euros.

Le jugement sera infirmé en son quantum.

Sur l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse :

Selon l'article L1235-3 du code du travail, Si le licenciement d'un salarié survient pour une cause qui n'est pas réelle et sérieuse, le juge peut proposer la réintégration du salarié dans l'entreprise, avec maintien de ses avantages acquis.

Si l'une ou l'autre des parties refuse cette réintégration, le juge octroie au salarié une indemnité à la charge de l'employeur, dont le montant est compris entre les montants minimaux et maximaux fixés pour une ancienneté de 11 années entre 3 et 15 mois de salaire.

Sous réserve des cas où est en cause un traité international pour lequel la Cour de justice de l'Union européenne dispose d'une compétence exclusive pour déterminer s'il est d'effet direct, les stipulations d'un traité international, régulièrement introduit dans l'ordre juridique interne conformément à l'article 55 de la Constitution, sont d'effet direct dès lors qu'elles créent des droits dont les particuliers peuvent se prévaloir et que, eu égard à l'intention exprimée des parties et à l'économie générale du traité invoqué, ainsi qu'à son contenu et à ses termes, elles n'ont pas pour objet exclusif de régir les relations entre Etats et ne requièrent l'intervention d'aucun acte complémentaire pour produire des effets à l'égard des particuliers.

Les dispositions de la Charte sociale européenne selon lesquelles les Etats contractants ont entendu reconnaître des principes et des objectifs poursuivis par tous les moyens utiles, dont la mise en oeuvre nécessite qu'ils prennent des actes complémentaires d'application et dont ils ont réservé le contrôle au seul système spécifique visé par la partie IV, ne sont pas d'effet direct en droit interne dans un litige entre particuliers.

L'invocation de son article 24 ne peut dès lors pas conduire à écarter l'application des dispositions de l'article L. 1235-3 du code du travail, dans leur rédaction issue de l'ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017.

Les stipulations de l'article 10 de la Convention n° 158 de l'Organisation internationale du travail ( OIT ), qui créent des droits dont les particuliers peuvent se prévaloir à l'encontre d'autres particuliers et qui, eu égard à l'intention exprimée des parties et à l'économie générale de la convention, ainsi qu'à son contenu et à ses termes, n'ont pas pour objet exclusif de régir les relations entre Etats et ne requièrent l'intervention d'aucun acte complémentaire, sont d'effet direct en droit interne.

Aux termes de l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, la loi doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse.

Les dispositions des articles L. 1235-3, L. 1235-3-1 et L. 1235-4 du code du travail, dans leur rédaction issue de l'ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017, qui permettent raisonnablement l'indemnisation de la perte injustifiée de l'emploi et assurent le caractère dissuasif des sommes mises à la charge de l'employeur, sont de nature à permettre le versement d'une indemnité adéquate ou une réparation considérée comme appropriée au sens de l'article 10 de la Convention n° 158 de l'Organisation Internationale du Travail (OIT).

Il en résulte que les dispositions de l'article L. 1235-3 du code du travail sont compatibles avec les stipulations de l'article 10 de la Convention précitée.

Après une formation, M. [W] a obtenu le diplôme du CACES le 5 juillet 2019.

Il a également suivi une formation en informatique du 14 février 2019 au 25 octobre 2019 et a travaille dans le cadre de contrats de travail précaires avant de faire valoir ses droits à la retraite depuis le 1er octobre 2022, tout en poursuivant une activité professionnelle du 17 novembre 2022 au 22 novembre 2022 et du 3 janvier 2023 au 11 janvier 2023.

Au regard de son âge au jour du licenciement, de son salaire mensuel brut de 2 151 euros, de sa formation et de sa capacité à retrouver un emploi le préjudice subi par M. [W] du fait de son licenciement sans cause réelle et sérieuse sera réparé par l'allocation de la somme de 32 000 euros bruts.

Le jugement sera infirmé en son quantum.

Sur les intérêts et leur capitalisation :

Ces sommes porteront intérêts de droit à compter de l'introduction de l'instance pour celles ayant le caractère de salaire, et à compter de la décision à intervenir pour les créances de nature indemnitaire.

Il convient de juger que les intérêts se capitaliseront en application de l'article 1343-2 du code civil.

Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile :

La société Coved est condamnée aux dépens et au paiement de la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS :

LA COUR,

Statuant publiquement, contradictoirement, par arrêt mis à la disposition des parties au greffe,

Confirme le jugement sauf en ce qu'il a rejeté la demande de rappel de salaire du 1er au 14 octobre 2018 et sur les montants des indemnités et rappels de salaire,

L'infirme de ces chefs,

statuant à nouveau,

Condamne la société Coved à payer à M. [W] les sommes de :

- 1 154,22 euros bruts de rappel de salaire sur la période du 1er au 14 octobre 2018,

- 115,42 euros de congés payés afférents,

- 1042,53 euros de rappel de salaire sur mise à pied,

- 104,25 euros de congés payés afférents,

- 4 302,76 euros bruts à titre d'indemnité compensatrice de préavis,

- 430,27 euros de congés payés afférents,

- 19 373,83 euros à titre d'indemnité de licenciement,

- 32 000 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

avec intérêts de droit à compter de l'introduction de l'instance pour celles ayant le caractère de salaire, et à compter de la décision à intervenir pour les créances de nature indemnitaire

Ordonne la capitalisation des intérêts échus sur une année entière,

Condamne la société Coved à payer à M. [W] la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne la société Coved aux dépens d'appel.

LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT.


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Rennes
Formation : 8ème ch prud'homale
Numéro d'arrêt : 21/01608
Date de la décision : 17/04/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 23/04/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-04-17;21.01608 ?
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