La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

16/04/2024 | FRANCE | N°23/03277

France | France, Cour d'appel de Rennes, 3ème chambre commerciale, 16 avril 2024, 23/03277


3ème Chambre Commerciale





ARRÊT N° 166



N° RG 23/03277 - N° Portalis DBVL-V-B7H-T2FM













M. [B] [T]



C/



Caisse CREDIT AGRICOLE DU MORBIHAN

































Copie exécutoire délivrée



le :



à :

Me FANEN

Me EISENECKER



Copie délivrée le :





à :

TC Lorient











RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



COUR D'APPEL DE RENNES

ARRÊT DU 16 AVRIL 2024





COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :



Président : Monsieur Alexis CONTAMINE, Président de chambre,

Assesseur : Madame Fabienne CLEMENT, Présidente de chambre,

Assesseur : Madame Olivia JEORGER-LE GAC, Conseillère,



GREF...

3ème Chambre Commerciale

ARRÊT N° 166

N° RG 23/03277 - N° Portalis DBVL-V-B7H-T2FM

M. [B] [T]

C/

Caisse CREDIT AGRICOLE DU MORBIHAN

Copie exécutoire délivrée

le :

à :

Me FANEN

Me EISENECKER

Copie délivrée le :

à :

TC Lorient

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE RENNES

ARRÊT DU 16 AVRIL 2024

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :

Président : Monsieur Alexis CONTAMINE, Président de chambre,

Assesseur : Madame Fabienne CLEMENT, Présidente de chambre,

Assesseur : Madame Olivia JEORGER-LE GAC, Conseillère,

GREFFIER :

Madame Julie ROUET, lors des débats et lors du prononcé

DÉBATS :

A l'audience publique du 19 Février 2024 devant Madame Fabienne CLEMENT, magistrat rapporteur, tenant seul l'audience, sans opposition des représentants des parties et qui a rendu compte au délibéré collégial

ARRÊT :

Contradictoire, prononcé publiquement le 16 Avril 2024 par mise à disposition au greffe comme indiqué à l'issue des débats

****

APPELANT :

Monsieur [B] [T]

né le [Date naissance 1] 1966 à [Localité 4]

[Adresse 5]

[Localité 6]

Représenté par Me Julien FANEN de la SELARL SOCIETE JUDICIAIRE DE L'ATLANTIQUE - SJA, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de QUIMPER

INTIMÉE :

CREDIT AGRICOLE DU MORBIHAN, société immatriculée au Registre du commerce et des Sociétés de VANNES sous le numéro 777 903 816, prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité au siège

[Adresse 3]

[Localité 2]

Représentée par Me Marine EISENECKER de la SELARL LE MAGUER RINCAZAUX EISENECKER BOHELAY EHRET GUENNEC, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de LORIENT

FAITS ET PROCÉDURE :

Le 18 novembre 2010, la société Analys a souscrit auprès de la société Crédit Agricole du Morbihan (le Crédit Agricole) un contrat de prêt n°00039398523 d'un montant principal de 270.000 euros, au taux d'intérêt annuel fixe de 3,70 % et remboursable en 240 mensualités.

Le même jour, M. [T], dirigeant de la société Analys, s'est porté caution solidaire de ce prêt dans la limite de la somme de 351.000 euros couvrant le paiement du principal, des intérêts, et le cas échéant, des pénalités ou intérêts de retard, et pour une durée de 300 mois.

Le 21 décembre 2012, la société Analys a souscrit auprès du Crédit Agricole un contrat de prêt n°00047509304 d'un montant principal de 60.000 euros, au taux d'intérêt annuel fixe de 2,60 % et remboursable en 60 mensualités.

Le même jour, M. [T] s'est porté caution solidaire de ce prêt dans la limite de la somme de 78.000 euros couvrant le paiement du principal, des intérêts, et le cas échéant, des pénalités ou intérêts de retard, et pour une durée de 120 mois.

Le 14 décembre 2013, la société Analys a souscrit auprès du Crédit Agricole un contrat de prêt n°10000028927 d'un montant principal de 14.500 euros, au taux d'intérêt annuel de 2,60 % et remboursable en 60 mensualités.

Le même jour, M. [T] s'est porté caution solidaire de ce prêt dans la limite de la somme de 18.850 euros couvrant le paiement du principal, des intérêts, et le cas échéant, des pénalités ou intérêts de retard, et pour une durée de 120 mois.

Le 14 décembre 2013, la société Analys a souscrit auprès du Crédit agricole un contrat de crédit de trésorerie n°10000028918 d'un montant principal de 100.000 euros, au taux d'intérêt annuel variable de 4% et conclu pour une durée indéterminée.

Le même jour, M. [T] s'est porté caution solidaire de ce prêt dans la limite de la somme de 130.000 euros couvrant le paiement du principal, des intérêts, et le cas échéant, des pénalités ou intérêts de retard, et pour une durée de 120 mois.

Le 27 juillet 2015, le prêt n°00039398523 a fait l'objet d'un avenant portant sur le réaménagement des conditions financières.

Le même jour, M. [T] a renouvelé son engagement de caution solidaire au titre de ce prêt dans la limite de la somme de 351.000 euros couvrant le paiement du principal, des intérêts, et le cas échéant, des pénalités ou intérêts de retard, et pour une durée de 300 mois.

Le 5 février 2016, la société Analys a été placée en redressement judiciaire.

Le 31 mars 2016, le Crédit Agricole a déclaré ses créances entre les mains du mandataire judiciaire.

Le 3 février 2017, la société Analys a été placée en liquidation judiciaire.

Le 31 mai 2017, le Crédit Agricole a mis en demeure M. [T] de lui régler les sommes dues en exécution de ses engagements de caution.

Le 1er février 2022, le Crédit Agricole a assigné M. [T] en paiement.

Par jugement du 15 mai 2023, le tribunal de commerce de Lorient a :

- Dit que l'engagement de caution de M. [T] d'un montant de 78.000 euros donné en garantie du prêt N°00047509304 du 21 décembre 2012, n'est pas manifestement disproportionné à ses biens et revenus,

- Dit que l'engagement de caution de M. [T] d'un montant de 18.850 euros donné en garantie du prêt N°10000028927 du 14 décembre 2013, n'est pas manifestement disproportionné à ses biens et revenus,

- Dit que l'engagement de caution de M. [T] d'un montant de 130.000 euros donné en garantie du prêt N°10000028918 du 14 décembre 2013, n'est pas manifestement disproportionné à ses biens et revenus;

- Dit que le Crédit Agricole a respecté son obligation légale d'information annuelle de la caution,

- Dit que le Crédit Agricole a respecté son obligation légale d'information de la caution sur le premier incident de paiement du débiteur principal,

- Qualifié de clause pénale l'indemnité de recouvrement de 7% des sommes exigibles,

- Réduit la clause pénale au montant de 1.500 euros pour chacun des trois préts N°00047509304 du 21 décembre 2012, N°10000028927 et N°10000028918 du 14 décembre 2013 consentis a la société Analys,

- Ordonné au Crédit Agricole de produire un nouvel état de sa créance en appliquant des intérêts de retard majorés au taux de 0,5 % et une indemnité de recouvrement de 1.500 euros pour chacun des trois préts N°00047509304 du 21 décembre 2012, N°10000028927 et N°10000028918 du 14 décembre 2013 consentis à la société Analys,

- Dit que le calcul de ce nouveau décompte devra être soumis a contradiction,

- Condamné M. [T] à payer au Crédit Agricole Ies nouvelles sommes ainsi calculées au titre de ses actes de caution donnés en garantie des prêts N°00047509304 du 21 décembre 2012, N°10000028927 et N°10000028918 du 14 décembre 2013 consentis à la société Analys,

- Débouté M. [T] de sa demande de délais de paiement,

- Dit n'y avoir lieu à ordonner la capitalisation des intérêts dans les conditions de l'ancien article 1154 du code civil,

- Condamné M. [T] à payer au Crédit Agricole la somme de 2.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,

- Débouté M. [T] de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- Dit n'y avoir lieu à écarter l'exécution provisoire du présent jugement,

- Condamné M. [T] aux entiers dépens de l'instance, dont frais de greffe liquidés à la somme de 69,59 euros TTC,

- Dit toutes autres demandes, fins et conclusions des parties injustifiées et en tout cas mal fondées, les en déboute.

M. [T] a interjeté appel le 8 juin 2023.

Les dernières conclusions de M. [T] sont en date du 31 janvier 2024. Les dernières conclusions du Crédit Agricole sont en date du 4 décembre 2023.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 1er février 2024.

Sur la demande d'irrecevabilité des conclusions du 31 janvier 2024 de M. [T] :

Le dépôt de conclusions la veille du prononcé de l'ordonnance de clôture peut être de nature à porter atteinte au principe de la contradiction au sens des articles 15 et 16 du code de procédure civile.

La cour observe que les conclusions déposées par la partie appelante la veille de la clôture à 10h32 ne comportent pas de nouvelles demandes. Cependant, il apparaît que ces conclusions comportent de nouvelles motivations qui ne sont pas des réponses aux conclusions de la partie intimée.

En effet, M. [T] a rajouté plusieurs jurisprudences et arguments concernant la disproportion manifeste des engagements de caution (pages 7, 8, 14 et 17). Il a également développé toute une motivation sur la confirmation du jugement au titre de l'indemnité de recouvrement tenant sur une page et demie (pages 21 et 22).

Compte tenu des ces éléments, il apparaît que le Crédit Agricole n'a pas pu utilement prendre connaissance de ces nouveaux éléments et faire valoir ses observations.

Ainsi, les conclusions de M. [T] en date du 31 janvier 2024 doivent être considérées comme irrecevables et sont écartées des débats.

Les dernières conclusions de M. [T] à prendre en compte sont celles du 6 septembre 2023. Les dernières conclusions du Crédit Agricole à prendre en compte sont celles du 4 décembre 2023.

PRÉTENTIONS ET MOYENS :

M. [T] demande à la cour de :

- Infirmer le jugement en ce qu'il a :

- Dit que l'engagement de caution de M.. [T] d'un montant de 78. 000 euros donné en garantie du prêt N°00047509304 du 21 décembre 2012, n'est pas manifestement disproportionné à ses biens et revenus,

- Dit que l'engagement de caution de M. [T] d'un montant de 18.850 euros donné en garantie du prêt N°10000028927 du 14 décembre 2013, n'est pas manifestement disproportionné à ses biens et revenus,

- Dit que l'engagement de caution de M. [T] d'un montant de 130. 000 euros donné en garantie du prêt N°10000028918 du 14 décembre 2013, n'est pas manifestement disproportionné à ses biens et revenus,

- Dit que le Crédit Agricole a respecté son obligation légale d'information annuelle de la caution,

- Dit que le Crédit Agricole a respecté son obligation légale d'information de la caution sur le premier incident de paiement du débiteur principal,

- Condamné M. [T] à payer au Crédit Agricole les nouvelles sommes ainsi calculées au titre de ses actes de caution donnés en garantie des prêts N°00047509304 du 21 décembre 2012, N°10000028927 et N°10000028918 du 14 décembre 2013 consentis à la société Analys,

- Condamné M. [T] aux frais de procédure et débouté de sa demande d'article 700 du code de procédure civile,

Statuant à nouveau :

A titre principal :

- Prononcer la disproportion manifeste de l'ensemble des engagements de caution de

M. [T],

- Dire que le Crédit Agricole ne peut pas se prévaloir de l'ensemble des engagements de caution de M. [T],

- Débouter le Crédit Agricole de l'ensemble de ses demandes,

- Condamner le Crédit Agricole à restituer les sommes perçues au titre de l'exécution provisoire,

A titre subsidiaire :

- Prononcer la déchéance du Crédit Agricole de son droit à intérêts et pénalités,

- Enjoindre la banque de produire un nouveau décompte tenant compte de la déchéance du droit aux intérêts, pénalités et de l'imputation sur le capital,

- Débouter le Crédit Agricole de l'ensemble de ses demandes,

- Condamner le Crédit Agricole à restituer les sommes trop perçues au titre de l'exécution provisoire,

En tout état de cause :

- Condamner le Crédit Agricole à verser à M. [T] la somme de 5.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- Le condamner aux dépens.

Le Crédit Agricole demande à la cour de :

- Confirmer le jugement en ce qu'il a :

- Dit que l'engagement de caution de M. [T] d'un montant de 78.000 euros donné en garantie du prêt N°00047509304 du 21 décembre 2012, n'est pas manifestement disproportionné à ses biens et revenus,

- Dit que l'engagement de caution de M. [T] d'un montant de 18.850 euros donné en garantie du prêt N°10000028927 du 14 décembre 2013, n'est pas manifestement disproportionné à ses biens et revenus,

- Dit que l'engagement de caution de M. [T] d'un montant de 130.000 euros donné en garantie du prêt N°10000028918 du 14 décembre 2013, n'est pas manifestement disproportionné à ses biens et revenus,

- Dit que le Crédit Agricole a respecté son obligation légale d'information annuelle de la caution,

- Dit que le Crédit Agricole a respecté son obligation légale d'information de la caution sur le premier incident de paiement du débiteur principal,

- Condamné M. [T] à payer au Crédit Agricole les nouvelles sommes ainsi calculées au titre de ses actes de caution donnés en garantie des prêts N°00047509304 du 21 décembre 2012, N°10000028927 du 14 décembre 2013 et N°10000028918 du 14 décembre 2013 consentis à la société Analys,

- Débouté M. [T] de sa demande de délais de paiement,

- Débouté M. [T] de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- Dit n'y avoir lieu à écarter l'exécution provisoire du présent jugement,

- Condamné M. [T] à payer au Crédit Agricole la somme de 2.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,

- Condamné M. [T] aux entiers dépens de l'instance, dont frais de greffe liquidés à la somme de 69,59 euros TTC,

- Infirmer le jugement en ce qu'il a :

- Qualifié de clause pénale l'indemnité de recouvrement de 7% des sommes exigibles,

- Réduit la clause pénale au montant de 1.500 euros pour chacun des trois prêts N°00047509304 du 21 décembre 2012, N°10000028927 du 14 décembre 2013 et N°10000028918 du 14 décembre 2013 consentis à la société Analys,

- Ordonné au Crédit Agricole de produire un nouvel état de sa créance en appliquant des intérêts de retard majorés au taux de 0,5% et une indemnité de recouvrement de 1.500 euros pour chacun des trois prêts N°00047509304 du 21 décembre 2012, N°10000028927 du 14 décembre 2013 et N°10000028918 du 14 décembre 2013 consentis à la société Analys,

- Dit que le calcul de ce nouveau décompte devra être soumis à contradiction,

- Dit n'y avoir lieu à ordonner la capitalisation des intérêts dans les conditions de l'ancien article 1154 du Code civil,

En conséquence,

- Condamner M. [T] à payer au Crédit Agricole en qualité de caution solidaire de la Société Analys :

- Au titre du prêt n°00047509304 d'un montant initial de 60.000 euros:

La somme de .............................................................36.486,75 euros

Représentant sa créance en principal, intérêts et accessoires selon décompte arrêté au 31/12/2021 outre intérêts contractuels postérieurs au taux de 5,60 % l'an (2,60 % + 3 points conformément à l'article « taux des intérêts de retard » en page 5 du contrat de prêt), jusqu'à parfait paiement, lesdits intérêts étant capitalisables annuellement,

- Au titre du prêt n°10000028927 d'un montant initial de 14.500 euros :

La somme de..................................................................15.045,35 euros

Représentant sa créance en principal, intérêts et accessoires selon décompte arrêté au 31 décembre 2021 outre intérêts contractuels postérieurs au taux de 5,80 % l'an (2,80 % + 3 points conformément à l'article « taux des intérêts de retard » en page 5 du contrat de prêt), jusqu'à parfait paiement, lesdits intérêts étant capitalisables annuellement,

- Au titre de l'ouverture de crédit n°10000028918 d'un montant initial de 100.000 euros :

La somme de.......................................................................130.000 euros

Montant cautionné par Monsieur [B] [T], outre intérêts au taux légal à compter de la présente assignation jusqu'à parfait paiement, lesdits intérêts capitalisables annuellement,

- Débouter M. [T] de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,

- Condamner M. [T] à verser au Crédit Agricole la somme de 4.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Pour un plus ample exposé des prétentions et moyens des parties, il est renvoyé aux dernières conclusions visées supra.

DISCUSSION :

Sur la disproportion manifeste :

L'article L 341-4 du code de la consommation, dans sa rédaction en vigueur du 5 août 2003 au 1er juillet 2016 et applicable en l'espèce, prévoit que le créancier professionnel ne peut se prévaloir d'un cautionnement manifestement disproportionné :

Un créancier professionnel ne peut se prévaloir d'un contrat de cautionnement conclu par une personne physique dont l'engagement était, lors de sa conclusion, manifestement disproportionné à ses bien et revenus, à moins que le patrimoine de cette caution, au moment où celle-ci est appelée, ne lui permette de faire face à son obligation.

C'est sur la caution que pèse la charge d'établir cette éventuelle disproportion manifeste.

Ce n'est que lorsque le cautionnement est considéré comme manifestement disproportionné au moment de sa conclusion qu'il revient au créancier professionnel d'établir qu'au moment où il appelle la caution, le patrimoine de celle-ci lui permet à nouveau de faire face à son obligation.

La fiche de renseignements remplie par la caution lie cette dernière quant aux biens et revenus qu'elle y déclare, le créancier n'ayant pas, sauf anomalie apparente, à en vérifier l'exactitude.

La disproportion manifeste éventuelle de l'engagement d'une caution, mariée sous le régime de la séparation des biens, s'apprécie au regard de ses seuls biens et revenus personnels.

Pour apprécier le caractère disproportionné d'un cautionnement au moment de sa conclusion, les juges doivent prendre en considération l'endettement global de la caution, ce qui inclut les cautionnements qu'elle a précédemment souscrits par ailleurs, bien qu'ils ne correspondent qu'à des dettes éventuelles. A contrario, les engagements postérieurs doivent être écartés pour apprécier la disproportion du cautionnement.

Ce n'est que lorsque le cautionnement est considéré comme manifestement disproportionné au moment de sa conclusion qu'il revient au créancier professionnel d'établir qu'au moment où il appelle la caution, le patrimoine de celle-ci lui permet à nouveau de faire face à son obligation.

Pour apprécier si le patrimoine de la caution lui permet de faire face à son obligation au moment où elle est appelée, le juge doit se placer au jour où la caution est assignée.

En présence de plusieurs cautionnements, il conviendra de les étudier tour à tour, dans l'ordre chronologique.

Le cautionnement du 21 décembre 2012 attaché au prêt n°00047509304 :

S'agissant de la disproportion au moment de la conclusion de l'engagement :

M. [T] a rempli deux fiches de renseignements le 21 décembre 2012.

Il a indiqué sur la première fiche de renseignements être marié sous le régime de la séparation de biens et avoir un plan épargne logement d'un montant de 18.600 euros ainsi qu'un compte épargne logement d'un montant de 2.000 euros.

Sur la seconde fiche de renseignements M. [T] a indiqué avoir deux enfants à charge et percevoir au titre de ses revenus annuels :

- des revenus nets professionnels de 41.914 euros, soit environ 3.492,83 euros par mois,

- des allocations familiales de 1.934 euros,

- des dividendes de 46.152 euros,

- des revenus fonciers de 16.130 euros.

Il a également précisé avoir souscrit deux prêts immobiliers :

- un prêt immobilier auprès de la société Banque CIC avec un montant restant dû de 23.761 euros,

- un prêt immobilier auprès de la société Crédit Lyonnais avec un montant restant dû de 14.942 euros.

En outre, il est indiqué que M. [T] était propriétaire d'une maison située à Larmor-plage sans indication de droits indivis, dont la valeur était estimée à 400.000 euros. Un document joint à la fiche de renseignements en date du 24 octobre 2012 précise que la maison située à Larmor-plage faisait l'objet d'un crédit dont le capital restant dû s'élevait à 19.313 euros, soit une valeur nette d'emprunt de 380.687 euros.

Dans la rubrique « Cautions données » il est indiqué la mention « Cf. document joint du CA du Morbihan « information annuelles des cautions » ».

Devant la cour, M. [T] fait valoir qu'il percevait des revenus annuels de 120.232 euros. Il produit son avis d'imposition sur les revenus 2012.

Dans leurs conclusions, M. [T] et le Crédit Agricole sont d'accord pour estimer le patrimoine de la caution à la somme de 187.182,50 euros et ses revenus annuels à la somme de 120.232 euros.

Par ailleurs, M. [T] soutient qu'au jour de l'engagement de caution, il était déjà caution de la société Analys :

- pour un montant de 43.000 euros au titre d'un prêt n°00029940836 de 90.000 euros souscrit en octobre 2008,

- pour un montant de 351.000 euros au titre d'un prêt n°00039398523 de 270.000 souscrit en janvier 2011.

Il se fonde sur les lettres d'information de la caution des années 2013 à 2020.

Le Crédit Agricole prétend qu'il n'avait pas à vérifier l'exactitude de la déclaration de la caution qui n'était manifestement pas sincère.

Toutefois, il convient de prendre en compte les cautionnements à hauteur de 43.000 euros et 351.000 euros, souscrits antérieurement à celui en cause et que la banque ne pouvait ignorer pour les avoir elle-même fait souscrire à M. [T].

Par conséquent, les biens (187.182,50 euros) et revenus (120.232 euros par an) de M. [T], au vu de son endettement global (43.000 + 351.000 = 394.000 euros) ne lui permettaient manifestement pas de faire face à un engagement de caution souscrit dans la limite de la somme de 78.000 euros.

Il résulte de ces éléments que le cautionnement souscrit par M. [T] auprès du Crédit Agricole le 21 décembre 2012 était, au jour de sa conclusion, manifestement disproportionné à ses biens et revenus.

Les cautionnements du 14 décembre 2013 attachés aux prêts n°10000028927 et n°10000028918 :

M. [T] a rempli une fiche de renseignements le 14 décembre 2013.

Il a indiqué être marié sous le régime de la séparation de biens et ne pas avoir d'enfants à charge.

Il a également précisé être propriétaire d'une maison située à Larmor-plage sans indication de droits indivis, dont la valeur était estimée à 400.000 euros.

M. [T] a indiqué être propriétaire de parts sociales d'un montant de 270.000 euros dans la société KZA1. Il est fait mention d'un encours auprès du Crédit Agricole de 269.000 euros d'une durée de 17 ans dont M. [T] s'était porté caution.

Il a également indiqué être propriétaire de parts sociales d'un montant de 400.000 euros dans la société KZA2. Il est fait mention d'un encours auprès du Crédit Agricole de 408.200 euros d'une durée de 17 ans dont M. [T] s'était porté caution.

Il est fait mention dans la fiche de renseignements d'un prêt de 46.000 euros souscrit auprès de la société CIO.

En outre, la caution a déclaré avoir auprès du Crédit Agricole un plan d'épargne entreprise d'un montant de 35.000 euros, un salaire annuel de 30.000 euros, des revenus immobiliers annuels de 30.000 euros ainsi que d'autres revenus annuels de 35.000 euros.

Devant la cour, M. [T] fait valoir qu'il percevait des revenus annuels de 94.274 euros, soit 7.856 euros mensuels hors impôts. Il produit son avis d'imposition sur les revenus 2013.

Dans leurs conclusions, M. [T] et le Crédit Agricole sont d'accord pour estimer le patrimoine de la caution à la somme de 209.000 euros et ses revenus à la somme de 94.274 euros.

Par ailleurs, M. [T] soutient qu'au jour de l'engagement de caution, il était déjà caution de la société Analys :

- pour un montant de 43.000 euros au titre d'un prêt n°00029940836 de 90.000 euros souscrit en octobre 2008,

- pour un montant de 351.000 euros au titre d'un prêt n°00039398523 de 270.000 souscrit en janvier 2011.

Il se fonde sur les lettres d'information de la caution des années 2013 à 2020.

Le Crédit Agricole prétend qu'il n'avait pas à vérifier l'exactitude de la déclaration de la caution qui n'était manifestement pas sincère.

Toutefois, il convient de prendre en compte les cautionnements à hauteur de 43.000 euros et 351.000 euros, souscrits antérieurement à celui en cause et que la banque ne pouvait ignorer pour les avoir elle-même fait souscrire à M. [T].

La caution prend également en compte son engagement de caution du 21 décembre 2012 d'un montant de 78.000 euros, ce que fait également la banque.

Par conséquent, les biens (209.000 euros) et revenus (94.274 euros par an) de M. [T], au vu de son endettement global (43.000 + 351.000 + 78.000 = 472.000 euros) ne lui permettaient manifestement pas de faire face à des engagements de caution souscrits dans la limite de la somme de 18.850 euros et 130.000 euros.

Il résulte de ces éléments que les cautionnements souscrits par M. [T] auprès du Crédit Agricole le 14 décembre 2013 étaient, au jour de leur conclusion, manifestement disproportionnés à ses biens et revenus.

S'agissant de la disproportion au moment de l'assignation :

Toutefois, le Crédit Agricole fait valoir que M. [T] serait désormais en mesure de faire face à son engagement de caution.

Pour rappel, M. [T] a été assigné en paiement le 1er février 2022.

La Banque soutient que le 1er juin 2022, la caution a cédé à la société Le Royal 1.839 parts sociales sur les 1.840 qu'il détenait au sein de la société Kza1 moyennant un prix de 104.210 euros. Elle ajoute que dans le cadre de cette cession de parts sociales, la société Act Plus Consulting détenue par M. [T], a également cédé 1.100 parts sociales qu'elle détenait au sein de la société Kza1 à la société Le Royal, moyennent un prix de 62.333,33 euros.

Le Crédit Agricole prétend également que le 16 juin 2022 M. [T] a cédé à la société Le Royal 18.453,803 parts sociales sur les 18.453,804 qu'il détenait au sein de la société Kza2 moyennant un prix de 70.228,58 euros. La caution a également perçu un remboursement par la société Le Royal, des créances en compte courant détenues par elle dans ses livres à hauteur de 22.446,76 euros.

Bien que ces parts sociales aient été vendues postérieurement à la date d'assignation, la caution en était propriétaire à cette date ce qu'elle ne conteste pas dans ses conclusions.

Les cessions de parts sociales étant intervenues 4 mois après l'assignation, il apparaît que leur prix de cession était représentatif de leur valeur au jour de l'assignation sauf à ce que M. [T] ne démontre que leur valeur ait pu évoluer entre la date d'assignation et la date de cession.

M. [T] fait valoir qu'il n'a pas retiré une somme disponible de 242.521,43 euros au titre de ces cessions de parts sociales mais seulement une somme de 16.870,58 euros en raison de l'impôt appliqué. Il se fonde sur une attestation de son expert-comptable qu'il verse aux débats.

Cependant, il apparaît à la lecture de cette pièce que M. [T] a perçu la somme nette disponible de 101.681 euros au titre de la cession des 1.840 parts sociales au sein de la société Kza1. Il a également perçu la somme nette disponible de 54.696 euros ou 55.887 euros selon le choix opéré pour la taxation de la plus-value, au titre de la cession des 18.453,804 parts sociales au sein de la société Kza2.

La banque soutient en outre que la caution disposait dans les livres du Crédit Agricole d'un plan épargne logement d'un montant de 43.361,52 euros, d'un compte épargne logement d'un montant de 2.274,57 euros ainsi que des parts sociales d'un montant de 45,90 euros.

Enfin, le Crédit Agricole soutient que la caution est associée majoritaire de la société Coat Kistin constituée le 22 avril 2021 dans laquelle il détient 998 parts sociales en pleine propriété. Il ajoute que cette société est propriétaire d'un terrain sur lequel est édifié une propriété bâtie sur la commune de [Localité 6]. La banque ne démontre pas quelle est la valeur des biens détenus par la société Coat Kistin.

La capacité de la caution à faire face à son obligation au moment où elle est appelée s'apprécie en considération de son endettement global, y compris celui résultant d'autres engagements de caution.

Le montant réclamé à la caution dans l'assignation notifiée le 1er février 2022 s'élève à la somme totale de 181.532,10 euros au titre des prêts n°00047509304 et n°10000028927 ainsi que du contrat de crédit de trésorerie n°10000028918.

Bien que le Crédit Agricole affirme ne réclamer que les sommes dues au titre des trois prêts précités, il n'en demeure pas moins qu'il n'a pas expressément renoncé à l'engagement de caution du 18 novembre 2010 d'un montant de 351.000 euros, renouvelé le 27 juillet 2015.

En effet, cet engagement de caution apparaît dans les diverses lettres d'information de la caution des années 2013 à 2020, dans la déclaration de créance en date du 31 mars 2016 ainsi que dans le courrier de mise en demeure de la caution du 31 mars 2017.

L'engagement de caution d'un montant de 351.000 euros doit ainsi être pris en compte pour apprécier le patrimoine de la caution au jour de son assignation.

Au regard de ces éléments, le Crédit Agricole ne justifie pas de ce que le patrimoine de M. [T], au moment où il est appelé, lui permette de faire face à son obligation.

En effet, le patrimoine (101.681 + 54.696 + 62.333,33 + 22.446,76 + 43.361,52 + 2.274,57 = 286.793, 18 euros) de M. [T] ne lui permettait pas, au regard de son endettement global (351.000 euros) de faire face à la demande de paiement de la somme de 181.532,10 euros formée au titre de ses engagements de caution. Il en serait de même en retenant la somme revendiquée par le Crédit Agricole comme constituant le patrimoine de M. [T], soit 304.854,76 euros.

Le Crédit Agricole ne peut donc pas se prévaloir de ces cautionnements à l'égard de M. [T]. Le jugement sera infirmé de ce chef.

Les autres demandes de M. [T] sont sans objet.

Sur les frais et dépens :

Il y a lieu de condamner le Crédit Agricole, partie succombante, aux dépens d'appel et de rejeter les demandes formées au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS,

La cour :

- Infirme le jugement,

Statuant à nouveau et y ajoutant :

- Dit que l'engagement de caution de M. [T] en date du 21 décembre 2012 était manifestement disproportionné à ses biens et revenus et que la société Crédit Agricole du Morbihan ne peut s'en prévaloir,

- Dit que les engagements de caution de M. [T] en date du 14 décembre 2013 étaient manifestement disproportionnés à ses biens et revenus et que la société Crédit Agricole du Morbihan ne peut s'en prévaloir,

- Rejette les autres demandes des parties,

- Condamne la société Crédit Agricole du Morbihan aux dépens de première instance et d'appel.

LE GREFFIER LE PRESIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Rennes
Formation : 3ème chambre commerciale
Numéro d'arrêt : 23/03277
Date de la décision : 16/04/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 22/04/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-04-16;23.03277 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award