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17/04/2024 | FRANCE | N°21/01580

France | France, Cour d'appel de Rennes, 8ème ch prud'homale, 17 avril 2024, 21/01580


8ème Ch Prud'homale





ARRÊT N°126



N° RG 21/01580 -

N° Portalis DBVL-V-B7F-RNUA













Mme [W] [B]



C/



S.A.R.L. MANJUSHRII

















Infirmation partielle













Copie exécutoire délivrée

le :



à :

-Me Samir LAABOUKI

-Me Laurent LE BRUN





RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

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COUR D'APPEL DE RENNES

ARRÊT DU 17 AVRIL 2024





COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :



Madame Nadège BOSSARD, Présidente,

Monsieur Philippe BELLOIR, Conseiller,

Madame Anne-Cécile MERIC, Conseillère,



GREFFIER :



Monsieur Philippe RENAULT, lors des débats et lors du prononcé







DÉBA...

8ème Ch Prud'homale

ARRÊT N°126

N° RG 21/01580 -

N° Portalis DBVL-V-B7F-RNUA

Mme [W] [B]

C/

S.A.R.L. MANJUSHRII

Infirmation partielle

Copie exécutoire délivrée

le :

à :

-Me Samir LAABOUKI

-Me Laurent LE BRUN

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE RENNES

ARRÊT DU 17 AVRIL 2024

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :

Madame Nadège BOSSARD, Présidente,

Monsieur Philippe BELLOIR, Conseiller,

Madame Anne-Cécile MERIC, Conseillère,

GREFFIER :

Monsieur Philippe RENAULT, lors des débats et lors du prononcé

DÉBATS :

A l'audience publique du 22 Février 2024

En présence de Madame [U] [I], médiatrice judiciaire,

ARRÊT :

Contradictoire, prononcé publiquement le 17 Avril 2024 par mise à disposition au greffe comme indiqué à l'issue des débats

****

APPELANTE :

Madame [W] [B]

née le 1er Mars 1990 à [Localité 4] (INDE)

demeurant [Adresse 2]

[Localité 3]

Représentée par Me Samir LAABOUKI, Avocat au Barreau de NANTES

INTIMÉE :

La S.A.R.L. MANJUSHRII prise en la personne de son représentant légal et ayant son siège social :

[Adresse 1]

[Localité 3]

Représentée par Me Laurent LE BRUN de la SCP CALVAR & ASSOCIES, Avocat du Barreau de NANTES

Madame [B] a été embauchée au sein de la SARL MANJUSHRII par contrat à durée déterminée (CDD) pour la période du 28 février 2019 au 30 juin 2019 en qualité de serveuse, puis par un second CDD du 1er au 31 juillet 2019.

Suivant jugement en date du 30 septembre 2021, le Conseil de Prud'hommes de Nantes a requalifié lesdits contrats de travail en un contrat à durée indéterminée.

Suivant contrat de travail à durée indéterminée en date du 1er octobre 2019, Mme [B] occupait à nouveau le poste de serveuse, niveau 1, échelon 1 de la Convention collective des Hôtels, Cafés et Restaurants.

Le 31 août 2020, Mme [B] a pris acte de la rupture de son contrat de travail, invoquant notamment une prestation traiteur pour un mariage, intervenue deux jours plus tôt, au cours de laquelle son responsable M. [E] lui aurait saboté la découpe de la pièce montée.

Le 4 septembre 2020, à l'issue d'une réunion avec ses supérieurs, Mme [B] a signé un document où elle acceptait un 'licenciement amiable'.

Le 7 septembre 2020, elle a réaffirmé ne plus vouloir travailler pour la SARL MANJUSHRII.

Elle a ensuite cessé de se présenter à son poste de travail.

Le 21 septembre 2020, elle a mis en demeure son employeur de résoudre à l'amiable leur différend.

Elle aurait ensuite réclamé une indemnité transactionnelle sur laquelle les parties ne se seraient pas entendues.

La cour est saisie de l'appel interjeté par Mme [B] le 10 mars 2023 contre le jugement du 18 février 2021, par lequel le Conseil de prud'hommes de Nantes a :

' Débouté Mme [B] de l'ensemble de ses demandes,

' Condamné Mme [B] à payer à la SARL MANJUSHRII les sommes suivantes :

- 1.184 € à titre d'indemnité pour non exécution du préavis,

- 1 € symbolique au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

' Dit que chacune des parties conserverait la charge de ses propres dépens.

Vu les écritures notifiées par voie électronique le 7 septembre 2023 suivant lesquelles Mme [B] demande à la cour de :

' Recevoir Mme [B] en son appel,

' Le déclarer bien recevable et bien fondé,

' Infirmer le jugement dont appel en ce qu'il a :

- débouté Mme [B] de l'ensemble de ses demandes,

- condamné Mme [B] à payer à la SARL MANJUSHRII les sommes suivantes :

- 1.184 € à titre d'indemnité pour non exécution du préavis,

- 1 € symbolique au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Statuant à nouveau,

' Juger que Mme [B] a été victime d'actes de harcèlement,

' Juger que la prise d'acte de Mme [B] en date du 31 août 2020 doit produire les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse,

' Condamner la SARL MANJUSHRII à verser à Mme [B] les sommes suivantes :

- 1.735,48 € nets pour remise tardive des bulletins de salaire,

- 20.825,76 € nets de dommages et intérêts pour harcèlement,

- 10.412,88 € nets au titre du travail dissimulé,

- 1.735,48 € bruts au titre de l'indemnité de préavis,

- 173,54 € bruts au titre des congés payés sur préavis,

- 650,81 € nets au titre de l'indemnité légale de licenciement,

- 1.006,66 € bruts au titre de l'indemnité compensatrice de congés payés,

- 5.206,44 € nets, à titre principal, à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

- 867,74 € nets, à titre subsidiaire, à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

- 2.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- dépens,

' Assortir lesdites sommes de l'intérêt légal outre le bénéfice de l'anatocisme (art. 1231-7 et 1343-2 du code civil dans leur rédaction issue de l'ordonnance du 10 février 2016),

' Ordonner la remise des bulletins de salaire de Mme [B] pour la période du 1er octobre 2019 au 31 août 2020 date de sa prise d'acte, sous astreinte de 150 € par jour de retard à compter de la notification de la décision à intervenir,

' Ordonner la remise des documents de fin de contrat rectifiés, sous astreinte de 100 € par jour de retard à compter de la notification de la décision à intervenir,

' Fixer le salaire mensuel brut de référence à hauteur de 1.735,48 €.

Vu les écritures notifiées par voie électronique le 9 septembre 2021, suivant lesquelles la SARL MANJUSHRII demande à la cour de :

' Confirmer le jugement du Conseil de prud'hommes de Nantes du 18 février 2021 en toutes ses dispositions,

' Débouter Mme [B] de l'ensemble de ses demandes fins et conclusions,

' Condamner Mme [B] à payer à la SARL MANJUSHRII la somme de 3.000 € sur les fondements des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

' Condamner Mme [B] en tous les dépens.

L'ordonnance de clôture a été prononcée le 8 février 2024.

Par application de l'article 455 du code de procédure civile, la cour se réfère, pour un plus ample exposé des prétentions et des moyens des parties aux conclusions susvisées.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur les dommages et intérêts pour harcèlement moral

Mme [B] affirme avoir subi :

- la fourniture tardive des plannings et des modifications permanentes de ces derniers,

- une absence de fourniture du matériel nécessaire (papier toilette, bloc- notes, torchons, balais...)

- un sabotage régulier de son travail, et notamment avoir été forcée de servir des plats aux clients dont la viande était tombée par terre, ou encore mentir sur la composition des plats,

- un espionnage et des insultes sur son lieu de travail,

- des faits lors de la prestation du 29 août 2020, relatifs à la découpe de la pièce montée, ou encore des remarques déplacées sur le couple de la salariée,

- des faits lors de la réunion du 4 septembre 2020, et notamment des invectives devant les autres salariés, et une signature forcée d'une rupture conventionnelle.

L'employeur conteste tout harcèlement moral à l'encontre du salarié.

Selon l'article L.1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

En vertu de l'article L.1154-1 du code du travail, lorsque survient un litige relatif à l'application des articles L. 1152-1 à L. 1152-3 et L. 1153-1 à L. 1153-4, le candidat à un emploi, à un stage ou à une période de formation en entreprise ou le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'un harcèlement.

Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.

Mme [B] verse aux débats notamment :

- le contrat de travail à durée indéterminée du 1er octobre 2019 ;

- les plannings hebdomadaires dont il ressort que la plupart sont communiqués entre cinq et deux jours en avance, et deux d'entre eux envoyés la veille pour la semaine à venir ;

- l'attestation de M. [H] [Z], époux de l'appelante, du 4 janvier 2021 ;

- l'attestation de M. [S] [A], cuisinier au restaurant 'WANDI', du 27 septembre 2020 ;

- un message de Mme [B] envoyé le 17 juillet 2020 à M. [T] [E] relatif aux fournitures manquantes au sein du restaurant ;

- un message de M. [T] [E] à Mme [B] du 21 octobre 2019 ;

- l'attestation de Monsieur [Y] [C] du 30 octobre 2020 ;

- un mail de Mme [B] à M. [T] [E] du 2 septembre 2020 ;

- l'attestation de M. [F] [E] du 14 juin 2021 ;

- l'attestation de M. [M] [K] du 14 juin 2021.

Il ressort des déclarations de la salariée, corroborées par l'attestation de M. [E] et la capture d'écran des horaires de travail communiqués par SMS que les plannings hebdomadaires étaient envoyés tardivement, et systématiquement dans un délai inférieur à sept jours, en violation de l'article 6 du contrat de travail à durée indéterminée de la salariée, en date du 1er octobre 2019.

Il est établi par deux attestations de M. [K] et [E] et un message envoyé par la salariée à son employeur le 17 juillet 2020 que les fournitures de matériel nécessaire étaient manquantes, nécessitant, à plusieurs reprises, que les salariés effectuent eux-mêmes les achats, sans remboursement de la part du restaurant.

Concernant les faits de sabotage du travail de la salariée, il ressort de l'attestation de [F] [E] que ' les aliments étaient entreposés par terre, et les cafards y faisaient des nids. M. [T] [E] reprenait la viande pleine de cafards et après les y avoir enlevé la servait aux clients. Lorsque les clients trouvaient des cafards dans leurs plats, M. [T] [E] envoyait mme [B] pour s'en excuser auprès de clients, ce qui l'humiliait'.

Les faits sont également corroborés par les déclarations de M. [M] [K], qui expose que 'M. [T] [E] ne fournissait pas le matériel nécessaire pour l'exécution de notre travail. M. [F] [E] et Mme [B] ont dû apporter des draps de chez eux pour essuyer la vaisselle car le lave-vaisselle était hors d'usage et qu'il n'y avait pas de torchons. M. [T] [E] m'indiquait ainsi [...] que Mme [B] prenait de mauvais commandes et était totalement incompétente. M. [E] disait que Mme [B] ne savait pas écrire. Lorsque le restaurant était plein, il passait lui-même des commandes en criant sans les noter sur un papier et sans indiquer pour quelle table la commande était passée, ce qui mettait en difficulté Mme [B] qui devait ensuite apporter les commandes aux clients sans savoir lesquels avaient passé commande'.

Il ressort également des deux attestations précédemment citées que M. [T] [E] demandait régulièrement à ses cuisiniers d'aller, durant le service, acheter des aliments manquants avec l'argent issu des pourboires que Mme [B] percevait ou du fonds de caisse, ce qui lui causait notamment des difficultés lorsqu'elle devait rendre la monnaie aux clients.

Concernant les faits d'espionnage, il ressort des déclarations de la salariée et de l'attestation de M. [F] [E] du 14 juin 2021 que, dès le début de son contrat à durée indéterminée, M. [T] [E], gérant de la SARL, prétendait quitter le restaurant alors qu'il se cachait à proximité pour espionner ses salariés durant le service, le message envoyé par M. [E] à Mme [B] en date du 21 octobre 2019, dans lequel il lui est demandé de changer la couleur des diodes du plafond du restaurant.

Il ressort aussi de l'attestation de M. [H] [Z] du 4 janvier 2021 que M. [E] a suivi Mme [B] jusqu'au domicile de l'un de ses collègues, M. [S] [A], se positionnant 'en bas de la rue' et regardant ses deux salariés et M. [Z], mari de Mme [B] 'avec défi'.

Concernant les faits du 29 août 2020, si Mme [B] a pu se sentir en difficulté dans la découpe de la pièce montée, il n'est pas établi par les éléments de faits rapportés par les différents témoignages que cette demande de son employeur relevait d'un exercice anormal de son pouvoir de direction, ni même qu'il s'agissait d'une volonté délibérée de son employeur de l'humilier.

Toutefois, au delà de l'épisode relaté de la découpe de la pièce montée, il ressort des attestations produites que son employeur a eu un comportement déplacé à son encontre, et déjà réitéré par le passé, en lui faisant des remarques désobligeantes sur le couple qu'elle forme avec son époux, de nationalité française, telles que 'Avec tous les hommes qu'il y a ici ce soir, tu devrais pouvoir passer la nuit ici sans ton mari'. Cette animosité envers l'époux de la salariée est également relevé par les attestations des deux salariés, qui exposent que le gérant n'appréciait pas que sa salariée soit mariée à une personne n'ayant pas d'origine indienne.

Il ressort de l'attestation de M. [S] [A] en date du 27 septembre 2020 que, dans le cadre de la réunion du vendredi 4 septembre 2020 à dix heures, organisée par la direction et regroupant l'ensemble du personnel afin de revenir sur le déroulement de la prestation réalisée le 29 août 2020 ainsi que sur les conditions de travail des salariés, M. [E] et son associé 'ont insulté A. [B] sur sa condition de serveuse'. Ce témoignage corrobore ainsi les déclarations de la salariée selon lesquelles M. [N] l'a pointée du doigt en la qualifiant, devant les autres salariés, de 'serveuse minable qui n'a d'autres droits que de servir et de se taire.

Il est également établi le même jour par les attestations de M. [A] et [K] que M. [N] lui a précisé que, n'étant pas déléguée du personnel, elle n'avait pas la possibilité de parler aux noms des salariés.

Il ressort enfin de l'ensemble des attestations produites par la salariée que cette dernière a fait l'objet de dénigrements réguliers durant la relation de travail, notamment du témoignage de M. [F] [E], qui indique avoir entendu leur employeur dire qu'elle n'était qu'une 'servante'. Plusieurs témoignages relatent encore des gestes violents, sinon déplacés à son encontre, tels que le fait de jeter les feuilles personnelles de prise de commande de Mme [B] à la poubelle.

Ces éléments de fait, pris dans leur ensemble, laissent supposer l'existence d'un harcèlement.

Il incombe à l'employeur de démontrer que ses décisions reposent sur des justifications objectives étrangères à tout harcèlement moral.

Si l'employeur produit, en première page de sa pièce n°5, une photographie des plannings hebdomadaires affichés au mur, il ne peut en être déduit que la pratique de l'affichage des plannings existait déjà lorsque Mme [B] était salariée du restaurant en ce qu'il ressort de ladite photographie que ces plannings concernent des semaines de travail postérieures au départ de Mme [B] (semaines du 5 octobre 2020 au 31 novembre 2020 et semaines du 1er octobre 2020 au 31 décembre 2020).

Afin que ne soit pas porté crédit aux déclarations de Mme [B] relatives aux dénigrements et propos déplacés, l'employeur produit six attestations de salariés concordantes pour décrire un employeur respectueux de ses salariés. Toutefois, ces attestations ne permettent pas d'apporter la preuve contraire aux propos circonstanciés, précis et réitérés des salariés ayant corroboré les déclarations initiales de Mme [B].

Concernant les attestations produites par la salariée, c'est à tort que l'employeur jette le discrédit sur leur valeur probante motif pris que les salariés ayant témoigné ont tous agi devant le conseil des prud'hommes. De même, il est inopérant de rappeler que l'une des attestations provient de l'époux de Mme [B], qui ne s'en cache à aucun moment lors de la procédure, allant jusqu'à produire son livret de famille.

Il résulte de l'ensemble de ces éléments que les faits de harcèlement moral sont établis en ce que les agissements sont répétés, et qu'ils ont eu pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

L'employeur n'apportant aucune justification objective à chacune de ses décisions, la cour a la conviction que Mme [B] a subi des faits de harcèlement moral.

Il sera fait droit à la demande indemnitaire de Mme [B] à ce titre à hauteur de 5.000 euros.

Le jugement entrepris sera infirmé en ce qu'il a rejeté la demande indemnitaire pour harcèlement moral.

Sur les dommages et intérêts pour travail dissimulé

L'article L.8221-1 du code du travail prohibe le travail totalement ou partiellement dissimulé défini par l'article L.8221-3 du même code relatif à la dissimulation d'activité ou exercé dans les conditions de l'article L.8221-5 du même code relatif à la dissimulation d'emploi salarié.

Aux termes de l'article L.8223-1 du code du travail, le salarié auquel l'employeur a recours dans les conditions de l'article L.8221-3 ou en commettant les faits prévus à l'article L.8221-5 du même code relatifs au travail dissimulé a droit, en cas de rupture de la relation de travail, à une indemnité forfaitaire égale à six mois de salaire.

Selon l'article L.8221-5 du même code en sa rédaction applicable au présent litige, est réputé travail dissimulé par dissimulation d'emploi salarié le fait pour tout employeur :

1° Soit de se soustraire intentionnellement à l'accomplissement de la formalité prévue à l'article L.1221-10, relatif à la déclaration préalable à l'embauche ;

2° Soit de se soustraire intentionnellement à l'accomplissement de la formalité prévue à l'article L.3243-2, relatif à la délivrance d'un bulletin de paie, ou de mentionner sur ce dernier un nombre d'heures de travail inférieur à celui réellement accompli, si cette mention ne résulte pas d'une convention ou d'un accord collectif d'aménagement du temps de travail conclu en application du titre II du livre Ier de la troisième partie ;

3° Soit de se soustraire intentionnellement aux déclarations relatives aux salaires ou aux cotisations sociales assises sur ceux-ci auprès des organismes de recouvrement des contributions et cotisations sociales ou de l'administration fiscale en vertu des dispositions légales.

En l'espèce, il ne ressort pas des pièces de la procédure que Mme [B] a effectué des heures supplémentaires non rémunérées.

Si Mme [B] justifie d'une alerte de sa part auprès de son employeur effectuée par mail le 2 décembre 2019 et concernant la réalisation d'heures supplémentaires, la salariée ne vise aucune autre pièce de nature à caractériser plus précisément une intention, de la part de l'employeur, de se soustraire aux dispositions légales relatives à l'organisation de son travail.

Dans ces circonstances, l'élément intentionnel de l'infraction de travail dissimulé ne résulte d'aucune pièce au dossier et ne peut être déduit du seul fait que l'employeur n'a pas mis en 'uvre des mesures particulières de suivi de la charge de travail au cours de l'exécution du contrat de travail.

L'infraction de travail dissimulé n'est donc pas caractérisée au sens des dispositions légales précitées.

Il sera ajouté au jugement entrepris à ce titre.

Sur les dommages et intérêts pour remise tardive de bulletins de salaire

En vertu de l'article L. 3243-2 du code du travail, 'Lors du paiement du salaire, l'employeur remet aux personnes mentionnées à l'article L. 3243-1 une pièce justificative dite bulletin de paie. Il ne peut exiger aucune formalité de signature ou d'émargement autre que celle établissant que la somme reçue correspond bien au montant net figurant sur ce bulletin.

Sauf opposition du salarié, l'employeur peut procéder à la remise du bulletin de paie sous forme électronique, dans des conditions de nature à garantir l'intégrité, la disponibilité pendant une durée fixée par décret et la confidentialité des données ainsi que leur accessibilité dans le cadre du service associé au compte mentionné au 2° du II de l'article L. 5151-6. Un décret en Conseil d'Etat pris après avis de la Commission nationale de l'informatique et des libertés détermine les modalités de cette accessibilité afin de préserver la confidentialité des données.'

La remise irrégulière ou tardive des bulletins de salaire cause un préjudice au salarié qu'il appartient au juge de réparer par l'octroi de dommages et intérêts.

En l'espèce, si l'employeur produit les bulletins de salaire de Mme [B] en procédure, il ressort toutefois des échanges de mails versés par Mme [B] que ses bulletins de salaire lui ont été remis tardivement à de nombreuses reprises ou dans des formats non exploitables par elle.

Il est enfin établi par lesdits échanges de mails que les difficultés de ce fait ont perduré tout au long de la relation contractuelle, et que la salariée en a informé son employeur à de nombreuses occasions.

La Cour condamne la société MANJUSHRII à verser à Mme [B] la somme de 500 euros à ce titre ainsi qu'à lui remettre les bulletins de salaire, pour la période du 1er octobre 2019 au 31 août 2020, sans qu'il soit besoin d'assortir cette condamnation d'une astreinte.

Le jugement entrepris sera infirmé à ces titres.

Sur la rupture du contrat :

Pour infirmation du jugement à ce titre, et au soutien de sa demande, Mme [B] expose avoir pris acte de la rupture de son contrat de travail en raison des faits de harcèlement moral dont elle a été victime. Elle soutient que la prise d'acte était non équivoque et résultait de l'envoi du courriel en date du 31 août 2020.

Pour confirmation, l'employeur fait valoir qu'il n'y a pas eu de prise d'acte en ce qu'il n'a pas été averti de la volonté de la salariée de rompre le contrat de travail, qui lui a fait part de son mécontentement et de son absence, en conséquence, la semaine suivant cet envoi.

Il convient de rappeler que la prise d'acte permet au salarié de rompre le contrat de travail en cas de manquement suffisamment grave de l'employeur empêchant la poursuite du contrat de travail.

Il est admis que la date de prise d'effet de la rupture est la date d'envoi de la prise d'acte.

Lorsqu'un salarié prend acte de la rupture de son contrat de travail en raison de faits qu'il reproche à son employeur, cette rupture produit les effets soit d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse si les faits invoqués la justifiaient, soit d'un licenciement nul si les manquements reprochés à l'employeur sont de nature à entraîner la nullité du licenciement, soit dans le cas contraire, d'une démission.

C'est au salarié qu'il incombe de rapporter la preuve des faits qu'il reproche à son employeur.

Le salarié doit nécessairement informer l'employeur de sa démarche. Il ne peut se contenter de cesser le travail sans évoquer aucun motif et saisir le conseil de prud'hommes pour voir juger que la rupture intervenue est imputable à l'attitude fautive de l'employeur. L'avertissement préalable de l'employeur est indispensable.

Il ne ressort en l'espèce pas du courriel du 31 août 2020 que Mme [B] a informé son employeur qu'elle mettait fin à son contrat de travail en ce qu'il est ainsi rédigé : 'Pour conclure je refuse d'être traitée de la sorte au travail, je me sens humiliée, mes droits ont été violés en conséquence je ne me présenterai pas à mon poste cette semaine'.

Il ressort également de son courrier de mise en demeure du 21 septembre 2020 qu'elle sollicitait la résolution amiable de leur différend et qu'à défaut elle se tournerait vers le conseil des prud'hommes en vu d'une résiliation judiciaire de son contrat de travail.

Si la prise d`acte n'est soumise à aucun formalisme, elle doit cependant être adressée directement à l'employeur et elle ne se déduit pas de la saisine du conseil de prud'hommes. Il ressort des échanges de mails intervenus postérieurement au mail du 31 août 2020 que l'employeur de Mme [B] a cherché à connaître ses intentions et qu'a été discutée une indemnité de rupture conventionnelle entre eux, à la suite de la signature, le 4 septembre 2020, d'un engagement réciproque à 'démarrer une procédure de licenciement à l'amiable' à compter de la signature dédit engagement.

Il est établi que les deux parties ont continué d'échanger au mois de septembre 2020 sur les modalités d'une rupture conventionnelle.

Le courriel du 31 août 2020 ne vaut pas prise d'acte.

Le 7 septembre 2020, Mme [B] a réaffirmé ne plus vouloir travailler pour la SARL MANJUSHRII.

Il ressort de ce qui précède que la rupture du contrat de travail s'analyse en une démission. Mme [B] est dès lors déboutée de toutes ses demandes découlant de la rupture.

Il ne sera par conséquent pas fait droit à la demande de la salariée de remise des documents de fin de contrat rectifiés, sous astreinte de 100 euros par jour de retard à compter de la notification de la présente décision, conformément au jugement entrepris.

Sur la demande au titre du préavis non exécuté

Lorsque le salarié démissionnaire n'effectue pas le préavis auquel il est tenu, le salarié est tenu de verser à l'employeur le montant de l'indemnité compensatrice de préavis.

Il y a lieu de faire droit à la demande de la SARL MANJUSHRII au titre de la non exécution du préavis.

En conséquence, et conformément au jugement entrepris, la Cour condamne Mme [B] à verser à la SARL MANJUSHRII la somme de 1 184 € à titre d'indemnité pour non exécution du préavis.

Sur les conséquences financières de la rupture

Compte tenu de ce qui précède, Mme [B] sera déboutée de ses demandes de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, indemnité de préavis et indemnité de licenciement, conformément au jugement entrepris.

Sur l'indemnité compensatrice de congés payés

L'article L.3141-1 du Code du travail dispose que tout salarié a droit chaque année à un congé payé à la charge de l'employeur.

L'article L.3141-24 du Code du travail prévoit que le congé annuel ouvre droit à une indemnité égale à un dixième de la rémunération brute totale perçue par le salarié au cours de la période de référence.

En cas de démission, les congés payés non pris sont payés au salarié sous la forme d'une indemnité compensatrice.

Il ressort du bulletin de paie de Mme [B] du mois d'août 2020, qu'elle avait acquis 20 jours de congés au titre de l'année N-1 et 7,5 jours au titre de l'année N, soit un total de 27,5 jours de congés payés au cours de deux périodes de référence précédentes qu'il appartiendra dès lors à la société de solder.

Il est établi à la lecture du solde de tout compte adressé à Mme [B] que seulement 13,05 € bruts lui ont été versés au titre de l'indemnité compensatrice de congés payés.

Dès lors, Mme [B] est fondée à solliciter le rappel d'indemnité compensatrice de congés payés.

Le jugement sera infirmé sur ce point et la société sera condamnée à verser à la salariée la somme de 1.006,66 euros bruts à ce titre.

Sur l'anatocisme

En application de l'article 1343-2 du code civil, la capitalisation des intérêts est de droit dès lors qu'elle est régulièrement demandée ; il sera donc fait droit à cette demande du salarié.

Sur les dépens et les frais irrépétibles

Il y a lieu d'infirmer le jugement en ses dispositions relatives aux dépens et aux frais irrépétibles.

En application de l'article 696 du code de procédure civile, la SARL MANJUSHRII partie partiellement perdante, sera condamné aux dépens d'appel et de première instance.

Condamnée aux dépens, elle sera déboutée de sa demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile.

L'équité commande en revanche de la condamner, sur ce même fondement juridique, à payer à la salariée une indemnité d'un montant de 1.500 € au titre des frais irrépétibles exposés en cause d'appel et de première instance.

PAR CES MOTIFS

LA COUR,

Statuant publiquement, par arrêt contradictoire mis à la disposition des parties au greffe,

DÉBOUTE Mme [B] de sa demande à titre de dommages et intérêts pour travail dissimulé,

CONFIRME le jugement entrepris sauf en ce qu'il a :

- débouté Mme [B] de sa demande de condamnation de l'employeur au paiement de dommages et intérêts au titre du harcèlement moral,

- débouté Mme [B] de sa demande de dommages et intérêts au titre de la remise tardive des bulletins de salaire,

- débouté Mme [B] de sa demande de remise des bulletins de salaire,

- dit que chacune des parties conservera la charge de ses propres dépens,

-condamné Mme [B] au paiement de la somme de 1 euro symbolique au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

L'infirme de ces chefs,

Statuant à nouveau de ces seuls chefs infirmés et y ajoutant :

REQUALIFIE la rupture du contrat de travail de Mme [B] en démission,

DÉBOUTE Mme [B] de toutes ses demandes financières consécutives ;

DIT que les faits de harcèlement moral sont caractérisés ;

CONDAMNE la SARL MANJUSHRII à payer à Mme [W] [B] les sommes suivantes :

- 5.000 euros nets à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral ;

- 500 euros nets à titre de dommages et intérêts pour non remise ou remise tardive des bulletins de salaire ;

- 1.006,66 euros bruts à titre d'indemnité compensatrice de congés payés ;

ORDONNE la remise des bulletins de salaire de Madame [B] pour la période du 1er octobre 2019 au 31 août 2020 ;

RAPPELLE qu'en application de l'article 1231-6 du code civil les sommes de nature salariale porteront intérêts au taux légal à compter de la date de la réception par l'employeur de sa convocation devant le bureau de conciliation et que les autres sommes à caractère indemnitaire, en application de l'article 1231-7 du code civil, porteront intérêts au taux légal à compter de la décision qui les prononce ;

ORDONNE la capitalisation des intérêts ;

CONDAMNE la société MANJUSHRII à verser à Madame [B] la somme de 1.500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel et de première instance ;

DÉBOUTE la société MANJUSHRII de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

CONDAMNE la société MANJUSHRII aux entiers dépens de première instance et d'appel.

LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT.


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Rennes
Formation : 8ème ch prud'homale
Numéro d'arrêt : 21/01580
Date de la décision : 17/04/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 23/04/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-04-17;21.01580 ?
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