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16/04/2024 | FRANCE | N°22/06257

France | France, Cour d'appel de Rennes, 3ème chambre commerciale, 16 avril 2024, 22/06257


3ème Chambre Commerciale





ARRÊT N° 165



N° RG 22/06257 - N° Portalis DBVL-V-B7G-THBE













S.A.R.L. LES ETABLISSEMENTS [G] ET FILS



C/



SA KPMG















































Copie exécutoire délivrée



le :



à : Me MOULINAS

Me AMOYEL VICQUELIN



Copie certifiée confor

me délivrée



le :



à : TC de NANTES











RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



COUR D'APPEL DE RENNES

ARRÊT DU 16 AVRIL 2024





COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :



Président : Monsieur Alexis CONTAMINE, Président de chambre, rapporteur,

Assesseur : Madame Fabienne CLEMENT, Présidente,

...

3ème Chambre Commerciale

ARRÊT N° 165

N° RG 22/06257 - N° Portalis DBVL-V-B7G-THBE

S.A.R.L. LES ETABLISSEMENTS [G] ET FILS

C/

SA KPMG

Copie exécutoire délivrée

le :

à : Me MOULINAS

Me AMOYEL VICQUELIN

Copie certifiée conforme délivrée

le :

à : TC de NANTES

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE RENNES

ARRÊT DU 16 AVRIL 2024

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :

Président : Monsieur Alexis CONTAMINE, Président de chambre, rapporteur,

Assesseur : Madame Fabienne CLEMENT, Présidente,

Assesseur : Madame Olivia JEORGER-LE GAC, Conseillère,

GREFFIER :

Madame Frédérique HABARE, lors des débats et Madame Julie ROUET lors du prononcé

DÉBATS :

A l'audience publique du 20 Février 2024

ARRÊT :

Contradictoire , prononcé publiquement le 16 Avril 2024 par mise à disposition au greffe comme indiqué à l'issue des débats

****

APPELANTE :

EURL ETABLISSEMENTS [G] ET FILS

inscrite au RCS de BRIVE sous le n° [Numéro identifiant 5], prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité au siège

[Adresse 7]

[Localité 2]

Représentée par Me Augustin MOULINAS de la SELARL AUGUSTIN MOULINAS, Postulant, avocat au barreau de NANTES

Représentée par Me Vincent DESPORT, Plaidant, avocat au barreau de BRIVE

INTIMÉE :

SA KPMG,

société immatriculée au RCS de NANTERRE sous le numéro 775 726 417, prise en son établissement secondaire KPMG ENTREPRISES VIENNE/LIMOUSIN (bureau de [Localité 6])

[Adresse 1],

[Adresse 1]

Représentée par Me Amélie AMOYEL-VICQUELIN de la SELARL AB LITIS / PÉLOIS & AMOYEL-VICQUELIN, Postulant, avocat au barreau de RENNES

Représentée par Me Guilhem RAJALU substituant Me Georges DE MONJOUR, Plaidant, avocat au barreau de PARIS

PARTIE INTERVENANT VOLONTAIREMENT :

La société KPMG ESC & GS

venant aux droits de la société KPMG SA, immatriculée au RCS de Nanterre sous le n°903 309 490, prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité au siège

[Adresse 3]

[Adresse 3]

[Localité 4]

Représentée par Me Amélie AMOYEL-VICQUELIN de la SELARL AB LITIS / PÉLOIS & AMOYEL-VICQUELIN, Postulant, avocat au barreau de RENNES

Représentée par Me Guilhem RAJALU substituant Me Georges DE MONJOUR, Plaidant, avocat au barreau de PARIS

Intervenante volontaire par conclusions en date du 20 avril 2023

FAITS ET PROCEDURE :

L'Eurl Etablissements [G] fils (la société [G]) exploite deux magasins de meubles, l'un en nom propre 1'autre sous 1'enseigne Roche Bobois.

La société [G] a confié à la société KPMG, cabinet d'expertise comptable, certaines missions comptables encadrées par lettres de mission, la dernière en date étant celle du 24 juin 2014.

Le 7 octobre 2015, la société [G] a déposé plainte contre son responsable de magasin Roche Bobois pour détournement de fonds.

Le 16 juin 2016, le tribunal correctionnel de Brive la Gaillarde a condamné ce salarié pour vol commis du 1er novembre 2011 au 3 octobre 2015 et faux et usage de faux à la peine de trois ans d'emprisonnement avec sursis avec mise à l'épreuve et obligation notamment de réparer le dommages causé par l'infraction et à payer à la société [G] les sommes de 213.179,50, 10.600 et 2.000 euros à titre dommages-intérêts. Cette décision a été confirmée par arrêt de la cour d'appel de Limoges du 3 mai 2017.

Estimant que la société KPMG avait manqué à ses devoirs d'alerte et de conseil dans l'établissement des bilans 2012, 2013, 2014 et 2015, la société [G] l'a assignée en paiement de dommages intérêts.

Par jugement du 5 septembre 2022, le tribunal de commerce de Nantes a :

- Débouté la société [G] de 1'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,

- Rappelé que l'exécution provisoire est de droit en application de l'artic1e 514 du code procédure civile,

- Condamné la société [G] au paiement de 300 euros au titre de l'artic1e 700 du code de procédure civile,

- Condamné la société [G] aux entiers dépens.

La société [G] a interjeté appel le 26 octobre 2022.

Les dernières conclusions de la société [G] sont en date du 24 janvier 2023. Les dernières conclusions de la société KPMG, prise en son établissement secondaire KPMG Entreprises Vienne/Limousin, bureau de [Localité 6], et de la société KPMG ESC & GS, venant aux droits de la société KPMG, intervenante volontaire, sont en date du date du 20 avril 2023.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 1er février 2024.

PRETENTIONS ET MOYENS :

La société [G] demande à la cour de :

Réformer le jugement et :

- 1° Constater que la société KPMG a manqué à son devoir de conseil, pour n'avoir pas alerté sa cliente la société [G] , des détournements réalisés par l'un de ses salariés,

- 2° Constater que les manquements fautifs de la société KPMG ont causé à la société [G] un préjudice financier important caractérisé par :

' Le montant des détournements établis par elle-même à la somme de 345.677,62 euros TTC,

' L'existence d'un préjudice moral retenu à 20.000 euros,

' Les frais d'honoraires liés au contrôle fiscal pour 12.404,94 euros

En conséquence,

- 3° Condamner la société KPMG à verser à la société [G] la somme de 378.082.56 euros,

- 4° Condamner la société KPMG à verser à la société [G] la somme de 10.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.

Les société KPMG demandent à la cour de :

- Recevoir la société KPMG ESC& GS en son intervention volontaire ;

- Confirmer le jugement en ce qu'il a :

- Débouté la société [G] de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,

- Rappelé que l'exécution provisoire est de droit en application de l'article 514 du code de procédure civile,

- Condamné la société [G] au paiement de 300 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- Condamné la société [G] entiers dépens,

Y ajoutant :

-Condamner la société [G] à verser à KPMG et à KPMG ESC&GS, la somme globale de 8.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- Condamner la société [G] aux entiers dépens dont recouvrement en application de l'article 699 du code de procédure civile.

Pour un plus ample exposé des prétentions et moyens des parties il est renvoyé à leurs dernières conclusions visées supra.

DISCUSSION :

La société KPMG ESC & GS (la société KPMG ESC) a acquis l'activité dans le cadre de laquelle le lien contractuel a été tissé avec la société [G]. La société KPMG ESC vient ainsi aux droits de la société KPMG. Il y a lieu de la recevoir en son intervention.

Sur la faute de l'expert-comptable :

La société [G] fait valoir que la société KPMG aurait manqué à son obligation de conseil.

La lettre de mission du 1er octobre 2009 confiait à la société KPMG la prestation de :

- Elaborer les comptes annuels (bilan, compte de résultat et annexe),

La lettre de mission du 24 juin 2014 confiait à la société KPMG les prestations de :

- Superviser la comptabilité de l'entreprise,

- Elaborer les déclarations fiscales professionnelles,

- Elaborer les comptes annuels (bilan, compte de résultat et annexe),

-Effectuer des prestations d'aide à la gestion : commentaires de gestion.

Il y était précisé que la mission serait effectuée dans le respect des dispositions du code de déontologie des professionnels de l'expertise comptable. La lettre ajoutait que la mission de présentation des comptes ne constituait ni un audit ni un examen limité des comptes de l'entreprise, que les travaux mis en 'uvre avaient pour objectif de permettre à l'expert-comptable d'exprimer une opinion sur la cohérence et la vraisemblance des comptes pris dans leur ensemble et qu'ils ne comportaient ni le contrôle de la matérialité des opérations, ni le contrôle des inventaires physiques des actifs tels que stocks, immobilisations, espèces en caisse notamment.

Il apparaît que l'expert-comptable chargé d'une mission d'établissement des comptes annuels doit les vérifier, au minimum par sondages, et, le cas échéant, alerter son client sur les anomalies qu'il détecte.

Il résulte de la procédure pénale qu'un salarié, en charge de la gestion du magasin à l'enseigne Roche Bobois dont il était le seul vendeur, a commis des détournements de la toute fin de l'année 2011 à octobre 2015. Il encaissait les chèques d'acompte ou versements en espèces des clients sur son propre compte bancaire. Il détournait parfois également une sommes versée en numéraire et attribuait au client en question le paiement, du même montant, effectué au moyen d'une carte bancaire par un autre client.

Il établissait ensuite des factures dans lesquelles il omettait de mentionner le versement des acomptes détournés et modifiait sur la facture la quantité d'objets commandés ou leur prix de vente pour faire correspondre le montant facturé à la somme effectivement encaissée par la société [G]. Pour justifier de la réduction de la somme effectivement encaissée, il éditait également parfois des avoirs fictifs au profit de clients.

Mme [F], comptable de la société [G], a déclaré aux enquêteurs que lors de l'établissement du bilan courant 2014, en compagnie de l'expert-comptable, ils ont constaté qu'il y avait un problème de marge à savoir qu'il y avait un décalage entre la facturation et la trésorerie dans le magasin Roche Bobois. L'expert-comptable en a alors informé le gérant de la société [G], M. [G]. Ce dernier en a fait le reproche à Mme [F], au motif qu'elle aurait commis des erreurs d'imputation de factures. A la suite de ces accusations de son employeur, elle a procédé à des vérifications et s'est rendue compte qu'effectivement elle avait du faire quelques erreurs mais qui ne pouvaient en aucun cas expliquer la baisse de trésorerie constatée. Elle en a fait part à M. [G] qui n'a pas voulu approfondir. Elle précise que l'expert-comptable avait demandé à M. [G] de récupérer les bons de commande du salarié en question. M. [G] a transmis cette demande au salarié en question qui a communiqué 3 ou 4 bons de commande. Mme [F] ajoute les avoir examinés avec l'expert-comptable mais que cela ne représentait rien et que ce qu'elle voulait avec l'expert-comptable c'était la totalité des bons de commande établis par le salarié en question.

A la suite de cette baisse de trésorerie, M. [G] n'a pris aucune mesure.

Elle ajoute que personnellement, et il en était de même pour l'expert-comptable, elle souhaitait obtenir les bons de commande du salarié en question mais que M. [G] a voulu passer à autre chose.

Selon elle, au cours des années 2012 et 2013, seules quelques anomalies sur les bilans avaient été décelées mais pas aussi importantes et quelques unes lui avaient été attribuées à la suite d'erreurs d'imputation au niveau de la facturation.

En mai ou juin 2015, constatant que la trésorerie s'affaiblissait de plus en plus à en devenir inquiétante, elle a relevé qu'il y avait une énorme différence entre les prises de commande annoncées par le salarié en question, la facturation et la trésorerie. Elle a alors établi un tableau récapitulatif qu'elle a remis à M. [G]. Ce dernier s'est alors rendu au magasin géré par le salarié en question et s'est fait remettre la totalité des bons de commande qu'elle a pu alors analyser ce qui lui a permis de découvrir l'ampleur de la fraude.

Entendu par les enquêteurs, M. [G] a indiqué que son expert-comptable avait décelé une baisse de marge fin 2014 lorsqu'il a fait le bilan. M. [G] avait alors attribué cette anomalie à une erreur d'imputation de sa comptable et ne s'était pas attardé d'avantage. Au cours de l'année 2015, voyant la trésorerie s'affaiblir de façon inquiétante, il a demandé à sa comptable de lui sortir des tableaux. Il les a obtenus début juillet 2015 et y a constaté une distorsion entre les prises de commande, les rentrées d'argent et les facturations, depuis le début de l'année comptable, octobre 2014. Il est alors allé voir le salarié, en compagnie de l'expert-comptable, et celui-là a reconnu rapidement les détournements.

La société KPMG fait valoir qu'il est d'usage que le contrôle par sondages effectué par l'expert-comptable s'effectue sur les factures clients et les factures fournisseurs mais pas nécessairement sur les bons de commande.

En tout état de cause, la société KPMG a présenté fin 2014 une demande de communication des bons de commande du magasin Roche Bobois. Même si elle souhaitait l'ensemble des bons de commande, seuls trois ou quatre, choisis de fait par le salarié indélicat, lui ont été communiqués par son client.

Il apparaît ainsi qu'en octobre 2014 la société KPMG a alerté son client sur une anomalie comptable et a présenté une demande de vérification plus poussée portant sur les bons de commande. Elle justifie avoir rempli son obligation de conseil et de vigilance. Si son client avait fait droit à sa demande, d'ailleurs également formulée par sa propre comptable, les détournements auraient été décelés et auraient pris fin.

Il peut tout au plus être reproché à la société KPMG de ne pas avoir décelé les anomalies lors de l'établissement des bilans clos en 2012 et 2013.

Il apparaît que les détournements n'ont véritablement débuté qu'en 2012 et qu'ils se sont aggravés dans leur ampleur et accélérés dans leur rythme avec le temps. La marge était de 48,52% pour le bilan clos en 2011 et de 47,39% pour le bilan clos en 2012. Cette baisse n'est pas suffisamment significative pour constituer une anomalie. De même, il n'est établi que cette baisse de marge se soit accompagnée d'une autre anomalie, comme une baisse de la trésorerie. Les contrôles par sondages pratiqués par la société KPMG conformément à la pratique ne visaient pas les bons de commande et ne permettaient donc pas de déceler la fraude. Une demande de contrôle des bons de commande par sondage n'aurait en tout état de cause eu aucune chance d'aboutir à une découverte de la fraude alors que M. [G] a prouvé par la suite qu'il se serait adressé au salarié indélicat lui même, en qui il avait toute confiance, pour produire quelques bons de commandes par essence non significatifs. La réaction de M. [G] en fin d'année 2014 au vu des alertes de son expert-comptable montre qu'il n'aurait pas tenu compte d'une éventuelle demande de vérification plus poussée alors que la baisse de marge n'était pas significative pour le bilan clos en 2012.

En revanche, la marge n'a été que de 42,51% pour l'exercice clos en 2013. Cette baisse aurait du déclencher de la part de la société KPMG la même réaction que celle qu'elle a eue en élaborant le bilan 2014 pour lequel la marge était pourtant de 43,11%. Elle aurait du en référer à son client et lui demander de produire les bons de commandes pour vérification.

Une demande de contrôle des bons de commande aurait cependant eu une chance limitée d'aboutir à une découverte de la fraude alors que M. [G] a prouvé par la suite qu'il se serait adressé au salarié indélicat lui même, en qui il avait toute confiance, pour produire quelques bons de commandes par essence non significatifs.

Le manquement de la société KPMG a ainsi fait perdre une chance, limitée, à la société [G] de détecter la fraude pour la période comprise entre fin 2013 et fin 2014, soit sur l'exercice clos en 2014.

La société [G] reproche également à la société KPMG de ne pas avoir élaboré un dossier conseil au terme duquel il aurait fait des préconisations au chef d'entreprise, en particulier, de procéder à une vérification et à un chaînage des bons de commandes, de livraison et factures.

La réponse aux observations du contribuable des services fiscaux en date du 9 février 2018 met en avant les graves carences d'organisation du service et notamment le fait que les bons de commande n'étaient pas suivis, qu'aucun contrôle n'était effectué sur les commandes annulées tant sur leur montant que sur les motifs d'annulation éventuelle, que les nomenclatures de produits et références des articles n'y étaient pas portés sans qu'il soit possible de les identifier, que la facturation sur le site Roche Bobois était établie par le vendeur à partir d'un logiciel Exel avec les données qu'il voulait bien y faire figurer tout en ayant la possibilité d'effacer ces données à tout moment, qu'il n'existait pas de numérotation chronologique permettant de déceler d'éventuelles factures manquantes, que les factures ne reprenaient pas les numéros des bons de livraison et des commandes interdisant tout début de contrôle de flux de marchandise, que les factures ne reprenaient pas de façon précise les produits vendus et ne reprenaient pas les références précises de chaque article, que la société ne sécurisait pas la conservation de ces documents et se trouvait dans l'impossibilité de présenter une partie d'entre eux, que les carnets souche des bons de livraison n'avaient été que partiellement conservés.

En outre, ces services ont noté l'absence de procédure de sécurisation des recettes, de pointage quotidien des factures par le responsable du magasin, de vérification des commandes passées par le salarié en question alors que ses commissions étaient indexées sur le montant de ces commandes, de rapprochement entre les encaissements, les livraisons et les factures, de règle de gestion des prix et remises, de contrôle des remises accordées par le salarié.

La société KPMG était en charge depuis 2009 d'une mission d'établissement des comptes, et donc de contrôle de cohérence par sondages. La mission d'aide à la gestion par des commentaires de gestion n'a été prévue qu'à compter de 2014 et comme il a été vu supra, la société KPMG a alors rempli sa mission en alertant le chef d'entreprise des anomalies constatées et en lui demandant la production de pièces permettant un contrôle de l'origine de ces anomalies.

Cependant, au vu de la désorganisation manifeste et d'ampleur du chainage des bons de commandes et facturations, le contrôle par sondage des seules factures dans le cadre de l'établissement des comptes annuels aurait du conduire à l'information du client sur les failles comptables de son organisation, voire de leurs éventuelles conséquences fiscales en cas de contrôle.

La réaction du chef d'entreprise en 2014 atteste que cette information aurait eu peu de chance de conduire à une réorganisation. Mais la société KPMG a manqué à ses obligations en n'informant pas son client de l'ampleur de ces manquements. Elle lui a fait perdre une chance, même minime, d'éviter les détournements et leurs conséquences fiscales pour les exercices clos en 2012, 2013 et 2014.

Sur le préjudice :

La société [G] récupérant la TVA, son préjudice doit être apprécié hors taxes.

La société [G] se prévaut d'un préjudice économique.

Au vu des montants des détournements établis pour les exercices clos de 2012 à 2014, de l'importance toute relative de la perte de chance imputable à la société KPMG et des propres manquements de la société [G] à son obligation de surveiller son organisation et ses salariés, il y a lieu de fixer à la somme de 10.000 euros le préjudice subi par cette dernière.

La société KMPG sera condamnée à lui payer cette somme.

La société [G] se prévaut également d'un préjudice moral.

Au vu de la réaction de la société [G] consécutive à l'information qui lui avait été communiquée sur les anomalies en fin d'année 2014, il apparaît qu'il n'est pas justifié qu'elle ait subi un préjudice moral. Sa demande formée à ce titre sera rejetée.

La société [G] se prévaut enfin d'un préjudice résultant des frais engagés par elle au titre du contrôle fiscal.

Les frais afférents au contrôle sur pièces, qui sont engagés dans le cadre d'un contrôle fiscal, 5.145,91euros HT, ne sont pas liés à l'existence d'un manquement de la société KPMG mais sont liés à la simple survenance d'un contrôle fiscal. Il ne peuvent pas être imputés à l'expert-comptable.

En revanche, les frais faisant suite à l'avis de rectification, 5.135 euros HT sont en lien avec les manquements de l'expert-comptable dans la mesure où ils n'auraient pas eu à être exposés si la société avait disposé d'une organisation rigoureuse de sa comptabilisation des facturations et avait ainsi pu établir son absence de mauvaise foi dans l'établissement de l'impôt.

Au vu de l'importance toute relative de la perte de chance imputable à la société KPMG et des propres manquements de la société [G] à son obligation de surveiller son organisation et ses salariés, il y a lieu de fixer à la somme de 250 euros le préjudice subi par cette dernière au titre des frais afférents à la contestation de l'avis de rectification.

Sur les frais et dépens :

Il y a lieu de dire que chacune des parties supportera les dépens de première instance et d'appel par elle engagés et de rejeter les demandes formées au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS :

La cour :

- Reçoit la société KPMG ESC& GS en son intervention volontaire,

- Infirme le jugement

Statuant à nouveau et y ajoutant :

- Condamne la société KPMG ESC & GS, venant aux droits de la société KPMG, prise en son établissement secondaire KPMG Entreprises Vienne/Limousin, bureau de [Localité 6], à payer à l'Eurl Etablissements [G] fils la somme de 10.000 euros à titre de dommages-intérêts en indemnisation de son préjudice résultant de la perte de chance d'éviter un préjudice économique,

- Condamne la société KPMG ESC & GS, venant aux droits de la société KPMG, prise en son établissement secondaire KPMG Entreprises Vienne/Limousin, bureau de [Localité 6], à payer à l'Eurl Etablissements [G] fils la somme de 250 euros à titre de dommages-intérêts en indemnisation de son préjudice résultant de la perte de chance d'éviter des frais de contestation de l'avis de rectification,

- Rejette les autres demandes des parties,

- Dit que chacune des parties supportera les dépens de première instance et d'appel par elle engagés.

LE GREFFIER LE PRESIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Rennes
Formation : 3ème chambre commerciale
Numéro d'arrêt : 22/06257
Date de la décision : 16/04/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 22/04/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-04-16;22.06257 ?
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