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17/04/2024 | FRANCE | N°21/00778

France | France, Cour d'appel de Rennes, 8ème ch prud'homale, 17 avril 2024, 21/00778


8ème Ch Prud'homale





ARRÊT N°119



N° RG 21/00778 -

N° Portalis DBVL-V-B7F-RKIO













M. [K] [N]



C/



S.A.S. UFIFRANCE PATRIMOINE

















Infirmation partielle













Copie exécutoire délivrée

le :



à :

-Me Bertrand NAUX

-Me Cécile FORNIER





RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS>


COUR D'APPEL DE RENNES

ARRÊT DU 17 AVRIL 2024





COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :



Madame Nadège BOSSARD, Présidente,

Monsieur Philippe BELLOIR, Conseiller,

Madame Anne-Cécile MERIC, Conseillère,



GREFFIER :



Monsieur Philippe RENAULT, lors des débats et lors du prononcé







DÉBATS :



...

8ème Ch Prud'homale

ARRÊT N°119

N° RG 21/00778 -

N° Portalis DBVL-V-B7F-RKIO

M. [K] [N]

C/

S.A.S. UFIFRANCE PATRIMOINE

Infirmation partielle

Copie exécutoire délivrée

le :

à :

-Me Bertrand NAUX

-Me Cécile FORNIER

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE RENNES

ARRÊT DU 17 AVRIL 2024

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :

Madame Nadège BOSSARD, Présidente,

Monsieur Philippe BELLOIR, Conseiller,

Madame Anne-Cécile MERIC, Conseillère,

GREFFIER :

Monsieur Philippe RENAULT, lors des débats et lors du prononcé

DÉBATS :

A l'audience publique du 09 Février 2024

devant Madame Nadège BOSSARD, magistrat rapporteur, tenant seul l'audience, sans opposition des représentants des parties et qui a rendu compte au délibéré collégial

ARRÊT :

Contradictoire, prononcé publiquement le 17 Avril 2024, date à laquelle a été prorogé le délibéré initialement fixé au 03 Avril précédent, par mise à disposition au greffe comme indiqué à l'issue des débats

****

APPELANT :

Monsieur [K] [N]

né le 21 Juin 1978 à [Localité 5] (02)

demeurant [Adresse 4]

[Localité 10]

Représenté par Me Bertrand NAUX de la SELARL BNA, Avocat au Barreau de NANTES

INTIMÉE :

La S.A.S. UFIFRANCE PATRIMOINE prise en la personne de son représentant légal et ayant son siège social :

[Adresse 1]

[Localité 2]

Ayant Me Cécile FORNIER de la SELARL ACTAVOCA, Avocat au Barreau de RENNES, pour postulant et représentée par Me Pauline PENNERET substituant à l'audience Me Eric PERES de la SCP FROGER-PERES, Avocats plaidants du Barreau de PARIS

M. [K] [N] a été embauché par la société Ufifrance Patrimoine selon contrat à durée indéterminée à compter du 9 septembre 2013 en qualité de chargé de clientèle entreprises et de dirigeants.

Par avenant en date du 23 décembre 2014, M. [N] a été nommé responsable commercial entreprise rattaché à l'agence Ain et Savoie, à compter du 1er janvier 2015.Sa rémunération était constituée d'une partie de fixe pour un montant de 27 000 € bruts payables sur 12 mois, et d'une partie variable en fonction des performances des collaborateurs qu'il avait sous sa responsabilité.

Sa mission était la suivante :

« 1.2 - Missions du responsable commercial entreprise (RCE) et modalités d'exercice de l'activité professionnelle :

Sous l'autorité directe du directeur d'agence, le signataire a pour mission principale d'animer et de piloter une équipe de commerciaux de la filière entreprise. Il devra en assurer le développement par l'accroissement des effectifs commerciaux et de son chiffre d'affaires

commercial, dans le respect de la réglementation et des principes déontologiques applicables à la profession, étant précisé que l'activité devra être orientée à 75 % sur la clientèle personne morale. Son action sera notamment axée sur l'intégration, la formation pratique, le développement du chiffre d'affaires commercial, le pilotage et le contrôle de l'activité professionnelle des collaborateurs affectés à son équipe. »

Son contrat de travail prévoyait notamment :

« 1.2.3- Il ne devra pas :

- adresser de correspondances aux prospects, partenaires et/ou clients, au nom de la société et/ou avec son logo, qui ne soit visée par le siège social ou prévu dans le cadre de procédures internes de gestion, sauf s'il y a été habilité expressément,

- recevoir des prospects, partenaires et/ou clients, des espèces et moyens de paiement en blanc,

- contracter de prêt auprès des prospects, partenaires et/ou clients, ni accepter de libéralités ou faveurs,

- assurer la gestion privée des biens des prospects, partenaires et/ou clients.»

Il était encore prévu :

« 1.3 - Dans le cadre de sa mission et des objectifs assignés annuellement par le directeur d'agence, en phase avec le plan de développement de la société, le RCE anime et pilote une

équipe de commerciaux. »

A compter du 1er septembre 2017, M. [N] a été nommé en qualité de responsable entreprise à l'agence Pays-de-la-Loire, avec garantie de rémunération annuelle de 66 000 € bruts pour la période du 1er septembre 2017 au 31 août 2019.

Au titre de l'année 2017, il a bénéficié d'une attribution gratuite d'actions, à raison d'un nombre de 300.

Début 2018, un nouveau directeur a été nommé à la tête de l'agence de [Localité 8].

M. [N] a connu une période d'arrêt de travail à compter du 30 avril 2018 lequel s'est prolongé jusqu'au 5 mai 2018.

Par courrier du 6 juin 2018, adressé à la responsable des ressources humaines, M. [N] l'a alertée sur les difficultés rencontrées.

Il a rencontré la directrice des ressources humaines le 25 juin 2018.

Lors d'une visite, le médecin du travail a rendu l'avis suivant « Ne peut poursuivre son activité professionnelle. Doit voir son médecin traitant afin de bénéficier d'un arrêt d'au moins 15 jours. À revoir à sa reprise quelque soit la durée de son arrêt. »

Le médecin du travail a effectué en même temps un examen audiométrique permettant de déceler d'importants acouphènes.

Son médecin traitant lui a prescrit un arrêt maladie d'un mois ainsi que des examens complémentaires relatifs aux acouphènes constatés avec perte d'audition.

Le 6 septembre 2018, le médecin du travail a rendu un avis d'inaptitude en ces termes : 'Dans le cadre de l'article R 4624-42 du code du travail, pour faire suite à la fiche de pré reprise adressée le 23/08/2018 et à l'échange téléphonique passé ce jour avec un représentant de l'employeur, je vous confirme ce jour l'inaptitude médicale de Monsieur [N] à son poste de travail pour des raisons médicales. Inaptitude médicale émise en une seule visite sans recherche de reclassement professionnel souhaité. En effet, l'état de santé du collaborateur fait obstacle à tout reclassement professionnel au sein de son établissement comme de toutes autres entreprises affiliées à son entreprise d'origine.'

Par courrier en date du 10 septembre 2018, il était convoqué à un entretien préalable à un licenciement fixé au 20 septembre 2018 à 10h00

Par courrier en date du 24 septembre 2018, il lui était notifié son licenciement pour inaptitude sans possibilité de reclassement.

Le 8 février 2019, M. [N] a saisi le conseil de prud'hommes de Nantes aux fins de :

' Dire que le licenciement est d'une part d'origine professionnelle, et d'autre part sans cause réelle et sérieuse,

' Condamner la SAS Ufifrance Patrimoine à lui verser :

- 1.875 € bruts de rappel de salaire pendant la procédure de licenciement,

- 187,50 € bruts de congés payés afférents,

- 16.500 € bruts de préavis (3 mois),

- 1.650 € bruts de congés payés afférents,

- 7.350,52 € bruts d'indemnité spéciale de licenciement,

- 66.000 € de dommages et intérêts (12 mois),

- 3.399 € au titre de la perte actions gratuites,

- 5.500 € au titre du préjudice relatif à la procédure licenciement (1 mois),

- 5.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

' Fixer la moyenne des salaires à la somme de 5.500 €,

' Remise des bulletins de salaire, attestation Pôle Emploi rectifiés, sous astreinte journalière de 50 €,

' Exécution provisoire du jugement à intervenir,

' Condamner aux entiers dépens.

Par jugement du 7 janvier 2021, par lequel le conseil de prud'hommes de Nantes a :

' Dit que le licenciement de M. [N] était consécutif à une inaptitude d'origine non professionnelle, qu' il reposait sur une cause réelle et sérieuse et que la SAS Ufifrance Patrimoine avait satisfait à son obligation de reclassement,

' Débouté M. [N] de l'ensemble de ses demandes salariales et indemnitaires,

' Débouté M. [N] du surplus de ses demandes,

' Condamné M. [N] à verser à la SAS Ufifrance Patrimoine la somme de 100 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

' Condamné M. [N] aux dépens éventuels.

M. [N] a interjeté appel le 3 février 2021.

Vu les écritures notifiées par voie électronique le 13 juillet 2023 suivant lesquelles M. [N] demande à la cour de :

' Accueillir M. [N] en son appel et le dire bien fondé,

' Débouter la SAS Ufifrance Patrimoine de l'ensemble de ses prétentions,

' Réformer le jugement rendu par le Conseil des prud'hommes de Nantes du 7 janvier 2021 en ce qu'il a :

- dit que le licenciement de M. [N] était consécutif à une inaptitude d'origine non professionnelle, qu'il reposait sur une cause réelle et sérieuse et que la SAS Ufifrance Patrimoine avait satisfait à son obligation de reclassement,

- débouté M. [N] de l'ensemble de ses demandes salariales et indemnitaires,

- débouté M. [N] du surplus de ses demandes,

- condamné M. [N] à verser à SAS Ufifrance Patrimoine la somme de 1.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné M. [N] aux dépens éventuels,

' Dire que :

- Monsieur [N] a subi une situation de harcèlement moral ayant eu des répercutions sur sa santé et sa carrière professionnelle,

- la SAS Ufifrance Patrimoine a manqué à son obligation d'exécution loyale du contrat de travail et à son obligation de sécurité à l'égard de Monsieur [N],

- ces éléments sont à l'origine de son inaptitude et que celle-ci est d'origine professionnelle,

- le licenciement de Monsieur [N] est nul, ou à défaut sans cause réelle ni sérieuse,

' Condamner la SAS Ufifrance Patrimoine au paiement de :

- 1.875 € bruts de salaire pendant procédure de licenciement,

- 187,50 € bruts de congés payés afférents,

- 16.500 € bruts de préavis (5.500 € x 3 mois),

- 1.650 € bruts de congés payés afférents au préavis,

- 7.350,52 € bruts d'indemnité spéciale de licenciement,

- 66.000 € de dommages et intérêts (une année de salaire),

- 3.399 € au titre de la perte d'actions gratuites,

- 5.000 € au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

' Fixer la moyenne des salaires à la somme de 5.500 €,

' Ordonner la remise des bulletins de salaire, attestation Pôle Emploi rectifiés, sous astreinte de 50 € par jour,

' La condamner aux entiers dépens.

Vu les écritures notifiées par voie électronique le 15 novembre 2023, suivant lesquelles la SAS Ufifrance Patrimoine demande à la cour de :

' Confirmer la décision de première instance en ce qu'elle a :

- constaté que le licenciement de M. [N] n'était pas consécutif à un accident du travail ou à une maladie professionnelle,

- débouté en conséquence M. [N] de sa demande de :

- paiement de salaires pendant la procédure de licenciement,

- préavis et de congés payés sur préavis,

- paiement de l'indemnité spéciale de licenciement,

- dommages et intérêts pour non-respect de la procédure de licenciement,

- constaté que le licenciement de M. [N] était fondé sur une cause réelle et sérieuse,

- débouté en conséquence M. [N] de sa demande de préavis, de sa demande de dommages-intérêts et de sa demande de dommages-intérêts pour perte d'actions gratuites.

Y ajoutant,

' Débouter M. [N] de sa demande de nullité de licenciement pour harcèlement moral et de ses demandes subséquentes,

Reconventionnellement,

' Condamner l'appelant au paiement d'une somme de 3.000 € sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens,

A titre subsidiaire, si la cour venait à considérer le licenciement de M. [N] comme nul ou dénué de cause réelle et sérieuse, par application des dispositions de l'article L.1235-3 du code du travail et de l'article L.1235-3-1 du code du travail,

' Fixer l'indemnité pour licenciement nul ou sans cause réelle ni sérieuse à la somme maximale de 33.000 €, représentant six mois de salaires.

L'ordonnance de clôture a été prononcée le 25 janvier 2024.

Par application de l'article 455 du code de procédure civile, la cour se réfère, pour un plus ample exposé des prétentions et des moyens des parties à leurs dernières conclusions sus-visées.

MOTIFS :

Sur l'origine professionnelle de l'inaptitude :

Contrairement à ce que soutient M. [N] il ne suffit pas que l'origine de l'inaptitude trouve sa source dans l'attitude de son employeur pour que l'inaptitude soit qualifiée de professionnelle.

Cette qualification s'entend d'une inaptitude ayant au moins partiellement pour origine un accident du travail ou une maladie professionnelle. En l'espèce, aucun des arrêts de travail de M. [N] ne mentionne d'accident du travail ou de maladie professionnelle et celui ne justifie pas avoir déposé une demande de reconnaissance d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle.

M. [N] ne peut donc pas prétendre aux dispositions spécifiques des articles L.1226-14 et suivants relatifs à l'inaptitude ayant pour cause un accident du travail ou une maladie professionnelle.

Le jugement sera confirmé en ce qu'il a rejeté cette demande.

Sur le harcèlement moral :

Selon l'article L1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

En vertu de l'article L1154-1 du code du travail, lorsque survient un litige relatif à l'application des articles L. 1152-1 à L. 1152-3 et L. 1153-1 à L. 1153-4, le candidat à un emploi, à un stage ou à une période de formation en entreprise ou le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'un harcèlement.

Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.

M. [N] expose avoir connu une dégradation de ses conditions de travail à compter de la nomination d'un nouveau directeur au sein d'agence de [Localité 8] auquel il reproche d'avoir agi de manière à l'empêcher de réaliser ses missions.

Il invoque les faits suivants :

- l'annulation d'une réservation de salle,

- la convocation des différents conseillers alors même où il devait être en réunion avec leur responsable commercial,

- le refus de tout recrutement qui impacte directement sa rémunération,

- des pressions directes sur les conseillers,

- une totale absence de soutien qui amenait à une démotivation des équipes et à des départs successifs d'un certain nombre de collaborateurs,

- une absence de réponse à sa demande de congé le 5 juin 2018,

- une mise en demeure de justifier de son adresse et à défaut un refus de maintien de salaire pendant l'arrêt de travail.

Il résulte du courriel adressé le 21 février 2018 par M [N] au directeur commercial et au directeur entreprises de la société qu'il les informait du 'management de l'agence (...) à l'opposé du (s)ien et qui crée du mécontentement'. Il soulignait que ses cooptations n'avaient pas été validées par son directeur alors que ses cooptations étaient des réussites depuis son entrée dans l'entreprise.

Il démontre par un échange de courriels du 23 février 2018 le mécontentement d'une salariée dont le chiffre d'affaires réalisé était supérieur à celui de son collègue et qui s'est vue refuser l'avantage constitué par un séjour à [Localité 6] accordé au commercial réalisant le meilleur chiffre d'affaires.

Il a dénoncé auprès de ses supérieurs le 26 avril 2018 les agissements de son directeur d'agence qu'il s'agisse de la fixation d'une réunion d'agence au moment de sa réunion d'équipe ou de l'annulation de sa réservation de salle le lundi précédent pour une réunion RCE, le refus du directeur de tout recrutement sur l'agence en 2018.

Ce dernier fait s'oppose à la réalisation de l'une des missions de M. [N] qui était d'accroître l'effectif de commerciaux.

M. [N] justifie avoir dénoncé des agissements de son directeur par lettre recommandée avec avis de réception et courriel à la DRH le 6 mai 2018.

M. [N] verse des échanges de courriels avec son directeur d'agence, avec le directeur commercial entreprise et avec les conseillers de son équipe. Les courriels des 15 et 16 juin 2018 établissent que le directeur d'agence a fixé une réunion des membres de l'agence le lundi matin alors que M. [N] avait déjà organisé la réunion de son équipe au même moment mais en un autre lieu. Ce fait est établi.

Le courrier adressé le 2 juillet 2018 par le DRH à M. [N] lui demande de justifier d'une autorisation de la CPAM pour résider à [Localité 10] (Tarn) et le met en demeure d'en justifier sous quinzaine faute de quoi l'employeur ne procédera pas au maintien de salaire. Ce fait est établi.

M. [N] justifie, par la production d'un courriel reproduisant l'avis Indeed d'une recrue, des conditions humiliantes dans lesquelles les recrues étaient remerciées avec des remarques humiliantes devant toute l'équipe.

Si l'existence de pressions directes sur les conseillers et l'absence de soutien du directeur aux équipes conduisant à une démotivation et à des départs successifs d'un certain nombre de collaborateurs ne sont pas démontrés, les autres faits invoqués le sont.

M. [N] justifie en outre de la dégradation de son état de santé à compter d'avril 2018 avec un sommeil perturbé puis des acouphènes et un arrêt de travail dont il a informé ses supérieurs.

Pris dans leur ensemble, les faits ainsi établis laissent présumer une situation de harcèlement moral.

Il incombe à l'employeur, d'apporter des justifications objectives à ses décisions,

La société répond que M. [N] aurait orchestré une situation conflictuelle de manière concomitante avec sa compagne également salariée d'Ufifrance Patrimoine face au refus de la société d'une mutation géographique. L'employeur souligne qu'il était en droit de ne pas donner de suite favorable à la demande de mutation à [Localité 7] de M. [N].

En revanche, il ne donne aucune explication au comportement du directeur de l'agence de [Localité 8] alors que M. [N] a alerté sa hiérarchie de l'attitude de celui-ci à son égard et à l'égard de l'équipe de commerciaux. Il n'est pas plus justifié du motif du refus de recruter de nouveaux commerciaux alors qu'il s'agissait de l'une des missions de M. [N] et qu'elle conditionnait sa rémunération variable.

La société ne justifiant pas les décisions du directeur d'agence ni ses propres silences aux alertes adressées par le salarié, la cour a la conviction que M. [N] a subi une situation de harcèlement moral.

Sur le manquement à l'obligation de sécurité :

Selon l'article L.4121-1 du code du travail, l'employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs. Ces mesures comprennent :

1°) des actions de prévention des risques professionnels ;

2°) des actions d'information et de formation ;

3°) la mise en place d'une organisation et de moyens adaptés.

L'employeur veille à l'adaptation de ces mesures pour tenir compte du changement des circonstances et tendre à l'amélioration des situations existantes.

Il résulte du courrier en date du 6 juin 2018 (daté par erreur du 6 mai 2018) adressé à la responsable des ressources humaines, que M. [N] l'a alertée quant aux difficultés qu'il rencontrait en ces termes :

'Je souhaite porter à votre connaissance les agissements répétés dont je suis victime de la part du directeur d'Agence de [Localité 8], Monsieur [O] [W].

Je ne peux que regretter la dégradation de mes conditions de travail, qui altère ma santé et compromet mon avenir professionnel dans notre établissement que j'appréciais tant.

Pourtant mes états de services ne laissaient pas présager de cette situation.

En effet, je suis rentré le 9 septembre 2013 en tant que CCED, j'ai validé ma formation de conseiller en entreprise en un temps record, jamais, égalé jusqu'ici.

J'ai ensuite été promu CED le 25 Juin 2014 puis à nouveau 1e 23 décembre 2014 en tant que RCE-E1 [Localité 3]. V .

Dès l'année 2015 j'ai réussi la meilleure collecte nette en entreprise par homme et en 2017 formé 3 Conseillers Entreprise sur la même année, performance jamais réalisée.

J'ai pris le poste de RCE à [Localité 8] le 1er Septembre 2017 et dés le 1er quadrimestre la performance en entreprise a plus que doublé sur la période.

A mon arrivée, j'ai également invité de nombreux collaborateurs à nous rejoindre (4 sur les 8 derniers mois) puisque notre établissement nous avait demandé un effort sur le sujet.'

Toutefois depuis l'annonce de ma volonté de quitter 1'agence de [Localité 8] mi-fevrier 2018 pour rapprochement familial, et ma demande de mutation interne du 21/02/2018 faite à Monsieur[J] [S] (Copie Monsieur [V] [U]) j'ai dû faire face à une succession de difficultés qui ont rendu très difficile l'exercice de ma fonction, et notamment :

Annulation de salle pour faire la RCED H

Blocage du recrutement de conseiller entreprise

Pression sur mes conseillers et jeunes stagiaires

Annonce de ma 'non reprise' de mes fonctions après mon arrêt maladie

Et tout dernièrement lors de notre entretien du 05/06/2018 avec Monsieur [W] :

Non réponse à mes demandes de congés alors même :

o Que je pars rejoindre mon fils pour son anniversaire de 5 ans sur [Localité 3],

o Que mon planning avec réunions, journées d'accompagnements,, congés est connu de toute l'équipe et de la direction depuis le 16/04/2018,

o Que la plateforme RH ne fonctionne pas,

o Que 1'assistante m' a bien précisé lui avoir adressé la demande,

A cette pression se rajoute

La remise en cause de mon activité et celle mes stagiaires.

La non proratisation de leurs objectifs en fonction de leurs dates d'entrée.

Mise en place d'une nouvelle procédure pour le remboursement de mes frais.

L'évincement auprès de réseaux professionnel apporteurs d'affaires.

Malgré mes valeurs intrinsèques, apportées notamment part la pratique du Rugby professionnel, ainsi que mon attachement à mon travail, je ne peux plus supporter ce déchaînement de malveillance sans réagir.

J'ai demandé des interventions à [J] [S] (DC) et [V] [U] (RNE) ce qui malheureusement n'a eu aucun effet.

Maintenant que ma santé est touchée et que pour la première fois depuis mon entrée j'ai été arrêté et eu comme prescription des anxiolytiques, je brise l''omerta' et me tourne vers vous pour faire cesser immédiatement ces agissements, pour ne plus m'obliger à avoir de contact avec lui et trouver une solution à mon avenir professionnel.'

Le 16 juin 2018, M.[N] a adressé un nouveau courriel à la directrice des ressources humaines laquelle lui a répondu par un email du 19 juin 2018, lui proposant une rencontre le 25 juin suivant à [Localité 9].

Aucune mesure n'a été prise par la société à la suite de cet entretien pour remédier à la dégradation des relations entre M. [N] et son directeur d'agence.

M. [N] a de nouveau alerté de sa situation son employeur le 19 juillet 2018 et 21 août 2018.

L'employeur qui ne justifie ni de mesures préventives de nature à protéger la santé de ses salariés à l'occasion de changement de management ni de mesures correctives lorsqu'il a été informé par M. [N] des difficultés qu'il rencontrait avec son directeur d'agence, a manqué à son obligation de sécurité.

M. [N] ne formule toutefois pas de demande de dommages-intérêts à ce titre.

Sur la demande tendant à voir juger le licenciement nul ou sans cause réelle et sérieuse :

L'avis d'inaptitude mentionne expressément que M. [N] est inapte à son poste de travail et que son état de santé fait obstacle à tout reclassement professionnel au sein de l'établissement comme de toutes autres entreprises affiliées à son entreprise d'origine.

Le courriel adressé à l'employeur le 18 juin 2018, soit la veille de son arrêt de travail, fait expressément un lien entre les conditions de travail de M. [N] et son état de santé en ces termes 'Malgré mes valeurs intrinsèques, apportées notamment par la pratique du Rugby professionnel, ainsi que mon attachement à mon travail, je ne peux plus supporter ce déchaînement de malveillance sans réagir.

J'ai demandé des interventions à [J] [S] (DC) et [V] [U] (RNE) ce qui malheureusement n'a eu aucun effet.

Maintenant que ma santé est touchée et que pour la première fois depuis mon entrée j'ai été arrêté et eu comme prescription des anxiolytiques, je brise l' 'omerta' et me tourne vers vous pour faire cesser immédiatement ces agissements, pour ne plus m'obliger à avoir de contact avec lui et trouver une solution à mon avenir professionnel.'

Son arrêt de travail a été continu jusqu'à sa déclaration d'inaptitude ce qui permet d'étanlir un lien entre le harcèlement subi ayant dégradé son état de santé et son inaptitude.

Il en résulte que le licenciement pour inaptitude de M. [N], qui a pour origine le harcèlement moral subi par le salarié, est nul en vertu de l'article L.1152-3 du code du travail.

Sur l'indemnité pour licenciement nul :

En vertu de l'article L1235-3-1 du code du travail, L'article L. 1235-3 n'est pas applicable lorsque le juge constate que le licenciement est entaché d'une des nullités prévues au deuxième alinéa du présent article. Dans ce cas, lorsque le salarié ne demande pas la poursuite de l'exécution de son contrat de travail ou que sa réintégration est impossible, le juge lui octroie une indemnité, à la charge de l'employeur, qui ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois.

Les nullités mentionnées au premier alinéa sont celles qui sont afférentes à :

1° La violation d'une liberté fondamentale ;

2° Des faits de harcèlement moral ou sexuel dans les conditions mentionnées aux articles L. 1152-3 et L. 1153-4 (...)

Au regard de l'ancienneté de M. [N] de 5 années, de son salaire mensuel brut de 5 500 euros, de sa qualification et de sa capacité à retrouver un emploi équivalent, celui-ci ayant créé une société de gestion de patrimoine, le préjudice par lui subi du fait de son licenciement nul sera réparé par l'allocation de la somme de 66 000 euros.

Le jugement entrepris sera infirmé de ce chef.

Sur l'indemnité compensatrice de préavis :

Le licenciement étant nul, M. [N] a droit à une indemnité compensatrice de préavis de trois mois de salaire soit 16 500 euros et 1 650 euros de congés payés afférents.

Le jugement entrepris sera infirmé de ce chef.

Sur la demande de rappel de salaire pendant la procédure de licenciement :

M. [N] sollicite le versement de son salaire pour la période comprise entre la déclaration d'inaptitude et la réception de son courrier de licenciement.

Toutefois, l'article du code du travail ne prescrit la reprise du paiement du salaire que lorsque l'employeur n'a pas procédé au licenciement du salarié plus d'un mois après l'avis d'inaptitude.

En l'espèce, la société Ufifrance Patrimoine a notifié son licenciement à M. [N] le 24 septembre 2018 soit moins d'un mois après l'avis d'inaptitude en date du 6 septembre 2018 ;

La demande de rappel de salaire est donc injustifiée. Le jugement entrepris sera confirmé en ce qu'il a rejeté cette demande.

Sur la perte d'actions gratuites :

Constitue une perte de chance réparable la disparition actuelle et certaine d'une éventualité favorable. La réparation se mesure à la chance perdue et ne peut être égale à l'avantage qu'aurait procuré cette chance si elle s'était réalisée.

M. [N] invoque avoir perdu une chance de se voir attribuer de manière définitive les 309 actions gratuites dont il avait été attributaire mais dont le caractère définitif était conditionné à une conservation pendant 4 ans et au fait d'être présent dans l'entreprise.

Le licenciement étant jugé nul, le fait pour M. [N] de ne pas avoir pu conserver ces actions pendant 4 années et de ne pas être présent dans l'entreprise à la date d'attribution définitive desdits actions gratuites est imputable à son employeur.

Il subit ainsi une perte de chance de se voir attribuer de manière définitive lesdites actions.

Il évalue son préjudice à la moitié de la valeur des parts attribuées soit, en fonction d'un cours moyen de 22 €, la somme de 3 999 euros.

La société répond que M. [N] ne justifie pas du cours moyen qu'il retient pour évaluer sa perte de chance. L'employeur ne produit aucun élément pour en contester le montant.

Au regard de l'ensemble de ces éléments, le préjudice subi par M. [N] du fait de cette perte de chance sera réparé par l'allocation de la somme de 500 euros.

Le jugement entrepris sera infirmé de ce chef.

Sur la remise des documents de rupture :

La société Ufifrance Patrimoine est condamnée à remettre à M. [N] un bulletin de paie rectificatif, une attestation destinée à France Travail conforme au présent arrêt dans un délai d'un mois à compter de la signification du présent arrêt.

Les circonstances de la cause ne justifient pas le prononcé d'une astreinte. Cette demande est rejetée.

Sur le remboursement des allocations servies par Pôle emploi devenu France travail :

Selon l'article L1235-4 du code du travail, dans sa rédaction applicable au jour du licenciement, dans les cas prévus aux articles L. 1132-4, L. 1134-4, L. 1144-3, L. 1152-3, L. 1153-4, L. 1235-3 et L. 1235-11, le juge ordonne le remboursement par l'employeur fautif aux organismes intéressés de tout ou partie des indemnités de chômage versées au salarié licencié, du jour de son licenciement au jour du jugement prononcé, dans la limite de six mois d'indemnités de chômage par salarié intéressé.

Ce remboursement est ordonné d'office lorsque les organismes intéressés ne sont pas intervenus à l'instance ou n'ont pas fait connaître le montant des indemnités versées.

La société Ufifrance Patrimoine est condamnée à rembourser à France Travail les allocations servies par Pôle emploi à M. [N] dans la limite de deux mois de salaire.

Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile :

La société Ufifrance Patrimoine est condamnée aux dépens de première instance et d'appel et au paiement de la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

* * *

* *

*

PAR CES MOTIFS :

LA COUR,

Statuant, publiquement, contradictoirement, par arrêt mis à la disposition des parties au greffe,

Infirme le jugement entrepris sauf en ce qu'il a rejeté la demande d'indemnité spéciale de licenciement et de rappel de salaire,

Le confirme de ces chefs,

statuant à nouveau sur les chefs infirmés et y ajoutant,

Juge que le licenciement de M. [K] [N] est nul,

Condamne la société Ufifrance Patrimoine à payer à M. [K] [N] les sommes de :

- 16 500 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis,

- 1 650 euros de congés payés afférents,

- 66 000 euros bruts à titre d'indemnité pour licenciement nul,

- 500 euros à titre de dommages-intérêts pour perte de chance de bénéficier à titre définitif d'actions,

Condamne la société Ufifrance Patrimoine à remettre à M. [N] un bulletin de paie rectificatif, une attestation destinée à France Travail conforme au présent arrêt dans un délai d'un mois à compter de la signification du présent arrêt,

Rejette la demande de prononcé d'une astreinte,

Condamne la société Ufifrance Patrimoine à rembourser à France Travail les allocations servies par Pôle emploi à M. [N] dans la limite de deux mois de salaire.

Condamne la société Ufifrance Patrimoine à payer à M. [K] [N] la somme de3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne la société Ufifrance Patrimoine aux dépens de première instance et d'appel.

LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT.


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Rennes
Formation : 8ème ch prud'homale
Numéro d'arrêt : 21/00778
Date de la décision : 17/04/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 23/04/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-04-17;21.00778 ?
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